Annales de pathologie (2015) 35, 449—453
Disponible en ligne sur
ScienceDirect www.sciencedirect.com
CAS ANATOMOCLINIQUE
Adénomyoépithéliome avec contingent myoépithélial prédominant du sein : à propos d’une observation et revue de la littérature Adenomyoepithelioma with dominant myoepithelial contingent of the breast: A case report and literature review Clémence Delteil a,∗, Aurélie Jalaguier Coudray b, Emmanuelle Charafe Jauffret a, Jeanne Thomassin Piana a a
Département d’anatomie et cytologie pathologique, Institut Paoli-Calmette, 232, boulevard Sainte-Marguerite, 13273 Marseille, France b Département imagerie médicale, Institut Paoli-Calmette, 232, boulevard Sainte-Marguerite, 13273 Marseille, France Accepté pour publication le 10 mai 2015 Disponible sur Internet le 16 septembre 2015
MOTS CLÉS Adénomyoépithéliome ; Cancer du sein ; Double contingent ; Rapport de cas
KEYWORDS Adenomyoepithelioma; ∗
Résumé Nous rapportons un cas d’adénomyoépithéliome avec contingent myoépithélial prédominant, tumeur rare du sein due à une prolifération de cellules myoépithéliales et épithéliales, chez une patiente de 71 ans. Cette lésion, de diagnostic radiologique et anatomopathologique (biopsique) difficile au stade initial de la prise en charge, doit bénéficier d’une chirurgie d’exérèse en marge saine. En effet, cette tumeur évolue dans la plupart des cas sur un mode bénin, mais des cas de récidives locales, voire métastatiques, ont été rapportés. Les arguments histologiques et immunohistochimiques sont d’une aide importante pour arriver au diagnostic final. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary We report a case of adenomyoepithelioma with predominant myoepithelial quota, a rare tumor of the breast due to proliferation of epithelial and myoepithelial cells in a patient of 71 years. This lesion, with difficult radiological and pathological diagnosis (biopsy) in the
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (C. Delteil).
http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2015.05.006 0242-6498/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
450
C. Delteil et al.
Breast cancer; Quota double; Case report
initial stage of the treatment, should benefit from surgical resection in healthy margin. In fact, this tumor is evolving in most cases on a benin mode, but cases of local or metastatic recurrences were reported. Histological and immunohistochemical arguments are important to reach the final diagnosis. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction
infiltrant triple négatif, avec des réserves sur le caractère canalaire ou lobulaire de celui-ci. Une prise en charge chirurgicale est proposée sous la forme d’une tumorectomie rétro-aréolaire droite et technique du ganglion sentinelle. L’examen macroscopique de la pièce opératoire retrouve une tumeur de 13 mm, bien circonscrite, ferme, de coloration blanchâtre. L’examen histologique objective une prolifération tumorale au contact du trajet biopsique, bien circonscrite d’aspect polylobée, centrée par un tissu conjonctif fibrovasculaire. L’architecture de la tumeur se présente sous la forme de deux contingents intriqués : d’une part, des structures glandulaires sans atypies, minoritaires et, d’autre part, des plages de cellules au cytoplasme clarifié présentant des atypies cyto-nucléaires discrètes à modérées, évoquant des cellules myoépithéliales (Fig. 3). Il existe une diffusion acinaire des cellules myoépithéliales. Deux mitoses pour 10 champs au grossissement × 40 ont été comptées sur les deux contingents. Il n’est pas mis en évidence d’emboles vasculaires péri-tumoraux, ni d’engainement périnerveux. Les limites d’exérèses sont en marges saines. Les lésions bénignes associées retrouvées dans le reste du parenchyme mammaire correspondent à des lésions de métaplasie apocrine et à des kystes en métaplasie cylindro-cubique simple. Le protocole ganglion sentinelle droit a individualisé 3 ganglions sains. L’étude immunohistochimique réalisée montre : • sur le contingent épithélial : une positivité de l’Ac anti-EMA, une négativité des récepteurs estrogène/ progestérone, une absence d’expression de HER2 et un phénotype basal (positivité de l’AC anti-CK5/6 et CK14) ; • sur le contingent myoépithélial : une positivité de manière intense et diffuse des marqueurs myoépithéliaux (Ac antiCD10, P63, AML, P-cadhérine, calponine et caldesmone) et une positivité focale de la CK5/6 et CK14 ; • sur les deux contingents : expression de l’Ac anti-PS100.
