Adaptation au scotome central. Partie III

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REVUE GÉNÉRALE J Fr. Ophtalmol., 2006; 29, 3, 329-335 © Masson, Paris, 2006. Adaptation au scotome central. Partie III Hallucinations visuelles et s...

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REVUE GÉNÉRALE

J Fr. Ophtalmol., 2006; 29, 3, 329-335 © Masson, Paris, 2006.

Adaptation au scotome central. Partie III Hallucinations visuelles et syndrome de Charles Bonnet

F M C

S.Y. Cohen (1,2), J.-F. Le Gargasson (3,4) (1) Centre d’Imagerie et de Laser. (2) Service d’Ophtalmologie, Hôpital Lariboisière. (3) Laboratoire Central de Biophysique, Hôpital Lariboisière. (4) INSERM U592, Paris. Correspondance : S.Y. Cohen, Centre d’Imagerie et de Laser, 11, rue Antoine Bourdelle, 75015 Paris. E-mail : [email protected] Reçu le 7 septembre 2004. Accepté le 1er février 2005. Adaptation to central scotoma. III. Visual hallucinations and Charles Bonnet syndrome S.Y. Cohen, J.-F. Le Gargasson J. Fr. Ophtalmol., 2006; 29, 3: 329-335 Patients with low vision due to central scotoma may experience complex visual hallucinations, referred to as Charles Bonnet syndrome. The present review reports the current literature on this syndrome and details its frequency, predisposing circumstances, the nature of the hallucinations, and treatments. It also reports the possible occurrence of the syndrome immediately after macular treatments using laser photocoagulation and photodynamic therapy. Patients should be reassured when they experience this syndrome, which is not severe but may be the cause of patient concern.

Key-words: Central scotoma, visual hallucinations, Charles Bonnet syndrome, foveal photocoagulation, photodynamic therapy. Adaptation au scotome central. Partie III. Hallucinations visuelles et syndrome de Charles Bonnet Les patients malvoyants ayant un scotome central peuvent développer des hallucinations visuelles complexes, appelées syndrome de Charles Bonnet. Nous avons dans cet article synthétisé les données de la littérature sur les caractéristiques connues du syndrome : fréquence, circonstances favorisantes, contenu des hallucinations et traitement. Nous rapportons également la survenue du syndrome dans les suites immédiates des traitements maculaires, photocoagulation ou thérapie photodynamique. Il est important de rassurer les patients atteints par ce syndrome sans gravité, mais source d’inquiétudes parfois majeures.

Mots-clés : Scotome central, hallucinations visuelles, syndrome de Charles Bonnet, photocoagulation maculaire, thérapie photodynamique.

La survenue d’hallucinations visuelles est un phénomène d’adaptation au scotome central, survenant de façon indépendante de la volonté du patient. Cette forme d’adaptation n’est pas une tentative pour surmonter le handicap visuel. Cependant, la fréquence des ces épisodes d’hallucinations est importante chez les patients atteints de dégénérescence maculaire, et elle entraîne une inquiétude importante chez eux, d’autant plus qu’elle n’est habituellement pas exprimée. Dans le cadre des dégénérescences maculaires, ces épisodes peuvent survenir spontanément ou suite à différentes thérapeutiques, en particulier la photocoagulation maculaire ou la thérapie photodynamique. Ce contexte déclenchant particulier permet de discuter l’importance éventuelle de la déprivation visuelle (dé-afférentation) dans la survenue de ces hallucinations.

