© Masson, Paris, 2005.
Rev Epidemiol Sante Publique, 2005, 53 : 235-241
Vieillissement Aspects biologiques de la longévité et du vieillissement Biological aspects of longevity and ageing L. KAPPELER*, J. EPELBAUM U 549 Inserm/Paris 5-IFR 77, Hôpital Broca — Sainte-Anne, 2 ter, rue d’Alésia, 75014 Paris. Email :
[email protected] (Tirés à part : J. Epelbaum, Inserm U549, Centre Paul-Broca, 2 ter, rue d’Alésia, 75014 Paris). * Adresse actuelle : U 515 Inserm, Hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75012 Paris.
Despite very different life expectancies, a 2-year-old mouse, a 12-year-old dog, a 32-year-old chimpanzee or an 80-year-old man will share many common deficits such as a reduction in tissue elasticity, immunological responses, muscular strength, sensory perceptions, reflexes, as well as memory losses and increase of age-associated diseases (osteoporosis, osteoarthritis, type II diabetes, cardiovascular diseases, cataract and macular degeneration, neurodegenerative diseases, to name only a few...). With the increase of life expectancy in human species, ageing has become a major concern for the society, both at the human and financial level. The main challenge for biologists studying ageing is to understand how the multiple effects quoted above, so easily identifiable in various species, are nonetheless so coordinate among individuals of a given species. The acquisition of this fundamental knowledge will be essential to reach the ultimate goal of healthy ageing for human populations. At the present time, three types of recent developments on ageing research can be distinguished: 1) A consensus on evolutionist theory of ageing is developing. This theory is based on the fact that long-lived species usually arise from protected ecological niches. It implies that phenotypes which are expressed late in “aged survivors” are beyond natural selection. So, alleles underlying this late expression being adaptive or not (“good” or “bad”), contribute only slightly to the pool of genes of the following generation. 2) Study of laboratory models like the nematode C. elegans or fly D. melanogaster have enabled the observation that single-gene invalidation can increase lifespan. Interestingly, some of theses changes seem to imply a common process through insulin/IGF-1 (insulin like growth factor-I) orthologue, energy metabolism and growth implicated hormones, as well as protection against free radicals. 3) In the mouse, several genes mutation increase lifespan and are associated with a decrease in growth hormone (GH) secretion as well as its main effector IGF-1. The study of such transgenic mutants, in parallel with the well-known effect of the caloric restriction on ageing, open several tracks which should allow determining common mechanisms which regulate the mammalian lifespan. Ageing. Longevity. Biology.
Malgré une espérance de vie très différente selon les organismes, 2 ans chez la souris, 12 ans chez le chien, 32 ans pour le chimpanzé ou 80 ans pour l’homme, on observe avec l’âge une apparition commune de déficits très divers : diminution de l’élasticité des tissus, des défenses immunitaires, de la force musculaire, des organes des sens et de la rapidité des réflexes, sans oublier perte de mémoire Ce texte a fait l’objet d’une présentation au Colloque de la RESP, à Paris, le 6 décembre 2004.
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et augmentation des maladies liées à l’âge (ostéoporose, arthrose, diabète de type II, maladies cardiovasculaires, cataracte et dégénérescence maculaire, maladies neurodégénératives, …). Avec l’augmentation de l’espérance de vie chez l’Homme, le vieillissement est devenu un problème de société majeur, tant au niveau humain que financier. Le principal défi pour les biologistes qui étudient le vieillissement est de comprendre comment les multiples effets cités ci-dessus, si facilement identifiables dans différentes espèces, sont si bien coordonnés parmi les individus d’une même espèce. L’acquisition de cette connaissance fondamentale sera essentielle pour un vieillissement en bonne santé de la population. À l’heure actuelle, les principaux développements sur la recherche en biologie du vieillissement sont de trois types : 1) Un certain consensus commence à se dégager sur une théorie évolutionniste du vieillissement. Cette théorie suppose que les espèces à durée de vie longue émergent à partir de niches écologiques relativement protégées de la sélection naturelle. Elle implique que les phénotypes qui s’expriment tardivement chez les « survivants » âgés échappent à la sélection naturelle. Par conséquent, les allèles sous-tendant cette expression tardive, qu’ils soient adaptatifs ou non adaptatifs (« bons » ou « mauvais »), ne contribuent que faiblement au pool de gènes de la génération suivante. 2) L’étude d’organismes modèles comme le nématode C. elegans ou la mouche D. melanogaster a montré que des mutations sur des gènes uniques peuvent augmenter considérablement la durée de vie des individus. De manière tout à fait intéressante, certaines de ces mutations semblent impliquer un processus commun autour d’orthologues de l’insuline et/ou de l’IGF-1 (insulin like growth factor-I), d’hormones impliquées dans le métabolisme énergétique et la croissance, ainsi que la protection contre les radicaux libres. 3) Chez la souris, il existe plusieurs mutations qui augmentent la durée de vie des individus en relation avec une diminution de la sécrétion de l’hormone de croissance (GH : growth hormone) et de son effecteur principal l’IGF-1. L’étude de tels mutants et de modèles transgéniques, en parallèle avec les effets freinateurs bien connus de la restriction calorique sur le vieillissement, ouvrent certaines pistes qui devraient permettre de déterminer les mécanismes communs qui régulent la durée de vie chez les mammifères. Vieillissement. Longévité. Biologie.
