Chirurgie et anticoagulant circulant de type antiprothrombinase dans le syndrome de Soulier et Boffa

Chirurgie et anticoagulant circulant de type antiprothrombinase dans le syndrome de Soulier et Boffa

© Masson, Paris. Ann. Fr. Anesth. R~anim., 3: 306-308, 1984. CAS CLINIQUE Chirurgie et anticoagulant circulant de type antiprothrombinase dans le sy...

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© Masson, Paris. Ann. Fr. Anesth. R~anim., 3: 306-308, 1984.

CAS CLINIQUE

Chirurgie et anticoagulant circulant de type antiprothrombinase dans le syndrome de Soulier et Boffa Surgery and circulating lupus anticoagulant in the Soulier and Boffa syndrome C. MARTIN *, C. RUD *, A. MARTIN **, B. R O C C A *, I. JUHAN *** * Ddpartement d'Anesthesie-Rdanimation Marseille Sud, HEpital Sainte-Marguerite, BP 29, F 13277 Marseille Cedex 9 ** Departernent d'Anesthesie-REanimation Marseille Centre, HEpital de la Timone, boulevard Jean-Moulin, F 13005 Marseille *** Laboratoire d'Hematologie, HEpital de la Timone, boulevard Jean-Moulin, F 13005 Marseille

RESUM~ : Une observation d'actes chirurgicaux itEratifs est rapportEe ~ propos d'une malade atteinte d'un syndrome de Soulier et Boffa. I1 s'agit de l'association d'un anticoagulant circulant (ACC) antiprothrombinase ~ des avortements h rEpEtition. Les interventions ne se sont jamais compliqu6es d'hEmorragies_ Les probl~mes de diagnostic poses par ces ACC sont discutEs, ainsi que la conduite pEriopEratoire h tenir. La presence d'ACC antiprothrombinase sans autre anomalie de l'hEmostase n'est pas une contre-indication h l'acte chirurgical. L'int6rEt mais aussi les risques d'une anticoagulation postopEratoire sont prEcisEs, ainsi que la surveillance de ce traitement pat la rEalisation du temps de thrombine.

ABSTRACT : A case is reported of a young female patient with a circulating lupus anticoagulant. The illness, associated with several spontaneous abortions, is characterized as a ~ Soulier and Boffa syndrome ~. No severe bleeding occurred when she underwent several major operations. The clinical picture of lupus anticoagulant is discussed, as well as the perioperative management of such patients. The presence of a lupus anncoagulant, if not associated with other hernostatic defects, is not a contraindicadon to surgery. The risks and benefits of postoperative heparinization are recalled. Thrombin time seems to be the best coagulation test for adapting heparin doses.

Le dEpistage d ' u n anticoagulant circulant ( A C C ) dans le bilan prEopEratoire est une situation rare. I1 est nEcessaire d ' e n apprEcier le retentissement sur la fonction d'hEmostase, soit dans le sens d ' u n e h y p o c o a g u l a bilitE, soit p a r a d o x a l e m e n t dans le sens d ' u n e hypercoagulabilitE. Dans ce cas, l'opportunit6 et la technique d ' u n e anticoagulation doivent ~tre discut6es. Le s y n d r o m e de Soulier et Boffa [10], entit6 rEcemm e n t dEcrite, associe des avortements ~ rEpEtition et la presence d ' u n A C C de type antithromboplastine. A l ' o c c a s i o n d ' i n t e r v e n t i o n s chirurgicales intEratives chez une malade atteinte de ce syndrome, sont 6tudiEs le retentissement et la conduite ~ tenir devant la d6couverte d ' u n tel A C C en pEriode pEriop6ratoire.

cectomie gauche, appendicectomie, curetages. Elle est admise en unite de reanimation pour polytraumatisme : traumatisme crhnien avec coma, fractures de L2 avec parEsie motdce, fracture de la branche ischio-pubienne droite, fracture des deux calcanEums et de l'astragale droit, Etat de choc hEmorragique. La laparotomie d'urgence permet le diagnostic d'un volumineux hEmatome rEtropEritonEal spontanEment stabilisE. Le premier bilan biologique est rapport6 sur le tableau I. Apr~s la phase aiguE, une laminectomie est rEalisEe de D l l L2 avec pose de materiel de Harrington, sans hEmorragie pEriopEratoire. L'hEparinisation postopEratoire est assurEe par trois injections d'hEparine calcique sous-cutanEe de 0,1 ml. Malgr6 la modestie de l'hEparinisation, le deuxi~me bilan de coagulation pratique est tr~s perturb6 comme le montre le tableau I, mais il permet d'affirmer le diagnostic d'anticoagulant circulant de type antiprothrombinase. L'association h une collagEnose 6tant frEquente, une recherche de maladie lupique est pratiquEe par dosage d'anticorps antinuclEaires, test de Farr, recherche de cellules de Hargraves, test de Coombs direct, test au latex et de Waaler-Rose. Elle est enti~rement negative. Seule la vitesse de sedimentation est augment6e (100-134). L'interrogatoire de cette malade permet de confirmer l'absence de tout syndrome

OBSERVATION

M ~ X., 29 ans, n'a aucun antEcEdent m6dical. Plusieurs interventions ont 6rE pratiquEes sans saignement notable : mEnisRe~u le 9 septembre 1983; acceptE sous forme rEvisEe le 23 fEvrier 1984.

