Revue de presse
Antécédent d’interruption volontaire de grossesse et risque de grande prématurité : résultats de l’étude EPIPAGE
Previous induced abortions and risk of very preterm delivery: results of the EPIPAGE study C Moreau, M Kaminski, P-Y Ancel, J Bouyer, B Escande, G Thiriez, P Boulot, J Fresson, C Arnaud, D Subtil, L Marpeau, J-C Rozé, F Maillard, B. Larroque et le Groupe Epipage. Br J Obstet Gynaecol 2005; 112: 430-7.
Résumé L’objectif était d’étudier le risque de grande prématurité associé à un antécédent d’interruption volontaire de grossesse (IVG) et de savoir si ce risque variait suivant les complications de la grossesse ayant entraîné l’accouchement prématuré. L’étude Epipage a porté sur les naissances de 1997 dans toutes les maternités implantées dans neuf régions françaises. Trois groupes d’enfants ont été sélectionnés : tous les enfants nés entre 22 et 32 semaines (grands prématurés), un échantillon d’enfants nés à 33-34 semaines (prématurés modérés) et un échantillon d’enfants nés à 39-40 semaines. L’analyse a porté sur les enfants uniques, vivants en début de travail, soit 1943 enfants grands prématurés, 276 prématurés modérés et 618 enfants nés à terme. Les femmes ayant un antécédent d’IVG étaient plus nombreuses dans le groupe d’enfants très prématurés que dans le groupe d’enfants nés à terme. L’odds ratio était de 1,6 [1,2-2,1] pour les naissances entre 22 et 32 semaines. Il était de 1,5 [1,1-2,0] après ajustement sur les autres facteurs de risque de prématurité (âge maternel, parité, antécédent d’accouchement prématuré, situation de famille, niveau d’études, emploi pendant la grossesse, poids et tabac pendant la grossesse). Le risque avait tendance à augmenter avec le nombre d’IVG antérieures et à être plus élevé pour la prématurité la plus extrême (22-27 semaines). Les principales complications à l’origine de l’accouchement prématuré ont été classées selon l’ordre suivant : hypertension ou HELLP syndrome (avec ou sans retard de croissance intra-utérin), hémorragie pendant la grossesse, retard de croissance intra-utérin (RCIU) sans hypertension, rupture prématurée des membranes, travail spontané idiopathique et autres causes. Le risque de grande prématurité associé à un antécédent d’IVG était significativement plus élevé en cas d’hémorragie prénatale (OR = 1,8 [1,1-2,8]) et de rupture prématurée des membranes (OR = 1,7 [1,2-2,5]). Aucune association n’a été trouvée pour la prématurité liée à une hypertension.
pour les naissances entre 33 et 34 semaines ou entre 28 et 32 semaines, il est de 1,4. Si les IVG ont une influence plus forte pour les accouchements les plus prématurés, il semble donc que cette tendance soit faible.Une limite importante dans toute étude sur ce thème porte sur la sous-déclaration des IVG. Pour cette raison, il a été pendant longtemps impossible d’étudier les effets éventuels des IVG, même après la légalisation de cet acte en 1975. Dans cette étude, les données sur les IVG provenaient des dossiers médicaux. Si les femmes ont sous-déclaré les IVG, elles l’ont fait avant l’accouchement, sans être influencées par le fait qu’elles avaient accouché avant terme ou à terme. Dans une telle situation, la sousdéclaration risque de sous-estimer l’intensité de la relation entre prématurité et IVG, mais ne remet pas en cause l’existence de la relation observée. Un intérêt de l’étude de Moreau et coll. a été d’explorer les mécanismes pouvant expliquer la relation entre IVG et prématurité, en analysant de manière détaillée les complications de la grossesse à l’origine de l’accouchement prématuré. Les auteurs constataient un risque élevé de prématurité après rupture prématurée des membranes, présente dans 29 % des accouchements très prématurés selon la classification retenue dans cette étude, et après hémorragie, présente dans 12 % des accouchements très prématurés. Deux mécanismes pourraient être à l’origine de cet excès de risque. Une première hypothèse porte sur une origine infectieuse : les femmes ayant un antécédent d’IVG seraient plus exposées au risque d’infection intra-amniotique pendant la