Rec¸u le : 28 mai 2013 Accepte´ le : 24 juin 2013 Disponible en ligne 26 juillet 2013
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
Mise au point § Basic aspects of the potential toxicity of anesthetic drugs J. Patkaia,*,b, E. Zana-Taieba,b, C. Didiera,b, P.-H. Jarreaua,b, E. Lopeza,b a Service de me´decine et re´animation ne´onatales de Port-Royal, hoˆpitaux universitaires Paris centre, 53, avenue de l’Observatoire, 75014 Paris, France
Aspects fondamentaux de la toxicite e´ventuelle des drogues anesthe´siques
b
PremUp, 53, avenue de l’Observatoire, 75014 Paris, France
Summary
Re´sume´
Brain development is a complex phenomenon in which several stages of production, maturation, and organization of neural cells in a network succeed each other. Various environmental factors can disrupt these stages. During the last decade, numerous in vitro and in vivo experimental studies in newborn animal models have established the neurotoxic effects of most anesthetic and sedative drugs used in pediatrics. These effects are essentially responsible for neuronal apoptosis and have been associated with learning disorders in adulthood. This neurotoxicity is time-varying: there is a vulnerability period during synaptogenesis. These toxic effects were attributed to agonist properties on GABA receptors or antagonist properties on NMDA receptors, which are characteristics of all implicated anesthetics. Excessive activation of the GABA pathway and/or excessive inhibition of the NMDA pathway activate cellular mechanisms leading to apoptosis. The intensity of neurotoxic effects is dose- and time-exposure-dependent. These numerous experimental data must be interpreted with caution with regard to their validity in humans, mainly because of interspecies differences as well as differences between experimental conditions and clinical practice. Today, these data are insufficient to change our practices, taking into account the indisputable benefits of the use of anesthetics and sedative drugs. However, progress in experimental research will help us identify the safest therapeutic strategies and neuroprotective treatments. ß 2013 Published by Elsevier Masson SAS.
Le de´veloppement ce´re´bral est un phe´nome`ne complexe qui voit se succe´der plusieurs e´tapes de production, maturation et organisation des cellules neurales en un re´seau bien organise´. Certains facteurs environnementaux peuvent perturber ces e´tapes. Au cours de la dernie`re de´cennie, de nombreux travaux expe´rimentaux in vitro et in vivo sur des mode`les d’animaux nouveau-ne´s ont de´montre´ des effets neurotoxiques de la plupart des anesthe´siques et se´datifs utilise´s en pe´diatrie. Ces effets sont essentiellement des le´sions d’apoptose neuronale, qui ont parfois e´te´ associe´s a` la survenue de troubles des apprentissages chez l’animal a` l’aˆge adulte. Cette neurotoxicite´ est variable dans le temps et il existe une feneˆtre de sensibilite´ contemporaine de la phase de synaptogene`se. Ces effets toxiques ont e´te´ rapporte´s aux proprie´te´s agonistes des re´cepteurs GABA (acide gamma-aminobutyrique) ou antagoniste des re´cepteurs NMDA (acide N-me´thyl-D-aspartique) que posse`dent tous les anesthe´siques implique´s. L’activation excessive de la voie GABA ou l’inhibition excessive de la voie NMDA activent les me´canismes cellulaires conduisant a` l’apoptose. L’intensite´ des effets neurotoxiques est de´pendante de la dose et de la dure´e d’exposition. Les donne´es expe´rimentales, si nombreuses soient-elles, doivent eˆtre interpre´te´es avec pre´caution lors de leur transposition a` l’eˆtre humain, du fait des diffe´rences entre les espe`ces et entre les conditions expe´rimentales et l’utilisation clinique. Aujourd’hui, ces donne´es sont insuffisantes pour changer nos pratiques compte tenu des be´ne´fices indiscutables de l’utilisation des anesthe´siques et se´datifs chez l’enfant, mais elles doivent nous rendre prudents dans leur utilisation. La poursuite de la recherche expe´rimentale devra permettre d’identifier des strate´gies the´rapeutiques moins risque´es et d’e´ventuels traitements neuroprotecteurs. ß 2013 Publie´ par Elsevier Masson SAS.
