à tenir thérapeutique
Attitude devant un jeune enfant qui « ne dort pas » M.-J. Challameli1), P. Francol 2l (" Unité Inserm 628, université Claude Bernard, Lyon '" Unité de sommeil de l'enfant, Hôpital Debrousse, 29 rue sœur Bouvier, 69005 Lyon. email: challame/@univ-Iyon 1.Fr
Résumé Les difficultés de sommeil du jeune enfant sont fréquentes: 20 à 30 p. 100 des enfants de 2 - 3 ans réveillent régulièrement leurs parents. Quatre circonstances, souvent associées entre elles, entraînent des difficultés d'endormissement et/ou des éveils nocturnes: un conditionnement anormal à l'endormissement, l'enfant ne s'est jamais ou ne sait plus s'endormir sans l'aide de ses parents, au coucher et/ou lors des éveils nocturnes; - un syndrome de prise alimentaire nocturne entraînant une consommation excessive de liquide pendant la nuit; - des difficultés de insuffisance de limites;
sommeil
par
- des troubles de l'installation du rythme jour/nuit par manque de donneurs de insomnies organiques temps. Les représentent moins de 20% des cas, mais elles doivent être systématiquement exclus. Le thérapeute devra : écouter et rassurer les parents, évaluer la durée du sommeil, son organisation diurne et nocturne sur un agenda de sommeil. Le
traitement est très rarement pharmacologique. Il repose le plus souvent sur des principes d'hygiène de sommeil et un abord comportemental.
Summary The prevalence of sleep disorders in young children is estimated to be between 20 and 40 % in 2-3 years-old. They are 3 main causes of sleeplessness in early childhood : - sleep association disorder when the child is unable to fall asleep by himself or when waking at nightnocturnal drinking disorder and - Iimit -setting disorder. These causes are very often complicated by irregular sleep/wake schedule disorders. Organic causes are present in less than 20% of the cases, but they should be excluded. A proper diagnosis is important for a car{:!fully designed intervention. The assessment of a child with sleep disorders should include a detailed history sleep and medical history of the child and his parents, and a sleep log. Treatment should be adapted to the cause. Education of the parents is most important.
Mots-clés
Keywords
Jeune enfant, insomnie, étiologies, prise en charge, abord comportemental.
Early childhood, sleeplness, causes, assessment.
MEDECINE DU SOMMEIL - Année 1- Janvier - Février - Mars 200S
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à tenir thérapeutique Les difficultés de sommeil du jeune enfant sont fréquentes: 20 à 30 p.l 00 des enfants de 2-3 ans réveillent régulièrement leurs parents. Elles correspondent à une plainte des parents. Elles se traduisent par des difficultés d'endormissement avec opposition au coucher ou pleurs, des éveils nocturnes (souvent multiples, mais brefs) ou plus rarement par une nuit écourtée. Elles conduisent rarement à une diminution anormale du temps de sommeil. Les véritables insomnies sont rares (moins de 20 p.l 00 des enfants vus en consultation spécialisée pour des troubles du sommeil).
surtout s'ils surviennent la nuit; parents qui cèdent parfois par peur de réveiller un autre enfant ou les voisins ou parce qu'ils sont épuisés. De troubles de l'installation du rythme jour/nuit
La peur qu'un enfant n'ait pas assez dormi, les conseils souvent donnés de ne jamais réveiller un enfant qui dort, font que très souvent les difficultés d'endormissements ou les éveils nocturnes se compliquent d'un trouble de l'installation du rythme circadien de 24 heures. Il s'agit le plus souvent d'un retard de phase favorisé par:
DIFFICULTES NOCTURNES
D'ENDORMISSEMENT
ET
EVEILS
- une opposition au coucher avec couchers et levers tardifs,
Quatre circonstances, souvent assoclees entre elles, entraînent des difficultés d'endormissement et/ou des éveils nocturnes, il s'agit de :
- des éveils nocturnes avec sommeil « rattrapé» le matin (ces levers tardifs même s'ils ne surviennent que 2 fois par semaine peuvent entraîner tous les jours un décalage des siestes et surtout du sommeil nocturne),
Un conditionnement anormal à l'endormissement
- une sieste trop précoce après le réveil du matin (avant 9 heures).