L’adénomyoépithéliome du sein a été décrit pour la première fois par Hamperl en 1970. Depuis, seuls quelques cas ont été rapportés dans la littérature sous la forme de case report. Ce type histologique est rare au niveau du sein et se retrouve généralement au niveau des glandes salivaires [1]. Dans la classification OMS 2012 des tumeurs du sein [2], il appartient au groupe des tumeurs myoépithéliales et épithéliales-myoépithéliales. La définition histologique de l’adénomyoépithéliome correspond à la prolifération de deux contingents cellulaires : le premier épithélial, avec toutes les architectures possibles (le plus souvent sous la forme de structure glandulaire) et le second myoépithélial, sous la forme de cellules claires plus ou moins fusiformes. Il est admis que pour parler d’adénomyoépithéliome, le contingent myoépithélial soit au moins aussi important que le contingent épithélial. Cette tumeur se développe principalement chez les femmes (un seul cas masculin décrit) entre 25 et 75 ans (moyenne à 60 ans). Aucun facteur de risque n’a été mis en évidence, à ce jour, dans la littérature [1,2]. Nous présentons ici un cas rare d’adénomyoépithéliome. Le pléomorphisme histologique de cette lésion et sa faible fréquence a fait que le diagnostic n’a pas pu être porté sur la biopsie mais a été sur l’examen de la pièce opératoire.
Présentation du cas Ce cas intéresse une femme de 71 ans, sans antécédents personnels mais présentant des antécédents familiaux de cancers du sein chez la mère et les tantes maternelles. Un nodule à l’union des quadrants supérieurs du sein droit, non palpable à l’examen clinique, est découvert au décours d’un bilan sénologique de dépistage. À la mammographie ce nodule apparaît comme une opacité à contour régulier discrètement lobulé, non compressible. À l’échographie mammaire, on retrouve une lésion de 11 mm, peu atténuante avec un discret renforcement des échos postérieurs et non vascularisée au doppler (Fig. 1). Devant cette lésion classée ACR 4, une macrobiopsie sous-stéréotaxie a été réalisée. Celle-ci objective une prolifération tumorale d’architecture massive et focalement glandulaire faite de cellules peu atypiques, cubiques, au cytoplasme éosinophile ou clarifié, au noyau arrondi, sans activité mitotique. Une étude immunohistochimique est réalisée montrant : un anticorps (Ac) anti-E-cadhérine positif sur l’ensemble des cellules. Les récepteurs hormonaux (estrogène, progestérone) et Her2 sont négatifs sur l’ensemble des cellules (Fig. 2). L’ensemble de ces données font évoquer initialement, un diagnostic de carcinome
L’anticorps anti-E-cadhérine était à nouveau positif sur l’ensemble des cellules. Ceci n’étant pas en faveur d’un carcinome lobulaire infiltrant. Les colorations PAS et PAS diastase étaient négatives, récusant le diagnostic de carcinome sécrétoire. L’ensemble des arguments macroscopique, histologique et immunohistochimique sont évocateurs d’un adénomyoépithéliome à contingent myoépithélial prédominant. À visée pronostique, sont réalisés un Ac anti-P53, revenant négatif, ce qui va dans le sens d’un pronostic favorable, et un Ac anti-KI67 retrouvant un index de prolifération à 10 %, de valeur pronostique mitigée.
Adénomyoépithéliome avec contingent myoépithélial prédominant du sein
451
Figure 1. Imagerie du sein : a : mammographie, image en oblique externe et supéro-inférieure; b : échographie mammaire. Breast imaging: a: mammography, external oblique and supero-inferior axis; b: breast ultrasound.
Figure 2. Macro-biopsie du sein ; a : HES à faible grossissement ; b : HES × 20. Breast macro-biopsy: a: photography, low growth, HES staining; b: growth ×20, HES staining.