§ Travail pre´sente´ aux XLIIIe Journe´es nationales de ne´onatalogie 2013, Paris, 21–22 mars 2013. * Auteur correspondant. e-mail :
[email protected]
0929-693X/$ - see front matter ß 2013 Publie´ par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2013.06.023 Archives de Pe´diatrie 2013;20:1059-1066
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1. Introduction Au cours de la pe´riode pe´rinatale et des premie`res anne´es de vie, le de´veloppement ce´re´bral est intense. On assiste a` la prolife´ration puis a` la diffe´rentiation des cellules qui migrent puis s’organisent en e´tablissant des connexions et des ramifications multiples. Des modifications environnementales peuvent venir perturber cette me´canique complexe. Il peut s’agir d’un stress inflammatoire, d’une instabilite´ he´modynamique ou respiratoire, d’un stress me´tabolique, d’un stress douloureux ou encore d’une exposition a` des me´dicaments. Depuis 1999 et la publication des premiers re´sultats de´montrant un effet apoptotique d’un traitement par la ke´tamine [1], les donne´es expe´rimentales obtenues dans diffe´rents mode`les animaux (rongeurs, cochon, primates non humain) se sont multiplie´es, reproduisant des effets toxiques sur le cerveau en de´veloppement de pratiquement tous les anesthe´siques utilise´s en pe´diatrie par inhalation (protoxyde d’azote [N2O], isoflurane, se´voflurane) [2] ou par voie intraveineuse (ke´tamine, propofol, thiopental, diaze´pam) [3]. L’expression fonctionnelle de ces modifications a e´te´ e´tablie par la constatation d’alte´rations comportementales et de troubles cognitifs chez l’animal expose´ devenu adulte. Quelles sont ces donne´es et a` quel niveau d’inquie´tude renvoient-elles pour la pratique chez l’homme ? Si dans un premier temps, les e´tudes expe´rimentales se sont focalise´es sur la mise en e´vidence des effets neurotoxiques, en de´terminant les parame`tres associe´s a` cette toxicite´ (doses, dure´es d’exposition), ces dernie`res anne´es, les travaux expe´rimentaux se sont focalise´s sur la compre´hension des me´canismes par lesquels les anesthe´siques induisent les le´sions d’apoptose et de de´ge´ne´ration cellulaires.
2. Me´canismes implique´s ` l’e´chelle cellulaire 2.1. A 2.1.1. Neuro-apoptose Le de´veloppement ce´re´bral proce`de d’une succession d’e´tapes. La production et la migration des cellules neurales, la neuritogene`se qui correspond a` la gene`se des axones et des dendrites et la synaptogene`se avec la mise en place et la stabilisation des synapses. Cette synaptogene`se s’e´tablit entre les cellules neuronales suite a` l’e´change de signaux. Elle va de pair avec le de´veloppement dendritique. Les neurones n’e´tablissant pas de connexions suffisantes durant cette phase sont destine´s a` disparaıˆtre par un processus d’apoptose. Ce phe´nome`ne d’e´lagage ne concerne en situation physiologique qu’une faible proportion de neurones. Il est la conse´quence de l’activation de me´canismes actifs de mort cellulaire programme´e initie´e par le noyau. Il est de´sormais bien e´tabli que l’essentiel des le´sions neurologiques induites par les anesthe´siques est lie´ a` une augmentation du phe´nome`ne
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d’apoptose. Plus re´cemment, il a e´te´ e´tabli que la synaptogene`se constituait une feneˆtre temporelle de grande vulne´rabilite´ dans la survenue de ces le´sions. En 2010, Gutierrez a montre´ chez le rongeur qu’une exposition a` la ke´tamine entraıˆnait une apoptose au niveau du cortex somato-sensitif dont l’intensite´ e´tait variable avec l’aˆge : maximale a` j7, diminuant a` j14 et disparaissant a` j21 [4]. De manie`re e´tonnante, l’exposition apre`s la fin de la pe´riode de synaptogene`se aux anesthe´siques intraveineux tels que le midazolam, le propofol ou la ke´tamine est associe´e a` une augmentation de la densite´ des e´pines dendritiques dans le cortex et l’hippocampe de la souris aˆge´e de 15 a` 20 j, qui n’est plus observe´e chez la souris de 30 j [5]. Pour Rizzi, qui a e´tudie´ ces me´canismes sur un mode`le expe´rimental porcin, la pe´riode d’exposition