HISTORIQUE En 1938, De Morsier [1] a proposé de donner le nom de syndrome de Charles Bonnet aux hallucinations visuelles qui apparaissent chez des vieillards alors que les autres fonctions cérébrales sont intactes. Il rapporte, en 1967, un extrait du livre de Charles Bonnet, célèbre naturaliste et philosophe genevois [2]. Dans ce livre, intitulé « Essai

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analytique sur les facultés de l’âme », paru dans sa première édition en 1760, Charles Bonnet rapporte le cas de son aïeul, l’ancien syndic Charles Lullin, alors âgé de 89 ans [3]. Cet homme « plein de santé, de candeur, de jugement, de mémoire, en pleine veille, indépendamment de toute impression du dehors, aperçoit de temps en temps devant lui des figures d’hommes, de femmes, des oiseaux, des voitures, des bâtiments etc. Il voit ces figures se donner différents mouvements, s’approcher, s’éloigner, fuir ; diminuer et augmenter de grandeur ; paraître et reparaître. Il voit des bâtiments s’élever sous ses yeux... ; les tapisseries de ses appartements lui paraissent changer tout à coup, ses tapisseries se couvrir de tableaux qui représentent différents paysages... » Charles Bonnet note également que l’hallucination est purement visuelle : « les hommes et les femmes ne parlent point et aucun bruit n’effleure son oreille. » Il insiste sur le point suivant : « mais ce qui est très important à remarquer, c’est que ce vieillard ne prend point comme les visionnaires ses visions pour des réalités, il sait juger sainement de toutes ces apparitions et redresser toujours ses premiers jugements. Sa raison s’en amuse. Il ignore d’un moment à l’autre quelle vision s’offrira à lui. » Charles Bonnet propose non pas une explication, mais un siège anatomique au problème : « tout cela paraît avoir son siège dans la partie du cerveau qui répond à l’organe de la vue » [3]. L’aïeul de Charles Bonnet a été opéré de la cataracte sans que l’on sache si les hallucinations ont précédé ou suivi l’intervention. Malgré la description de problèmes visuels et la conviction de Charles Bonnet de la localisation du trouble au niveau du cerveau qui répond à l’organe de la vue, de Morsier conteste le lien entre l’apparition des hallucinations visuelles et les lésions des globes oculaires. Il rapporte, en 1967, le cas de 18 patients atteints de syndrome

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de Charles Bonnet, constatant que les hallucinations ont souvent suivi les problèmes visuels, mais les ont parfois précédés. Dans certains cas, les symptômes diminuent même ou disparaissent avec l’apparition de la baisse de vision. De Morsier propose de ne désigner sous le nom de syndrome de Charles Bonnet que les hallucinations visuelles apparaissant chez les vieillards sans déficience mentale [2]. Différents éléments du syndrome de Charles Bonnet sont effectivement présents dès l’observation princeps : l’âge, l’existence de problèmes visuels, le caractère limité à la vision, sans hallucination auditive ou autre associée, la distance que le patient a vis-à-vis de ses troubles, sans jamais adhérer à un délire, enfin le fait que les hallucinations ne sont pas inquiétantes pour le patient. Cependant, il est communément admis qu’une des circonstances favorisant la survenue de ce syndrome est l’apparition d’une baisse d’acuité visuelle bilatérale [4-7].

DÉFINITION ET CARACTÉRISTIQUES DU SYNDROME DE CHARLES BONNET La définition la plus récente, et la plus admise, du syndrome de Charles Bonnet est donnée en 1995 par Teunisse et al. [8] : hallucinations visuelles complexes, persistantes ou répétitives ; rétention complète ou partielle de la conscience ; absence d’hallucination d’autre modalité que visuelle ; absence de délire.

Prévalence du syndrome Pendant longtemps, le syndrome a été considéré comme très rare. En 1989, une analyse de littérature ne permettait de regrouper que 46 patients décrits depuis

