Arch Pédiatr 2002 ; 9 Suppl 2 : 121-2 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0929693X01009009/SCO
Atelier : L’allaitement maternel
Allaitement maternel et nutrition du nouveau-né et du nourrisson D. Rieu* Service de pédiatrie II, hôpital Arnaud de Villeneuve, 371, avenue du Doyen G. Giraud, 34295 Montpellier cedex 5, France
L’allaitement maternel est la référence incontestée de l’alimentation du nourrisson [1, 2]. Même chez l’enfant né à terme, les capacités digestives et immunologiques sont immatures à la naissance. Le lait de mère est un liquide biologique complexe dont la connaissance ne cesse de s’enrichir. Il apporte à l’enfant non seulement des nutriments mais aussi des facteurs de défense (immunoglobulines, lactoferrine, lyzozyme, oligosaccharides), des nucléotides, des polyamines, des enzymes, des facteurs de croissance (IGFI, IGFII, EGF), des hormones (insuline, hormone de croissance, prolactine, T3, T4), des cytokines, des cellules. Certaines de ces substances favorisent la croissance et la maturation de différents tissus, en particulier du tube digestif ; d’autres stimulent le développement et la maturation du système immunitaire [3]. Le colostrum sécrété pendant les 5 premiers jours du post-partum est remarquable par sa richesse en facteurs de défenses et en substances trophiques et immunomodulatrices. Sur le plan nutritionnel, la composition du lait de mère est parfaitement adapté aux possibilités digestives et métaboliques du nouveau-né : on sait par exemple qu’il contient une lipase qui, activée par les sels biliaires, permet une meilleure absorption des lipides. La variabilité de la composition du lait de femme est très particulière [4, 5]. Du colostrum au lait mature (après 15 jours) on passe en moyenne de 23 à 10 g/L pour les protéines, 30 à 39 g/L pour les lipides et 55 à 68 g/L pour le lactose. Dans le lait de mère des prématurés, les concentrations protéique et sodée sont plus élevées et les concentrations en lactose et en graisses inférieures à celles du lait de mère d’enfants nés à terme. La composition du lait varie avec l’état nutritionnel et l’alimentation de la mère. Elle varie au cours du nycthémère et même au cours *Correspondance. Adresse e-mail :
[email protected] (D. Rieu).
de la tétée ; la plus grande concentration en lipides en fin de tétée contribuerait à la sensation de satiété et à la régulation des apports. Les quantités de lait ingérées par les nourrissons au sein sont elles aussi variables. La quantité moyenne de lait, appréciée par double pesée ou dilution isotopique est de 770 mL/j entre la naissance et 6 mois (extrêmes : 550 à 1 100 mL/j) [6]. La demande de l’enfant paraît être un facteur déterminant du volume de lait sécrété par la mère. Il faut souligner l’importance des lipides dans le lait maternel, non seulement comme source d’énergie (45 à 50 % de l’apport énergétique), mais aussi comme apport d’acides gras essentiels nécessaires au développement cérébral et neurosensoriel. Le lait de mère apporte en effet non seulement les acides linoléique et α-linolénique mais aussi leurs dérivés supérieurs à longue chaîne les acides arachidonique, eicosapentaénoïque (EPA) et docosahexaénoïque (DHA) [6]. Dans la mesure où l’état nutritionnel de la mère est normal et son alimentation adaptée, il est admis par tous les experts que l’alimentation exclusive au sein permet de satisfaire les besoins nutritionnels de l’enfant né à terme de la naissance à 6 mois à l’exception des besoins en vitamines D et K. Pour une teneur moyenne en protéines de 9 g/L et une consommation moyenne de 770 mL/j, entre la naissance et 6 mois, l’apport protéique moyen de l’enfant au sein est proche de 7 g/j, valeur comparable à l’estimation des besoins de maintenance et de croissance obtenus par la méthode factorielle [6]. Cet apport en protéines et en acides aminés essentiels et non essentiels permet une croissance normale jusqu’à 6 mois. Chez les enfants nourris exclusivement au lait maternel pendant 4 mois, puis au lait maternel avec des compléments alimentaires jusqu’à 12 mois, on voit que la moyenne des poids suit la valeur médiane de la courbe de référence internationale (NCHS 2000) jusqu’à 6 mois, puis s’infléchit