INTRODUCTION
Depuis 2000 ans avant J.-C. et l’épopée de Gilgamesh, le vieillissement et la quête de l’immortalité ont toujours été un des centres d’intérêt pour l’Homme. Dans nos sociétés modernes, les progrès de la médecine, ainsi que l’évolution de l’hygiène et du système de soins ont permis d’augmenter l’espérance de vie de façon très importante. Cette augmentation de l’espérance de vie, abordée dès le début du siècle dernier, a eu pour effet une prise de conscience de l’existence des phénomènes de vieillissement en tant que tel. À l’heure actuelle, le vieillissement de la population est devenu un problème de société, tant au niveau humain que financier. Les recherches sur le vieillissement ont permis d’y associer un grand nombre de déficits, bien que ces derniers soient extrêmement pléïotropes : diminution de l’élasticité des tissus, des défenses immunitaires, de la
force musculaire, des organes des sens et de la rapidité des réflexes, sans oublier perte de mémoire et désynchronisation des rythmes biologiques. À cela, on doit aussi ajouter l’augmentation des maladies liées à l’âge (cancer, maladies cardiovasculaires, syndrome métabolique et diabète de type II, ostéoporose, arthrose, cataracte et dégénérescence maculaire, maladies neurodégénératives…). De façon spectaculaire, ces déficits et certaines maladies associées au vieillissement sont retrouvés dans de nombreuses espèces malgré une longévité différente : la souris (2 ans), le chien (12 ans), le chimpanzé (32 ans) ou l’homme (80 ans). L’apparition des déficits cités plus haut avec le vieillissement suggère une importante coordination, relative à la longévité de l’organisme. L’acquisition de cette connaissance fondamentale sera essentielle afin de permettre à la population de vieillir en bonne santé.
RECHERCHE FONDAMENTALE EN VIEILLISSEMENT
L’étude du vieillissement est à l’origine d’un très grand nombre d’hypothèses (plus de 300 ; [1]), tant au niveau des éléments déterminant l’espérance de vie moyenne d’une population donnée que celui des mécanismes du processus même du vieillissement, les deux étant d’ailleurs souvent très proches. LA THÉORIE ÉVOLUTIONNISTE DU VIEILLISSEMENT
En ce qui concerne l’origine des éléments qui déterminent l’espérance de vie, un certain consensus commence à se dégager sur une théorie évolutionniste. Dans ce cadre, l’énergie d’un organisme pourrait être allouée à un développement rapide et à une forte reproduction ou, au contraire, à une maintenance somatique et une longévité élevée au détriment de la capacité reproductive [2, 3]. Le maintien d’un phénotype ou de l’autre est réalisé par la sélection naturelle. Chez les espèces subissant une prédation importante, seuls les individus ayant une reproduction précoce et rapide vont se maintenir au fil des générations. A contrario, les espèces à durée de vie longue n’émergent qu’à partir de niches écologiques relativement protégées puisque les phénotypes qui s’expriment tardivement chez les « survivants » âgés échappent à la sélection naturelle. Cette théorie, qui est une des premières théories émises sur le vieillissement, est en faite très intuitive et est basée sur la corrélation entre longévité et capacité reproductrice (âge de maturité sexuelle, temps de gestation, nombre de portées) chez différentes espèces [4]. Il vaut mieux en effet utiliser son énergie à survivre et se reproduire, plutôt que d’investir dans des dispositifs à long terme, comme un système immunitaire ou de réparation de l’ADN performant, qui n’ont que peu de chance de voir le jour. L’un des exemples les plus frappant illustrant cette idée est celui de l’opossum de Virginie, Didelphis virginiana. Ce petit animal omnivore nocturne de 50 cm et pesant 3,5 kg, lent et mal armé, est la proie de quasiment tous les prédateurs. Dans la nature, les opossums ne dépassent pas l’âge de 2 ans. Dans les années 1980, S. Austad a étudié le vieillissement accéléré de cet animal [5]. L’analyse d’une femelle de 18 mois équipée d’un collier radio a permis d’observer des signes d’extrême décrépitude (perte de fourrure, cata-