1960 [9]. Cependant, de nombreux auteurs ont remis en cause la rareté du syndrome, suggérant que de nombreux patients ne rapportaient habituellement pas leurs hallucinations en raison de la crainte d’être considérés comme malades mentaux [4, 10-13]. En effet, dans une étude, 73 % des patients reconnaissent n’avoir jamais mentionné les hallucinations à un médecin [12]. Mais les chiffres de prévalence dépendent considérablement de la population étudiée. Le syndrome de Charles Bonnet était diagnostiqué chez 1,3 % des patients adressés à un psychiatre en raison d’hallucinations visuelles [14]. Une autre étude rétrospective portant sur 434 patients consécutifs adressés en unité psycho-gériatrique rapportait une prévalence de 1,8 % d’hallucinations visuelles ressemblant au syndrome de Charles Bonnet [15]. Un taux de 1 à 2 % était également noté chez les patients consultant en externe dans une unité psychiatrique [9]. Dans une population malvoyante ou présentant des anomalies rétiniennes sévères, les taux sont beaucoup plus importants. Dans une population de 66 adultes devenant aveugles sur une période d’un an, 35 % des patients rapportaient des expériences visuelles continues et 18 % des hallucinations intermittentes [16]. Dans une population malvoyante comprenant 300 patients, 33 d’entre eux présentaient des signes compatibles avec un diagnostic de syndrome de Charles Bonnet, ce qui donne une prévalence de 11 % [8]. Les mêmes auteurs ont continué l’étude en incluant 505 patients avec un handicap visuel et ont trouvé une prévalence de 11,8 % de syndrome de Charles Bonnet [11]. La même équipe aboutissait à un taux de 14 % de patients atteints du syndrome de Charles Bonnet dans leur dernière étude parue [13]. Dans une population consultant pour rééducation de basse vision, la recherche systématique des hal-

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lucinations visuelles permet d’obtenir des taux encore plus élevés. Dans une étude menée sur 284 patients consécutifs, 109 patients, soit 38,3 %, décrivaient des hallucinations visuelles complexes tandis que 44 patients (15,5 %) avaient des hallucinations plus simples comme des photopsies [17].

Description des hallucinations La plupart des études insistent sur le caractère varié des hallucinations visuelles. Cependant, une vision de visage connu ou inconnu, l’apparition de fleurs, de figures géométriques sont notées dans de nombreuses études [6, 12, 17]. Dans certains cas, les patients décrivent le visage d’un proche décédé. Les visages seraient donc l’hallucination la plus fréquente, représentant jusqu’à 80 % des hallucinations [12]. Les autres hallucinations consisteraient en la vision d’animaux (38 %), de fleurs, d’arbres et de plantes (25 %), de bâtiments (15 %). Cette même étude a permis de caractériser d’autres aspects des hallucinations : la présence de couleurs (73 % des cas) ou, à l’inverse, d’anomalies purement en noir et blanc (27 %), l’existence de mouvements toujours présents ou inconstants (47 %). Dans certains cas, l’hallucination s’intègre très bien au décor comme, par exemple, lorsqu’une personne semble assise dans un fauteuil réel (22 %) [12]. Une autre étude a retrouvé les éléments suivants comme étant les plus fréquents : objets divers dont les fleurs ou les arbres (17 %), les formes géométriques (14 %), les personnes (12 %), les animaux (6 %) [17]. Il est à signaler que le contenu est rarement effrayant. La plupart des patients considèrent ces expériences comme plaisantes ou totalement neutres [8, 17]. Seuls 28 % des patients semblent souffrir réellement de leurs hallucinations et souhaitent leur disparition. Les objets peuvent apparaître de la

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même consistance que les objets réels, apparaissant parfois plus clairs (45 %) ou, à l’inverse, moins clairs (20 %). L’hallucination semble varier d’un jour à l’autre pour un même patient. Les hallucinations stéréotypées apparaissent peu fréquentes, ne survenant que dans 10 % des cas [12]. La plupart des patients n’observent aucun lien personnel avec le contenu de l’hallucination (77 %). Seuls 17 % des patients retrouvent un contenu émotionnel important associé à leur vie passée, en particulier l’apparition d’un proche décédé.

