Imagerie de la Femme 19 (2009) 59–62
CAS CLINIQUE
Carcinome mucineux multifocal du sein Mucinous breast carcinoma multifocal J. Kouacha,*, M. Elhassania, H. Elfazzazia, R. Hafidia, O. Quamoussb, D.Rahali Moussaouia, M. Dehaynia a b
Service de gynécologie obstétrique, Laboratoire d’anatomie-pathologie, hôpital militaire Mohamed V, Rabat, Maroc
Introduction Le carcinome mucineux du sein est une entité histologique rare. Il représente 1 à 7 % des tumeurs malignes de la glande mammaire [1, 2] et survient généralement chez la femme âgée [1, 3, 4]. Dans le carcinome mucineux du sein, on distingue deux formes : la forme pure et la forme mixte. Cette distinction est importante à préciser car elle a des implications sur le pronostic [1-3]. Nous rapportons un cas original de carcinome mucineux pur, multifocal et multicentrique, découvert chez une patiente de 54 ans. La forme clinique exceptionnelle nous a paru intéressante à documenter d’autant plus qu’il n’existe aucun cas identique décrit dans la littérature à notre connaissance.
Observation Une femme, âgée de 54 ans, consulte en novembre 2004 pour deux nodules du quadrant supéro-externe du sein droit, apparus trois mois auparavant. Cette femme, mère de cinq enfants, connue diabétique et hypertendue sous traitement médicamenteux, ne présente pas d’antécédent de cancer du sein dans sa famille. L’examen clinique révèle deux nodules du quadrant supéro-externe du sein droit dont le plus volumineux mesure 1,5 cm de grand axe, mobile par rapport au plan superficiel et adhérant au plan profond, sans signes inflammatoires de la peau en regard. L’examen clinique du sein controlatéral et des aires ganglionnaires est normal. La mammographie bilatérale révèle la présence de multiples opacités de tonalité hydrique, arrondies, parfois bilobées au niveau des quadrants supérieurs du sein droit, avec présence de microcalcifications ; le plus grand nodule est finement spiculé (Fig. 1). L’échographie montre des images hypoéchogènes à renforcement postérieur des quadrants supérieurs. La cytoponction du plus grand nodule montre la présence de cellules atypiques. Le bilan d’extension est négatif. L’examen extemporané porte sur quatre nodules et objective la présence de larges flaques de mucus associées à des îlots de cellules épithéliales franchement malignes, concluant à un adénocarcinome colloïde muqueux pur (Fig. 2 et 3).
* Auteur correspondant. U3, avenue Sanaoubar, secteur 19, Hay Riad, Rabat, Maroc. Adresse e-mail :
[email protected] (J. Kouach).
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J. Kouach et al.
Figure 3. Aspect microscopique au fort grossissement montrant les atypies cytonucléaires du contingent épithéliale.
Figure 1. Mammographie montrant de multiples opacités hydriques de différentes tailles.
La patiente bénéficie ensuite d’une polychimiothérapie adjuvante à base de FEC 100 (farmorubicine, cyclophosphamide et 5 fluorouracile), suivie de la radiothérapie et de l’hormonothérapie à base de tamoxifène. La patiente ne présente aucune maladie évolutive depuis quatre ans.
Discussion
Figure 2. Aspect microscopique au faible grandissement montrant les cellules carcinomateuses baignant dans des flaques de mucus.
Une mastectomie avec curage axillaire homolatéral est alors réalisée. L’examen définitif de la pièce de mastectomie confirme le diagnostic d’adénocarcinome colloïde muqueux avec présence de cinq autres foyers de carcinome de même nature, de grade I SBR. Les cellules tumorales expriment les récepteurs hormonaux aux œstrogènes et à la progestérone à 90 %. Sur les 14 ganglions du curage, un d’entre eux est le siège d’un envahissement tumoral sans effraction capsulaire.