Discussion Le diagnostic est difficile à établir sur une biopsie, il se fait le plus souvent sur matériel fixé au formol. Lorsque le diagnostic est posé, quel que soit le pronostic, un traitement radical chirurgical avec limite en marge saine est systématiquement préconisé. L’évaluation du creux axillaire n’est pas indiquée dans les formes bénignes [2]. Le diagnostic histologique repose entre autres sur la description faite en 1991 par Tavassoli. Il décrit trois types d’adénomyoépithéliome à partir de l’architecture de la tumeur : lobulé, tubuleux et cellules fusiformes. Ces trois types peuvent être associés dans une même tumeur [3]. Le type tubuleux est caractérisé par une architecture tubulaire, souvent mal encapsulée. L’aspect très pseudo-infiltrant de cette forme est à souligner, cependant, elle ne s’accompagne jamais d’une stroma-réaction à la différence d’une infiltration carcinomateuse. Une extension focale au tissu mammaire avoisinant est fréquemment retrouvée. Son principal diagnostic différentiel de la forme tubuleuse est l’adénose microglandulaire, l’absence d’assise myoépithéliale permet de redresser le diagnostic. Le type à cellules fusiformes est constitué d’un contingent cellulaire fusiforme prédominant, associé à quelques tubes épithéliaux. Le type lobulé, comme dans le cas présenté, est caractérisé par des plages de cellules myoépithéliales à cytoplasme clair entourant les structures glandulaires. La présence d’une capsule fibreuse épaisse et d’un centre fibro-hyalin sont également évocateurs. La classification de l’OMS des tumeurs du sein 2012 vient de modifier la classification des lésions myoépithéliales et épithéliales-myoépithéliales en distinguant les lésions
myoépithéliales et les lésions épithéliales myoépithéliales [2,4]. Les lésions myoépithéliales peuvent être bénignes (hyperplasie myoépithéliale, sphérulosis collagène) ou malignes (carcinome myo-épithélial). Les lésions épithéliales myoépithéliales peuvent être bénignes (adénome pléomorphe, adénomyo-épithéliome) ou malignes. Ces dernières se déclinent, d’une part, en adénomyoépithéliome avec carcinome dérivant du contingent épithélial et/ou du contingent myoépithélial et, d’autre part, en carcinome adénoïde kystique. Les caractéristiques immunohistochimiques de l’adénomyoépithéliome soulignent le caractère biphasique. Le contingent myoépithélial est révélé par la positivité des anticorps dont les cytokératines 5/6, la calponine, la p63, les marqueurs du muscle lisse (actine muscle lisse, caldesmone) et la protéine S100. L’immunomarquage par l’anticorps anti-desmine, HER2, récepteurs estrogène et progestérone sont négatifs sur les cellules myoépithéliales. Les cellules épithéliales sont révélées par les anticorps de la famille des cytokératines de bas poids moléculaire [2]. Ces tumeurs sont de pronostics favorables après chirurgie en marges saines. Cependant, certains cas de récidive locale et/ou de métastases (notamment pulmonaire) ont été observés dans la littérature [5,6]. Trois critères de malignité ont été identifiés par Loose et al. en 1992, retenant l’augmentation de l’activité mitotique (> 3 mitoses/10 champs au grossissement × 400), la présence d’atypies cytonucléaires et la présence d’un contingent cellulaire infiltrant en dehors du nodule principal [7]. Les facteurs pronostiques mis en évidence dans la littérature soulignent l’intérêt de l’anticorps anti-p53 et du Ki67. En
452
C. Delteil et al.
Figure 3. Adenomyoépithéliome ; a : HES à faible grossissement ; b : contingents épithélial et myoépithélial, HES × 2 ; c : HES × 20. Adenomyoepithelioma photography: a: HES staining low growth; b: epithelial and myoepithelial components, growth ×2, HES staining; c: growth ×20, HES staining.