tient une place pre´ponde´rante dans l’expression de la toxicite´. Les re´gions ce´re´brales qui sont au pic d’activite´ de synaptogene`se lors de l’exposition seront vulne´rables, quelle que soit la dure´e de l’exposition [6]. Ces travaux re´cents sugge`rent un effet apoptotique des anesthe´siques, variable dans le temps et maximal au cours de la synaptogene`se. 2.1.2. Modification de la neurogene`se D’autres e´tapes du de´veloppement ce´re´bral peuvent eˆtre modifie´es par les traitements anesthe´siques. C’est le cas de la neurogene`se post-natale qui produit tout au long de la vie une certaine population de neurone. Des traitements se´datifs et anticonvulsivants tels que le phe´nobarbital et le diaze´pam ont montre´ un effet inhibiteur de la neurogene`se en pe´riode postnatale [7]. La` encore, il semble que cette inhibition soit de´pendante de l’aˆge [8]. C’est notamment ce qui a e´te´ mis en e´vidence avec l’isoflurane et le propofol qui entraıˆnent une re´duction de la neurogene`se dans des mode`les d’animaux jeunes mais pas chez l’adulte [9]. Toujours chez le rat, Sall et al. ont observe´ qu’un traitement par isoflurane entraıˆnait une diminution de la prolife´ration des cellules au niveau du gyrus dente´ sans mort cellulaire [10]. Ces re´sultats sugge`rent que les traitements anesthe´siques sont susceptibles de re´duire le pool de cellules souches neurales et, de ce fait, de diminuer le potentiel de re´ge´ne´ration in vivo. Cet effet peut participer a` l’apparition ulte´rieure des troubles cognitifs imputables aux anesthe´siques. 2.1.3. Alte´ration des cellules gliales En dehors des neurones, d’autres cellules peuvent eˆtre concerne´es par la toxicite´ des anesthe´siques. Il s’agit des astrocytes, connus pour leurs fonctions trophiques et leur roˆle de soutien architectural. Ces cellules sont e´galement implique´es dans la formation, la stabilite´ et la plasticite´ des synapses [11]. Re´cemment, des expe´rimentations in vitro ont e´value´ les effets de l’isoflurane 3 % applique´ pendant 24 h sur une culture d’astrocytes immatures. Les re´sultats font apparaıˆtre un retard de maturation morphologique et de croissance des cellules. Cet effet n’est pas retrouve´ sur des cultures astrogliales matures [12].
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2.2. A` l’e´chelle mole´culaire Plusieurs neurotransmetteurs sont implique´s dans les phe´nome`nes de transmission de l’influx nerveux. On distingue le groupe des cathe´colamines, l’acide gamma-amminobutyrique (GABA), les acides amine´s excitateurs dont le principal est le glutamate, l’ace´tylcholine et les opiace´s. Avant d’acque´rir un roˆle dans la transmission synaptique, la plupart de ces neurotransmetteurs ont des roˆles trophiques et organisateurs de la morphogene`se et de la stabilisation synaptique. Ils agissent par l’interme´diaire de re´cepteurs dont l’apparition est pre´coce et pre´ce`de l’e´tablissement des synapses. En 2001, Ikonomidou et al. ont publie´ des travaux e´tablissant un lien entre la toxicite´ des anesthe´siques et l’activation des re´cepteurs GABA type A (R-GABA a) ou a` l’inverse l’inhibition des re´cepteurs N-me´thyl-D-aspartic acide (R-NMDA) [13]. 2.2.1. R-GABA a et R-NMDA 2.2.1.1. R-GABA a Chez l’adulte, le syste`me GABA (GABA et R-GABA a) exerce une activite´ inhibitrice sur les neurones. La particularite´ du cerveau en de´veloppement est l’existence d’une inversion du gradient d’ion chlore (Cl ) : la concentration intracellulaire en Cl e´tant de´ja` e´leve´e, l’activation des R-GABA provoque une sortie d’ions Cl entraıˆnant une de´polarisation de la cellule neuronale avec pour conse´quence une augmentation du calcium intracellulaire. Les R-GABA a ont donc un comportement « excitateur ». Une stimulation excessive de ces re´cepteurs sur un cerveau immature peut eˆtre a` l’origine d’une activation des voies de signalisation induisant l’apoptose. C’est un me´canisme d’action propose´ pour les agents anesthe´siques ayant des effets agonistes GABA, comme les anesthe´siques volatiles (halothane, isoflurane, se´voflurane et N2O), de certains anesthe´siques injectables comme le propofol, l’e´tomidate et de me´dicaments se´datifs et anticonvulsivants comme les barbituriques et les benzodiaze´pines [14]. 