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pour atteindre le 25e percentil à 12 mois alors que la moyenne des tailles suit la valeur médiane jusqu’à 12 mois [7]. Il est important de remarquer que les courbes de référence internationales sont établies à partir de nourrissons le plus souvent alimentés artificiellement et que ces courbes ont évolué dans le temps. Des courbes de référence établies à partir d’enfants alimentés au sein dans différents pays sont actuellement en cours d’élaboration. Depuis 1979, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a recommandé l’alimentation au sein exclusive pendant les 4 à 6 premiers mois de la vie puis la poursuite de l’alimentation au sein avec des compléments nutritionnels pendant 1 à 2 ans [8]. Compte tenu des risques de contamination des aliments de compléments et de la fréquence des diarrhées infectieuses en particulier dans les pays en voie de développement, les experts de l’OMS ont recommandé en 2001 l’alimentation au sein exclusive pendant 6 mois puis l’introduction d’aliments complémentaires adaptés (apportant du fer en particulier) et la poursuite de l’allaitement. En France, que l’enfant soit alimenté au sein ou non, le début de la diversification alimentaire (c’est-à-dire l’introduction d’aliments autres que le lait) est recommandé entre 4 et 6 mois sauf pour les enfants à risque allergique chez qui il est conseillé de retarder la diversification après 6 mois. Chez l’enfant à terme, alimenté au lait d’une mère en bon état nutritionnel dont l’alimentation est normale, il n’y a pas de risque de carence vitaminique en dehors des vitamines D et K. Des cas de béribéri ont été décrits chez des enfants recevant le lait de mères carencées en vitamine B1 ; des déficits sévères en vitamine B12 ont été rapportés chez des enfants dont les mères recevaient une alimentation strictement végétalienne. Chez les enfants nés à terme alimentés exclusivement au sein il existe un risque de carence en vitamine D qui peut se traduire par des concentrations basses de 25-OH-D sérique et parfois par un rachitisme. En effet, le statut vitaminique D au cours des 2 premiers mois dépend du transfert placentaire de vitamine D, de l’exposition solaire et de l’alimentation. Le transfert placentaire dépend de l’alimentation, des suppléments médicamenteux en vitamine D de la mère et de son exposition au soleil. L’activité vitaminique D du lait maternel est faible (20 à 60 UI/L) [9]. Les recommandations concernant
les apports de vitamine D conseillés sont variables selon les pays. En France, il est recommandé de donner dès la naissance un complément de vitamine D de 10 à 20 µg/j (400 à 800 UI) à tous les enfants allaités par leur mère. Sous allaitement maternel exclusif, les nourrissons sont exposés au risque hémorragique par déficit en vitamine K, non seulement au cours de la première semaine de la vie mais aussi après le premier mois pendant toute la durée de l’allaitement exclusif. Cette forme tardive de maladie hémorragique est particulièrement grave car elle est responsable d’hémorragies intracrâniennes. Elle survient essentiellement chez des enfants qui n’ont pas reçu de vitamine K à la naissance ou qui en ont reçu par voie orale ; elle peut être favorisée par des troubles digestifs ou hépatobiliaires. Chez l’enfant au sein, il est donc recommandé, comme chez tout nourrisson, d’apporter de la vitamine K1 à la naissance (0,5 à 1 mg par voie intramusculaire ou 2 mg per os) et de poursuivre l’apport oral de vitamine K1 à raison de 2 à 5 mg par semaine pendant toute la durée de l’alimentation au sein exclusive [10]. RE´ FE´ RENCES 1 Work Group on Breastfeeding. American Academy of Pediatrics. Breastfeeding and the use of human milk. Pediatrics 1997 ; 100 : 1035-9. 2 Comité de nutrition de la Société française de pédiatrie. La promotion de l’allaitement maternel : c’est aussi l’affaire des pédiatres. Arch Pédiatr 2000 ; 7 : 1149-53. 3 Hamosh M. Bioactive factors in human milk. Pediatr Clin North Am 2001 ; 48 : 69-86. 4 Kunz C, Rodriguez-Palmero M, Koletzko B, Jensen R. Nutritional and biochemical properties of human milk, part I : general aspects, proteins and carbon hydrates. Clin Perinat 1999 ; 26 : 307-33. 5 Rodriguez-Palmero M, Koletzko B, Kunz C, Jensen R. Nutritional and biochemical properties of human milk, part II : lipids, micronutrients and bioactive factors. Clin Perinat 1999 ; 26 : 335-59. 6 Apports nutritionnels conseillés pour différents groupes de population : nourrissons, enfants et adolescents. In : apports nutritionnels conseillés pour la population française. 3e éd. Paris : Ed. Tec et Doc. CNERNA-CNRS ; 2001. 7 Dewey KG. Nutrition, growth, and complementary feeding of the breastfed infant. Pediatr Clin North Am 2001 ; 48 : 87-104. 8 Lanigan JA, Bishop JA, Kimber AC, Morgan J. Systematic review concerning the age of introduction of complementary foods to the healthy full-term infant. Eur J Clin Nutr 2001 ; 55 : 309-20. 9 Salle BL, Glorieux FH, Lapillonne A. Vitamin D status in breastfed term babies. Acta Paediatr 1998 ; 87 : 726-7. 10 Comité de nutrition de la Société française de pédiatrie. La vitamine K en pédiatrie : recommandations de prescriptions. Arch Fr Pediatr 1991 ; 48 : 57-9.