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racte, démarche arthritique, etc.). Pour évaluer l’importance de la sélection naturelle dans le vieillissement, il a réalisé une adaptation spécifique des marsupiaux sur l’île de Sapelo, au large de la Georgie, qui présente, comme beaucoup d’îles, un environnement moins hostile. Par rapport à leurs congénères continentaux, les opossums insulaires montrèrent une longévité moyenne et maximale augmentées de 25% et 50%, respectivement. Une puissance reproductrice plus faible fut associée à cette longévité chez les opossums insulaires (4 à 6 petits par portée contre 6 à 9 pour les continentaux). Au niveau moléculaire, l’analyse des tendons, qui est un bon marqueur physiologique, indiqua un vieillissement nettement ralenti dans la population insulaire par rapport à celle du continent, soumise à une forte pression de sélection naturelle. En ce qui concerne les hypothèses sur les mécanismes du processus même du vieillissement, on observe là aussi un rapprochement des différentes hypothèses émises ces dernières décennies. En effet, des liens apparaissent entre maintenance somatique, production de radicaux libres, alimentation et hormones. Ces dernières, dont le rôle avait déjà été évoqué avec la capacité reproductrice, apparaissent aussi comme ayant un rôle dans la régulation de la maintenance somatique et dans la résistance au stress oxydatif. Elles sont donc pressenties comme ayant un rôle majeur dans la coordination d’apparition des déficits liés à l’âge observés parmi les individus d’une même espèce. Néanmoins, les mécanismes du vieillissement sont encore loin d’être clairement établis. UN GÈNE UNIQUE PEUT-IL INFLUENCER LA DURÉE DE VIE D’ORGANISMES MODÈLES ?
Le vieillissement d’organismes modèles comme le nématode C. elegans ou la mouche D. melanogaster, fréquemment utilisés en biologie, fait l’objet de nombreux travaux. En effet, leur courte durée de vie (15 jours pour le nématode) permet d’étudier rapidement la longévité du modèle ainsi que les effets d’un traitement sur plusieurs générations. Dans ces modèles, l’augmentation de l’expression des protéines de résistance au stress oxydatif
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permet d’augmenter la longévité, comme attendu selon les hypothèses du vieillissement impliquant les radicaux libres. La bataille faisant rage entre les tenants des différentes hypothèses du vieillissement, des expériences ont été réalisées pour montrer le rôle de la reproduction. En se basant sur des expériences réalisées chez D. melanogaster qui avaient montré une augmentation de la longévité pour les descendants issus de reproductions tardives, une ablation laser des précurseurs des lignées germinales a été réalisée chez le nématode, qui présente aussi l’avantage d’être un ver transparent. Une augmentation de la longévité a été observée chez ces vers. Une analyse plus fine a permis d’impliquer le facteur de transcription Daf-16, dernier maillon de la voie de transduction activée par les orthologues (gènes d’espèces différentes dont les séquences sont homologues, ils dérivent d’un même gène ancestral et ont divergé à la suite d’un événement de spéciation) de l’insuline et/ou de l’IGF-1 [6]. L’invalidation génique (ou « knocking out ») du récepteur à ces orthologues, Daf-2, permet aussi une augmentation importante de la longévité [7]. La démonstration dans ces modèles que la seule mutation d’un gène était capable d’augmenter la durée de vie a donné un essor considérable dans la recherche de gènes impliqués dans le vieillissement. INSULINE ET IGF-1, LES ENSEIGNEMENTS DES MODÈLES ANIMAUX
De nombreux modèles invalidés génétiquement ont été réalisés, tant chez la mouche que chez le nématode. De manière tout à fait intéressante, la majeure partie des gènes modulant la durée de vie implique un processus commun autour d’orthologues de l’insuline et/ou de l’IGF-1 (insulin like growth factor-1). Il est apparu chez ces animaux que leur longévité était associée à une résistance accrue aux stress oxydatifs de diverses natures, médiée par une régulation de l’expression des protéines de résistance au stress (superoxyde dismutase, catalase, …), et une répartition des masses énergétiques (glycogène, graisse), impliquant ainsi le métabolisme et les radicaux libres dans la régulation de la longévité par la voie « insuline/IGF-1 ».