2.2.1.2. R-NMDA Le R-NMDA couple´ a` un canal ionique fortement perme´able a` l’ion calcium (Ca++) est active´ principalement par le glutamate et constitue une des voies excitatrices pre´ponde´rantes du syste`me nerveux central (SNC). Ce syste`me est implique´ non seulement dans la transmission synaptique mais e´galement dans des phe´nome`nes de plasticite´ ce´re´brale et de de´veloppement du SNC. De tre`s nombreux travaux sur la toxicite´ des anesthe´siques ont e´te´ conduits en utilisant la ke´tamine, qui a des proprie´te´s d’antagoniste non compe´titif des R-NMDA. En 2011, Liu a sugge´re´, a` partir de travaux re´alise´s chez le rat traite´ par ke´tamine, que l’inhibition des R-NMDA entraıˆnait une surexpression compensatoire de la sous-unite´ NR1 des R-NMDA activant l’expression de ge`nes implique´s dans l’apoptose des neurones en de´veloppement [15]. Actuellement, a` peu pre`s tous les anesthe´siques, se´datifs et anticonvulsivants utilise´s en clinique sont reconnus d’avoir un effet agoniste
GABA (benzodiaze´pine) ou antagoniste NMDA (ke´tamine) ou les 2 (gaz volatiles, N2O, e´tomidate, propofol, hydrate de chloral, barbituriques). Le ou les me´canismes par lesquels l’activation de ces re´cepteurs aboutit a` des le´sions apoptotiques ne sont pas encore comple´tement e´lucide´s. Il semblerait que ces effets neuro-apoptotiques soient spe´cifiques de certaines cellules, inte´ressant les neurones glutamatergiques, GABAergiques et dopaminergiques et e´pargnant les neurones cholinergiques [16]. Au total, les anesthe´siques exerceraient leur toxicite´ par une action agoniste GABA ou antagoniste NMDA, mais avec une expression de´pendant de la cellule. 2.2.2. Voies de me´diation intracellulaire L’apoptose est un processus complexe ne´cessitant l’activation de ge`nes et la synthe`se de prote´ines de novo. Parmi les diffe´rents acteurs enzymatiques implique´s, il faut citer les caspases, famille de prote´ases. Cette voie finale commune des caspases peut eˆtre active´e par diffe´rentes voies de signalisation parmi lesquelles on distingue la voie intrinse`que impliquant les mitochondries et la voie extrinse`que. 2.2.2.1. La voie intrinse`que Les mitochondries ne sont pas seulement implique´es dans le me´tabolisme e´nerge´tique de la cellule mais jouent aussi un roˆle essentiel dans le controˆle de l’apoptose. Leur alte´ration est a` l’origine de la production de de´rive´s actifs de l’oxyge`ne qui, par un me´canisme de peroxydation des lipides, alte`rent la membrane cellulaire. Ce phe´nome`ne d’alte´ration des mitochondries est l’un des tous premiers signes de dysfonction neuronale, observe´ 2 h apre`s l’exposition aux anesthe´siques [17]. Plusieurs voies de me´diation intracellulaire de cette apoptose ont e´te´ avance´es. Une des principales implique une diminution de la prote´ine anti-apoptotique BCL-2 avec pour conse´quence une accumulation des de´rive´s actifs de l’oxyge`ne entraıˆnant une libe´ration de cytochrome C dans le cytosol. Ce dernier active les voies des caspases 9 et 3 pour aboutir finalement a` une apoptose de la cellule [18]. D’autres travaux re´alise´s avec l’isoflurane ont mis en avant un me´canisme impliquant l’ouverture transitoire de pores de perme´abilite´ de la membrane mitochondriale [19]. L’administration d’un che´lateur des de´rive´s actifs de l’oxyge`ne ou d’un protecteur mitochondrial pre´vient l’alte´ration mitochondriale, la perte neuronale et meˆme la survenue des troubles cognitifs induits par l’anesthe´sie [20]. Ces re´sultats sugge`rent que l’activation pre´coce de la voie intrinse`que de me´diation de l’apoptose des mitochondries participe a` l’effet toxique des anesthe´siques. 2.2.2.2. La voie extrinse`que Plusieurs travaux re´cents ont permis de mettre en e´vidence d’autres me´canismes d’activation de l’apoptose par diffe´rentes voies de signalisation apre`s exposition a` des mole´cules anesthe´siques dont la voie de´pendant des facteurs neurotrophiques.