TirEs a part : C_ Martin.

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CHIRURGIE ET ANTICOAGULANT CIRCULANT Tableau I . -

Exploration de I'hemostase 1 er

2eme

bilan

bilan

Plaquettes (N = 150 ~ 300 giga • 1 t) 85 Taux de prothrombine (N = 100 %) 80 % Temps de Howell (T = 2min 30s) 8min 45s Temps de c6phaline activ6e (T = 30 s) 52 s Temps de c6phaline activ6e malade + t~moin (T = 30 s) -Temps de thrombine (T = 30 s) -Temps de reptilase (T = 30 s) -Von Kaulla (N = >2 h) -PDF (N = <10 ~tg) -Facteurs II, V, VII, IX, X, XI, XII -Facteur VIII coagulant -Facteur VIII antigone -Facteur VIII Von Willebrand -Antithrombine III -Test de Berus --

162 55 % 10 min 80 s 54 s 30 s 30 s >2 h 32 ~tg 100 % 200 % 180 % 90 % 117 % Positif

N : valeur normale; T : t6moin. h6morragique pathologique, mais retrouve la notion d'avortements r6p6tition : six en tout de 1978 ~ 1982. Devant l'association d'un anticoagulant de type antiprothombinase et d'avortements r6p6titlon, le diagnostic de syndrome de Soulier et Boffa est port6. L'6volution conduit ~ deux nouveUes interventions sans complication h6morragique: ost6osynth~se d'une fracture du f6mur gauche pour un nouvel accident et ablation de la proth~se de Harrington quelques mois plus tard_ Les bilans pratiqu6s ont toujours confirm6 la pr6sence de l'anticoagulant circulant de type antiprothrombinase et l'absence de maladie lupique. Au cours des diff6rents actes chirurgicaux, il n'a jamais 6t6 not6 de saignement anormal. COMMENTAIRES

L'observation de cette malade met en 6vidence les probl6mes pos6s par les anticoagulants circulants de type antiprothrombinase. Lors de la premiere exploration de l'h6mostase, les anomalies ont 6t6 rapport6es aux transfusions massives reques par la malade au cours de son 6pisode de choc h6morragique. Apr6s la phase aigu~, le deuxi~me bilan, r6alis6 a distance de toute transfusion, a pennis de porter le diagnostic qui repose sur deux points fondamentaux. I1 existe des perturbations des tests explorant la fonction d'h6mostase, non expliqu6es par une anomalie constitutionnelle, un d6ficit acquis ou un traitement m6dicamenteux. Par ailleurs, le plasma de la malade inhibe par m61ange la coagulation d ' u n plasma normal; donc l'addition de plasma t6moin ne permet pas de normaliser les tests, alors que c'est le cas pour les d6ficits en facteurs de coagulation [4]. Les ACC de type antiprothrombinase perturbent la phase de thromboplastino-formation. Comme dans l'observation r a p p o r t 6 e , il existe un allongement des tests globaux

(temps de Howell, temps de c6phaline activ6e), une baisse du taux de prothrombine; les temps de thrombine et de reptilase sont normaux, ainsi que le tests de Von Kaulla, les PDF, la fibrin6mie et le dosage de l'antithrombine III. L'affirmation de la pr6sence d ' A C C repose sur l'existence d ' u n allongement du temps de c6phaline activ6e r6alis6 sur un m61ange de plasma t6moin et de plasma du malade (t6moin s e u l : 30 s; malade seul 80 s; t6moin + malade : 54 s (tableau I). Les ACC de type antiprothrombinase n'agissant pas sur les facteurs de la coagulation, leurs dosages sp6cifiques ne sont pas modifi6s (tableau I). Le m6canisme d'action de ces ACC est une inhibition directe de l'action de la prothrombinase sur la prothrombine par effet sur les phospholipides du F3 plaquettaire, empSchant la fixation du facteur V sur le site hydrophobe de la micelle phospholipidique [7]. En effet, au niveau de la mol6cule de prothrombinase, l'inhibiteur n'agit ni sur le facteur X activ6, ni sur le facteur V, mais d6nature les phospholipides, ce qui perturbe l'activit6 enzymatique de la prothrombinase [3]. L'existence d ' u n abaissement du taux de prothrombine alors que les dosages des cofacteurs sont normaux s'explique de cette faqon. La r6alisation d ' u n test de Berus permet de mettre en 6vidence l'action antiphospholipidique. Le venin de Vipera berus active les phospholipides procoagulants du plasma et d6clenche la coagulation. Un agent antiphospholipidique, comme I ' A C C antiprothrombinase augmente le temps de coagulation par rapport au plasma t6moin. Toutes ces caract6ristiques sont retrouv6es dans l'observation pr6sente. Les ACC de type antithromboplastine sont les plus fr6quents des ACC et se rencontrent dans la grande majorit6 des cas sur un terrain dysimmunitaire : cancer, collag6noses, particuli6rement le lupus 6ryth6mateux aigu diss6min6 dont l'6volution est si souvent perturb6e par l'apparition d ' u n ACC de ce type que celui-ci est appel6 ~~dans la litt6rature anglo-saxonne [7]. En 1980, SOULIER et BOFFA publient trois observations d'avortements r6p6tition li6s h la pr6sence d ' A C C de ce type [10]. I1 existe ~ ce jour 18 cas similaires publi6s, auxquels il faut ajouter l'observation rapport6e. Ils correspondent une entit6 qui n ' a pas 6t6 ant6rieurement d6crite, associant un ACC de type antithromboplastine chez des femmes jeunes, des avortements h r6p6tition sans cause 6vidente, la possibilit6 de thromboses art6rielles ou veineuses, et parfois un syndrome biologique 6voquant un lupus 6ryth6mateux aigu diss6min6 ou une affection <> - - sans que celui-ci puisse 8tre mis en 6vidence de faqon formelle dans la majorit6 des cas. L'observation de M m° X., actuellement suivie depuis plus de trois ans, correspond tout a fait a c e cadre. Dans le contexte s6m6iologique, ce sont les anomalies de l'6quilibre coagulolytique qui sont les plus int6ressantes pour l'anesth6siste-r6animateur. Le plus souvent, les ACC de type antiprothrombinase s'accompagnent de manifestations de thromboses art6rielles ou veineuses [9,