À l’heure actuelle, les études réalisées sur ces modèles essaient de localiser le ou les centres régulant la longévité en invalidant les gènes le long de la voie insuline/IGF-1 dans certains tissus uniquement. Ainsi, il a pu être montré chez le nématode que si le muscle n’a aucun rôle dans la régulation de la longévité, le rôle de l’intestin et du cerveau est essentiel [8-10]. De la même manière, un signal endocrinien via le récepteur à l’insuline a été impliqué au niveau du cerveau dans la régulation de la longévité chez la drosophile [11, 12]. Au cours de l’évolution, la voie IGF-1 a été très conservée [13]. Chez les mammifères, l’IGF-1 fait partie de l’axe somatotrope. Dans les espèces de cette classe, la sécrétion pulsatile de l’hormone de croissance (GH : growth hormone) est régulée par deux neurohormones hypothalamiques : la somatolibérine (GHRH : growth hormone releasing hormone) et la somatostatine. La GH agit sur la sécrétion hépatique d’IGF-1 qui induit nombre de ses effets sur les organes périphériques. De fait, l’IGF-1 est aussi impliqué dans la croissance de l’organisme. Chez la souris, plusieurs mutations augmentent la durée de vie des individus, la plupart associées à une diminution de la sécrétion de la GH et de son effecteur principal l’IGF-1. Les premiers modèles concernent un défaut du développement hypophysaire. Ces souris, appelées Snell et Ames, sont naines, ont des troubles de la reproduction et une longévité accrue [14]. L’invalidation des gènes impliqués dans le développement hypophysaire (Pit-1 et Prop-1) dans ces deux modèles induit un déficit hormonal sur plusieurs axes, dont celui de la GH. Ces souris, qui ont une déficience en GH et en IGF-1 notamment, présentent également une résistance accrue au stress oxydatif. En effet, des fibroblastes issus de ces souris, cultivés in vitro dans un milieu dont les concentrations en hormones sont bien définies, résistent mieux aux stress oxydatifs de multiples natures (chaleur, UV, eau oxygénée, métaux lourds, …) par rapport aux fibroblastes issus de souris sauvages [15]. Néanmoins, le nombre de défauts observés chez ces souris ne facilite pas l’étude du vieillissement, les altérations touchent trois axes endocriniens majeurs : GH, prolactine et hormone thyréotrope. D’autres modèles ont donc été réalisés avec une invalidation plus fine le long de l’axe somato-
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trope. Ceci est le cas pour les souris invalidées pour le récepteur au GHRH (GHRH-R) ou celui de la GH (GH-R/BP), ce dernier codant à la fois pour le récepteur et la protéine de liaison. À la différence des souris Snell et Ames, ces modèles ont uniquement une altération de l’axe somatotrope. Cependant, on observe là encore un nanisme et un défaut de la reproduction associé à la longévité de ces souris : puberté retardée et subfertilité pour les GHRH-R Knock-out (KO) et les GH-R/BP KO respectivement [16, 17]. À l’heure actuelle, le seul traitement prolongeant l’espérance de vie sans modifier le génome est la restriction calorique. Cette restriction, sans malnutrition ni aucun déficit alimentaire, a été testée avec succès sur plusieurs modèles, de la levure S. cereviseae à la souris et au primate non humain [18], en passant par le nématode C. elegans et la mouche D. melanogaster [19-21]. Les animaux restreints caloriquement ont une longévité accrue, mais aussi des signes d’un vieillissement retardé : les rythmes biologiques, la sécrétion ultradienne de GH, la force musculaire sont maintenus plus longtemps avec l’âge. Les déficits au niveau moléculaire associés au vieillissement (protéines des tendons, altération de récepteur à haute affinité,…) sont eux aussi retardés, et on observe chez ces animaux une fréquence plus faible des maladies associées à l’âge tel le cancer par exemple [22, 23]. De façon très intéressante, la restriction calorique s’accompagne toujours d’une augmentation