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Le brain-derived neurotrophic factor (BDNF) joue un roˆle dans la survie, la diffe´rentiation neuronale et participe e´galement aux processus de plastie ce´re´brale. Il est se´cre´te´ sous forme d’un pre´curseur, le proBDNF, et est active´ par la plasmine en BDNF mature (mBDNF). Le BDNF a 2 re´cepteurs au niveau ce´re´bral. L’un d’eux est le re´cepteur Trk, pre´dominant dans les conditions physiologiques et qui, apre`s fixation du mBDNF, permet d’assurer la survie neuronale [21]. L’autre re´cepteur, P75 NTR, fixe pre´fe´rentiellement le proBDNF avec pour effet une diminution de la synaptogene`se, une re´gression des prolongements dendritiques et une apoptose neuronale [22]. In vitro, l’isoflurane a montre´ des effets inhibiteurs sur l’activation de l’activateur tissulaire du plasminoge`ne (tPA), ne´cessaire a` la formation de plasmine, aboutissant a` une accumulation de proBDNF au de´triment du mBDNF. Les conse´quences observe´es sont une activation du re´cepteur P75 NTR entraıˆnant l’activation de la voie apoptotique et une re´duction des prolongements dendritiques. Ces effets sont partiellement corrige´s par l’adjonction de tPA exoge`ne ou de plasmine [23,24]. Tre`s re´cemment, l’apoptose induite par le propofol a e´galement e´te´ associe´e, au moins partiellement, a` une activation des re´cepteurs P75 NTR et a` la voie d’aval effectrice RhoA-kinase qui est responsable d’une de´polyme´risation du cytosquelette neuronal [25]. 2.2.3. Le roˆle des me´diateurs inflammatoires L’implication de facteurs inflammatoires dans de nombreuses pathologies ce´re´brales est bien e´tablie. Tre`s re´cemment un lien entre la libe´ration de cytokines et l’expression de la neurotoxicite´ des anesthe´siques a e´te´ avance´. Cette hypothe`se s’appuie sur le fait que l’exposition a` des anesthe´siques volatiles est associe´e a` une augmentation de l’expression de certaines cytokines pro-inflammatoires tels le tumor necrosis factor alpha (TNFa), l’interleukine (IL) 6 et l’IL-1b [26,27]. Inde´pendamment des anesthe´siques, le traumatisme chirurgical entraıˆne e´galement une augmentation de l’expression des cytokines TNFa et IL-1b, ainsi qu’une activation de la microglie au niveau de l’hippocampe. Ces e´ve`nements sont suspecte´s d’eˆtre implique´s dans les troubles de la me´moire observe´s en postope´ratoire [28,29]. L’inflammation syste´mique est susceptible d’aggraver les de´ficits cognitifs observe´s en postope´ratoire [30]. Il est inte´ressant de constater qu’un traitement par des inhibiteurs du TNFa ou par des antagonistes des re´cepteurs de l’IL-1b atte´nue les effets neuro-inflammatoires et les troubles de la me´moire. Enfin, si l’on compare l’effet apoptotique induit par l’association d’une stimulation nociceptive et d’une exposition anesthe´sique prolonge´e et celui induit par l’exposition anesthe´sique seule, le premier est plus important [31]. Ces donne´es sugge`rent que la chirurgie mais e´galement l’exposition aux anesthe´siques induisent toutes deux la libe´ration de cytokines proinflammatoires possiblement en cause dans l’alte´ration postope´ratoire des fonctions cognitives.
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2.2.4. Roˆle du calcium intracellulaire Parmi les facteurs importants implique´s dans le de´veloppement ce´re´bral, l’home´ostasie calcique cellulaire associe´e a` l’existence de la variation oscillatoire du Ca++ intracellulaire joue probablement un roˆle fondamental [32]. Des modifications de la concentration calcique intracellulaire, que ce soit sur un mode hyper ou hypo, ont e´te´ implique´es dans diffe´rents mode`les de toxicite´ des anesthe´siques et sont probablement au centre de plusieurs voies de signalisation. Cette perte de la variation oscillatoire calcique est observe´e in vitro apre`s exposition aux anesthe´siques de fac¸on de´pendante de la dose [33,34]. De nombreux travaux expe´rimentaux in vitro et in vivo chez l’animal ont mis en avant le roˆle clef du calcium intracellulaire dans la toxicite´ des anesthe´siques bien que certains paraissent contradictoires. De nombreux me´canismes restent incompris, mais ce que l’on peut retenir a` ce jour, c’est l’effet d’inhibition des anesthe´siques sur les oscillations calciques qui participe possiblement a` l’expression de leur toxicite´.