Chez l'enfant de moins de 3 ans, le trouble le plus fréquent est un conditionnement anormal à l'endormissement : l'enfant ne s'est jamais endormi seul ou ne sait plus s'endormir seul. 1/ est incapable de s'endormir sans biberon, sans être bercé, sans être promené en voiture ou couché contre ses parents, sans leur présence jusqu'à l'endormissement; celui-ci est parfois long mais peut aussi être bref. Le sommeil avant minuit est généralement très stable, des éveils multiples surviennent à partir de minuit. Ces éveils sont physiologiques; ils surviennent à chaque changement de cycle, toutes les heures chez l'enfant de moins de 2 ans. Le problème n'est pas celui des éveils mais réside dans l'incapacité de l'enfant à s'endormir seul, sans l'aide de ses parents. Les endormissements nocturnes sont généralement rapides «10 minutes), si toutes les conditions (ou presque) du premier endormissement sont redonnées. Un syndrome de prise alimentaire nocturne
Ces éveils multiples se compliquent très souvent d'un excès de liquide nocturne. On parle d'excès de liquide lorsque la quantité de liquide nocturne, eau, lait ou sirop, dépasse, chez un enfant de plus de 6 mois, 200 grammes par nuit. La distension vésicale provoquée par l'excès de liquide multiplie les éveils. Ce trouble s'accompagne fréquemment de difficultés alimentaires diurnes. De difficultés de sommeil par insuffisance de limites
Ce trouble correspond à une incohérence des routines de coucher proposées à l'enfant, à un manque de fermeté des parents qui se laissent débordés par les multiples demandes de l'enfant pour éviter d'être mis au lit ou pour sortir de son lit. Parents qui se sentent coupables de dire non, qui ont peur des pleurs de l'enfant ou de ses caprices,
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PRISE EN CHARGE
Avant 6 mois
Il faut prévenir les troubles du sommeil du petit enfant en: - en favorisant /'installation du rythme jour/nuit. Un rythme circadien stable sur 24 heures peut apparaître très vite, dès l'âge de un mois chez les enfants nés à terme, si des donneurs de temps sont amenés. Il s'agit chez le nouveauné de la relation mère-enfant qui doit être plus neutre dans la nuit, très tôt de l'alternance du jour et de la nuit. Un peu plus tard, la régularité des prises alimentaires et leur disparition progressive dans la nuit; la régularité des moments de promenade et d'échanges; celle des heures de sieste, de coucher et surtout de réveil le matin. Ces donneurs de temps vont aider le nourrisson dans l'installation de ce rythme; - en donnant progressivement l'habitude aux petits nourrissons de s'endormir seuls dans leur lit, dans leur chambre, - en évitant assez vite d'associer alimentation et endormissement. Après 6 mois
Si des difficultés apparaissent ou persistent après 6 mois, il est très important de prendre en charge la plainte des parents, de prendre le temps de les écouter, de les rassurer, cette prise en charge se fait en présence de l'enfant et après que les parents aient rempli un agenda de sommeil (figure 1) qui permet d'évaluer la durée du sommeil et son organisation diurne et nocturne. C'est autour de cet agenda que s'organisera le dialogue entre les parents, l'enfant et le thérapeute. MEDECINE DU SOMMEIL - Année 1- Janvier - Février - Mars 2005
M.:). Chal/ornel, P. Franco
Oh
2h
Anitude devant un jeune enfant qui « ne dort pas »
4h
6h
20h
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22h
Oh
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Figure 1 : Agenda sur 10 jours chez une enfant de 2 ans et demi ne pouvant s'endormir sans biberon et sans la présence de ses parents. Il existe un syndrome de prise alimentaire nocturne, les parents sont incapables de donner des limites. B = biberon, R = repas, en noir les éveils avec pleurs, en blanc les éveils calmes, en hachuré les périodes de sommeil.
Le thérapeute doit:
- interroger les parents sur la qualité de le,,!r sommeil, leurs antécédents médicaux et ceux de leur enfant;
- évaluer la durée et les besoins de sommeil de l'enfant. L'évaluation des besoins de sommeil propres à chaque enfant est parfois difficile puisqu'il existe très vite des enfants grands et petits dormeurs. La possibilité d'une privation de sommeil doit donc être évaluée sur le comportement diurne de l'enfant: un enfant anormalement hyperactif, fatigable, et irritable manque probablement de sommeil ; en revanche, même si le temps de sommeil paraît peu important, il est probablement suffisant si l'enfant est calme, indépendant et émotionnellement stable;
- rechercher certaines circonstances qui ont pu accompagner l'apparition du mauvais sommeil, en particulier si l'enfant a eu une période de nuits complètes. Il peut s'agir :de la reprise du travail de la mère, de l'apprentissage de la marche, de la propreté; de l'entrée en halte-garderie, à l'école maternelle, d'un mode de garde trop multiple (l'enfant manque de repères) ;du décès d'un grand-parent ; d'une pathologie transitoire de l'enfant surtout si celle-ci a entraîné une hospitalisation. Il peut s'agir aussi: de la naissance d'un autre enfant, d'un déménagement, de problèmes scolaires, d'une séparation des parents. Toutes ces circonstances favorisent transitoirement un mauvais sommeil et une dépendance de l'enfant pour s'endormir. Si les troubles persistent, ils peuvent être le reflet de MEDECINE DU SOMMEIL - Année 1- Janvier - Février Mars 200S
difficultés psychologiques plus importantes, d'une anxiété anormale de l'enfant ou des parents, d'une dépression parentale, de difficultés de séparation parentenfant;
- éliminer une étiologie organique • sur la recherche de certains symptômes:
- l'existence d'un ronflement sonore, de troubles alimentaires, de régurgitations anormales, - l'existences d'éveils nocturnes longs (supérieurs à 15 minutes) associés ou non à un temps de sommeil sur les 24 heures très diminué (de plus de 2 heures par rapport à la moyenne pour l'âge), - l'existence d'éveils apparaissant dès la première partie de la nuit, (il peut s'agir d'éveils confusionnels fréquents chez les jeunes enfants), d'un sommeil agité entre les éveils, - la présence d'une fatigue diurne, de siestes inopinées, d'une hyperactivité pathologique, - la présence de troubles du comportement : timidité anormale, agressivité. • sur l'examen de l'enfant. Certaines données apportées par l'examen de l'enfant pourront orienter vers la recherche d'une cause organique: la présence d'un retard staturopondéral ou d'une cassure de la courbe de poids, plus rarement d'un excès de poids, l'existence d'un examen neurologique ou psychomoteur anormal;
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à tenir thérapeutique - éliminer en présence d'une insomnie vraie une étiologie organique:
quelque contenance qu'il soit, dans un environnement qu'il retrouvera seul au moment des éveils nocturnes;
• Quelques unes sont évidentes: les déficits neurologiques avec ou sans déficits sensoriels (cécités en particulier) et/ou épilepsie. Certains de ces déficits, plus souvent d'origine génétique comme les syndromes de Rett, de Willi-Prader, d'Angel man, de Smith Magenis, seront presque systématiquement associés à des insomnies graves liées à des troubles spécifiques de l'installation du rythme circadien et/ou des anomalies de la structure du sommeil et des apnées du sommeil.