de la résistance au stress oxydant et d’une baisse drastique des taux en IGF-1 circulants. Néanmoins, la restriction calorique est aussi capable d’augmenter l’espérance de vie des souris Ames, qui ont déjà une longévité accrue de par leur développement hypophysaire altéré. Ceci suggère que, si l’augmentation de la longévité par la restriction calorique et par l’altération de l’axe somatotrope (GH/ IGF-1) utilise des mécanismes communs, ceux-ci ne sont pas tout à fait identiques [14]. Il y a quelques années, l’étude d’une invalidation du récepteur à l’IGF-1 (IGF-1R) avait montré que les souris homozygotes pour la mutation mourraient invariablement à la naissance d’une détresse respiratoire [24, 25]. Cependant, si l’inactivation du récepteur ne dépasse pas les 50%, comme c’est le cas pour les souris invalidées de façon hétérozygote, on n’observe sur la
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croissance de l’organisme qu’un effet subtil et transitoire, non conservé chez l’adulte [26]. De même, les capacités reproductives ne sont pas altérées chez ces souris, alors que l’on observe une résistance accrue au stress et une augmentation de la longévité (+26%). Ces deux derniers paramètres présentent un dimorphisme sexuel assez prononcé : la durée de vie augmente de 33% chez les femelles, alors que, chez les mâles, l’augmentation n’est que de 16% par rapport aux souris contrôles [27]. Chez ces souris, l’augmentation de la longévité, qui n’est qu’un moyen de mesurer le vieillissement, n’est donc pas associé à la croissance de l’organisme, mais l’est toujours en ce qui concerne la résistance au stress oxydatif. On observe dans les fibroblastes issus de ces souris une baisse de toute la voie de transduction intracellulaire de la voie IGF-1, y compris de protéines telles que P66 Shc. L’implication de cette protéine dans la voie de signalisation IGF-1, ainsi que sa baisse d’activation associée à l’augmentation de longévité n’est pas anecdotique. En effet, les tenants de l’hypothèse du vieillissement impliquant les radicaux libres avaient, en parallèle, invalidé chez la souris le gène de la P66 Shc [28]. Cette souris qui présente une taille et une fertilité normales, montre une importante résistance au stress oxydatif, associés à un accroissement de la longévité. Ceci semble donc indiquer que la régulation de la longévité par la voie IGF-1 passerait préférentiellement, au niveau intracellulaire, par une régulation des défenses antioxydantes. Si la voie principale de la régulation du vieillissement, mesurée par le biais de la longévité, a été découverte, le processus et les mécanismes sont encore loin d’être élucidés. Ainsi d’autres facteurs génétiques et épigénétiques semblent réguler l’efficacité de cette voie IGF-1 : l’augmentation de la longévité chez les souris invalidées pour le GH-R/BP varie de 16 à 38% chez les femelles et de 26 à 55% chez les mâles selon que le fond génétique de la souris soit C57 Bl/6 ou 129/Sv, respectivement [29, 30]. Cependant, l’existence d’autres voies dans la régulation du vieillissement ne doit pas être exclue chez la souris : les modèles de D. melanogaster et C. elegans ont montré une implication de molécules appartenant à la classe des orthologues de la voie insuline/IGF-1. Chez les mammifères, les récepteurs
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de l’insuline et de l’IGF-1 sont très proches, suffisamment pour être capables de former des hétérodimères, et activer des voies de transduction intracellulaires extrêmement proches, avec des protéines communes à de nombreux niveaux. Ainsi, l’invalidation du récepteur de l’insuline dans les tissu adipeux est suffisante pour augmenter la longévité chez la souris [29, 30]. Nous commençons donc à pouvoir cerner les voies intracellulaires impliquées dans le vieillissement. Par manque de phénotypes, les études jusqu’ici mesuraient la longévité des modèles, nécessitant