effet, sa positivité sur 10 % des cellules cancéreuses et un index de prolifération >10 % seraient en faveur d’un risque plus élevé de récurrences locales et de métastases [8]. L’existence de nécrose est possible, souvent de type ischémique ; celle-ci n’est alors pas pronostique [3]. La négativité des anticorps anti-récepteurs hormonaux et de HER2 sur le contingent épithélial peut faire discuter d’un pronostic péjoratif au même titre que le spectre des carcinomes infiltrants. Dans notre cas, la présence d’un phénotype basal des éléments épithéliaux expliquerait la négativité de ces récepteurs. Ce phénotype triple négatif rend d’ailleurs très délicat le diagnostic de métastases, notamment au niveau pulmonaire. En effet, le profil immunohistochimique entre un adénocarcinome pulmonaire et une métastase de la variante maligne d’un adénomyoépithéliome est identique. Peu d’études moléculaire et cytogénétiques ont été réalisées du fait du diagnostic fait sur pièce fixée au formol. Cependant, certains auteurs ont mis en évidence la présence d’une translocation réciproque des chromosomes 8 et 16 t(8;16)(p23;q21) dans le développement des tumeurs myoépithéliales [9]. L’expression de ATM, p53 et du complexe MRE11-Rad50-NBS1 a été détectée dans les cellules myoépithéliales des proliférations bénignes et malignes [10]. La variabilité allélique ainsi que l’instabilité des microsatellites ont également été suspectées dans le développement de l’adénomyoépithéliome [11].
Conclusion L’adénomyoépithéliome est une tumeur rare dont l’imagerie et l’examen macroscopique sont peu spécifiques. L’examen histologique mettant en évidence une lésion à double contingent sans critère de malignité permet d’orienter le diagnostic qui sera confirmé par les spécificités des analyses immunohistochimiques. Il s’agit d’un piège diagnostic car, principalement sur microbiopsie, il peut mimer un carcinome en tout point. Cette lésion est considérée comme une tumeur bénigne, cependant du fait de quelque cas de récidive locale et à distance, une chirurgie en marge saine est préconisée.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Références [1] Rosen PP. Rosen’s breast pathology; 2009. [2] Lakhani SR, Ellis IO, Schnitt SJ, Tan PH, van de Vijver MJ. WHO classification of tumours. IARC; 2012.
Adénomyoépithéliome avec contingent myoépithélial prédominant du sein [3] Tavassoli FA. Myoepithelial lesions of the breast: myoepitheliosis, adenomyoepithelioma, and myoepithelial carcinoma. Am J Surg Pathol 1991;15:554—68. [4] Tan PH, Ellis IO. Myoepithelial and epithelial-myoepithelial, mesenchymal and fibroepithelial breast lesions: updates from the WHO classification of tumours of the breast 2012. J Clin Pathol 2013;66:465—70. [5] Hayes MM. Adenomyoepithelioma of the breast: a review stressing its propensity for malignant transformation. J Clin Pathol 2011;64:477—84. [6] Marian C, Boila A, Soanca D, Malau M, Podeanu DM, Resetkova E, et al. Malignant transformation of adenomyoepithelioma of the breast by a monophasic population: a report of two cases and review of literature. Apmis Acta Pathol Microbiol Immunol Scand 2013;121:272—9. [7] Loose JH, Patchefsky AS, Hollander IJ, Lavin LS, Cooper HS, Katz SM. Adenomyoepithelioma of the breast. A spectrum of biologic behavior. Am J Surg Pathol 1992;16:868—76.
453
[8] Hungermann D, Buerger H, Oehlschlegel C, Herbst H, Boecker W. Adenomyoepithelial tumours and myoepithelial carcinomas of the breast — a spectrum of monophasic and biphasic tumours dominated by immature myoepithelial cells. BMC Cancer 2005;5:92. [9] Gatalica Z, Velagaleti G, Kuivaniemi H, Tromp G, Palazzo J, Graves KM, et al. Gene expression profile of an adenomyoepithelioma of the breast with a reciprocal translocation involving chromosomes 8 and 16. Cancer Genet Cytogenet 2005;156:14—22. [10] Angèle S, Jones C, Reis Filho JS, Fulford LG, Treilleux I, Lakhani SR, et al. Expression of ATM, p53, and the MRE11-Rad50NBS1 complex in myoepithelial cells from benign and malignant proliferations of the breast. J Clin Pathol 2004;57:1179—84. [11] Salto-Tellez M, Putti TC, Lee CK, Chiu LL, Koay ESC. Adenomyoepithelioma of the breast: description of allelic imbalance and microsatellite instability. Histopathology 2005;46: 230—1.