Asthme et obésité, effets synergiques

Asthme et obésité, effets synergiques

Revue des Maladies Respiratoires Actualités (2015) 7, 176-179 ISSN 1877-1203 Revue des Maladies Respiratoires Organe Officiel de la Société de Pneu...

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Revue des Maladies Respiratoires Actualités (2015) 7, 176-179 ISSN 1877-1203

Revue des

Maladies

Respiratoires Organe Officiel de la Société de Pneumologie de Langue Française

Actualités Mission CPLF 2015

Disponible en ligne sur

Congrès de Pneumologie de Langue Française Lille, 31 janvier - 1er février 2015 Fil rouge : Interactions poumon et autres organes Fil orange : Asthme Numéro coordonné par O. Sanchez

www.sciencedirect.com 85189

Numéro réalisé avec le soutien institutionnel du laboratoire

www.splf.org

Mai Vol. 7 2015



2

ASTHME DE PHÉNOTYPE PARTICULIER

Asthme et obésité, effets synergiques  Obesity and asthma Article rédigé par S. Clerc*,  d’après la communication de C. Taillé1 Service de Pneumologie, Hôpital Bichat-Claude Bernard, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris 75018 Paris, France 1

MOTS CLÉS 

Asthme ; Obésité ; Hyperréactivité bronchique ; Réduction pondérale

kEyWORDS 

Asthma; Obesity; Bronchial hyperresponsiveness; Weight loss

Résumé L’asthme et l’obésité sont deux maladies associées sur le plan épidémiologique qui partagent des gènes de susceptibilité communs. L’obésité est un facteur d’aggravation de l’asthme clairement démontré par l’existence de comorbidités comme le syndrome d’apnée du sommeil ou le reflux gastro-œsophagien, mais aussi par l’hyperréactivité bronchique liée aux modifications de la mécanique ventilatoire. De plus, l’obésité, via l’inflammation qu’elle entraine notamment au niveau du tissu adipeux, participe à l’activation, au recrutement et à la séquestration d’éosinophiles au niveau de la paroi bronchique et majore l’hyperréactivité bronchique. L’asthme a probablement un rôle aggravant dans l’histoire de l’obésité par la restriction d’activité physique qu’il entraîne et les cures de corticothérapies, mais ce rôle n’a pas encore pu être clairement démontré. Au niveau thérapeutique, il est maintenant clairement démontré que la réduction pondérale et l’activité physique régulière ont un rôle bénéfique sur le contrôle de l’asthme des obèses. Ce qui renforce les recommandations insistant sur les règles hygiéno-diététiques et d’activité physique pour tous les asthmatiques. © 2015 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Asthma and obesity are associated in epidemiological studies and both share a genetic susceptibility. Obesity is a risk factor for uncontrolled asthma because of many associated co-morbidities like obstrucive sleep apnoea, gastro-oesophageal reflux and bronchial hyperreactivity related to changes in ventilatory mechanics. Moreover, adipose tissue inflammation caused by obesity leads to eosinophil recruitment, their activation in the bronchial wall and an increase in bronchial hyperreactivity. Asthma may be pejorative for the evolution of obesity because of corticosteroid treatment and physical inactivity, but no evidence for this has yet been shown. Treatment of obesity by regular physical activity and weight loss, has been shown to improve asthma symptoms in many studies. This should encourage the use of dietetic measures and exercise in the management of asthma. © 2015 SPLF. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

*Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Clerc). © 2015 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Asthme et obésité, effets synergiques