Circonstances favorisantes L’étude de Teunisse et al. [12] a tenté de préciser les circonstances favorisantes d’apparition des hallucinations. Dans la plupart des cas, ces hallucinations surviennent le soir (35 %) ou la nuit (23 %), lorsque l’intensité lumineuse est faible, proche de l’obscurité (65 %). Les patients sont habituellement inactifs lors de la survenue de l’hallucination (85 %) qui apparaît dans leur environnement familier, à la maison (72 %). Elles peuvent être aussi favorisées par la solitude (38 %), la fatigue (10 %), le stress (8 %), le fait de regarder la télévision (5 %). Les hallucinations surviennent habituellement les yeux ouverts (67 %). À l’inverse, certains actes semblent stopper les hallucinations comme le fait de garder les yeux fermés (38 %) ou au contraire ouverts (15 %), le fait de se rapprocher de l’hallucination (20 %) ou de regarder au loin (15 %), d’allumer une lumière (10 %), cligner des yeux (8 %), effectuer des mouvements oculaires rapides (5 %), se concentrer sur autre chose (5 %) [12].

Autres facteurs favorisants Les autres facteurs favorisants du syndrome pourraient être l’âge et l’isolement social. Toutes les études insistent sur le caractère assez

âgé des patients développant des hallucinations visuelles avec un âge moyen de 72 ans dans la deuxième étude, et une survenue des hallucinations chez des patients de plus de 60 ans dans 80 % des cas, dans la première [12, 18]. Cependant, il faut souligner que la dégénérescence maculaire survient essentiellement chez des patients âgés et qu’il est possible que cela ne reflète que les caractéristiques démographiques habituelles de cette population malvoyante. L’isolement social, c’est-à-dire le fait de vivre seul ou d’être veuf, pourrait être un facteur aussi important. Ce facteur est retrouvé dans deux études [8, 19]. Une étude plus récente a mis en évidence d’autres facteurs favorisants tels la dépression, l’altération de l’état général ou de la qualité de vie. Cette étude retrouve également comme principaux facteurs associés l’âge ou l’importance du déficit visuel, mais montre que les personnes atteints d’hallucinations ayant une acuité relativement bonne sont habituellement sujettes à la dépression et ont une moins bonne qualité de vie mesurée que les patients ne présentant pas d’hallucinations [20]. D’autres facteurs ont été discutés comme l’existence de problèmes cognitifs ou l’existence de lésions blanches situées dans la région péri-ventriculaire postérieure en IRM [19].

Hypothèses pathogéniques La plupart des auteurs s’accordent pour considérer le syndrome de Charles Bonnet comme correspondant à des hallucinations dues à un phénomène appelé : « release phenomenon » [21]. Les hallucinations apparaîtraient au niveau du cortex visuel du fait que celui-ci ne reçoit plus suffisamment d’impulsions du système visuel. Ce phénomène s’apparenterait au syndrome sensitif des amputés, c’est-à-dire la sensation d’existence d’un membre fantôme.

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La pathogénie exacte de ces « release hallucinations » demeure cependant discutée. L’épilepsie visuelle est peu probable en raison de leur durée longue et variable, de leur aspect non stéréotypé dans leur présentation ou leur mode de survenue, et de leur association avec une sensation de baisse d’acuité visuelle plutôt que vers d’autres anomalies épileptiques sensorielles ou motrices. Par analogie aux épilepsies, certains auteurs ont cependant proposé un mécanisme irritatif du nerf optique [22]. D’autres ont évoqué une sorte de vision entoptique, le patient ayant une sorte de vision en arrière de sa cataracte. Cependant, cette théorie est peu probable, certains patients ayant des hallucinations visuelles après énucléation bilatérale. L’origine corticale des hallucinations est actuellement acceptée par tous les auteurs. Il s’agirait d’impulsions coordonnées survenant au sein du cortex visuel, parfois générées par un stimulus sensoriel ou en l’absence même d’un stimulus.

