place convient-il d'assigner ~ la bioQuelle logie dans l'6tude scientifique de Ia cognition ? Tout au long de l'&onnant essnr que cette derni6re connak depuis maintenant prhs de cinquante ans, la question n'a pas 6t6 sans soulever les passions. La place sans cesse croissante qu'occupent les travaux biologiques dans la recherche cognitive la pose aujourd'hui avec plus d'acuit~ que jamais, mais sur des bases renouvel&s qui permettent d'envisager de dSpasser les vieux clivages ou du moins de mdditer plus sereinement leur v& ritable nature. Le tout psychologique
[,'exclusion la plus radicale de }a biologie hors du camp des sciences cognitives provient de ceux pour qui le terme de cognition d6signe une rEalit6 purement psychotogique. Cette position est fr~quente chez les partisans de la psychologie dite in(ormationnelle, qui a jou6 un r61e essentiel darts le developpement de la recherche contemporaine. Ceux-ci admettent avec le behaviorisme que l'oblet imln6diat de l'investigation cognitive est constitu6 par l'ensernble des comportements d'un organisme humain ou animal impliquant une certaine id~'e de connaissance (notamment de l'environnement). En revanche, ils d~4endent contre lui I'idt~e que ces donn&es comportementales ne peuvent &re expliqu&s qu'en postulant des processus internes 'a l'organisme, qu'ils assimilent en outre b, des processus de traitement automatique de l'information d'un certain type, et par wile de consaquence ~ des processus de calcul. Ce - computationnalisme., (computatio signifie calcul en latin) se double le plus souvent de la thase que de tels calculs forment la v6ritable nature de ce que nous appelons ordinairement le mental. Processus mental par excellence, le raisonnement n'est par exemple rien d'autre, de ce point de vue, qu'une manipulation algorithmique de repr6sentations symboliques. Le tout neurobiologique
C'est principalement en vertu de cette affirmation du caract~re mental de la cognition que la proclamation de son ind~pendance ~ l'~gard de la rSalita biologique par la psycholngie informationnelle a suscit~ de graves malentendus. Beaucoup ont wmlu en conclure en effet que celle-ci n'est qu'une r~surgence du dualisme destm8 "3 prdserver la purer8 du royaume de la pensSe, alors qu'elle est en r~atit8 solidaire de fair, sinon de droit, dkm profond engagement mat&ialiste. Dans l'esprit de ses d~fenseurs en effet, dire que les processus cognitifs, c'est-~>dire
les processus internes sous-tendant les formes cognitives de comportement, lie sont pas biologiques ne signifie aucunement qu'ils ne sont pas des propri6t4s du syst}me nerveux, mais seulement qu'ils constituent des propri&4s du syst6me nerveux delimitant un domaine d'investigation diff&ent de celui de la biologie, et en l'occurrence de la neurobiologie. Insensibles 5 cette nouvelle mani6re de tracer la frontihre entre le psychologique et le neurobiologique, les plus radicaux des adversaires de la psychologie informationnelle font valoir que, d6s lors qu'ils sont effectu4s par le systhme nerveux, les processus cognitifs ne peuvent &re que neurobiologiques. Er par voie de cons& quence, que non seulement les sciences cognitives doivent accueillir en leur sein une neurobiologie de la cognition, mais qu'elles ne sont au fond rien de plus. )k tout le moins n'y a-t-il pas place, dans une telle perspective soucieuse de r4duire la cognition 'a une rdalit6 neurobiologique, pour une explication psychologique du comporten~ent cognitif qui soit autonome par rapport a la neurobiok)gie : car si elle peut aller jusqu'~t admettre I'existence d'une psychologie cognitive ayant pour oblet de &Sgager des lois sp~)cifiques, ces lois sont salon die r~ductibles ~'~celles que fornqule le bio[ogiste de la cognition, et du fait mSme 81iminables en droit. Et c'est bien l'a que se situe le varitable point d'opposition entre les deux approches. Le psycholugue informationnet d'obfdience mat&ialiste estime qu'il existe un niveau d'investigation des processus neuronaux responsables du comportement cognitif qui est different de celui de la neurobiologie, et irraductible ~ lui. La raison principale en est que ce niw'au est d'un degr8 d'abstraction tel que la caract&isation du processus neurobiologique sur laquelle il ddbouche ne doit rien on presque, 'a la nature biologique de ce dernier. Celui-ci pourrait tout aussi bien ~tre, comme l'ont fair valoir un certain nombre de philosophes, inorganique ou encore associ~ ~'~un substrat organique tout different de celui que I'dvolution nous a 16gu& Du m~me coup, si l'&ude cognitive des processus neuronaux invite naturellement 'a &re relayde par une investigation de leur dimension proprement neurobiologique, une telle investigation apparak plut6t comme une ddmarche suppl~mentaire et ext~rieure ~ celle du psychologue, que comme un w~let complfmentaire. Elle reprdsente bien une forme de neurobiologie de la cognition, mais seulement au sens d'une &ude de la dimension neurobiologique que possiMent les processus cognitifs
en plus d'&re cognitifs, et non pas en tam qu'ils sont cognitifs. Cette exclusion hors du champ de la cognition peut paraltre, il est vrai, assez artificielle, et elle n'est d'ailleurs pas partagae par mus ceux qui ont foi en l'autonomie de la psychologie cognitive. I1 suffit ators d'op&er une distinction au sein de l'~tude de la cognition entre une partie psychologique et une partie neurobiologique. La premiare n'en garde pas moins toulours la m~me ind& pendance par rapport ~ la seconde. La notion de n e u r o s c i e n c e cognitive
Au fil des ann~es, s'est progressivement constitute, sous le nora de neuroscience cognitive, une approche qui semble en mesure de dSpasser cette opposition. Et c'est elle en fait qui gagne en poids dans la recherche contemporaine, et non le r~ductionnisme neurobiologique. Lore d'&re unifi~e, ou mSme encore suffisamment articul&, die poss~de toutefois un certain nombre de t~Snors bien &ablis, rant & l'&ranger (1) qu'en France (Alain Berthoz, Marc ,Jeannerod, Francis Varela...), ainsi qu'un certain hombre d'exSg~tes philosophiques. Elle part d'un double constat critique, bien rdsum~ dans I'un de ses plus bruyants manifestes, Wet Mind: The new Cognitive Neuroscience (2). Le premier est que l'inddpendance concSdSe par la psychologie infi)rmationhelle ~t la dimension psychologique des processus neuronaux sous-tendant ie comportement cognitif par rapport 5 leur dimension neurobiologique est excessive, quoique r~elle. Le second est au cnntraire que Pinvestigation de cette dimension neurobiologique doit en fait &re guidSe par une investigation de type psychologique. C'est-~-dire que non seulement cette derni~re ne saurait 8tre ~liminSe par r~duction, mais qu'elle est en outre n&essaire k l'investigation neurobiologique. Devenues de la sorte indispensahles l'une ~ l'autre, toutes deux se trouvent du fait mSme intfgr~es au sein d'une seule et mfme discipline : la neuroscience cognitive. Qui ne doit donc pas &re confimdue avec une simple neurobiologie de la cognition, du moins ni au sens emphafique o~l I'entend le rSductionnisme neurobiologique, ni au sens assez ddsinvolte que lui concade la psychologie informationnelle. Jean-Michel Roy Philosophe, universite de Bordeaux IlL (1} Voir par exemple Conversat;ons in the Cognitive NeuroscJences, ed M Gazzaniga,1997. MIT Press, 1997, Cambridge. (2) S Kosslyn, 0 Koenig, FreePress,1995, New York.