Liens entre asthme et obésité Les liens entre asthme et obésité sont connus depuis longtemps et sont d'abord basés sur des données épidémiologiques retrouvant une augmentation parallèle de la prévalence de ces deux maladies dans les pays occidentalisés. Des cohortes américaines retrouvent une prévalence plus importante de l'asthme chez les obèses et notamment chez les femmes. Ces résultats montrent également que la prévalence de l'asthme croit avec le degré d'obésité  : entre 5 et 10  % chez les patients en simple surpoids, elle peut aller jusqu'à plus de 40 % chez les femmes en obésité morbide [1]. L'association inverse est également valable. En étudiant des cohortes d'asthmatiques, on retrouve une prévalence plus importante de l'obésité que dans la population générale et cette prévalence augmente avec la sévérité de l'asthme : la prévalence est de l'ordre de 30 % chez les asthmatiques bien contrôlés alors qu’elle dépasse 60 % chez les asthmatiques sévères. Ces données sont probablement surestimées par le fait que la plupart des études sur le sujet sont réalisées sur des cohortes américaines avec une prévalence plus importante de l'obésité qu'en Europe. L'asthme et l'obésité sont deux maladies dont la part héritable, c’est-à-dire le rôle des facteurs génétiques dans l’apparition d’un trait phénotypique, est importante, évaluée à 40-70 %. Ces gènes de susceptibilité communs aux deux maladies concernent par exemple les gènes ADRB2 codant pour les récepteurs β2 adrénergiques, VDR codant pour le récepteur de la vitamine  D, LEP codant pour la leptine, PRKCA codant pour la protéine kinase C α et les gènes codant pour la voie du TNFα. La prévalence de l'hyperréactivité bronchique chez des femmes ayant une obésité morbide est évaluée à 48 % [2]. Cela serait expliqué sur le plan physiopathologique par la réduction des volumes pulmonaires dans l'obésité qui serait responsable d'une réduction du calibre des voies aériennes et d’une modification des propriétés contractiles des muscles lisses bronchiques. Les obèses développent également plus fréquemment des pathologies favorisant l'apparition d'un asthme comme le reflux gastro-œsophagien et le syndrome d'apnée obstructive du sommeil.

L'obésité aggrave-t-elle l'asthme ? Plusieurs études montrent que les obèses ont souvent un asthme moins bien contrôlé par rapport à la population d'asthmatiques non obèses. On retrouve notamment une consommation plus importante de β2 mimétiques, un plus faible pourcentage de patients contrôlés sous corticostéroïdes inhalés, des hospitalisations et des séjours plus fréquents lors des exacerbations chez les obèses. D'autres études suggèrent une dyspnée plus fréquente mais elles peuvent être biaisées par les comorbidités causant une dyspnée chez l'obèse comme le déconditionnement à l'effort ou les pathologies cardiovasculaires. En revanche, on ne retrouve pas de différence significative de VEMS entre les asthmatiques obèses et les non obèses. Au niveau biologique, les macrophages alvéolaires ont une moins bonne réponse biologique aux corticoïdes oraux chez l'obèse. Ces résultats sont contredits par une

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étude récente ne montrant pas de différence en termes de symptôme, de consommation de corticostéroïdes inhalés et d'hospitalisation chez des adolescents asthmatiques obèses et non obèses [3].

L’obésité peut-elle constituer   un phénotype d’asthme ? Des études de clusters ont permis de mettre en évidence des catégories phénotypiques chez les asthmatiques obèses en différenciant ceux ayant un asthme bien contrôlé de ceux avec un asthme mal contrôlé. Les obèses avec un asthme mal contrôlé ont en moyenne un asthme ayant débuté plus tôt (10 ans vs 16,1 ans) avec un IMC plus faible (34,7 kg/m2 vs 38,5kg/m2), une fraction exhalée du NO plus élevée et un taux d'IgE plus élevé que les obèses asthmatiques bien contrôlés (Tableau 1). Dans d'autres études de cluster, on identifie un sous-groupe de femmes d’âge moyen, avec un asthme de début tardif, où la prévalence de l’obésité est particulièrement élevée. Cependant, le pourcentage d'obèses est important dans tous les autres clusters. L'obésité joue donc un rôle dans l'asthme mais ne suffit pas à définir à elle seule un phénotype particulier. Une des autres hypothèses serait que l'obésité, via l'inflammation systémique qu’elle provoque, entrainerait une inflammation bronchique particulière. Les mesures de marqueurs biologiques de l'inflammation bronchique sont décevantes dans ce domaine. Le dosage du NO exhalé retrouve une diminution de la FE NO en fonction du BMI probablement en raison d'une modification du métabolisme du NO chez les obèses et il n'existe pas de différences des taux de neutrophiles, d'éosinophiles, d'IL-6 et d'IL-8 dans les expectorations induites et dans les prélèvements sanguins entre les asthmatiques obèses et non obèses. En revanche, en réalisant des biopsies bronchiques chez des obèses asthmatiques et non asthmatiques, on retrouve des différences d'inflammation du compartiment tissulaire bronchique avec un taux plus important d'IL-5 et d'éosinophiles dans la paroi bronchiques des asthmatiques obèses. Le modèle physiopathologique proposé serait une activation des macrophages au niveau du tissu adipeux de l'obèse entrainant une cascade inflammatoire encore mal connue mais faisant probablement intervenir la leptine et l'adiponectine et conduisant à une séquestration des éosinophiles dans le secteur interstitiel bronchique participant à l'hyperréactivité bronchique et à l'asthme (Fig. 1). L'inflammation bronchique dans l'obésité dépend probablement de plusieurs voies différentes encore incomplètement comprises. On a pu mettre en évidence une expression des gènes de la série Th2 sur le brossage bronchique chez des asthmatiques obèses dans seulement 41 % des cas, soit une proportion similaire à celle des non obèses. Un certain nombre de marqueurs de la voie Th1 sont également retrouvés chez des asthmatiques obèses. En cas d'inflammation Th2 chez l'asthmatique obèse, on constatait un asthme plus sévère que chez les asthmatiques obèses « non Th2 ». Des modèles de souris obèses retrouvent une activation de la voie inflammatoire IL-17 qui participe au développement de l’hyperréactivité bronchique. Ces résultats n'ont pas encore été vérifiés chez l'homme

