CALCIPHYLAXIE CHEZ UNE PATIENTE AU STADE D'INSUFFISANCE RI NALE CHRONIQUE TERMINALE Magali Colombat a,*, Sophie Carton b
1. Introduction L
a calciphylaxie est une entite rare mettant souvent en jeu le pronostic vitat. Le terme de calciphylaxie a ete initialement employe par Selye pour decrire, chez I'animal, une n6crose cutanee avec calcifications, declenchee par I'administration de substances comme la parathormone (PTH) ou la vitamine D [11 ]. La similarite de ces lesions macroscopiques avec celles observees chez les patients insuffisants renaux chroniques presentant des calcifications arterielles compliqu6es de necrose tissulaire a conduit & utiliser egalement le terme de calciphylaxie dans ce contexte [1]. En fait, il existe des differences notables, en particulier sur le plan histologique. Chez I'homme, on trouve, en effet, au premier plan des lesions vasculaires & type d'arteriolopathie calcifiante qui n'existent pas chez I'animal [1]. Le terme de calciphylaxie, bien que couramment usite dans la litterature, est donc peu approprie en pathologie humaine. Nous rapportons un cas de calciphylaxie chez une femme de 54 ans au stade d'insuffisance renale chronique terminale associee & une hyperparathyrdl'die secondaire.
2. Observation Une femme de 54 ans, hemodialysee depuis 1 mois pour une insuffisance renale chronique d'origine glomerulaire au stade terminal, etait hospitalis6e devant I'apparition rapide et recente de lesions cutanees douloureuses, ulcero-necrotiques de la racine des cuisses et du tiers inferieur des jambes. II existait egalement des nouures sur les deux jambes. Cette patiente presentait de nombreux antecedents medicaux : une hypertension arterielle mal contrSlee compliquee d'une retinopathie hypertensive, une cardiomyopathie ischemique avec une atteinte tritronculaire, une arythmie complete par fibrillation auriculaire et une hypercholesterolemie. II n'y avait pas de surpoids.
a Service d'anatomieet cytologie pathologiques H6pital Beaujon 100, bd du GeneraI-Leclerc 92118 Clichy cedex b Service d'anatomieet cytologie pathologiques Centre hospitalier general 1, av. Michel-de-I'Hospital 02321 Saint-Quentin * Correspondance
[email protected] article re~:u le 4 octobre, accept(~ le 18 novembre 2002.
© Elsevier,Paris. RevueFrangaisedes Laboratoires,octobre2003, N° 356
La patiente etait dialysee trois fois par semaine. Son traitement medicamenteux associait pravastatine (Vasten ® 20 mg x 1/jour), molsidomine (Corvasal® 2 mg x 3/jour), amiodarone (Cordarone® 200 mg x 1/jour, 5 jours sur 7), amlodipine (Amlor® 5 mg x 1/jour), furosemide (Lasilix® 500 mg x 1/j), erythropdietine humaine recombinante (Eprex ® 2000 Ul x 2/semaine en injection sous-cutanee) et nadroparine (Fraxiparine® 0,3 ml/jour egalement en injection sous-cutanee). Une biopsie cutanee etait realis6e. L'examen histologique montrait essentiellement des lesions vasculaires accompagnees de necrose tissulaire. La media des arterioles hypodermiques et dermiques profondes presentait des calcifications et I'intima etait epaissie par une fibrose aedemateuse (figure 1). II n'y avait pas de thrombose. Le derme et le tissu adipeux sous-cutane etaient en grande partie necroses et apparaissaient infiltres par quelques polynucleaires neutrophiles (figure 2). Certains septa separant les Iobules adipeux du tissu sous-cutane renfermaient des calcifications. L'epiderme n'etait pas necrose sur les plans de coupes analyses. La calcemie corrigee etait normale (2,32 mmol/I pour une normale comprise entre 2,25 et 2,65 mmol/I). La phosphoremie etait augmentee (2,47 mmol/I pour une normale comprise entre 0,8 et 1,5 retool/l), de m6me que la PTH serique (700 ng/I pour une normale comprise entre 13 et 54 ng/I). Le diagnostic de calciphylaxie cutanee etait pose.