Le carcinome colloïde du sein est une entité histologique rare, constituant 1 à 7 % de tous les cancers du sein [1, 2, 5]. Il semble toucher les femmes à un âge plus avancé que dans les autres cas de carcinomes. Il atteint les femmes de plus de 60 ans, avec 7 % d’incidence au-delà de 75 ans et 1 % avant 35 ans [1-3]. L’homme peut également être atteint, mais très rarement [6]. Il n’y a pas de facteurs de risque spécifiques au carcinome colloïde. Un nodule mammaire est le signe révélateur le plus fréquent, retrouvé dans plus de 80 % des cas [2, 3], habituellement dans le quadrant supéro-externe [1, 2, 4]. Le caractère bilatéral est rarement décrit dans la littérature [7]. Mais aucun cas de carcinome mucineux multifocal et multicentrique n’a été retrouvé dans la littérature. La taille de la tumeur varie de 1 à 20 cm [3]. Les adénopathies axillaires sont rarement retrouvées (25 % des cas) [2, 5]. La mammographie montre, en cas de carcinome colloïde pur, une masse arrondie ou ovalaire, dense, bien circonscrite et de contours réguliers ou plus souvent polycycliques (54,5 %), alors que le carcinome colloïde mixte apparaît sous la forme d’une masse de contours irréguliers avec des limites mal définies, voire spiculées avec le tissu glandulaire [8, 9]. Le nombre de spicules est inversement proportionnel à la quantité du mucus [9, 10]. Les microcalcifications ne sont pas spécifiques (20 % des cas) [8] ; elles apparaissent au niveau de la composante canalaire et non pas au niveau de la composante mucineuse [3]. La mammographie peut être normale dans 5 à 15 % des cas [2]. L’aspect échographique diffère selon le type de carcinome colloïde ; le carcinome pur se présente sous forme d’une masse lobulée, iso- ou hypoéchogène homogène de contours bien circonscrits, difficiles à différencier du tissu graisseux environnant, bien limitée avec renforcement pos-
Carcinome mucineux multifocal du sein térieur, ce dernier étant expliqué par la quantité importante d’eau au sein de la tumeur et la transmission des ultrasons à travers le mucus [11] ; le type mixte prend l’aspect d’une masse hypoéchogène hétérogène avec atténuation acoustique postérieure, ce qui reflète la nature infiltrative de la tumeur [9]. À l’échographie, il faut également penser au carcinome colloïde du sein devant une image complexe (liquide et solide) avec renforcement postérieur chez une femme âgée [11]. La vascularisation tumorale est également retrouvée dans un tiers des tumeurs [11]. L’aspect en IRM des carcinomes mucineux purs diffère de celui des autres carcinomes. Avant injection, il s’agit de masses de forme souvent lobulée, mais de contours irréguliers. L’intensité du signal en séquence pondérée T1 varie en fonction de la teneur en protéines du mucus, en hypo- ou hypersignal par rapport à la glande. Le rehaussement tumoral est très faible, voire même absent. Cela serait dû à la présence de larges plages de mucus dans la tumeur, ce qui rend la diffusion de contraste en son sein plus lente [12]. En séquence pondérée T2, le carcinome mucineux se présente en hypersignal à cause de sa large composante mucineuse [12], ce qui est très rarement le cas pour les autres carcinomes qui sont habituellement en iso- ou en hyposignal à la glande en dehors des formes à forte composante nécrotique. L’aspect associant un hypersignal T1, un hypersignal T2 et un faible rehaussement peut donc faire évoquer le diagnostic. L’examen macroscopique retrouve une masse tumorale, bien limitée, crépitante à la palpation, à surface gélatineuse, filant à la coupe. La consistance est molle, de couleur grisâtre ou gris jaune [13, 14]. Histologiquement, on retrouve la présence d’îlots de cellules épithéliales régulières avec des lacs extensifs de mucus extracellulaire, séparés par des cloisons fibreuses grêles [13, 14]. Les cellules tumorales sont petites, avec un noyau sombre au sein duquel est visible un petit nucléole. La distinction entre les types pur et mixte est capitale du fait de son impact pronostique : le carcinome colloïde pur est caractérisé par la présence d’un tissu tumoral complètement entouré de mucus extracellulaire abondant, sans composante canalaire infiltrante ou lorsque celle-ci est présente ; il ne dépasse pas 10 % du volume tumoral global [13, 14]. La transition entre mucus et tissu conjonctif avoisinant est brusque ; le mucus abondant joue le rôle de barrière mécanique, ce qui atténue l’invasion cellulaire et confère à ce type un caractère moins agressif par rapport au type mixte ; le carcinome colloïde mixte est caractérisé par la présence, en plus de la composante mucineuse, d’une composante canalaire infiltrante. Celle-ci constitue plus de 10 % du volume tumoral total [13, 14] ; la transition entre mucus extracellulaire et tissu carcinomateux adjacent est progressive, les deux territoires se chevauchant par endroits.
