Biothérapies et vaccins en pédiatrie

Biothérapies et vaccins en pédiatrie

Table ronde Nouveautés en vaccinologie en 2015 (GPIP) Biothérapies et vaccins en pédiatrie V. Hentgen Centre de Référence des Maladies inflammatoires...

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Table ronde Nouveautés en vaccinologie en 2015 (GPIP)

Biothérapies et vaccins en pédiatrie V. Hentgen Centre de Référence des Maladies inflammatoires rares de l’enfant, Service de pédiatrie, Ch de Versailles, France

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es biothérapies sont un ensemble de thérapeutiques produites à l’aide de méthodes biotechnologiques reposant sur l’emploi d’organismes vivants (tissus, cellules, certaines bactéries). Elles s’opposent ainsi aux médicaments traditionnels obtenus par synthèse chimique. Les biothérapies permettent de cibler spécifiquement une molécule ou une voie métabolique et elles ont révolutionné sur les 15 dernières années la prise en charge des maladies immunologiques chez l’adulte. Leur arrivée en pédiatrie est plus récente, mais avec le nombre de molécules développées et l’extension de leurs indications, leur utilisation devient de plus en plus large et concerne un nombre de plus en plus important d’enfants. Or, utiliser des biothérapies à un âge où l’on administre habituellement à l’enfant les vaccins du calendrier vaccinal pose des questions spécifiques. 1. Quelles sont les précautions à prendre pour vacciner un enfant sous biothérapie ? 2. Est-ce que les biothérapies influencent l’efficacité vaccinale ? 3. Est-ce que le profil de sécurité des vaccins est modifié par la biothérapie ? Nous nous focaliserons dans cette revue aux biothérapies utilisées le plus souvent en pédiatrie. • Les inhibiteurs du TNF (étanercept, adalimumab, infliximab, …) essentiellement utilisés en rhumatologie pédiatrique pour l’arthrite juvénile idiopathique (AJI) et en gastroentérologie pédiatrique pour les maladies inflammatoires du tube digestif. • Les inhibiteurs de l’interleukine 6 (tocillizumab) et les inhibiteurs de l’interleukine 1 (anakinra et canakinumab) utilisés essentiellement en rhumatologie pédiatrique dans l’AJI et les syndromes auto-inflammatoires. • Le rituximab (agent destructeur des lymphocytes B CD20+) utilisé en néphrologie et hématologie pédiatrique pour les syndromes néphrotiques et les anémies hémolytiques autoimmunes sévères respectivement. • L’éculizumab (inhibiteur de la fraction terminale du complément) utilisé essentiellement en néphrologie pédiatrique pour le syndrome hémolytique et urémique atypique.

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1. Quelles sont les précautions à prendre pour vacciner un enfant sous biothérapie ? Pour pouvoir répondre avec précision à cette question, il faut connaître la maladie de fond de l’enfant qui a conduit à la prescription de la biothérapie et le type exact de biothérapie. Néanmoins très schématiquement on peut résumer que tous les vaccins inactivés du calendrier vaccinal peuvent (et doivent !) être administrés à l’enfant [1]. L’enfant atteint d’une maladie inflammatoire est par ailleurs plus à risque de développer des infections graves et l’adjonction d’un traitement par biothérapie augmente ce risque de manière substantielle (le risque de faire des infections graves est multiplié par 2 par rapport à la population générale). Ainsi en dehors du calendrier vaccinal habituel, des vaccinations spécifiques doivent être effectuées : la vaccination annuelle contre la grippe et une vaccination contre le pneumocoque (primovaccination avec le vaccin conjugué, rappel par le vaccin polysaccharidique) sont nécessaires. Les patients sous éculizumab doivent par ailleurs recevoir une vaccination complète contre les infections invasives à méningocoque. En ce qui concerne les vaccins vivants atténués, la question est plus complexe. Les biothérapies étant considérées comme des agents immunosuppresseurs, de principe tous les vaccins vivants atténués sont contre-indiqués dès que l’enfant est sous traitement. Néanmoins les patients atteints de maladies inflammatoires sont aussi plus à risque de faire des infections graves, notamment des varicelles compliquées. Il est donc licite de se poser la question de la balance bénéfice-risque d’une telle vaccination vivante atténuée si l’enfant est sous biothérapie, mais répondre de manière certaine à la question reste difficile en raison du manque d’études sur le sujet. Il existe quelques données rassurantes pour la dose de rappel du vaccin rougeole/ oreillons/ rubéole chez des enfants avec une arthrite juvénile idiopathique traitée par un inhibiteur du TNF (étanercept)  [2]. Mais aucune donnée n’est disponible pour la primovaccination varicelle dans le même cas de figure. Une évaluation attentive de la balance bénéfice-risque sera donc à discuter au cas par cas pour chaque patient. En revanche cette question ne doit pas se poser pour le BCG, dont l’efficacité vaccinale est trop aléatoire pour exposer le patient à un éventuel effet secondaire vaccinal, ni pour le vaccin contre la fièvre jaune qui est un vaccin « trop virulent » pour prendre le risque de l’utiliser chez un patient même faiblement immunodéprimé.