3. Discussion La calciphylaxie est une pathologie rare qui survient habituellement chez des patients en insuffisance renale chronique, le plus souvent au stade terminal [4]. Pour certains auteurs, sa fr6quence serait d'environ 4 % chez les patients hemodialys6s [2]. La calciphylaxie int6resse les hommes et les femmes, jeunes ou &g6s [4]. II semble cependant exister une predilection pour les femmes ob6ses, d'&ge moyen [8]. La calciphylaxie se manifeste cliniquement par des 16sions cutan6es douloureuses [8], dont I'apparition peut 6tre en partie d6clench6e, comme dans notre observation, par un traumatisme tel une injection [7]. Ces lesions se presentent sous forme d'un livedo reticularis, de macutes purpuriques ou de nodules souscutanes, pref6rentiellement Iocalises & la partie inferieure de la paroi abdominale, & la racine des cuisses et aux fesses [6]. Des atteintes peripheriques ou encore viscerales (ileon, cSIon) ont 6te d6crites [8]. L'evolution se fait rapidement vers l'ulceration [6]. Les pouls distaux restent palpables. L'examen histologique [6, 8] d'un fragment biopsique de peau permet d'etayer le diagnostic en montrant, essentiellement au niveau des arterioles de I'hypoderme, des calcifications de la media associee & un epaississement fibro-myo-intimal. Des microthrombi sont parfois observes. Ces lesions peuvent s'accompagner, selon le si6ge du preleve57
ment, d'une necrose ischemique du derme et de I'hypoderme adjacents. L'inflammation est peu importante. Des calcifications dans les septa du tissu sous-cutane peuvent etre presentes. Classiquement, il n'y a pas d'atteinte du systeme veineux. L'analyse de ces cristaux par diffraction aux rayons X a permis de determiner leur composition : calcium et phosphore uniquement [5]. Les examens biologiques recherchent une augmentation de la PTH serique, de la calcemie, de la phosphoremie et du produit phosphocalcique [9]. II existe cependant de nombreux cas pour lesquels aucune anomalie phospho-calcique n'est mise en evidence. Une confrontation des donnees cliniques, biologiques et histologiques permet de poser le diagnostic de calciphylaxie sans grande difficulte, dans la plupart des cas. La pathogenie de la calciphylaxie demeure incomprise. La formation de calcifications des arterioles semble favorisee, dans certains cas, par les anomalies du bilan phospho-calcique. La presence de calcifications Nest pas, & elle seule, suffisante pour declencher une necrose tissulaire [9]. D'autres facteurs comme les thromboses ou une diminution de la perfusion cutanee pourraient jouer un rSle [9]. Le pronostic est mauvais. Le taux de mortalite peut atteindre 80 %. Le dec6s est generalement d0 & un accident septique, en partie favorise par la rupture de la barriere cutanee. Le confinement des lesions dans les regions proximales est un facteur de bon pronostic par rapport & une distribution distale. Le t r a i t e m e n t consist e :
1) & normaliser le bilan phosphocalcique (regime adapte, chelateurs du phosphore ne contenant pas de calcium, bains de dialyse pauvres en calcium, parathyrdt'dectomie) ; 2) & lutter contre I'infection (soins cutanes Iocaux, oxygenotherapie hyperbare, antibiotherapie). La place de la parathyrdl'dectomie, en urgence, reste discutee. Pour certains auteurs, elle aurait un benefice en stoppant I'apparition de la necrose tissulaire, particuli6rement en cas d'elevation marquee de la PTH [2, 10]. Cependant, elle n'ameliorerait pas de fa~on significative, la survie [4]. L'oxygenoth6rapie hyperbare a 6te utilisee avec succes chez certains patients [B]. Elle favoriserait la cicatrisation des lesions cutanees.
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