La Revue de médecine interne 28 (2007) 424–425 http://france.elsevier.com/direct/REVMED/
Cas clinique
Actinomycose prostatique chez un patient diabétique Prostatic actinomycosis in a diabetic patient M. Chemsi*, O. Gisserot, S. Cremades, P. Bernard, J.-P. de Jauréguiberry Service de médecine interne et d’oncologie, hôpital d’instruction des armées Sainte-Anne, 83800 Toulon Armées, France Reçu le 28 septembre 2006 ; accepté le 24 janvier 2007 Disponible sur internet le 08 février 2007
Résumé Introduction. – La localisation prostatique d’une actinomycose est exceptionnelle. Fait clinique. – Nous rapportons l’observation d’un homme diabétique de 59 ans, hospitalisé pour une actinomycose prostatique ayant spontanément fistulisé dans le rectum. La mise en évidence simultanée, dans les hémocultures et dans le pus de la fistule, de deux espèces d’Actinomyces confirmait le diagnostic. Discussion. – Le traitement avec mise à plat chirurgicale et l’antibiothérapie prolongée permettait la guérison de l’infection prostatique à Actinomyces. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Introduction. – Prostatic localization of actinomycosis is unusual. Case report. – We report the case of a 59 years-old diabetic man, hospitalised for a prostatic actinomycosis spontaneously fistulised in the rectum. Two species of Actinomyces were found in blood culture and in pus of the fistula. Discussion. – Therapeutic management including surgical treatment of the fistula and a specific antibiotherapy led to cure the prostatic infection due to Actinomyces. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Actinomycose ; Prostate ; Diabète Keywords: Actinomycosis; Prostate; Diabetes
Les infections du tractus urinaire sont des complications fréquentes des diabètes mal équilibrés et réalisent des tableaux cliniques souvent insidieux ou chroniques. La mise en évidence de micro-organismes rares est possible comme la localisation prostatique exceptionnelle d’une actinomycose. Nous rapportons une observation d’une actinomycose prostatique abcédée, d’expression clinique locale initialement fruste ayant fistulisé dans le rectum.
* Auteur correspondant. Service de médecine interne A, hôpital militaire d’instruction Mohammed-V–Rabat, BP 6594, Rabat Madinat Al Irfane, Maroc. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Chemsi).
1. Observation Un homme âgé de 59 ans, aux antécédents de diabète de type II et de sténose urétrale ancienne non traitée, était hospitalisé pour une fièvre évoluant depuis trois semaines avec frissons et un amaigrissement de 5 kg. L’examen clinique était normal, hormis une prostate augmentée de volume et indolore au toucher rectal, et une leucocyturie à la bandelette urinaire. Il existait un syndrome inflammatoire biologique, les hémocultures initiales et l’ECBU étaient stériles, la radiographie du thorax et l’échographie abdominopelvienne n’étaient pas contributives. Le scanner thoracoabdominopelvien visualisait une volumineuse collection liquidienne intraprostatique avec extension dans la graisse périprostatique droite avec calcifications
0248-8663/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2007.01.018
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périlésionnelles intraparenchymateuses témoignant d’un abcès prostatique sur une prostatite chronique. Dans le même temps, de nouvelles hémocultures isolaient Actinomyces meyeri et Actinomyces naeslundii et, après fistulisation spontanée à j7 de l’abcès dans le rectum, les mêmes germes étaient retrouvés dans le liquide d’écoulement. Le traitement avec mise à plat chirurgicale de l’abcès périnéopelvien et l’antibiothérapie prolongée par amoxicilline–acide clavulanique à la dose de 2 g/j pendant trois mois permettait la guérison, avec un recul de six mois après l’arrêt du traitement. La prévention d’une éventuelle récidive nécessitait un bon équilibre glycémique et surtout la correction du problème urologique sous-jacent. 