Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 23 (2004) 566–567 www.elsevier.com/locate/annfar
Éditorial
Anticoagulation en circulation extracorporelle : approche pratique Antithrombotic agents in extracorporeal circulation: practical aspects Mots clés : Anticoagulation ; Circulation extracorporelle ; Héparine Keywords: Antithrombic agents; Extracorporel circulation; Heparin
L’anticoagulation des circulations extracorporelles (CEC) en chirurgie cardiaque est réalisée dans la grande majorité des cas par de l’héparine non fractionnée (HNF). L’administration de l’HNF est un geste lourd de conséquence car la coagulation du sang dans une partie ou la totalité de l’ensemble circuit de CEC-oxygénateur peut entraîner une hypoxémie grave ou un arrêt circulatoire d’autant plus dommageable que la majorité des équipes travaillent actuellement en normothermie. Ceci souligne l’intérêt du travail du groupe d’études sur l’hémostase et le thrombus en hémostase périopératoire [1]. Cette revue fait le point sur les procédures et tests existants pour la CEC et souligne leurs limites ainsi que les questions persistantes sur le niveau d’anticoagulation optimal. En pratique, l’HNF est administrée par le chirurgien dans une oreillette ou par l’anesthésiste réanimateur sur une voie veineuse. Une voie veineuse centrale est le plus souvent utilisée afin de pouvoir tester un reflux sanguin qui atteste de la position intravasculaire de son extrémité. Il faut cependant prendre garde à un reflux de sang provenant d’un épanchement sanguin extravasculaire, par exemple situé dans la cavité pleurale. En effet, un contrôle radiologique ne peut généralement pas être pratiqué dans les conditions peropératoires. L’efficacité de l’HNF est liée à la présence d’antithrombine (AT). Cette dernière est une glycoprotéine monocaténaire qui joue un rôle majeur dans la régulation du processus hémostatique, principalement comme inhibiteur de la thrombine et d’autres protéinases de la coagulation [2]. Rappelons que l’HNF possède une activité antithrombine beaucoup plus importante que l’héparine de bas poids moléculaire. Un déficit acquis en AT peut se rencontrer lors des déficits de synthèse hépatique ou après une longue héparinothérapie. Par © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annfar.2004.04.010
ailleurs, l’incidence d’un déficit constitutionnel est estimée à 1 pour 2000 à 5000. Aussi est-il indispensable de posséder un test de coagulation donnant une réponse rapide avant de débuter la CEC [1]. Malheureusement, l’héparinémie est rarement réalisable au laboratoire d’hémostase en temps utile et l’Activited Clotting Time (ACT) connaît de larges variations, notamment en fonction du matériel utilisé [3], de la présence d’aprotinine dans le sang avec l’ACT-célite, de la température, de l’hémodilution et des dysfonctions plaquettaires. Aussi la valeur cible généralement recommandée tientelle compte du coefficient de variation de la mesure de l’ACT et n’est valable que pour un type d’appareil. À titre d’exemple, Actalyke® XL (Laboratoire Helena) donne des résultats inférieurs en moyenne de 58 secondes à l’Hémochron® Junior (ITC Gamida). De plus, des ACT identiques ne préjugent pas de l’héparinémie [3,4]. Ces variations pourraient expliquer des accidents thrombotiques survenus malgré des valeurs d’ACT élevées [5]. En dépit de ces contraintes, l’héparine présente l’avantage unique d’être neutralisée par le sulfate de protamine après l’arrêt de la CEC. Ceci explique la préférence de certaines équipes pour son administration, sous couvert d’époprostenol (Flolan®) en présence de thrombopénie liée à l’héparine, le saignement postopératoire pouvant ainsi être plus limité qu’en utilisant le danaparoïde sodique (Orgaran®) [6]. Enfin, la réalisation d’un ACT reste conseillée afin de contrôler la neutralisation de l’héparine, le bilan de coagulation réalisé au laboratoire nécessitant davantage de temps, même s’il reste indispensable en cas de saignement postopératoire. En somme, l’anticoagulation en CEC est une question primordiale car la sécurité du patient en dépend. Cependant,
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l’utilisation de la séquence héparine–protamine est plus complexe qu’il n’apparaît et le monitorage en temps utile de l’anticoagulation reste un problème encore imparfaitement résolu.
Références [1]
Jude B, Lasne D, Mouton C, de Moerloose P. Surveillance de l’anticoagulation des circulations extracorporelles par l’héparine non fractionnée : quels sont les problèmes non résolus ? Ann Fr Anesth Réanim 2004 (à paraître).
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Jordan RE. Antithrombin in vertebrate species: conservation of the heparin-dependent anticoagulant mechanism. Arch Biochem Biophys 1983;227:587–95.
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Bompard D, Berruyer M, Lefèvre M, Ffrench P, Lehot JJ, Piriou V. Mesure de l’ACT ou temps de coagulation : étude de deux appareils au cours des CEC en chirurgie cardiaque. Ann Fr Anesth Réanim 2004; 23(Suppl):325 (R262).
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Aylsworth CL, Stefan F, Woitas K, Rieger RH, LeBoutillier 3rd M, DiSesa VJ. New technology, old standards: disparate activated clotting time measurements by the Hemochron Jr compared with the standard Hemochron. Ann Thorac Surg 2004;77:973–6.
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Lehot JJ, Waz B, Dendeleu L, Gaudon P, Jegaden O. Thrombose d’oxygénateur en l’absence de résistance à l’héparine. Ann Fr Anesth Réanim 2004;23:153–6.
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J.-J. Lehot * O. Bastien Service d’anesthésie–réanimation, Hôpital Cardiovasculaire et Pneumologique Louis-Pradel, 28, avenue du Doyen-Lépine, 69677 Bron cedex, France Adresse e-mail :
[email protected] (J.-J. Lehot). * Auteur correspondant.