une attente de 2 à 3 années. Nous pourrons bientôt mesurer des paramètres plus précoces (concentration en IGF-1, en IGF-BP3 qui est corrélée à la sécrétion de GH, ou taux en catalase et superoxyde dismutase de type 1), ce qui accélèrera l’acquisition des connaissances dans ce domaine. Le but de cette recherche est de déterminer les cibles et de comprendre les mécanismes mis en jeu afin, qu’un jour, nous puissions avoir un diagnostic préventif des personnes à risques, et d’une façon plus globale, de permettre à la population de vieillir en bonne santé. En effet, les mesures de longévité ne sont pas un but en soi mais un moyen, et elles sont réalisées sur des souris qui sont dans un environnement protégé. Cet accroissement de la longévité reflète donc une meilleure résistance au développement des maladies couramment associées à l’âge (listées de façon non exhaustive au début de ce manuscrit). Parmi toutes ces maladies, il est intéressant de noter que les récentes études sur le vieillissement semblent indiquer un rôle très important de la protéine p53, dont l’implication dans la lutte contre le cancer est désormais connue de tous. En effet, cette gardienne du génome, à la structure complexe et aux multiples rôles, est capable d’augmenter ou de diminuer la durée de vie chez la souris selon la région de la protéine qui est mutée [31-33]. La protéine p53 agit elle différemment de la voie IGF-1 ? Elle a certainement un rôle qui lui est propre de par son rôle contre le cancer ; néanmoins, il vient d’être démontré que p53 régulait la voie de transduction intracellulaire de l’IGF-1 à plusieurs niveaux [34, 35]. En résumé, les recherches sur le vieillissement ont considérablement progressé ces dernières années. Nous sommes passés d’une étape des-
criptive, épiphénoménologique, mais nécessaire au développement de modèles mécanistiques. Après avoir commencé à cerner les voies impliquées dans le processus, nous allons pouvoir déterminer son fonctionnement même. Ainsi, après l’augmentation considérable de la durée de vie liée aux progrès de l’hygiène et de la médecine au XXe siècle, les perspectives thérapeutiques et prédictives d’un vieillissement en bonne santé apparaissent désormais comme un objectif envisageable pour le siècle qui commence. RÉFÉRENCES 1. Medvedev ZA. An attempt at a rational classification of theories of ageing. Biol Rev Camb Philos Soc 1990; 65: 375-98. 2. Kirkwood TB, Austad SN. Why do we age? Nature 2000; 408: 233-8. 3. Hsin H, Kenyon C. Signals from the reproductive system regulate the lifespan of C. elegans. Nature 1999; 399: 362-6. 4. Westendorp RG, Kirkwood TB. Human longevity at the cost of reproductive success. Nature 1998; 396: 743-6. 5. Austad S. Retarded senescence in an insular population of Virginia opossums. The Zoological Society of London 1993; 229: 695. 6. Guarente L, Kenyon C. Genetic pathways that regulate ageing in model organisms. Nature 2000; 408: 255-62. 7. Kenyon C, Chang J, Gensch E, Rudner A, Tabtiang R. A C. elegans mutant that lives twice as long as wild type. Nature 1993; 366: 461-4. 8. Apfeld J, Kenyon C. Cell nonautonomy of C. elegans daf-2 function in the regulation of diapause and life span. Cell 1998; 95: 199-210. 9. Wolkow CA, Kimura KD, Lee MS, Ruvkun G. Regulation of C. elegans life-span by insulinlike signaling in the nervous system. Science 2000; 290: 147-50. 10. Alcedo J, Kenyon C. Regulation of C. elegans longevity by specific gustatory and olfactory neurons. Neuron 2004; 41: 45-55. 11. Tatar M, Kopelman A, Epstein D, Tu MP, Yin CM, Garofalo RS. A mutant Drosophila insulin receptor homolog that extends life-span and impairs neuroendocrine function. Science 2001; 292: 107-10. 12. Hwangbo DS, Gersham B, Tu MP, Palmer M, Tatar M. Drosophila dFOXO controls lifespan and regulates insulin signalling in brain and fat body. Nature 2004; 429: 562-6.
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