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C. Taillé

Tableau 1. Analyse ancilaire de l’étude BASALT. Analyse de Cluster en fonction de l’obésité et du contrôle de l’asthme [4]. Nonobese female

Nonobese male

Obese uncontrolled

Obese wellcontrolled

asthmatics

asthmatics

asthma

asthma

p

1

2

3

4

– 

n

114

52

30

54

– 

Sex (% male)

18

83

17

24

< 0,01

Race (% white)

77

67

37

26

< 0,01

Age at onset (years)

19,1 (16,1)

9,8 (11,8)

10,0 (10,8)*

16,1 (13,9)*

< 0,01

Asthma duration (years)

18,3 (11,3)

26,2 (11,5)

25,9 (12,0)

24,6 (12,9)

< 0,01

BMI (kg/m2)

25,8 (5,0)

26,9 (4,4)

34,7 (8,0)

38,5 (9,2)

< 0,01

FVC (L)

3,8 (0,7)

4,9 (1,3)

3,2 (0,9)

3,3 (0,9)

< 0,01

FEV1 (% predicted)

87,7 (12,1)

82,3 (16,4)

73,5 (9,0)

75,5 (11,1)

< 0,01

FEV1/FVC (%)

74,1 (8,7)

68,5 (8,7)

71,5 (8,0)

69,7 (8,0)

< 0,01

PC20, mg/mL†

1,2 (1,2)

1,6 (1,3)

0,7 (1,2)*

1,5 (0,9)*

0,02

ACQ Score

0,8 (0,7)

0,8 (0,6)

1,8 (1,0)*

0,9 (0,9)*

< 0,01

AEQ Score

0,5 (0,6)

0,4 (0,5)

1,3 (0,9)*

0,7 (0,8)*

< 0,01

FENO (ppb) †

20,8 (0,6)

21,6 (0,6)

24,8 (0,7)*

14,9 (0,7)*

< 0,01

Eosinophils (%) †

0,8 (0,9)

0,9 (1,0)

0,8 (1,1)

0,7 (0,9)

0,44

IgE (IU/mL) †

78,1 (1,7)

99,8 (1,3)

201,9 (1,5)

146,1 (1,4)

< 0,01

hsCRP (mg/L)†

1,3 (1,3)

0,8 (1,1)

4,2 (1,2)

4,5 (1,1)

< 0,01

Interleukin-6 (pg/mL)†

1,2 (1,0)

0,9 (0,6)

1,9 (0,7)

2,1 (0,7)

< 0,01

TNFα (pg/mL)†

2,0 (1,0)

1,4 (0,4)

1,4 (0,6)

1,5 (0,7)

0,03

Adiponectin (mcg/mL)†

10,2 (0,6)

