ASPECTS PSYCHOLOGIQUES DE L' 'PURA TION GASTRIQUE MARTINEAU
Les m6thodes d'@uratioli digestive sont nombreus e s : vomissements provoqu6s, utilisafion de charbon activ6, lavage gastrique. Mais,aucune n'a la reputa• tion pour le soignant comme pour le soign6 d'etre aussi douloureuse que cette derniere. L'image du soin au suicidant est encore marqu6e de son sceau. Le lavage gastrique est fr6quemment employ6, c'est une m6thode qui a la r@utation d'etre agressive parfois punitive et ce dernier aspect n'est peut etre pas 6tranger ~ sa fr6quence d'utilisation... La signification latente de ce geste pour le patient ou l'6quipe soignante est variable bien stir selon les individus. Appr6hend6 par le patient encore conscient, il est parfois r6clam6 par certains patients habitu6s de l'intoxication volontaire mais, au bout du compte, la r6putafion d'@reuve douloureuse n'est-elle pas surfaite compte tenu des conditions de son accomplissement (patient dans le coma ou somnolent) ? Pour le soignant charg6 d'accomplir cette t~che ingrate, l'attitude sera fonction de sa r6ceptivit6 ~ la douleur morale d'autrui. Neutre ou compatissant, il effectue ce soin avec douceur, pr6parant par quelques paroles et gestes bien pos6s, le patient & l'accomplissement du geste savalteur. A l'inverse, exasp6r6 par la r6p6titivit6 de cette t~che ou irrit6 par un patient agit6 ou d6sagr6able, il peut transmettre au patient son ressentiment plus ou moins consciemment ou violemment et le lavage devient une 6preuve de force durant laquelle un lien sadomasochiste se tisse en lieu et place du lien soignant soign& Alors il convient de rappeler aux 6quipes soignantes et & soi-meme : le lavage gastrique est un soin et pas Ie plus anodin, il permet de sauver des vies humaines. I1 doit donc etre perqu comme un soin et seul le m6decin au vu de cfit~res strictement m6diService des urgences, CHU, F-44035 Nantes Cedex.
caux (en faisant donc abstraction de tout pr6jug6) peut en poser l'indication. Le cadre 6tant pos6 qu'en est-il du v6cu du patient ?
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Le v6cu du patient
Enqu6te (Tabl.
I, II, III)
Le psychiatre a rarement l'habitude de se poser des questions sur les modalit6s des soins qui ont pr6c6d6 la consultation. I1 a tort car ce sont souvent d'elles que d6pendra la qualit6 de la relation avec le patient. Nous avons donc pos~ quelques questions directes et simples aux patients dont on savait qu'ils avaient b6n6fici6 (en le subissant !) d'un lavage gastrique. Ces questions 6taient les suivantes : -- <
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de c o n s e n s u s en r # a n i m a t i o n
nombre de r6cidives et le patient rajoutant pour luimeme.., ou pour le psychiatre : <
Caract~ristiques de I'~chantillon Nombre
Homrne : 17 = 28,3 %
60
Femme : 43 = 71,6 % Age moyen
34 (extremes 17 g 67)
Tableau II
ROsultats simpfifi#s de I'enquOte fare auprOs de 60 patients Vous souvenez-vous avoir eu un lavage gastrique ?
pas ou peu de souvenir
se souviennent des soins
32 (53,3 %)
28 (46,7 %)
Tableau III
Cela s'est-il bien passe ?
Souvenir douloureux
Souvenir moyen
Cela s'est bien passe
9 (15 %)
(15 %)
9
10 (16,6 %)
Ce petit travail d'enqu~te avait un but : objectiver les idles peut etre routes faites du psychiatre et celles tout aussi r4solues de l'6quipe soignante sur le lavage gastrique. Alors peut-on r4pondre ~ la question : le lavage gastrique a-t-il des indications qui ne R~an. Urg., 1993, 2 (2 bis), 239-242
seraient pas mfidicales ? Une idfie reque courante serait que le lavage gastrique d~couragerait les rficidives. Cette attitude m~dicale tr~s comportementaliste ne tient pas compte de plusieurs fairs : la m~diocrit~ des capacit~s mnfisiques du patient (on vient de le voir). Un lavage effectu~ dans des conditions p~nibles (agitation du sujet) a pu etre totalement oubli6 par le patient ; - - l a fr~quence des r~cidives avec ou sans lavage, I1 faudrait une ~tude approfondie en double aveugle et ~ long terme comparant deux modes de prises en charge pour ~tre stir de l'efficacit~ du lavage gastrique dans le dficouragement des rficidives d'intoxication m~dicamenteuse (mais serait-on stir de dficourager toute r~cidive suicidaire ?) ; l'absence d'Svocation spontanfie du traumatisme du lavage gastrique ; enfin, la nature m~me du passage ~ l'acte qu'il convient peut ~tre de rappeler.