Approches thérapeutiques Il n’y a pas de traitement reconnu du syndrome de Charles Bonnet. Le premier traitement consiste à rassurer les patients sur l’absence de pathologie mentale sous-jacente. En règle générale, cette simple précision permet de limiter le nombre d’hallucinations visuelles ou leur impact sur l’affect du sujet. Cependant, certains patients sont suffisamment gênés pour envisager des traitements pharmacologiques. Les traitements proposés sont tous discutés. Il s’agit des médicaments anti-épileptiques [23], l’halopéridol qui est un neuroleptique [4, 19]. D’autres auteurs ont mentionné un bénéfice du tiapride [24]. Le changement d’environnement, notamment dans un environnement plus stimulant, avec un moindre isolement social, pourrait constituer également un traitement efficace [19].

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SYNDROME DE CHARLES BONNET DANS LES MALADIES RÉTINIENNES La nature exacte des maladies rétiniennes associées au syndrome de Charles Bonnet n’est en règle générale pas précisée dans la littérature. Des publications anciennes font davantage référence à la cataracte. Cependant, des publications plus récentes précisent l’origine de l’atteinte : amblyopie toxique [21], rétinopathie diabétique [4] et choroïdérémie [10]. L’étude de Crane et al. [17] est la plus précise, rapportant des diagnostics formels de différentes natures. Parmi ces diagnostics, sont observées des maladies maculaires : la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), l’intoxications aux anti-paludéens de synthèse, l’œdème maculaire, le trou maculaire, la cicatrice maculaire d’origine imprécise, la dégénérescence maculaire myopique, la maladie de Stargardt. Les autres affections rétiniennes citées sont la choroïdérémie, la rétinopathie diabétique, le rétinoschisis juvénile, le syndrome d’histoplasmose oculaire, les rétinopathies pigmentaires ou encore les rétinopathies du prématuré. Il semble donc que toutes les affections rétiniennes sévères puissent donc s’accompagner d’hallucinations visuelles complexes. La DMLA est la première cause de maculopathie dans les pays développés. Les formes sévères sont soit de nature atrophique avec disparition lente et progressive des photo-récepteurs et atrophie de l’épithélium pigmentaire, soit néovasculaire, la macula étant détruite anatomiquement par le développement de néovaisseaux d’origine choroïdienne. Brown et Murphy [5] ont, les premiers, effectué une étude systématique de la survenue d’hallucinations visuelles non structurées ou structurées chez des patients atteints de néovascularisation choroïdienne. Cette étude a inclus 100 patients consécutifs dont 87 souffraient de DMLA, les autres patients étant atteints de néovais-

seaux idiopathiques ou compliquant une histoplasmose oculaire présumée, des stries angioïdes, un ostéome choroïdien, une forte myopie, une choroïdite serpigineuse ou une cicatrice de laser. Trente et un des 100 patients ont présenté des néovaisseaux bilatéraux. Avant tout traitement, 59 % des patients ont rapporté des symptômes à type de photopsies, de couleurs variées. Douze patients ont décrit des hallucinations visuelles plus complexes correspondant au syndrome de Charles Bonnet. Neuf patients sur 12 (75 %) présentaient des néovaisseaux bilatéraux. Les hallucinations observées correspondaient à des visages (42 %), des damiers alternants (25 %), des fleurs ou des arbres (25 %), des palissades (17 %) et des animaux (17 %). Les auteurs ont rapporté une grande variabilité des hallucinations, en ce qui concernait leur circonstance de déclenchement, leur durée, leur nature, leur fréquence. Les seuls facteurs favorisants retrouvés étaient l’existence d’une cicatrice dans les deux yeux.

