Annales Me´dico-Psychologiques 168 (2010) 513–515
Communication
Addictions sans substances et comorbidite´s Addiction and comorbidity C. Lanc¸on *, J. Cohen Centre des addictions, CHU Sainte-Marguerite, 270, boulevard de Sainte-Marguerite, 13009 Marseille, France
I N F O A R T I C L E
R E´ S U M E´
Historique de l’article : Disponible sur Internet le 31 juillet 2010
Le concept d’addiction comportementale est re´cent. Les addictions comportementales permettent d’e´tudier de manie`re plus simple les relations avec les troubles psychiatriques. Les troubles de l’humeur entretiennent des relations e´troites avec les addictions comportementales comme le jeu pathologique. Ce lien est tre`s important avec le trouble bipolaire. Ce type d’association doit eˆtre pris en compte dans la recherche, la clinique et le traitement des addictions comportementales. ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.
Mots cle´s : Addiction Comorbidite´ Jeu pathologique
A B S T R A C T
Keywords: Addiction Comorbidity Pathological gambling
Addiction is a recent concept. Pathological gambling is a frequent addictive disorder. Pathological gambling is frequently comorbid with psychiatric disorders, personality disorder or substances abuse or dependence. Affective disorder, especially bipolar disorder, is the most frequent psychiatric conditions comorbid with pathological gambling. This kind of association needs further researches. In clinical practice comorbid association with affective disorder is of special interest. ß 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Les addictions sans substances constituent un excellent mode`le de compre´hension des relations entre troubles addictifs et troubles psychiatriques. En effet, les manifestations « intrinse`ques » des substances psychoactives et les manifestations de sevrage ne viennent pas perturber l’analyse clinique. Le trouble addictif renvoie a` ce qui est de´fini par Goodman [7]. Pour cet auteur, le trouble addictif se de´finit par « tout comportement, qui fonctionne a` la fois en produisant du plaisir et un re´duisant les affects douloureux [. . .]. Comportement utilise´ malgre´ les tentatives avorte´es et re´currentes de controˆler ce comportement et malgre´ la pre´sence de conse´quences ne´fastes pour la sante´. . . ». Cette de´finition permet d’entrevoir le lien e´troit qui peut exister entre les troubles addictifs et certains troubles psychiatriques, en particulier les troubles de l’humeur. En effet, les troubles addictifs peuvent apparaıˆtre dans certaines circonstances comme une tentative adaptative pour lutter ou controˆler les oscillations de l’humeur. Cette de´finition n’est cependant pas celle actuellement propose´e dans le DSM [1], ce qui limite la ge´ne´ralisation des
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (C. Lanc¸on). 0003-4487/$ – see front matter ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. doi:10.1016/j.amp.2010.06.005
re´sultats des e´tudes. Par ailleurs, dans la majorite´ des e´tudes, les e´tats d’usages nocifs pour la sante´, ou d’abus, et celui de de´pendance ne sont pas distingue´s. Nous avons choisi de rapporter de manie`re arbitraire les re´sultats de la litte´rature entre jeu pathologique et troubles psychiatriques. Le jeu pathologique est probablement l’une des conduites addictives sans substance la plus fre´quente et peut-eˆtre la plus souvent associe´e a` des troubles psychiatriques.
1. De´finition d’une comorbidite´ La comorbidite´ est de´finie par l’Organisation mondiale de la sante´ (OMS) comme la « co-occurrence chez la meˆme personne ˆ a` la consommation d’une substance psychoactive d’un trouble du et d’un autre trouble psychiatrique ». Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), une personne ayant un double diagnostic est « une personne qui a e´te´ diagnostique´e comme pre´sentant un abus d’alcool ou de drogue en plus d’un autre diagnostic, habituellement de nature psychiatrique, par exemple un trouble de l’humeur, une schizophre´nie ». Les comorbidite´s sont donc de´finies comme la coexistence temporelle non ale´atoire de deux ou plusieurs troubles psychiatriques ou de la personnalite´, dont l’un d’eux est une proble´matique addictive.
