Éditorial
BPCO et distension : une simple gonflette pour les physiologistes respiratoires ? R. Sergysels
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Service de Pneumologie et de Revalidation, CHU Saint-Pierre, rue Haute 322, 1000 Bruxelles Correspondance : R. Sergysels Service de Pneumologie et de Revalidation, CHU Saint-Pierre, rue Haute 322, 1000 Bruxelles, Belgique.
[email protected] Réception version princeps à la Revue : 24.10.2009. Acceptation définitive : 30.10.2009. L’auteur a déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêt.
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Rev Mal Respir 2009 ; 26 : 1032-3 Doi : 10.1019/20094141
a série distension [1-6] a probablement fort intéressé les physiologistes respiratoires mais aurait dû (a dû) apporter aux pneumologues une vision nouvelle pour la prise en charge de la BPCO. La quantification de la sévérité de cette maladie obstructive des voies aériennes et du poumon est classiquement évaluée par Gold qui tient uniquement compte de la sévérité de la réduction du VEMS [7]. Cette vision est probablement très réductrice pour comprendre toutes les facettes fonctionnelles de cette maladie. Celli et coll. [8], en 2004, ont proposé une évaluation par l’index de BODE intégrant quatre items : le VEMS postbronchodilatation, le test de marche, la dyspnée évaluée par questionnaire et l’index de masse corporelle (l’importance des déficits respectifs aboutit à une cotation cumulative allant de 0 à 10). Cette approche est indiscutablement plus globale et utile pour évaluer le pronostic et les interventions thérapeutiques. A priori, la distension n’est pas reprise dans cet index si ce n’est indirectement car la distension statique et dynamique interfère de façon évidente dans le concept « dyspnée » (via les altérations de la mécanique de la cage et surtout du travail respiratoire) et les performances à l’effort dont le test de marche (par limitation ventilatoire) [1]. La question est donc : Faut-il apprécier cliniquement, fonctionnellement et radiologiquement le concept distension ? La réponse apparaît être un oui [9], largement soutenu par l’argumentaire développé dans cette série [1-6]. Le patient distendu est plus fréquemment un patient emphysémateux présentant une limitation des débits expiratoires [9], une diffusion basse, un collapsus expiratoire des voies aériennes périphériques, des phénomènes inflammatoires systémiques et une perte de poids [1, 2]. Cliniquement, les signes liés à la distension ont été décrits et comportent le thorax en tonneau, des possibles mouvements paradoxaux dont le signe de Hoover [2] : ces patients adoptent
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assez fréquemment un mode ventilatoire les protégeant de la dyspnée, à savoir l’expiration lèvres pincées [2, 6], et certaines positions corporelles améliorant leur confort [6]. Les signes fonctionnels peuvent être appréciés par les volumes pulmonaires ; la capacité pulmonaire totale, la capacité résiduelle fonctionnelle et le volume résiduel doivent être augmentés [1, 3]. La boucle volumes/débits pourra montrer un écrasement des débits expiratoires contrastant avec une bonne préservation des débits inspiratoires. La localisation de la boucle de repos dans la boucle maximale est également importante [1, 3]. On peut démontrer ainsi une éventuelle réduction de la capacité inspiratoire (CI) et fréquemment des débits expiratoires limités ou dépassant les débits maximaux. Cette constatation à elle seule est insuffisante pour parler de limitation du débit au volume courant mais une simple compression abdominale (CAM) augmentant la pression alvéolaire et n’induisant aucune augmentation des débits expiratoires peut donner la réponse [10]. Les patients limités en débits [9] sont ceux qui feront immanquablement de la distension dynamique à l’effort [10], facteur prédictif de la limitation ventilatoire [1] voir d’hypercapnie [1]. Toute exacerbation de la maladie risque d’induire outre la dégradation du VEMS, une aggravation de la distension avec des implications délétères sur la rythmicité ventilatoire et les échanges gazeux [3]. Enfin, la distension par son surcroît de travail respiratoire (dont le PEEP intrinsèque) explicite mieux ce que les patients interrogés sur leur dyspnée décrivent comme un inconfort inspiratoire plutôt qu’expiratoire [11]. Tout doit être tenté pour agir sur le déficit obstructif mais aussi sur la distension [1]. Les bronchodilatateurs peuvent agir doublement : amélioration du VEMS mais aussi de la capacité vitale forcée et abaissement du niveau de fin d’expiration (mesuré par exemple par une augmentation de la CI) [1, 4]. Ceci aboutit à une amélioration des performances à l’effort, à réduire la dyspnée et aussi à améliorer la qualité de vie appréciée par questionnaire [1, 4]. Les modifications de distension à la hausse ou à la baisse appréciées par le CI impliquent probablement un seuil de 200 ml pour être physiologiquement important. En d’autres termes, un abaissement du niveau de fin d’expiration d’à peine 200 ml peut fournir au patient BPCO une meilleure performance en terme de mécanique respiratoire avec réduction notable de la dyspnée. D’autres interventions sont possibles pour réduire la distension. L’oxygène à dose élevée même chez les patients non désaturants peut modifier le profil ventilatoire avec allongement du temps expiratoire et abaissement du niveau de fin d’expiration [1, 4]. La revalidation avec ses programmes d’entraînement musculaire peut diminuer les besoins ventilatoires et réduire la distension dynamique [6].
