REVUE NEUROL OGIQUE 165 (2009) S49-S50
Résumé
Approche en IRMf de la perception visuelle consciente et non consciente au stade précoce de la sclérose en plaques F. Reutera, b, B. Audoina, b, C. Liégois-Chauvelc, I. Malikovaa, b, L. Naccached, e, L. Cohend, e, A. Del Cule, P. Cozzoneb, A. Ali Chérifa, S. Dehaenee, f, J.-P. Ranjevab, J. Pelletiera, b* aPôle
de Neurosciences Cliniques, Service de Neurologie UMR CNRS 6612 cInserm 9926-Laboratoire de Neurophysiologie et Neuropsychologie CHU Timone, Marseille, France dFédération de Neurologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris, France eInserm, CEA, Service Hospitalier Fréderic Joliot, Orsay, France fCollège de France, Paris, France bCRMBM
Introduction. — La caractérisation des troubles cognitifs induits par la sclérose en plaques (SEP) reste imprécise, notamment au stade précoce de la maladie, mais le processus pathologique semble se répercuter de manière préférentielle sur la réalisation de tâches cognitives sollicitant particulièrement l’espace de travail conscient. Outre l’existence de lésions corticales qui pourraient représenter un des substratum des perturbations cognitives fréquemment rencontrées dans cette affection, l’atteinte diffuse de la substance blanche pourrait constituer un des mécanismes responsables de l’apparition de ces troubles, en perturbant les communications intra et interhémisphériques via les grands faisceaux de fibres myélinisées. Les différentes épreuves utilisées pour mettre en évidence la présence de perturbations cognitives dans cette affection, notamment au stade précoce, restent peu spécifiques et particulièrement sensibles à l’apprentissage ou effet test re-test. Elles sont donc peu adaptées au suivi longitudinal et il apparaît donc nécessaire d’élaborer de nouveaux outils d’évaluation capables de mieux caractériser le type et l’évolution de la détérioration cognitive. L’étude de la cognition consciente et inconsciente peut être approchée par certains paradigmes comme le « masquage rétrograde » qui permet en particulier l’étude de l’accès à la conscience et du traitement non conscient automatique de stimuli visuels (Dehaene et al., 1998 ; Dehaene et al., 2001 ; Dehaene et al., 2003). Dans un travail préliminaire qui avait pour
*
Orateur
principal objectif d’évaluer la faisabilité d’une approche comportementale des processus de traitement conscients et inconscients dans une population de patients atteints de SEP, nous avons montré qu’il existait dans la population SEP comparée à un groupe témoin un seuil d’accès à la conscience plus élevé, en faveur de perturbations de l’intégration consciente dans cette affection (Reuter et al., 2007). Ces perturbations contrastaient avec la préservation d’un certain nombre de fonctions automatiques, notamment du traitement sémantique non conscient de l’amorce (Reuter et al., 2007). Un second travail a permis d’évaluer l’influence de l’atteinte diffuse de la substance blanche (IRM de transfert d’aimantation) sur l’existence de ces troubles comportementaux dans une population de patients présentant un syndrome cliniquement isolé. Les résultats de ce travail argumentent l’hypothèse selon laquelle les perturbations de perception consciente identifiées sont en rapport avec des modifications des réseaux associatifs corticaux impliqués dans l’espace de travail conscient, sous-tendues par une atteinte diffuse et précoce des grandes voies d’association intra et interhémisphérique (Reuter et al., 2008). Objectif. — Le but de cette approche est de mieux caractériser les perturbations cognitives précoces chez des patients atteints de SEP et de proposer un nouvel outil d’évaluation sensible et reproductible. L’étude des supports fonctionnels du retard d’accès à la
S50
REVU E NEUROL OGIQUE 165 (2009) S49-S50
conscience identifié au stade précoce de la SEP en IRM fonctionnelle (IRMf) pourrait permettre de visualiser les réseaux actifs mis en jeu durant les processus de traitement non conscient et conscient et de vérifier qu’il existe des différences d’activation ou de désactivation chez les patients atteints de SEP par rapport à un fonctionnement normal. Cette approche pourrait permettre de mettre en évidence des réorganisations corticales déjà rapportées au stade précoce de la maladie dans d’autres types de tâches avec l’avantage dans ce paradigme, de dissocier deux processus de traitement différents, au cours d’une même tâche, qui n’impliqueraient pas les mêmes réseaux cérébraux. Matériel et méthodes. — Un groupe de 8 patients ayant présenté un épisode démyélinisant inaugural (syndrome clinique isolé (SCI)) a été inclus dans cette étude et comparé à un groupe de 8 sujets sains apparié en sexe, âge et niveau scolaire. Une tâche de masquage visuel rétrograde (délivrance de stimuli randomisés toutes les 14 secondes sous la forme de 20 essais par condition conscient et inconscient) a été implémentée en IRMf (Magnetom Vision plus 1.5T, Siemens) (Fig. 1).
