Revue du Rhumatisme 72 (2005) 858–859 http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/
In memoriam
Antoine Ryckewaert (1919–2004) Thomas Bardin Clinique de rhumatologie, centre Viggo-Petersen, hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 75010 Paris, France Reçu et accepté le 7 juillet 2005
C’est Daniel Kuntz qui aurait dû évoquer ici la mémoire de notre maître Antoine Ryckewaert, car il en était l’élève le plus proche. Mais étant donnée sa récente disparition, il me revient d’écrire ces quelques lignes que je voudrais très simples et conformes au souci de discrétion et de sobriété qu’a toute sa vie manifesté Antoine Ryckewaert. Antoine Ryckewaert est né en 1919. Après un « PCB » à Lille, il vint faire ses études de médecine à Paris et devint externe des hôpitaux de Paris en 1938. Il fut ensuite reçu major de sa promotion au concours de l’Internat de Paris de 1942, concours qu’il avait préparé seul, sans l’aide traditionnelle des conférences d’internat. Il faut certainement voir là l’une des manifestations de ses qualités intellectuelles exceptionnelles, qui lui valurent très tôt une grande aura dans le monde médical. Ce rang lui valut d’effectuer un internat de très grande qualité, chez les plus grands patrons de l’époque. Il fut notamment l’interne du Pr Pasteur Valéry Radot dont il avait déjà été l’externe, et qui joua un rôle très important dans le déroulement de sa carrière par un soutien efficace et indéfectible. Antoine Ryckewaert eut donc une formation médicale très complète, et même s’il s’orienta vite vers une rhumatologie qu’il vit naître, il fit aussi une thèse de néphrologie intitulée « les nouveaux procédés d’exploration fonctionnelle des reins ». Cela lui valut la rencontre avec celui qui allait devenir son plus proche élève, Daniel Kuntz, qui vint en effet le voir en cherchant un sujet de thèse qui portât à la fois sur la rhumatologie et la néphrologie. Antoine Ryckewaert fut aussi le premier interne de Stanislas de Sèze lorsque celui-ci eut son service à la cité universitaire et il devint quelques années plus tard son assistant à l’hôpital Lariboisière. En 1955, il fut nommé médecin des hôpitaux de Paris, toujours aux côtés de Stanislas de Sèze qu’il quitta au début des années 1960, sans trop s’en éloigner cependant, puisqu’il prit alors la tête de ce que l’on appelait à l’époque le service de médecine-porte de Lariboisière. En 1966, il devint, toujours à Lariboisière, chef d’un service de Adresse e-mail :
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médecine interne, auquel il donna rapidement une forte orientation rhumatologique, grâce à son rayonnement et à sa ténacité. Nommé maître de conférence agrégé en 1972, c’est très légitimement qu’Antoine Ryckewaert succède, en 1975, à S. de Sèze à la tête du centre Viggo-Petersen. Il est alors au sommet de sa carrière et peut donner libre cours à ses immenses capacités. Ses élèves gardent un souvenir éblouissant de l’élégance, de l’érudition et des dons pédagogiques de cet homme doué d’une intelligence critique et synthétique exceptionnelle, mais dont, il faut bien le dire, l’autorité naturelle et l’apparente froideur faisaient quelque peu trembler. Il était très présent dans son service et ne voyageait plus, laissant à d’autres les congrès et gloires lointaines qu’il remplaçait avantageusement par ses lectures et ses écrits. Il avait une espèce de routine, très efficace, qui rythmait nos semaines, par ses visites en salle et les réunions qu’il animait avec une ponctualité sans faille. Il mettait son maniement précis et parfaitement maîtrisé de la langue française au service d’un enseignement de grande qualité, nourri de ses connaissances encyclopédiques et de son expérience personnelle, à l’aune d’une rigueur de raisonnement jamais prise en défaut. Bien que très présent, il paraissait d’accès difficile aux visiteurs de passage, et ce n’était qu’au fil du temps que l’on gagnait le droit de l’approcher. On découvrait alors un homme d’une courtoisie exquise, et dont la pudeur laissait percer une sensibilité et des qualités de cœur qui finissaient de vous attacher à lui. Antoine Ryckewaert laisse une œuvre scientifique très importante. On y trouve de très nombreux articles qui soulignent la place majeure qu’il a eue dans l’école de rhumatologie de l’hôpital Lariboisière. Il a ainsi largement participé à la fondation de notre discipline et en a beaucoup enrichi la connaissance. Ses travaux restent de plus, souvent très modernes par leur rigueur et leur pragmatisme, mettant une méthodologie scientifique au service de la résolution de problèmes concrets, dirigée vers la prise en charge des malades, ce qui reste le fondement de notre recherche clinique. Il dirigea pendant des années notre revue à laquelle il consacra beaucoup de travail et d’énergie. Il a aussi écrit de nombreux livres qui
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ont largement contribué à son rayonnement. Il y eut notamment plusieurs livres sur la goutte, un gros livre de physiopathologie rhumatologique, la partie rhumatologie des éditions successives du traité de médecine interne, dirigé par Pierre Godeau, et un gros livre en trois tomes, maladie des os et des articulations qu’il signa avec Stanislas de Sèze et qu’il remettait régulièrement à jour. Ces livres l’occupaient beaucoup et l’écriture des mises à jour de « Maladie des os et des articulations » rythmait nos années. Il y avait ainsi la période de la recherche bibliographique où l’on voyait des piles de documents quitter la bibliothèque sous l’œil vigilant des bibliothécaires, qui veillaient jalousement à leur retour. On savait alors que le patron travaillait sur tel ou tel sujet, car il enrichissait son enseignement de ses lectures. Puis venait le temps de l’écriture, reprise jusqu’à être parfaite et marquée par une synthèse critique de la somme de documents ainsi assimilés. Enfin, venait le temps de la lecture des épreuves qui occupait bibliothécaires et assistants, à la recherche de la moindre faute, dans l’esprit des temps anciens, volontiers cités par A. Ryckewaert, où les habitants d’Amsterdam pouvaient lire les épreuves des livres affichées dans les vitrines et signaler aux éditeurs, contre quelques petites pièces, la présence de fautes
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de frappe, dont la correction aboutissait à une édition parfaite... Un autre temps fort de l’année était les « Journées annuelles du centre Viggo-Petersen », qu’Antoine Ryckewaert animait avec autorité et dont il corrigeait minutieusement les articles. Nous avons tous le souvenir de ces entretiens particuliers où avec gentillesse et courtoisie, mais aussi avec une indéniable autorité, il nous indiquait les corrections à faire. Et puis, il écrivit aussi les diverses éditions de son petit livre de Rhumatologie, dont la couleur changeait au fil des rééditions successives, et où l’on trouvait tout, sous une forme admirable de concision et de précision, et qu’Antoine Ryckewaert reprenait avec une ténacité sans faille pour en actualiser le texte et encore améliorer de petits dessins faits de sa main qui, par leur simplicité et leur pédagogie, restent encore à ce jour inégalés. La disparition de A. Ryckewaert en juin 2004 a laissé un grand vide à sa famille, à ses amis et à ses élèves. Notre communauté médicale garde un souvenir très vif de son intelligence et de sa grande culture ainsi que de l’extraordinaire formation médicale qu’il a donnée à toute une génération de rhumatologues francophones.