Les modalités respiratoires qui peuvent influencer le concept « distension » sont parfois spontanément adaptées par le patient telle l’expiration lèvres pincées qui peut aboutir à réduire le collapsus expiratoire des bronches, allonger le temps expiratoire et réduire la distension [6]. À l’inverse, les modalités imposées telles la ventilation abdomino-diaphragmatique avec une expiration prolongée activement peut aggraver le désavantage mécanique du jeu diaphragmatique [6]. L’imagerie par scanner doit être envisagée pour apprécier la présence de bulles ou d’emphysème prédominant aux sommets [2]. Ces constatations peuvent faire discuter une solution chirurgicale toujours délicate [5] surtout pour la chirurgie de réduction de volume et/ou la mise en place de valves [12]. L’ensemble de ces éléments a été bien développé dans cette série avec la collaboration très appréciée de D. O’Donnell et d’autres physiologistes et cliniciens.
Références 1
O’Donnell DE : Implications cliniques de la distension thoracique, ou quand la physiopathologie change la prise en charge thérapeutique. Rev Mal Respir 2008 ; 25 : 1305-18.
2
Maury G, Marchand E : Distension thoracique et BPCO, au-delà de la mécanique respiratoire et de la dyspnée. Rev Mal Respir 2009 ; 26 : 153-65.
3
Perez T, Guenard H : Comment mesurer et suivre la distension pulmonaire au cours de la BPCO. Rev Mal Respir 2009 ; 26 : 381-93.
4
Devillier P, Roche N : Approche médicamenteuse du traitement de la distension. Rev Mal Respir 2009 ; 26 : 613-24.
5
Brouchet L, Thomas P, Renaud C, Berjaud J, Dahan M : Prise en charge chirurgicale de la distension thoracique au cours de la BPCO. Rev Mal Respir 2009 ; 26 : 838-50.
6
Perez Bogerd S, Selleron B, Hotton R, Ferrali O, Sergysels R : Les techniques de médecine physique peuvent-elles pallier la distension ? Rev Mal Respir 2009 ; 26 : 1107-17.
7
http://www.goldcopd.com
8
Celli BR, Cote CG, Marin JM, Casanova C, Montes de Oca M, Mendez RA, Pinto Plata V, Cabral HJ : The body-mass index, airflow obstruction, dyspnea and exercise capacity index in chronic obstructive pulmonary disease. N Engl Med 2004 ; 350 : 1005-12.
9
Calverley PMA, Koulouris NG : Flow limitation and dynamic hyperinflation: key concepts in modern respiratory physiology. Eur Respir J 2005 ; 25 : 186-99.
10
Abdel Kafi S, Sersté T Leduc D, Sergysels R, Ninane V : Expiratory flow limitation during exercise in COPD: detection by manual compression of the abdominal wall. Eur Respir J 2002 ; 19 : 919-27.
11
Schwartzstein RM : The Language of Dyspnea. In Dyspnea. Edited by Donald A Mahler. Marcel Dekker, Inc. 1998 : 35-62.
12
Leroy S, Marquette C : VENT: étude internationale de la valve endobronchique pour le traitement palliatif de l’emphysème. Rev Mal Respir 2004 ; 21 : 1144-52.
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