grossesse, soit en raison de la reprise d’une infection locale latente due à l’IVG, soit en raison d’une infection ascendante au cours de la grossesse, favorisée par le traumatisme du col au moment de la dilatation ou de l’aspiration. L’IVG pourrait également être à l’origine de lésions de l’endomètre, qui affecteraient l’invasion et la migration trophoblastiques, augmentant ainsi le risque de placenta praevia. Il va être intéressant, dans l’avenir, de poursuivre ces recherches pour savoir si l’évolution des pratiques de l’IVG entraîne une modification du risque de prématurité. La principale évolution porte sur les IVG médicamenteuses. La France se caractérise par une proportion élevée de ces IVG, proportion qui a doublé en 10 ans et atteignait 35 % des IVG en 2002 [1]. Cette augmentation pourrait se poursuivre, d’autant plus que, depuis 2004, les femmes peuvent recourir à ce mode d’interruption dans le cadre de la médecine de ville. Une publication chinoise récente portant sur des primipares a montré que les femmes ayant eu une IVG induite par mifépristone avaient un risque de prématurité moins élevé que les femmes n’ayant eu aucune IVG [5]. Dans cette étude, le taux de prématurité des femmes sans antécédent d’IVG était très bas (3,7 %) et plus élevé que celui des femmes ayant eu une IVG chirurgicale. Les résultats pourraient s’expliquer par le choix d’une population très sélectionnée de femmes à bas risque, et peut-être par le fait que les primipares sans IVG avaient une fertilité moins grande que les femmes ayant déjà eu une grossesse et par conséquent des risques périnatals plus élevés. Il sera important de vérifier, en France, si la diffusion des IVG médicamenteuses diminue les risques pour les grossesses ultérieures, pour l’ensemble de la population des femmes, qu’elle soit à bas ou à haut risque. B. Blondel, INSERM U149, Villejuif.
Commentaire Connaître les conséquences éventuelles des IVG pour les grossesses ultérieures est important car environ 200 000 IVG sont pratiquées chaque année en France et 60 % d’entre elles sont réalisées chez des femmes de moins de 30 ans [1], c’est-à-dire à un âge où les femmes ont encore une probabilité élevée d’avoir des enfants. Plusieurs études récentes ont montré qu’un antécédent d’IVG augmentait le risque d’accoucher avant 37 semaines, y compris après prise en compte des autres facteurs de risque de prématurité fréquemment rencontrés chez les femmes ayant eu une IVG. En France, suivant les résultats de l’enquête nationale périnatale de 1995, l’odds ratio ajusté de prématurité était de 1,4 si la femme avait eu une ou plusieurs IVG antérieures [2]. Des résultats similaires ont été trouvés dans d’autres populations, en Australie [3], et dans plusieurs pays européens [4]. La question d’une éventuelle augmentation du risque pour les naissances les plus prématurées s’est trouvée posée. Dans une étude cas-témoins conduite dans des hôpitaux de 10 pays européens, Ancel et coll. trouvaient une association un peu plus forte pour les naissances avant 33 semaines que pour les naissances entre 33 et 36 semaines [4]. Moreau et coll. observaient également une tendance dans ce sens, mais pour les accouchements avant 28 semaines ; avant cet âge, l’odds ratio ajusté est de 1,7 alors que
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RÉFÉRENCES 1. Vilain A. Les interruptions volontaires de grossesse en 2002. Etudes et Résultats. DREES 2004; 348: 1-7. 2. Henriet S, Kaminski M. Impact of induced abortions on subsequent pregnancy outcome: the 1995 French national perinatal survey. Br J Obstet Gynaecol 2001; 108: 1036-42. 3. Lumley J. The epidemiology of preterm birth. Baillieres Clin Obstet Gynaecol 1993; 7: 477-98. 4. Ancel PY, Lelong N, Papiernik E, Saurel-Cubizolles MJ, Kaminski M. History of induced abortion as a risk factor for preterm birth in European countries: results of the EUROPOP survey. Hum Reprod 2004; 19: 734-40. 5. Chen A, Yuan W, Meirik O, Wang X, Wu X, Zhou L et al. Mifepristone-induced early abortion and outcome of subsequent wanted pregnancy. Am J Epidemiol 2004; 160: 110-7.
© MASSON, Paris, 2005.