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Il n’y a pas de consensus thérapeutique particulier pour les carcinomes colloïdes ; la chirurgie est toujours indiquée. Le traitement conservateur dans le type pur doit être satisfaisant aussi bien sur le plan carcinologique qu’esthétique vu le pronostic favorable de ce type ; un intérêt particulier a été attribué à l’envahissement ganglionnaire dans le carcinome colloïde. Il est acquis que les carcinomes colloïdes du sein exposent moins à l’envahissement ganglionnaire que les autres types histologiques [14, 15]. Le carcinome mucineux pur du sein est connu pour son incidence faible en métastases ganglionnaires (2-14 % contre 45-64 % dans les formes mixtes) [3, 5].
61 Ces métastases sont un facteur pronostique déterminant, ce qui explique le bon pronostic réservé aux formes pures, à savoir 90 à 100 % de survie à dix ans contre 60 % dans les formes mixtes [5, 15]. Certains auteurs suggèrent dans leur étude que le curage ganglionnaire axillaire ne devrait plus être systématique dans le carcinome mucineux pur du sein [15], mais d’autres ont démontré qu’un jeune âge était parmi les facteurs souvent associés à la présence d’adénopathies axillaires [16]. La technique du ganglion sentinelle précède maintenant le curage axillaire et est d’autant plus justifiée que la patiente est jeune. La radiothérapie fait partie intégrante du traitement, les carcinomes colloïdes du sein étant radiosensibles [2, 17]. La chimiothérapie des carcinomes colloïdes du sein a les mêmes indications que les autres carcinomes du sein. L’hormonothérapie est indiquée à chaque fois que les récepteurs hormonaux sont positifs [2, 4, 5]. La survie du carcinome colloïde est nettement supérieure aux autres types de cancers mammaires, notamment dans sa forme pure [2, 3, 14]. La survie à dix ans passe de 91 % dans la forme pure à 46 % dans la forme mixte [18]. L’envahissement ganglionnaire est le principal marqueur pronostique du carcinome colloïde du sein [2, 18] ; le risque relatif de rechute et de décès en cas d’envahissement ganglionnaire est de 2,69 [2]. Le nombre élevé de ganglions envahis, ainsi que la rupture capsulaire sont des facteurs pronostiques péjoratifs. La quantité du mucus, la cellularité, la taille tumorale et la composante intracanalaire sont des facteurs à impact pronostique incertain [1-3]. Il est certain que le pronostic des carcinomes colloïdes du sein est favorable, en particulier dans sa forme pure, cependant, des rechutes tardives aussi bien locorégionales qu’à distance peuvent survenir, d’où l’intérêt d’une surveillance à long terme [2-5].
Conclusion Le carcinome mucineux du sein est une variété rare, survenant chez la femme âgée en période de post-ménopause ; le caractère multifocal est exceptionnel ; il est important de distinguer ses deux variantes, pure et mixte, car l’attitude thérapeutique et l’incidence pronostique en dépendent. La forme pure reste d’un bon pronostic, alors que celui de la forme mixte rejoint celui des carcinomes canalaires infiltrants.
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