3. E´le´ments modulateurs de la toxicite´ La neurotoxicite´ induite par les anesthe´siques varie en fonction de 2 e´le´ments principaux : le stade de de ´ veloppement ce´re´bral au moment de l’exposition ; on a vu pre´ce´demment la feneˆtre de grande vulne´rabilite´ constitue´e par la pe´riode de la synaptogene`se ; le traitement lui-me ˆ me, comme la nature du produit, la dose utilise´e, la dure´e d’exposition, l’association de plusieurs produits.
3.1. Nature du produit Le profil de neurotoxicite´ peut diffe´rer selon les produits au sein d’une meˆme classe the´rapeutique. C’est le cas pour les gaz volatils. Ainsi, l’exposition re´pe´te´e (4 h/j pendant 30 j) a` des concentrations infra-anesthe´siques d’halothane, de sevoflurane et de desflurane alte`re les fonctions comportementales chez les rats devenus adultes mais avec une atteinte plus marque´e des apprentissages et de la me´moire avec le desflurane [35]. Ces re´sultats sont retrouve´s chez le souriceau chez qui l’exposition au desflurane 8 % induit une neuroapoptose plus importante que celle observe´e apre`s exposition a` des doses e´quivalentes d’isofluorane ou de sevoflurane [36]. Ces diffe´rences pourraient, selon une e´tude re´cente, eˆtre explique´es par des effets diffe´rents sur les fonctions mitochondriales [19].
3.2. Dose et dure´e d’exposition La notion d’un effet neurotoxique des anesthe´siques de´pendant des doses et des dure´es d’exposition est connue depuis longtemps et s’applique a` toutes les mole´cules. Pour exemple, Vutskits et al. ont montre´ in vitro qu’une faible concentration
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de propofol ou de ke´tamine entraıˆnait une diminution de la croissance dendritique tandis qu’a` forte concentration ils induisaient une apoptose [37–39]. En 2004, Scallet et al. ont publie´ une e´tude comparant diffe´rents sche´mas d’administration de la ke´tamine et confirmant son effet neurotoxique avec des injections de 20 mg/kg re´pe´te´es a` 7 reprises a` 9 h d’intervalle alors qu’il n’e´tait pas observe´ avec des injections de 10 mg/kg re´pe´te´es 7 fois ou de 20 mg/kg en dose unitaire [40]. A` partir de ces re´sultats, ils ont e´tabli une corre´lation entre les concentrations plasmatiques de ke´tamine et l’effet neurotoxique dans ce mode`le. Sur ce principe, il est possible de de´finir une marge de se´curite´ pour l’utilisation des anesthe´siques.
3.3. Association de traitements L’association de plusieurs anesthe´siques conduit souvent a` une augmentation des effets apoptotiques par rapport aux effets observe´s avec l’utilisation d’un seul produit. Pour exemple, un travail publie´ en 2003 a e´value´ l’association N2O, isoflurane et midazolam (mock anesthetic), combinaison souvent utilise´e pour des proce´dures chirurgicales longues. Cette trithe´rapie induisait des le´sions de neuro-apoptose sur un mode`le de raton. Isole´ment, aux meˆmes concentrations, le N2O et le midazolam ne montraient pas d’effet toxique, contrairement a` l’isoflurane. La combinaison de l’isoflurane et du midazolam augmentait le nombre de cellules apoptotiques et c’est avec la triple association que l’on observait l’effet le plus important. Les animaux soumis a` ce dernier traitement montraient plus tard des troubles des apprentissages et de la me´moire persistants. Ces de´ficits sont corre´le´s a` des anomalies e´lectrophysiologiques mesure´es in vitro dans les neurones de l’hippocampe [2].
