Annales de chirurgie 131 (2006) 455–458 http://france.elsevier.com/direct/ANNCHI/
Fait clinique
Amylose gastrique simulant une linite plastique. À propos d’une observation rare Gastric amyloidosis mimicking malignancy. A case report H. Bedioui *, F. Chebbi, S. Ayadi, F. Ftériche, K. Sassi, M. Jouini, R. Ksantini, A. Ammous, M. Kacem, Z. Ben Safta Service de chirurgie A, hôpital La-Rabta, 1007 Jabbari, Tunis, Tunisie Disponible sur internet le 23 janvier 2006
Résumé L’amylose systémique est une dysprotéinose caractérisée par la présence de dépôts extracellulaires de substance amyloïde insoluble. L’amylose s’associe à une atteinte du tractus gastro-intestinal dans 50 à 70 % des cas. La localisation gastrique de l’amylose primitive à chaînes légères peut simuler une linite plastique lorsque les biopsies endoscopiques sont négatives. Nous rapportons l’observation d’un patient âgé de 56 ans ayant consulté pour une sténose digestive haute. Les explorations (fibroscopie, transit baryté, échoendoscopie) étaient en faveur d’une linite gastrique avec atteinte ganglionnaire périgastrique. L’examen anatomopathologique des biopsies était négatif. Une gastrectomie totale avec curage ganglionnaire a été réalisée. L’examen anatomopathologique de la pièce opératoire a conclu à une amylose gastrique avec atteinte ganglionnaire. Le patient est décédé neuf mois plus tard d’une défaillance cardiaque liée à l’amylose. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Amyloidosis is an abnormal extracellular deposition of insoluble proteins, which is associated with an involvement of the gastrointestinal tract in 50 to 70% of cases. In primary amyloïdosis (light chain amyloïdosis), localized gastric involvement is a rare finding which can mimick malignancy. We report the case of a 56-year-old man, admitted with upper digestive outlet obstruction. Linitis plastica with lymph node involvement was suspected by gastroscopy, barium meal and endoscopic ultrasonography but was not confirmed by gastric biopsies. The patient was treated with total gastrectomy with lymph node dissection. Pathological examination demonstrated gastric and lymph nodes amyloidosis and no malignant tumor was found. The patient died 9 months later from cardiac failure due to amyloïdosis. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Amylose systémique ; Atteinte gastrique ; Traitement Keywords: Systemic amyloïdosis; Stomach involvement; Treatment
1. Introduction L’amylose systémique est une dysprotéinose caractérisée par la présence de dépôts extracellulaires de substance amyloïde dans les tissus [1]. Parmi les différentes variantes de cette maladie, l’amylose primitive à chaînes légères (amylose AL) s’associe à une atteinte digestive dans 50 à 70 % des cas [1]. * Auteur
correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (H. Bedioui).
0003-3944/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anchir.2006.01.001
L’atteinte digestive est souvent asymptomatique mais peut prendre dans de rares cas un aspect pseudotumoral. Nous rapportons ici une observation d’atteinte gastrique pseudolinitique d’amylose AL, diagnostiquée sur l’examen histologique après gastrectomie. 2. Observation M.H. âgé de 56 ans, sans antécédents personnels ni familiaux, en dehors d’une intervention 12 ans auparavant pour
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un kyste hydatique du foie, était hospitalisé pour des vomissements postprandiaux précoces et une altération de l’état général avec perte de 9 kg en quatre mois. À l’examen physique, l’abdomen était souple, dépressible et indolore ; les aires ganglionnaires périphériques étaient libres. Les examens biologiques (numération, hémostase, ionogramme sanguin, créatininémie, tests hépatiques) ne révélaient qu’une anémie modérée (hémoglobine = 11,9 g/dL), une cholestase anictérique modérée, et une hypoalbuminémie à 31,4 g/L. La fibroscopie œsogastroduodénale objectivait un œsophage normal et un estomac rigide ne se distendant pas normalement à l’insufflation. La muqueuse gastrique était congestive non ulcérée avec un pylore perméable. Le duodénum était congestif à muqueuse boursouflée non ulcérée. L’examen anatomopathologique des biopsies gastriques et duodénales ne montrait aucune lésion dysplasique ou maligne. Le transit œsogastroduodénal (Fig. 1) mettait en évidence un aspect rigide et tubulé de l’estomac prédominant au niveau de la région antropylorique avec un épaississement des plis fundiques. L’échoendoscopie gastrique (Fig. 2) révélait un épaississement de la sous-muqueuse au niveau de la région médiogastrique ainsi que des adénopathies périgastriques suspectes. L’échographie abdominale objectivait un foie augmenté de taille (16 cm de hauteur sur la ligne médioclaviculaire) de contours réguliers, d’échostructure homogène, sans lésion focale décelable ni ascite associée. La radiographie du thorax était considérée comme normale. Étant donné la forte suspicion de linite gastrique avec atteinte ganglionnaire sur les données de l’endoscopie, du transit baryté et de l’échoendoscopie, l’indication opératoire était posée malgré la négativité des biopsies. Le patient était opéré par voie médiane sus-ombilicale. L’exploration peropératoire trouvait un estomac à paroi modé-
Fig. 2. Échoendoscopie gastrique : infiltration de la sous-muqueuse avec présence d’adénopathies supracentimétriques périgastriques suspectes.