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2. E´pide´miologie du jeu pathologique Le jeu pathologique est un trouble du controˆle des impulsions caracte´rise´ par l’impossibilite´ de controˆler un comportement de jeu de hasard et d’argent en de´pit des conse´quences ne´gatives (sociales, familiales, financie`res ou judiciaires) [7]. Sa fre´quence est estime´e entre 0,2 et 2 % de la population ge´ne´rale, et s’accompagne ˆ t e´leve´ pour la socie´te´ (cinq milliards de dollars aux E´tatsd’un cou Unis en 2005) [9]. L’e´tude des comorbidite´s psychiatriques et addictives du jeu pathologique est ne´cessaire pour proposer aux patients la prise en charge pharmacologique et psychologique la plus adapte´e [5]. Elle permet aussi de mieux comprendre l’e´mergence de ce trouble et ainsi de mieux identifier les populations a` risque, dans le but de proposer des strate´gies de pre´vention primaire adapte´es [3]. Malgre´ cela, les e´tudes disponibles sont peu nombreuses. Elles sont essentiellement nord-ame´ricaines, et aucune donne´e franc¸aise n’est actuellement disponible. 3. Jeu pathologique et substances Selon Kessler et al. [8], qui utilisaient comme e´chantillon la National Comorbidity Survey-Replication (NCS-R, comprenant 9282 sujets), la comorbidite´ la plus fre´quemment associe´e au jeu pathologique est l’utilisation de substance (odds ratio [OR] : 3,9–5,9), ˆ le des impulsions (OR : 1,8–3,1). devant les autres troubles du contro Parmi les addictions, la de´pendance tabagique est la plus fre´quemment retrouve´e. Dans l’e´tude de Petry et al. [10] reprenant l’e´chantillon National Epidemiologic Survey on Alcohol and Related Conditions (NESARC), le risque relatif de de´pendance tabagique chez les joueurs pathologiques est de six. Les autres addictions (alcool, drogues illicites) pre´ce´dent ge´ne´ralement le de´but du jeu pathologique, surtout chez les hommes. Les joueurs pathologiques ayant un ante´ce´dent de de´pendance a` une substance pre´sentent ge´ne´ralement des jeux pathologiques plus se´ve`res. Deux e´tudes ame´ricaines [6,13] de cohortes e´valuent la fre´quence de la de´pendance alcoolique chez les joueurs pathologiques. Dans la premie`re e´tude [6], qui a porte´ sur 2417 sujets, la fre´quence de la de´pendance alcoolique e´tait dix fois supe´rieure chez les joueurs que chez les non-joueurs (10 % contre 1,1 %). Dans la deuxie`me e´tude [6] portant sur 2638 sujets, 25 % des joueurs pathologiques pre´sentaient une de´pendance alcoolique contre 1,4 % des non-joueurs. L’e´tude de Petry et al. [10] montre un risque relatif de cinq pour la de´pendance alcoolique chez les joueurs pathologiques. D’autres e´tudes montrent un lien e´troit entre jeu pathologique et abus de substances, mais ces e´tudes restent peu nombreuses et limite´es. Une e´tude [2] a ainsi montre´ que la fre´quence de consommation de toxiques e´tait quatre fois plus e´leve´e chez les joueurs pathologiques par rapport a` la population te´moin (23,2 % contre 6,3 %). 4. Jeu pathologique et pathologie psychiatrique 4.1. Trouble de l’humeur Les e´tudes existantes mene´es en population ge´ne´rale [2,4] montrent que plus de 50 % des joueurs pathologiques pre´sentent une comorbidite´ e´leve´e avec des troubles de l’humeur. Dans l’e´tude de Petry et al. [10] reprenant l’e´chantillon de la NESARC, un risque relatif de 4,4 est retrouve´ pour le jeu pathologique avec les troubles de l’humeur. On retrouve un risque relatif de 8 avec l’e´tat maniaque, et de 3,3 avec le syndrome de´pressif majeur. Parmi les troubles de l’humeur, le trouble bipolaire semble donc eˆtre la comorbidite´ la plus fre´quemment observe´e.
Il existe deux autres e´tudes en population ge´ne´rale e´valuant les comorbidite´s entre joueurs pathologiques et troubles de l’humeur. Bland et al. [2] observent que les joueurs pathologiques pre´sentent significativement plus de troubles de l’humeurs que les non-joueurs (33,3 % contre 14,2 %). La fre´quence des e´pisodes de´pressifs majeurs n’e´tait pas plus importante chez les joueurs, contrairement a` l’e´tude de Cunningham-Williams et al. [4] qui retrouvent une fre´quence d’e´pisodes de´pressifs majeurs de 8,8 % (contre 5,3 %). Les donne´es sont e´galement contradictoires concernant la dysthymie, car si Bland et al. [2] retrouvent une fre´quence plus importante dans les populations de joueurs (20 % contre 4,9 %), ce n’est pas le cas de Cunningham-Williams et al. [4]. Ces chiffres doivent eˆtre relativise´s du fait de l’e´chantillon limite´ de joueurs observe´s et de la faible pre´valence des troubles recherche´s. 4.2. Trouble anxieux Les comorbidite´s anxieuses de´butent le plus souvent avant l’apparition du jeu pathologique, et pourraient eˆtre des facteurs de risque de de´velopper un jeu pathologique [6]. CunninghamWilliams et al. [4] retrouvent une fre´quence des phobies spe´cifiques plus e´leve´e (14,6 % contre 9,4 %), mais pas d’augmentation de fre´quence des autres troubles anxieux. Bland et al. [2] retrouvent chez les joueurs une augmentation de la fre´quence du trouble anxieux ge´ne´ralise´ (26,7 % contre 9,2 %), et de l’agoraphobie (13,3 % contre 2,4 %). Selon Petry et al. [10], la comorbidite´ anxieuse la plus fre´quemment retrouve´e dans le jeu pathologique est le trouble panique avec agoraphobie. 