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Passage & I'acte suicidaire
La tentative de suicide par intoxication m6dicamenteuse est trhs souvent un passage ~ l'acte, c'est-~-dire qu'elle se traduit comme une action impulsive faisant une irruption soudaine dans le comportement habituel du sujet. Beaucoup de ces patients au moment du geste sont incapables d'dlaborer ou de mentaliser le conflit qu'ils vivent. La tension souvent anxieuse ou li6e a des affects incontr61ables v a s e d4charger dans une action qui sera le plus souvent autoagressive. Le choix de l'intoxication m6dicamenteuse par psychotropes, si fr6quent, n'est pas seulement le fruit du hasard : la recherche d'un sommeil profond dont on n'est pas stir de se r4veiller est encore le meilleur chemin d'apaisement des tensions (beaucoup de patients dfnient leurs intentions suicidaires affirmant qu'ils voulaient simplement dormir). Le geste suicidaire est le plus souvent impr4visible pour l'entourage, les soignants mais aussi singulihrement pour le patient lui-m~me. Ce caract6re impr6visible de l'acte, seul moyen d'expression de ses difficult4s pour le sujet rend toute pr6vention bien al4atoire (hors maladies psychiatriques identifi4es). En cons4quence, il n'existe pas de th6rapeutique miracle qui emp4che la r6cidive. Le patient est incapable d'utiliser son exp6rience et il y a absence totale d'anticipation, tout particuli6rement des consfquences m4dicales. Ainsi, aucune exp4rience si douloureuse soit-elle ne peut servir r6ellement de r4troaction n6gative pour 4viter un nouveau passage l'acte. On n'apprend pas ~ ne passe suicider ! Dans le passage ~ l'acte, il y a une sorte de <
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Quand indiquer le lavage gastrique ?
Chez I'enfant La plupart des intoxications sont involontaires en ce sens qu'elles n'ont pas un but autoagressif ou suicidaire. Le lavage gastrique se fera sur indication m~dicale mais il ne saurait ~tre une leqon ~ aspect punitif pour eviter des recidives. La simple hospitalisation de l'enfant avec la dramatisation qui l'entoure est suffisamment traumatisante (separation de la m~re, douleurs physiques) pour que l'equipe soignante soit consciente de son r01e clans l'apaisement de la souffrance. I1 faut eviter de provoquer par des soins brutaux des nevroses traumatiques avec constitution de comportements phobiques ou d'angoisses. Chez I'adulte I1 n ' y a pas d'indication psychiatrique de lavage gastrique. Cette methode d'@uration digestive comme routes les autres est du ressort du reanimateur qui prend la decision sur des critSres purement medicaux. De m~me, les contre-indications sont rares. Moins le psychiatre intervient darts la decision lots de cette premiere etape, mieux le patient s'en portera, meilleure sera aussi la relation. I1 est inutile de pratiquer un lavage gastrique quand on connait les molecules absorbees, la quantite ingeree et la modicite des effets sur la sante ou la conscience clu sujet. Mais le lavage gastrique est souvent pratique par mesure de securite quand le clinicien doute des renseignements obtenus par l'entourage ou le patient luim~me ou doute de ses propres impressions ou constatations cliniques. L'expefience montre pourtant que le patient qui peut s'exprimer a plus tendance ~ exagerer l'importance de l'intoxication (en terme de hombres de comprimes ingeres) qu'~ la minorer. Le medecin urgentiste devra donc corroborer les donnees de son examen clinique, de l'interrogatoire du patient et surtout, de l'entourage immediat (famille, medecin, pompiers ou S A M U sur les lieux) qui permettent de connaitre, outre le traitement habituel du patient, le contenu de la pharmacie familiale ou les recentes ordonnances. La dissimulation est plus exceptionnelle qu'on pourrait legitimement le craindre ; la tentative de suicide n'etant pas toujours une tentative de mourir et certains psychiatres cultivant le paradoxe jusqu'~ dire que le suicide est tr~s souvent l'echec de la tentative. Donc, avant d'indiquer l'@uration gastrique notamment par lavage, il convient de situer le contexte : celui du patient : quels sont ses antecedents de tentative de suicide, de conduites addictives ou de pathologie mentale averee ? -
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-- celui de l'urgentiste : quelle confiance fait-il au patient mais aussi ~ sa propre experience et quels sont ses fantasmes ou ses craintes ? -- celui du risque : quel est le risque reel encouru du fait de cette intoxication et quel est le risque d u lavage lui-meme ? Risque somatique bien st~r mais aussi psychologique car quand la rencontre avec le soignant ne se fait pas, l'appel ne peut ~tre entendu et risque de ne pas 6tre r@ete pour aboutir, la fois suivante peut etre, ~ un fatal passage & l'acte.