4. Transposition de ces donne´es a` l’homme Ces donne´es obtenues chez l’animal sont-elles transposables a` l’homme ? Si oui, devons-nous demain changer nos pratiques d’anesthe´sie en pe´diatrie ? Les re´ponses a` ces questions devront venir d’e´tudes cliniques. Cependant, d’ores et de´ja`, il est important de souligner plusieurs aspects permettant de relativiser la porte´e de certaines donne´es expe´rimentales.
4.1. Mode`les animaux Le choix du mode`le animal de rongeurs utilise´ dans la plupart des e´tudes se comprend aise´ment : facilite´ de reproduction, moindre couˆt de gestion de petits animaux, pe´riode de de´veloppement jusqu’a` l’aˆge adulte courte. Cependant, le de´veloppement ce´re´bral, s’il suit dans les grandes lignes les meˆmes e´tapes, n’est pas du tout superposable notamment en termes de chronologie. La pe´riode de synaptogene`se chez le rongeur de´bute quelques jours avant la naissance et se poursuit pendant les 3 premie`res semaines. Chez l’homme,
elle de´bute vers la seconde moitie´ de la grossesse et s’intensifie apre`s la naissance avant de se ralentir vers l’aˆge de 3 ans. Ainsi, des dure´es d’exposition de quelques heures chez le rongeur sont probablement e´quivalentes a` plusieurs semaines chez l’homme. Pour s’affranchir de ces diffe´rences, la Food and Drug Administration (FDA) a e´labore´ un programme de recherche sur le mode`le animal le plus proche de l’homme dans son de´veloppement ce´re´bral : le primate non humain [41]. Les premiers re´sultats obtenus sur ce mode`le concernent la ke´tamine. Ils confirment un effet apoptotique en cas d’exposition prolonge´e (24 h) mais pas pour des dure´es d’exposition de 3 h [42,43]. Les le´sions obtenues apre`s 24 h d’exposition ont e´te´ associe´es a` une diminution des performances cognitives chez les animaux a` l’aˆge de 10 mois. Ces anomalies persistaient sur les tests re´alise´s a` l’aˆge de 3 ans et demi [44]. Plusieurs travaux ont e´value´ la toxicite´ d’autres drogues anesthe´siques sur ce meˆme mode`le. Les re´sultats e´tablissent que les anesthe´siques volatiles, comme l’association N2O–isoflurane ou l’isoflurane seul, entraıˆnent des le´sions d’apoptose apre`s une administration de plusieurs heures [45,46]. Ces premiers re´sultats obtenus chez le primate ne permettent donc pas d’e´carter la possibilite´ d’un effet neurotoxique chez l’homme. Un des aspects connus, et utilise´ en cas d’agression ce´re´brale chez l’homme, est la capacite´ ce´re´brale de re´paration et de compensation souvent en lien avec l’environnement : la plasticite´ ce´re´brale. Cette capacite´ existe chez le rongeur. C’est ce qu’ont montre´ Shih et al. tre`s re´cemment. Chez des rats pre´sentant des troubles de la me´moire apre`s exposition au se´voflurane, ils ont observe´ une ame´lioration de ces troubles suite a` une modification de l’environnement [47]. Ces donne´es permettent d’entrevoir ces meˆmes possibilite´s chez l’homme a` plus long terme.
4.2. Conditions expe´rimentales En dehors du mode`le animal, les conditions expe´rimentales ne correspondent souvent pas a` la re´alite´ clinique. Tout d’abord, les doses utilise´es et les dure´es d’exposition sont le plus souvent bien supe´rieures. Cette de´marche est habituelle dans la recherche expe´rimentale pour mettre en e´vidence des effets toxiques me´dicamenteux. L’e´tape suivante est de tester des doses et des dure´es d’exposition plus faibles et de de´terminer pour chaque mole´cule la dose sans effet toxique (le NOAEL [No Adverse Event Level]). La comparaison avec les sche´mas the´rapeutiques de´termine alors l’existence ou non d’une marge de se´curite´ [40]. Par ailleurs, des aspects fondamentaux de la re´alite´ clinique sont rarement pris en compte dans la mode´lisation animale : le stress et la douleur. Ces e´le´ments sont a` l’origine de modifications me´taboliques, immunologiques et humorales qui peuvent participer a` l’aggravation des le´sions ce´re´brales. Cela a e´te´ de´montre´ notamment au niveau des cellules de l’hippocampe [48]. Dans la mesure ou` l’emploi des the´rapeutiques
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anesthe´siques et se´datives vise a` diminuer cette re´ponse au stress et a` la douleur, il paraıˆt ne´cessaire d’e´valuer expe´rimentalement la balance be´ne´fice–risque des anesthe´siques. Dans ce sens, les travaux d’Anand et al. chez le rat ont mis en e´vidence, en situation de douleur d’origine inflammatoire, un be´ne´fice a` un traitement par ke´tamine sur la re´duction de la mort cellulaire [49].