rément épaissie avec de multiples adénopathies cœliaques et périgastriques de 1,5 cm de diamètre en moyenne. Il n’y avait pas d’ascite ni de carcinose péritonéale ni de métastases hépatiques. Une gastrectomie totale était réalisée avec un curage ganglionnaire de type D2. Les suites opératoires étaient simples. L’examen anatomopathologique de la pièce opératoire concluait à une amylose gastrique pseudotumorale avec une atteinte ganglionnaire. Un bilan de la maladie amyloïde était alors réalisé. L’examen immunohistochimique de la pièce opératoire révélait une positivité pour les chaînes légères d’immunoglobuline kappa et lambda et une négativité pour les dépôts de type serum amyloïd A (SAA). Une atteinte hépatique était prouvée par ponction–biopsie du foie et une localisation cardiaque était documentée par l’existence d’une hypertrophie ventriculaire gauche et de troubles de la relaxation à l’échocardiographie. Une localisation rénale était également fortement suspectée en raison d’un syndrome néphrotique. La coloscopie totale avec des biopsies étagées était normale ainsi que le transit du grêle. Le diagnostic d’amylose primitive systémique était retenu. Le patient décédait neuf mois plus tard dans un tableau d’insuffisance cardiaque globale réfractaire. 3. Discussion L’amylose représente un ensemble de maladies caractérisées par le dépôt extracellulaire d’une substance amyloïde qui représente la voie finale du métabolisme de certaines protéines [1]. Selon les caractéristiques biochimiques de la substance amyloïde, on distingue principalement cinq formes d’amylose [1] :
Fig. 1. Transit œsogastroduodénal : aspect rigide et tubulé de l’estomac, prédominant au niveau antral.
● l’amylose primitive (AL) ou systémique : elle résulte de dépôts de chaînes légères d’immunoglobulines monoclonales (AL : amyloïd light chain). Ces immunoglobulines sont se-
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crétées par une prolifération plasmocytaire médullaire. Une atteinte neurologique, une hépatomégalie et une atteinte digestive sont fréquentes. La macroglossie et le purpura ecchymotique orbitaire sont quasiment pathognomoniques ; l’amylose secondaire (AA) : elle résulte du dépôt de protéines SAA (serum amyloïd A) synthétisées par le foie au cours de la phase aiguë de la réponse inflammatoire. Elle s’observe surtout au cours des maladies inflammatoires et infectieuses chroniques et dans certaines affections malignes ; l’amylose familiale : elle résulte du dépôt d’une protéine mutée et sa transmission est autosomique dominante à pénétrance élevée. La protéine mutée est synthétisée par le foie et permet le transport des hormones thyroïdiennes. Une forme rare d’amylose familiale à lysozyme a été décrite touchant préférentiellement le rein, le foie et le tube digestif et dont la transmission est autosomique dominante [2] ; l’amylose des hémodialysés : cette amylose est en rapport avec le dépôt de bêta-2-globuline qui n’est plus épurée par le rein en cas d’insuffisance rénale chronique ; l’amylose sénile qui est caractérisée par le dépôt au niveau du parenchyme cérébral de protéines résultant d’une protéolyse incomplète. Les dépôts amyloïdes se font exclusivement dans le parenchyme cérébral.