SYNDROME DE CHARLES BONNET DANS LES SUITES DES TRAITEMENTS MACULAIRES La photocoagulation maculaire La survenue d’hallucinations visuelles dans les suites immédiates d’un traitement laser appliqué dans la région maculaire n’avait, à notre connaissance, été rapportée que dans un cas unique parut en 1994 dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) [25]. Cependant, plusieurs de nos patients s’étaient plaints de la survenue, dans les suites immédiates de laser maculaire, d’hallucinations visuelles complexes. Nous avons entrepris une étude prospective

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et monocentrique, dans le but de préciser l’incidence des hallucinations visuelles après photocoagulation maculaire effectuée pour néovascularisation choroïdienne. Cette étude a concerné 60 patients consécutifs qui ont répondu à un questionnaire, oralement. Ces patients ont été questionnés lors du premier contrôle angiographique effectué après photocoagulation, 15 jours à 1 mois après traitement. Deux questions leur ont été posées : « certains patients ont observé des phénomènes colorés ou lumineux après le laser, estce votre cas ? » et : « certains patients ont même décrit de véritables hallucinations visuelles après le laser, est-ce votre cas ? » Lorsque les patients répondaient positivement à l’une des questions, il leur a été demandé de décrire avec le plus de précisions possibles la nature de l’hallucination, la date d’apparition par rapport aux symptômes et de dire si de tels phénomènes étaient apparus avant le traitement. Cette étude a inclus 42 femmes et 18 hommes, âgés de 41 à 92 ans (moyenne 75,3 années). Vingttrois patients (38,3 %) n’ont eu aucune hallucination ou phénomène lumineux après traitement. Trente-sept patients (61,6 %) ont mentionné la survenue d’anomalies après laser. Plus précisément, 27 patients (45 %) ont rapporté des hallucinations non structurées : lumière colorée ou flash, filament ou bâtonnet lumineux ; dix patients (16,6 %) ont décrit de plus des hallucinations structurées : fleurs ou papiers peints avec des motifs de fleurs (3 patients), visages connus ou inconnus (3 patients), motifs géométriques (1 cas), grillage (1 cas), meubles (1 cas), petits animaux (1 cas). Tous les patients ont considéré n’avoir jamais eu ce type d’hallucination auparavant. Le délai de survenue des hallucinations était extrêmement variable après laser, de quelques heures à quelques jours [26]. L’étude a comparé de façon statistique les groupes de patients :

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sans hallucination, avec hallucinations non structurées ou avec syndrome de Charles Bonnet, ce qui a permis d’identifier des facteurs de risque de survenue des hallucinations structurées. Les patients ayant des hallucinations visuelles structurées étaient plus âgés que les autres (p = 0,04). La néovacularisation choroïdienne était plus souvent rétrofovéolaire chez ces patients (p = 0,005). Enfin, les patients avec hallucinations visuelles structurées avaient plus souvent une lésion maculaire des deux yeux ou au moins une lésion plus sévère de l’œil traité que les autres patients (p = 0,01). Cependant, il a été noté qu’un patient avait développé des hallucinations visuelles structurées malgré l’absence de lésion sévère de l’œil traité [26].

La translocation maculaire chirurgicale La translocation maculaire limitée consiste à déplacer la rétine maculaire par rapport à la néovascularisation choroïdienne rétrofovéolaire. Deux patients ont présenté des hallucinations visuelles structurées à la suite d’une translocation maculaire limitée [27]. Les hallucinations ont débuté 24 heures après translocation maculaire et ont cessé 3 à 7 jours après l’intervention. Les hallucinations ont consisté, dans un cas, en la vision d’enfants en train de jouer, de visages et de chiens, dans l’autre cas, en la vision de personnes dansantes et de fleurs. Dans les deux cas, les patients étaient conscients du caractère irréel de l’hallucination. Dans les deux cas, la survenue d’hallucinations visuelles a été associée à la période de décollement de rétine et de mauvaise vision postopératoire. Les symptômes ont cessé lors de l’amélioration de l’acuité visuelle. Cette évolution est très en faveur de la théorie de la déprivation sensorielle dans la survenue de l’hallucination.