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10]• La frrquence des thromboses est Elevre : environ 28 % des malades ayant un A C C de type antithromboplastine en prrsentent une au cours de l'Evolution de leur maladie. Dans le cas du syndrome de Soulier et Boffa, ces ph6nomrnes sont retrouvEs six fois sur les 19 observations. Un syndrome h6morragique est exceptionnel lorsqu'existe un A C C antithromboplastine, saul en cas de perturbations associres : il n ' a jamais Et6 dEcrit en cas de syndrome de Soulier et Boffa. La disparit6 entre la symptomatologie in vivo et in vitro s'expliquerait par une importante lib6ration in vivo de materiel phospholipidique au cours de l'agrEgation plaquettaire, ce qui sature l'inhibiteur circulant et assure une h6mostase correcte [11]. L'Evolution spontanEe montre que ces A C C n ' o n t pas tendance ~ disparattre, mais la corticoth6rapie peut &re efficace [1, 6]. Le dEpistage d ' u n A C C antiprothrombinase en phase prropEratoire ne justifie pas de thErapeutique particu• li~re et ne contre-indique pas la rralisation d'un acte chirurgical. Plusieurs types d'interventions ont Et6 rEalisEs chez des malades prdsentant un tel A C C : spl6nectomie, colectomie, c6sarienne, hyst6rectomie, circulation extracorporelle, biopsie rrnale, etc. I1 n'est pas rapport6 de tendance hdmorragique particulirre, sauf si coexistent une thrombopEnie, une baisse des facteurs du complexe prothrombinique ou d'autres facteurs de la coagulation [5, 8]. Pour SHAULIAN et coll., le risque est surtout present si le taux de prothrombine est infrrieur h 60 % et les plaquettes h 180 giga -1 1 [8]. DuFAY et coll. [2] rapportent une experience diffErente. Leurs deux malades ont prEsentE d'importants saignements en prriode postopEratoire, malgrE des valeurs prEop6ratoires de plaquettes et de taux de prothrombine supErieures ~ ces chiffres. La raison est peut-rtre qu'il s'agissait de malades en tr~s mauvais Etat gEnEral, ayant subi une circulation extracorporelle, ce qui a pu aggraver les perturbations prEoprratoires des facteurs de la coagulation et des plaquettes. Dans le cas du syndrome de Soulier et Boffa, on peut consid6rer que les probl~mes sont similaires ~ ceux poses par les A C C antiprothrombinase en gEnEral. En prriode postop6ratoire, tous ces malades sont consid6r6s ~ haut risque thrombo-embolique et le recours h l'hrparine par voie intraveineuse ou sous-cutanEe est indispensable. La surveillance et l'ajustement du traitement ne peuvent se faire que par la mesure comparre des temps de

C. MARTIN ET COLL.

thrombine et de reptilase, les seuls non perturb6s par la presence de I'ACC. Dans l'observation rapportre, l'hEparine calcique par voie sous-cutanre a 6t6 utilisre, l'efficacitE Etant surveill6e par ces tests. CONCLUSION

La chirurgie chez les malades ayant un A C C antiprothrombinase n'est pas grev6e d'un risque hrmorragique, h condition que ce trouble de l ' h r m o s t a s e soit isol6 et qu'il n ' y ait pas de tares associEes. Un traitement par l'hEparine est nrcessaire en pEriode postoprratoire, 6tant donne le risque de maladie thrombo-embolique. La surveillance repose sur la mesure rrprtEe des temps de thrombine et de reptilase. BIBLIOGRAPHIE

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