41 © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2015;22(HS2):41-42

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2. Est-ce que les biothérapies influencent l’efficacité vaccinale ? Dans l’état actuel des connaissances il est difficile de répondre à cette question. Effectivement la réponse vaccinale pourrait déjà être directement influencée par la pathologie sous-jacente : dans le lupus actif par exemple les taux d’anticorps produits après vaccination sont significativement inférieurs par rapport à ceux des enfants sains. Les études sur l’influence des biothérapies sur ce taux d’anticorps sont discordantes et sont probablement aussi dépendantes du type de vaccin (meilleure réponse avec un vaccin adjuvanté par exemple). On peut retenir que l’efficacité vaccinale est probablement moindre chez les enfants sous biothérapie que dans la population générale [3]. Mais cette diminution de réponse vaccinale est modérée et ne remet pas en cause la protection vaccinale. Il n’y a donc pas lieu de modifier les schémas vaccinaux des enfants sous biothérapie mais probablement à doser les anticorps anti-vaccinaux à chaque fois que c’est possible en routine et pertinent : Tétanos, Diphtérie, anti-HBS, Haemophilus sérotype b, sérotype du treize-valent...

3. Est-ce que le profil de sécurité des vaccins est modifié par la biothérapie ?  La majorité des biothérapies entraîne une immunodépression variable d’une molécule à l’autre : Rituximab > inhibiteurs du TNF > inhibiteurs de l’IL6 et IL1 > éculizumab. Cette immunodépression doit être prise en compte dans le profil de sécurité des vaccins et a conduit à la recommandation de contre-indiquer tous les vaccins vivants atténués. En raison du risque d’infections graves, il est recommandé dans la mesure du possible de mettre à jour le calendrier vaccinal et les vaccins spécifiques avant la mise sous biothérapie. Malheureusement cette attitude n’est pas toujours faisable, car la mise sous traitement peut être une véritable urgence pour certains patients. Enfin, pour d’autres patients c’est l’échec d’autres thérapeutiques immunosuppressives qui conditionne la mise sous biothérapie, ce qui fait que les

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vaccins vivants atténués sont de toute façon contre-indiqués. On ne peut donc que plaider pour une vaccination la plus complète possible au cours des premières années de vie, avant l’apparition potentielle des maladies inflammatoires. Il faudra notamment insister pour que la vaccination contre rougeole/oreillons/ rubéole soit complétée à 18 mois et que tous les enfants reçoivent une vaccination complète par le vaccin pneumococcique conjugué treize-valent au cours de leur première année de vie, comme le stipule le calendrier vaccinal français. Une autre question régulièrement évoquée est le profil de sécurité des vaccins dans le contexte spécifique de la maladie inflammatoire sous-jacente : est-ce que la vaccination pourrait aggraver la maladie de fond  ? Au jour d’aujourd’hui toutes les études sont rassurantes à ce sujet : vacciner un enfant avec une maladie inflammatoire (avec ou sans biothérapie) ne semble pas entraîner de poussée de la pathologie de fond.

4. Conclusion Vacciner un enfant sous biothérapie est une équation complexe qui doit prendre en considération les contraintes de la maladie sous-jacente ayant conduit à la prescription de la biothérapie, le statut vaccinal de l’enfant avant l’apparition de la pathologie de fond, le type de biothérapie permettant de prédire la réponse et les complications vaccinales, et l’évaluation fine de la balance bénéfice-risque individuelle, notamment pour les vaccins vivants atténués.

Références [1] Heijstek MW, Ott de Bruin LM, Bijl M, et al. EULAR recommendations for vaccination in paediatric patients with rheumatic diseases. Ann Rheum Dis 2011;70:1704-12. [2] Visser LG. TNF-α Antagonists and immunization. Curr Infect Dis Rep 2011;13:243-7. [3] Silva CA, Aikawa NE, Bonfa E. Vaccinations in juvenile chronic inflammatory diseases: an update. Nat Rev Rheumatol 2013;9:532-43.