L’atteinte digestive au cours de l’amylose est fréquente. Elle varie selon les séries de 55 à 70 % et atteint même 100 % dans une étude autopsique [3,4]. Elle peut s’observer dans les amyloses primitives (AL) ou secondaires (AA) [1], ou dans l’amylose à lysozyme [2]. De rares cas d’amylose localisée uniquement au niveau du tractus gastro-intestinal ont étés rapportés, principalement dans les amyloses AL [3,4]. L’amylose digestive est souvent asymptomatique [1]. Des formes gastriques localisées ou pseudotumorales sont très rares et observées essentiellement dans les amyloses AL [4–10]. Les manifestations cliniques de l’amylose digestive sont expliquées par le dépôt de substance amyloïde au niveau de la paroi digestive et ses conséquences. L’infiltration de la muqueuse et de la sous-muqueuse entraîne des érosions, des ulcérations et des pseudopolypes, tandis que l’atteinte de toute la paroi est à l’origine de sténoses, de diverticules et de pseudotumeurs qui peuvent simuler des lésions néoplasiques. [4–10]. Les dépôts dans les parois des vaisseaux digestifs sont à l’origine de lésions ischémiques expliquant les douleurs épigastriques, les hémorragies digestives occultes ou parfois cataclysmiques [11] et les perforations gastriques [4,12]. L’atteinte neurovégétative est à l’origine de troubles de la motricité gastrique [5,6] qui se manifestent par des nausées, des vomissements et une sensation de plénitude gastrique. C’était le cas de notre patient qui présentait des vomissements sans sténose organique individualisable radiologiquement et en endoscopie. L’examen endoscopique peut être normal dans un tiers des cas [5]. Ailleurs, il peut montrer des aspects variables tels que de fines granulations muqueuses, des érosions, des ulcérations
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et une fragilité muqueuse [5]. Le transit œsogastroduodénal peut montrer des images de soustraction ou d’épaississement des plis muqueux, mais aussi des masses polypoïdes ou une rigidité gastrique localisée ou diffuse donnant l’aspect d’une linite plastique [8]. L’échoendoscopie gastrique permet de mettre en évidence un épaississement de la deuxième et de la troisième couche ou rarement un épaississement de toute la paroi. Cependant, elle ne permet pas de différencier avec certitude une amylose d’un lymphome gastrique ou d’une linite plastique [9]. Dans notre observation, elle a été faite dans le but d’objectiver une infiltration tumorale gastrique, suspectée en endoscopie mais non confirmée par les biopsies perendoscopiques. Dans notre observation, le diagnostic de linite gastrique a été retenu à tort, malgré la négativité des biopsies, sur un faisceau d’arguments : altération de l’état général, constatation d’un estomac rigide à l’endoscopie et au transit baryté, présence d’un épaississement de la paroi gastrique avec des adénopathies suspectes périgastriques à l’échoendoscopie confirmés par l’exploration peropératoire. Le diagnostic de linite gastrique n’a pas été écarté par la négativité des biopsies car celle-ci est fréquente en cas de linite si les biopsies ne sont pas assez profondes ou répétées [13]. En fait, le diagnostic d’amylose aurait pu être évoqué devant certains signes qui ont été négligés, comme l’hépatomégalie et la cholestase biologique qui n’a pas été suffisamment explorée en préopératoire. Une ponction biopsie du foie, souvent positive dans l’amylose systémique, aurait pu redresser le diagnostic et éviter une gastrectomie totale abusive [7,14]. Le diagnostic d’amylose est anatomopathologique. Les dépôts sont extracellulaires et donnent une réaction pathognomonique avec la coloration au rouge Congo mais celle-ci n’est faite que si le diagnostic est évoqué. La coloration par la thioflavine T en lumière UV donne une très vive fluorescence jaune mais elle est peu spécifique [1]. Le traitement médical de l’amylose a pour objectif la diminution ou la suppression de la disponibilité en substance amyloïde. La chimiothérapie associant melphalan et prednisone est le traitement de première intention le plus souvent utilisé, mais son efficacité est modérée. Dans les formes secondaires, le traitement vise les affections susceptibles d’entraîner des dépôts amyloïdes dans les différents organes [1,15]. Le traitement chirurgical des localisations gastriques de l’amylose n’est indiqué qu’en cas de complications à type de perforation, d’hémorragie ou de sténose [5,12,14]. Le pronostic des patients atteints d’amylose systémique est péjoratif. Il est conditionné par l’insuffisance cardiaque, l’insuffisance rénale et les infections. La survie à cinq ans est de l’ordre de 16 % [5]. 5. Conclusion L’amylose systémique primitive atteint fréquemment l’estomac. Les lésions gastriques ont une symptomatologie variée et peu spécifique. Des formes gastriques localisées et/ou sténosantes peuvent simuler une lésion néoplasique aboutissant à un geste chirurgical démesuré et inutile. Le diagnostic d’amylose gastrique devrait être évoqué en cas de lésion gastrique évoca-
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trice de cancer mais non confirmée par les biopsies endoscopiques. Références [1] [2]
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