5. Voies de recherche : la neuroprotection Le caracte`re indispensable des traitements anesthe´siques dans la pratique du soin du nouveau-ne´ et de l’enfant n’est pas discutable. L’inte´reˆt de mieux connaıˆtre les voies de me´diations de leur e´ventuelle toxicite´ chez l’homme est de pouvoir explorer des voies de neuroprotection. La` encore, les travaux expe´rimentaux chez l’animal sont nombreux. Parmi les voies de recherches explore´es, certaines paraissent prometteuses.
5.1. E´rythropoı¨e´tine (EPO) L’EPO et son re´cepteur (EPO-R) sont pre´sents pre´cocement dans les cellules du syste`me nerveux. L’expression de l’EPO et de son re´cepteur augmentent en re´ponse a` un stress avec des proprie´te´s de neuroprotection largement de´montre´es notamment dans des mode`les d’anoxo-ische´mie. Des effets neuroprotecteurs de l’EPO vis-a`-vis de la de´ge´ne´ration neuronale induite par isoflurane ont e´te´ mis en e´vidence chez la souris. Ces effets be´ne´fiques sont e´galement observe´s au cours du de´veloppement, avec une re´duction des difficulte´s d’apprentissage chez les animaux pre´traite´s par EPO avant une application d’isoflurane [50]. L’hypothe`se avance´e est que certains anesthe´siques pourraient inhiber la production endoge`ne EPO. E´tayant cette hypothe`se, il a e´te´ montre´ que l’isoflurane diminuait l’expression de l’ARNm de l’EPO avec un effet de´pendant de la dose en situation d’hypoxie [51].
5.2. Pre´conditionnement par les anesthe´siques De fac¸on surprenante et paradoxale, la toxicite´ des anesthe´siques peut eˆtre pre´venue par un pre´conditionnement par ces meˆmes anesthe´siques. Cela a e´te´ montre´ pour l’isoflurane [52]. De meˆme, l’injection au 6e jour de vie d’une dose de 5 mg de ke´tamine re´duit l’apoptose et l’activation de la caspase 3 que produit une injection de 20 mg de ke´tamine faite le lendemain. Le xe´non, lui, agirait en protecteur de la neuroapoptose induite par isoflurane alors qu’administre´ seul, il induit des le´sions d’apoptose [53,54]. Ces re´sultats sugge`rent qu’une exposition a` une faible dose d’un anesthe´sique peut atte´nuer les effets d’une administration a` une plus forte dose de ce meˆme anesthe´sique.
re´actions d’oxydo-re´duction. De´ja` connue pour ses effets neuroprotecteurs vis-a`-vis de l’e´thanol, il a e´te´ montre´ re´cemment qu’elle avait un effet de re´duction de la mort neuronale induite par la ke´tamine dans le cerveau en de´veloppement de rongeurs. Cet effet est suppose´ provenir d’une inhibition de la voie apoptotique intrinse`que des mitochondries. Cependant, la nicotinamide apparaıˆt e´galement comme un puissant inhibiteur des cytokines pro-inflammatoires, s’opposant peut-eˆtre e´galement aux effets neurotoxiques des cytokines IL-6, IL-1 et TNFa [55].
6. Conclusion Des donne´es expe´rimentales toujours plus nombreuses e´tablissent la re´alite´ d’une neurotoxicite´ des anesthe´siques dans des mode`les d’animaux nouveau-ne´s mais, de manie`re surprenante, aujourd’hui encore peu de donne´es cliniques et aucune e´tude e´pide´miologique convaincante ne viennent e´tayer cette hypothe`se chez l’homme. Ces donne´es ne sont donc pas suffisantes pour induire un changement de nos pratiques cliniques mais obligent la communaute´ pe´diatrique a` s’interroger sur la re´alite´ possible de ces effets chez l’enfant. La poursuite de travaux de recherche doit s’attacher a` de´finir les strate´gies me´dicamenteuses les moins a` risque et a` de´velopper des approches neuroprotectrices.
De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article.
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