4,8 (0,6)

6,3 (0,7)

4,9 (0,7)

< 0,01

Leptin (ng/mL)†

9,3 (1,0)

3,4 (1,3)

23,1 (0,9)

29,3 (0,8)

< 0,01

26

21

37

43

0,06

Cluster number

Use of medium/high-dose ICS (%)

L'asthme aggrave-t-il l'obésité ? Il existe peu de données de surveillance de la prise de poids chez les asthmatiques. Plusieurs éléments présents dans la maladie asthmatique, comme la réduction de l'activité physique et la corticothérapie à forte dose peuvent en toute logique participer à la prise de poids. Cette impression dans la pratique clinique est à confirmer par des données épidémiologiques.

Prise en charge spécifique de l'asthme   de l'obèse Plusieurs études randomisées contre placebo montre qu'une perte de 5 à 10 % du poids corporel par diverses manières (chirurgie bariatrique, régime ou augmentation de l'activité physique) améliore de manière significative le contrôle de l'asthme et l'inflammation  [6]. L'efficacité de la réduction pondérale sur le contrôle de l'asthme est d'autant plus

Asthme et obésité, effets synergiques

Lean

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Obese

Obese Asthma

Delay in Eosinophil Crossing to Airway Lumen

A

Visceral Adipose Tissue

AHR

Leptin

B

Adiponectin Eosinophils

Decreased eosinophils

IL- 4, IL 13 Sustain AAM

Redis tribut ion o f Eos inoph ils ?

Asthma Severity

Decreased AAM

Increased Efferocytosis

C

Increased CAM TNF - α, IL - 6, IL - 8, IL - 1β AAM

Steroid Resistance CAM

- Eosinophils Survival Chemotaxis Adhesion Response to Eotaxin

Increased Tissue Residence of Eosinophils

Decreased Efferocytosis of Alveolar Macrophages Increased Alveolar CAM ? Eosinophils

Figure 1. Modèle physiopathologique de l’inflammation péri-bronchique dans l’obésité (Kim SH, Sutherland ER, Gelfand EW. Is there a link between obesity and asthma? Allergy Asthma Immunol Res 2014;6:189-95 [5]).

importante que l'asthme est sévère. Ces résultats encouragent fortement l'inclusion d'une prise en charge diététique dans la prise en charge globale de l'asthme. L'exercice physique, déjà présent dans les recommandations de prise en charge de l'asthme, doit donc être activement encouragé.

Liens d’intérêts C. Taillé  : perception d’honoraires pour participation à des groupes d’expert et des actions de formation : GSK. S. Clerc : rémunération, avantages à titre personnel et invitation à des congrès : Boehringer Ingelheim.

Références [1] Hallstrand TS,  Fischer ME,  Wurfel MM, Afari N,  Buchwald D, Goldberg J. Genetic pleiotropy between asthma and obesity in a community-based sample of twins. J Allergy Clin Immunol 2005;116:1235-41. Epub 2005 Nov 8. [2] Essalhi M, Gillaizeau F, Chevallier JM, Ducloux R, ChevalierBidaud B, Callens E, et al. Risk factors for airway hyperresponsiveness in severely obese women. Respir Physiol Neurobiol 2013;186:137-45. [3] Rastogi D, Fraser S, Oh J, Huber AM, Schulman Y, Bhagtani RH, et al. Inflammation, Metabolic Dysregulation, and Pulmonary Function among Obese Urban Adolescents with Asthma. Am J Respir Crit Care Med 2015;191:149-60. [4] Sutherland ER, Goleva E, King TS, Lehman E, Stevens AD, Jackson LP, et al. Asthma Clinical Research Network: Cluster analysis of obesity and asthma phenotypes. PLoS One 2012;7:e36631. [5] Kim SH, Sutherland ER, Gelfand EW. Is there a link between obesity and asthma? Allergy Asthma Immunol Res 2014;6:189-95. [6] Dixon AE, Pratley RE, Forgione PM, Kaminsky DA, WhittakerLeclair LA, Griffes LA, et al. Effects of obesity and bariatric surgery on airway hyperresponsiveness, asthma control, and inflammation. J Allergy Clin Immunol 2011;128:508-15.