La thérapie photodynamique Nous avons entrepris une seconde étude prospective concernant la survenue d’hallucinations visuelles dans les suites de la thérapie photodynamique. Cette étude a concerné 100 patients consécutifs traités par thérapie photodynamique utilisant la Visudyne®. Il s’agit d’un procédé utilisant un produit photosensibilisant, la vertéporfine injectée par voie intraveineuse au moyen d’une perfusion. Cinq minutes après la fin de la perfusion, le patient est traité par un laser faiblement dosé, délivrant une énergie de 50 J/cm2 sur la région maculaire de l’œil atteint. Cette étude a été conduite de la même manière que l’étude concernant les hallucinations après laser. Les questions ont été posées 6 à 12 semaines après la première séance de thérapie photodynamique. L’étude a inclus 58 femmes (58 %) et 42 hommes âgés de 50 à 95 ans (moyenne 78,5 ans). Quatre-vingts patients (80 %) n’avaient aucune hallucination visuelle après thérapie photodynamique. Quinze patients (15 %) ont rapporté des photopsies ou des flashs de couleurs variées ; enfin, 5 patients ont décrit des hallucinations visuelles structurées correspondant à une roue lumineuse ou blanche, des visages, des damiers alternants, des étoiles filantes animées d’un mouvement circulaire. Dans cette étude, nous n’avons pu mettre en évidence aucun facteur favorisant des hallucinations visuelles structurées : sexe (p = 0,4), âge (p = 0,4) ou acuité visuelle (p = 0,8). En particulier, les hallucinations visuelles ne semblaient pas être survenues à un moment où l’acuité visuelle était particulièrement basse. Cependant, les patients n’ont pas été examinés pendant les symptômes, mais ont été simplement questionnés de façon rétrospective sur les symptômes survenus les dernières semaines. On ne peut donc exclure l’existence d’une diminution transitoire de l’acuité visuelle, concomitante à

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la survenue des symptômes. Cette hypothèse est cependant peu probable, compte tenu du fait que les patients se plaignent essentiellement de ces fluctuations d’acuité visuelle davantage que des hallucinations visuelles. Notre hypothèse est plutôt que les modifications anatomiques brutales de la macula, par exemple la résolution rapide d’un œdème maculaire, pourraient être suffisantes pour favoriser l’apparition du syndrome chez certains patients [28]. Ainsi, les différents traitement proposés aux patients dans la DMLA peuvent s’accompagner d’hallucinations visuelles complexes. Ces hallucinations paraissent plus fréquentes en cas de photocoagulation maculaire au laser (15 %) qu’en cas de traitement censé être moins agressif, comme la thérapie photodynamique (5 %). La photocoagulation entraînant une déprivation brutale et immédiate, on conçoit aisément une plus grande opportunité de réaction corticale à une déafférentation brutale. Cependant, les caractéristiques extrêmement variées des patients présentant des hallucinations visuelles, le caractère également varié de leurs hallucinations, de leur nature comme de leurs circonstances favorisantes, rendent toute tentative d’explication difficile. D’autant plus que certains patients, ayant une acuité visuelle conservée, ont présenté des hallucinations structurées importantes tandis que d’autres patients atteints de façon sévère à leurs deux yeux n’en ont pas développées. Nous ne sommes qu’au début de l’imagerie cérébrale fonctionnelle [29, 30]. Il est possible qu’elle permette un jour une meilleure compréhension de ces phénomènes corticaux complexes.

CONCLUSION Au total, de nombreux mystères demeurent dans la survenue de ces

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hallucinations visuelles. La théorie de la dé-afférentation appelée encore « release phonomenon » ne peut, à notre avis, expliquer l’ensemble des cas de survenue de syndrome de Charles Bonnet. Notre hypothèse est que les modifications aiguës du message reçu par le cortex visuel quelle que soit l’origine de ces modifications, pourrait suffire, chez certains patients, à favoriser l’apparition du syndrome. La réalisation d’études supplémentaires demeure donc nécessaire pour améliorer notre connaissance de ce phénomène curieux. Les travaux présentés dans cette revue générale nous ont, cependant, convaincus de la nécessité d’avertir les patients de la possibilité de survenue d’hallucinations visuelles dans les suites immédiates des traitements maculaires par photocoagulation ou par thérapie photodynamique.

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