- donner des limites. S'il existe des pleurs ou chez l'enfant un peu plus grand une opposition au coucher, il faut insister pour que des limites soient apportées, mais il faut aussi dans un premier temps reculer l'heure du coucher, conseiller de coucher l'enfant à l'heure où il est le plus souvent endormi, ce qui favorise l'endormissement puis revenir très progressivement de 5 minutes en 5 minutes à une heure de coucher qui correspond plus à son âge et à ses besoins en sommeil;
• Une affection médicale: Chez les plus jeunes enfants, il faut systématiquement éliminer: une otite chronique, un reflux gastro-oesophagien, une allergie aux protéines du lait de vache, une erreur diététique (allaitement maternel exclusif de très longue durée, volumes alimentaires insuffisants ou excessifs, apport lipidique insuffisant ou consommation excessive de protéines). Ces étiologies sont très fréquemment la cause des difficultés de sommeil du jeune nourrisson, mais des difficultés vont souvent habitudes persister, en raison de mauvaises d'endormissement prises. Chez tous, il faut penser à un syndrome d'apnée du sommeil, à une éventuelle cause médicamenteuse : traitement par psychostimulants, corticoïdes.... L'asthme, l'eczéma sont également fréquemment associés à une insomnie, de même que les diabètes insipide et insu lino-dépendant du fait de la pollackiurie.
- supprimer les conditionnements. Lorsqu'il existe un conditionnement à l'endormissement et que la présence des parents est nécessaire il faut apprendre à l'enfant à s'endormir seul, le laisser progressivement pleurer au moment des siestes et du sommeil nocturne (encadré) ;
• Une cause psychologique ou psychiatrique : troubles anxieux, précocité, dépression, syndrome d'hyperactivité avec trouble de l'attention, autisme, carences affectives graves.
CONDUITE A TENIR THERAPEUTIQUE
Le traitement est très rarement pharmacologique. Il repose essentiellement sur des principes d'hygiène de sommeil et un abord comportemental.
- supprimer les alimentations nocturnes. S'il existe un excès de liquide, il faut insister sur le fait qu'un nourrisson de plus de 6 mois bien portant, n'a pas besoin d'alimentation nocturne et demander aux parents de diminuer progressivement sur 10 à 15 jours la quantité de chaque biberon, ou le temps et le nombre de mise au sein.
Prise en charge psychologique
Si des problèmes psychologiques existent chez l'enfant ou ses parents, une aide psychologique doit être proposée. Prise en charge médicamenteuse
La prescription de médicaments chez le jeune enfant souffrant de troubles du sommeil doit être exceptionnelle. S'il y a prescription chez l'enfant sain, elle sera de courte durée et systématiquement associée à une aide psychoéducative. Ces prescriptions sont en revanche parfois justifiées chez les enfants déficitaires.
Prise.en charge médicale Prise en charge comportementale
Il faut conseiller aux parents de : - réveiller progressivement l'enfant à heure fixe et pas trop tardive; - réorganiser le sommeil de jour. Des siestes trop fréquentes ou trop longues pour l'âge de l'enfant, une sieste supprimée trop précocement, une sieste d'après-midi trop tardive (se prolongeant après 16 heures), une sieste du matin trop précoce (avant 9 heures) peuvent entraîner un retard du coucher et des éveils nocturnes;
Lorsqu'une cause organique est décelée, l'affection en cause doit être traitée. L'insomnie du petit enfant est très souvent bénigne, mais elle doit être prise en charge car elle perturbe de façon importante la qualité de vie des parents et les relations parents-enfants de plus certaines études épidémiologiques récentes révèlent qu'elles peuvent persister chez le pré-adolescent et que 7 à 10% des insomnies de l'adulte ont débuté dans l'enfance.
- instituer un rituel du coucher mais laisser l'enfant s'endormir seul sans leur présence, sans l'aide d'un biberon de
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