masque
+
E M9M E
Masque
Par contre, en condition de traitement non conscient et par rapport au groupe contrôle, une diminution d’activation était notée dans le groupe SCI au niveau des cortex périrhinal et cingulaire antérieur, ainsi que du gyrus angulaire, tandis qu’une augmentation de l’activation était mise en évidence au niveau du cervelet gauche, du tronc cérébral et du cortex extrastrié. Une désactivation était par ailleurs notée dans le groupe SCI dans les aires impliquées dans le réseau mis en jeu dans l’activité de repos (default mode network), tout particulièrement au niveau du cunéus. De plus, en condition de traitement conscient et par rapport au groupe contrôle, une diminution d’activation était notée dans le groupe SCI au niveau du préécunéus, tandis qu’une augmentation de l’activation était mise en évidence au niveau des régions préfrontales gauches. De la même façon, une désactivation était retrouvée dans le groupe SCI au niveau du cunéus. Conclusions. — Ces résultats confirment tout d’abord que l’accès à la conscience concernant le traitement de stimuli sensoriels nécessite l’activation des cortex associatifs préfrontal, pariétal et cingulaire antérieur. Par contre, au stade précoce de la SEP, des modifications d’activation corticale sont identifiées, concernant à la fois le traitement conscient et inconscient de l’information. Celles-ci pourraient impliquer à la fois des processus de réorganisation fonctionnelle permettant de mettre en jeu des « ressources cognitives » supplémentaires, mais aussi des modifications de l’état de repos.
+
RÉFÉRENCES amorce
‘9’
9
Temps = 0 à 250 ms Réponse : comparaison de l’amorce à 5 (< ou >)
Fig. 1 - Tâche de masquage visuel rétrograde. Résultats. — Le seuil d’accès à la conscience n’était pas significativement différent entre le groupe SCI et le groupe contrôle. Dans le groupe de sujets témoins, une activation était mise en évidence au niveau des cortex extrastrié, périrhinal et cingulaire antérieur en condition de traitement non conscient, et du cervelet, du précunéus et du cortex cingulaire en condition de traitement conscient.
Dehaene S, Kerszberg M, Changeux JP. A neuronal model of a global workspace in effortful cognitive tasks. Proc Natl Acad Sci 1998;95:1452934. Dehaene S, Naccache L. Towards a cognitive neuroscience of consciousness: basic evidence and a workspace framework. Cognition 2001; 79:1-37. Dehaene S, Sergent C, Changeux JP. A neuronal network model linking subjective reports and objective physiological data during conscious perception. Proc Natl Acad Sci 2003;100:8520-5. Reuter F, Del Cul A, Audoin B, et al. Intact subliminal processing and delayed conscious access in multiple sclerosis. Neuropsychologia 2007; 45:2683-91. Reuter F, Delcul A, Malikova I, Naccache L, Confort-Gouny S, Cohen L, et al. White matter damage impairs access to consciousness in multiple sclerosis. NeuroImage 2008:sous presse.