2. Discussion Individualisée en 1846 par Bradshaw, l’actinomycose est une infection bactérienne chronique, pseudotumorale ou suppurative, rare, décrite d’abord chez l’animal en 1877, puis chez l’homme en 1885 par Israël [1]. Le germe responsable est l’Actinomyces, dont il existe 14 espèces, six étant pathogènes pour l’homme. Actinomyces israelii, constitue la principale souche pathogène isolée dans les infections humaines. Il s’agit d’un bacille à Gram positif, filamenteux, aéroanaérobie, hôte saprophyte de la cavité buccale, du tube digestif et occasionnellement du tractus génital [1,2]. Plusieurs conditions sont nécessaires à la pathogénie des Actinomyces : ● une rupture de la barrière muqueuse digestive ou génitale, puis diffusion le plus souvent par contiguïté, rarement par voie hématogène ou lymphatique [2,3] ; ● une immunodépression comme un diabète, un cancer ou un traitement immunosuppresseur ; ● une infection pluribactérienne, renforçant le pouvoir pathogène d’Actinomyces [4,5]. Si les localisations cervicofaciales sont de loin les plus fréquentes (50–60 % des cas), suivies des localisations thoraciques (25 % des cas), les localisations abdominopelviennes ne représentent que 20 % des actinomycoses [1,2,4,6] et s’observent principalement chez la femme, souvent par diffusion ascendante à partir d’un dispositif intra-utérin ancien et négligé, et réalisent des abcès localement destructeurs [5]. Elles sont anecdotiques chez l’homme, un seul cas d’actinomycose prostatique primitive a été rapporté dans la littérature [7], sous forme d’une prostatite aiguë, le diagnostic résultait de l’examen anatomopathologique du tissu prostatique. La symptomatologie est fruste et peu spécifique, le tableau clinique, de présentation volontiers pseudotumorale et peu évocateur, rend souvent le diagnostic très difficile, d’autant plus que la forme bactériémique est exceptionnelle. Le diagnostic positif est, soit
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bactériologique par la mise en évidence du germe dans les hémocultures, ou dans le pus d’écoulement, à condition d’acheminer le prélèvement rapidement au laboratoire et de prévenir le microbiologiste du caractère anaérobie à croissance lente du germe, soit histologique par la mise en évidence des grains actinomycosiques caractéristiques dans les prélèvements biopsiques [1,5,8–10]. Le traitement est avant tout médical et doit être prolongé (trois–quatre mois pour les tissus mous, 8–12 mois pour les ostéites), les bêtalactamines constituent le traitement de choix, la clindamycine, la rifampicine ou les tétracyclines sont également efficaces [2–4,10]. La chirurgie garde sa place en cas de lésion fistulisée ou abcédée [3,5]. Notre observation est originale par sa présentation clinique plus septicémique que prostatique faite d’un syndrome général d’allure septicémique contrastant avec une expression locorégionale initialement peu évocatrice, alors que la constatation inverse est faite d’ordinaire dans les actinomycoses pelviennes volontiers pseudotumorales [5], le caractère bactériémique, situation exceptionnelle dans ces infections, la présence différée dans les hémocultures puis dans l’écoulement périnéal de deux espèces d’Actinomyces parmi les six pathogènes pour l’homme, à rapprocher du polymicrobisme fréquent dans les infections prostatiques et la conjonction de deux facteurs favorisants (diabète, sténose urétrale). Références [1] Benouachane T, El khorassani M, Ismaili N, Nachef MN, Khattab M, Agoumi A. Actinomycose abdominale pseudotumorale à propos d’un cas. Médecine du Maghreb 1996;58:19–21. [2] Toumi A, Loussaief C, Chakroun M, Ben Romdhane F, Zakhama A, Bouzouia N. Actinomycose des os du pied : un diagnostic à ne pas méconnaître. Rev Med Interne 2005;26:988–96. [3] Aitouamar H, Jabourik F, Chkirate B, Rouichi A, Bentahila A, Belhadj AM. Actinomycose à propos de deux cas pédiatriques. Médecine du Maghreb 2000;79:13–5. [4] Jaafar A, El Mansari O, Zentar A, Lezrek M, Janati MI. Actinomycose appendiculaire à propos d’un cas. Médecine du Maghreb 1999;74:33–4. [5] Alami A, Maanani M, Zraidi M, Yousfi MM, Ouazzani MC. Actinomycose pelvienne et dispositif intra-utérin à propos d’un cas. Espérance médicale 2002;9:206–8. [6] Gazaigne J, Mornet M, Mozziconacci JG, Portal B, Provendier B. Sténose urétérale par actinomycose pelvienne. J Urol (Paris) 1994;100: 109–12. [7] de Souza E, Kats DA, Dworzack DL, Longo G. Actinomycosis of the prostate. J Urol 1985;133:290–1. [8] Lee YC, Min D, Holcomb K, Buhl A, DiMaio T, Abulafia O. Computed tomography guided core needle biopsy diagnosis of pelvic actinomycosis. Gynecol Oncol 2000;79:318–23. [9] Reyal F, Grynberg H, Sibony O, Molinié V, Galeazzi G, Barge J, et al. Actinomycose pelvienne un cas avec localisation secondaire hépatique. Presse Med 1999;28:2098–9. [10] Veyssier P. Actinomycose. Nocardioses. EMC Paris, Maladies Infectieuses, 8123 A 10 10-1979.