Importance de soin medical et conditions du bon usage du lavage gastrique Si lavage gastrique il y a, il doit ~tre pratiqu~ dans un environnement <~suffisamment bon )~pour reprendre l'expression de Winnicott au sujet des qualites maternelles. Je n'insisterai pas sur les conditions de securite medicales qui sont la plupart du temps prises et efficaces, mais plut0t sur les conditions dans lesquelles se passe le lavage, particuli~rement quand le patient est conscient. L'urgentiste, l'interne on l'infirmi~re doivent expliquer au sujet mais aussi sa famille (quand le suicidant est un adolescent) le geste therapeutique, son deroulement, en dedramatisant la situation. Ils doivent surtout comprendre que si le sujet est 1~ c'est parce qu'il souffre et ne pas laisser entendre que d'autres m a l a d e s , plus serieux ~ attendent comme si, en medecine, la d~tresse ne pouvait ~tre que somatique. Mais, l'etat de sante de beaucoup de patients ne necessitera pas toujours l'usage d'une methode d'@uration gastrique. Cette abstention ne doit justifier en aucun cas, l'abstention de tout soin somatique. Toute intoxication m~me d'appafence b~nigne doit passer dans un service d'urgence car c'est le lieu de la prise en compte de l'evenement. Ne pas intervenir, c'est ne pas entendre l'appel qui est fait. Le patient s'adresse ~ nous par son corps souffrant. Nous nous devons de l'ecouter et donc d'entamer le soin par une approche corporelle qui n'est pas exclusive d'une ecoute de la parole si le patient exprime le d~sir de poser des mots sur ce passage ~ l'acte. La surveillance du patient, le soin ~ son corps, la pose d'une voie d'abord (le goutte ~ goutte salvateur et magique) sont autant d'elements therapeutiques qui ouvrent le patient au soin psychologique et permettront un entretien psychiatrique que l'on espSre fructueux : resolution de la crise, orientation adequate (hospitalisation, projet psychotherapique ult~rieur, etc.). L'urgentiste par cette premiere approche reassocie la psych~ clu sujet avec le corps qu'elle vient de martyriser. Le dualisme de l'approche -- au somaticien le corps, au psychiatre l'esprit -- ne doit jamais conforter le clivage corps-psyche mais au contraire permettre par une collaboration etroite la reconstiR~an. Urg., 1993, 2 (2 bis), 239-242
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tution ~ partir du patient objet (de nos soins !) un patient sujet.
En conclusion, les techniques d'@uration gastrique sont avant tout des techniques m6dicales. Les indiquer hors danger pour les patients, c'est les d~valuer. Un lavage gastrique n'a jamais d6courag6 quiconque de recommencer. Ce raisonnement soignant parfois encore en usage est un raisonnement projectif d'une personne fie soignant) qui ne vit pas au moment o~ elle soigne les conditions de crise, de rupture, de d6tresse du patient qu'aucune menace ne d6tournerait de son geste. Le patient veut rompre avec son quotidien ; cela peut etre par la mort, plus souvent heureusement, cela sera par un coma plus ou moins prolong& Un geste doit authentifier la rupture : le coma s6pare l'avant de l'apr~s et il a une foncfion dans l'6conomie psychique du sujet et dans son 6volution ult6rieure. Respecter toutes les 6tapes du soin en leur accordant une importance egale est seul garant d'une II II II
Rean. Urg., 1993, 2 (2 bis), 239-242
bonne prise en charge de ces patients. Le patient est arriv6 en corps souffrant, il doit ressortir de l'urgence en sujet capable, nous l'esp~rons, de maitriser sa souffrance pour trouver des solutions ~ ses propres difficult6s, c'est-~-dire, que nous devons lui permettre de mieux 61aborer ses conflits pour miettx maitriser ~ terme, ces ruptures qui 6maillent le cours de chaque existence.
R~f6rences [1] ADAMSR.H.M. - - An accident and emergency departement's view of sel-poisoning : a retrospective study from the United Norwick Hospitals 1978-1982, Hum. toxicol., 1986, 5, 5-10. [2] BLAKE D.R., BRAMBLE M.G., GRIMLEY EVANS J. - - Is there excessive use of gastric lavage in the treatment of selfpoisoning ? Lancet, 1978, iii, 1362-1364. [3] OLSONE., MCENRUEJ., GRENBAUMD.M. - - Recognition, general considerations, and techniques in the management of drug intoxications. Heart-Lung, 1983, 12, 110-114. [4] WRIGHT M. - - An assessment of the unreliability of the history given by self poisoned patients C/in. Toxicol., 16, 381-384.