4.3. Trouble de personnalite´ La personnalite´ antisociale semble eˆtre le trouble de personnalite´ le plus souvent comorbide du jeu pathologique (24,1 % des joueurs contre 2 %) [12]. Dans l’e´tude de Cunningham-Williams et al. [4], le risque relatif entre personnalite´ antisociale et jeu pathologique e´tait de 6,1, le risque relatif de ce trouble de la personnalite´ chez les joueurs re´cre´atifs est de 2,1. La pre´sence de cette comorbidite´ serait, en outre, associe´e a` un jeu plus se´ve`re et des conse´quences socioe´conomiques plus importantes [11]. 5. Conclusions L’e´tude des comorbidite´s psychiatriques avec le jeu pathologique montre la fre´quence de ces associations. Il est probable que ce lien renvoie a` des facteurs physiopathologiques communs, a` la fois ge´ne´tiques et neurobiologiques. Du point de vue de la prise en charge, il convient de tenir compte de la fre´quence e´leve´e de ces comorbidite´s. Par exemple, la prise en compte de l’association avec un trouble bipolaire justifie, face a` certaines situations cliniques, la prescription de me´dicaments thymore´gulateurs. Conflit d’inte´reˆt Aucun.
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Discussion Dr J. Garrabe´ – Je voudrais demander au Pr Lanc¸on une pre´cision a` propos de la co-occurrence « addictions sans substances et troubles bipolaires » ; concerne-t-elle surtout le trouble unipolaire maniaque ? La psychopathologie classique conside´rait que la « folie circulaire » de´butait souvent par un e´pisode maniaque au de´but de l’aˆge adulte, premier e´pisode qui pouvait passer inaperc¸u avant d’eˆtre suivi au bout d’un certain temps d’un premier e´pisode de´pressif me´lancolique. De nos jours, le trouble unipolaire maniaque semble, du fait de sa rarete´, ignore´ a` tel point que « trouble unipolaire » est devenu e´quivalent du seul « trouble unipolaire de´pressif ». Pr J.-D. Guelfi – Je voudrais demander au Pr Christophe Lanc¸on s’il pense que la personnalite´ n’existe pas non plus et que les de´fenses caracte´rielles n’ont pas d’existence concre`te. Pour l’augmentation de l’OR concernant les addictions pour le trouble bipolaire, le chiffre spectaculaire de huit ne signifie pas obligatoirement une communaute´ d’e´tiologie. L’addiction implique une recherche de plaisir. L’exaltation de l’humeur entraıˆne en effet tre`s souvent une recherche accrue de plaisir. Re´ponse du Rapporteur – Au Dr J. Garrabe´ – Dans les e´tudes, c’est surtout le trouble bipolaire qui est significativement associe´ avec les addictions ; plus particulie`rement les addictions sans substance. Le trouble unipolaire maniaque n’est malheureusement pas pre´sent comme cate´gorie nosographique dans la litte´rature actuelle.
DOI de l’article original : 10.1016/j.amp.2010.06.005 0003-4487/$ – see front matter ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. doi:10.1016/j.amp.2010.06.011
Au Pr J.-D. Guelfi – Il est difficile de re´pondre en quelques minutes sur une question aussi complexe. La notion meˆme de personnalite´ doit eˆtre discute´e dans son environnement socioculturel et ide´ologique. Dans le champ des addictions, il a souvent e´te´ utilise´ le concept de trouble de la personnalite´ ; en particulier sous le vocable de personnalite´ « antisociale » et/ ou « psychopathique ». L’utilisation de ces concepts dans les relations aux personnes souffrant d’addiction pose proble`me, comme le montrent les attitudes de rejet et d’exclusion de l’offre de soins pour certaines de ces personnes e´tiquete´es « troubles de la personnalite´ ». Pour re´sumer, les troubles addictifs questionnent les relations possibles entre personne et personnalite´. Concernant le lien entre troubles bipolaires et addiction sans substance, il est certain que ce lien statistique n’a pas de vise´e explicative. Il convient cependant de remarquer que ce type de lien particulie`rement « puissant d’un point de vue statistique » est retrouve´ pour l’ensemble des addictions (avec ou sans substances). Des donne´es plus fondamentales tendent a` soutenir l’hypothe`se d’une relation forte entre re´gulation e´motionnelle et trouble addictif. La non-prise en compte de cette possible relation dans la prise en charge des patients conduit souvent a` une utilisation abusive de la notion non valide de trouble de la personnalite´ avec son corollaire the´rapeutique.