Rénimation 2001 ; 10 : 236-8 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1164675601001049/SCO
FAIT CLINIQUE
Choc cyclique et syndrome d’hyperperméabilité idiopathique A. Larcan* Service de réanimation médicale, hôpital central, 29, avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 54035 Nancy, France (Reçu et accepté le 21 décembre 2000)
Résumé À l’occasion d’un fait clinique rare mais typique, l’auteur qui a été l’un des premiers à rapporter ce type de pathologie rappelle les caractéristiques cliniques et biologiques du syndrome d’hyperperméabilité capillaire idiopathique. Il évoque aussi les possibilités thérapeutiques actuelles basées sur une connaissance des mécanismes physiopathologiques qui reste partielle. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS syndrome d’hyperperméabilité capillaire / traitement
Summary – Cyclic shock and systemic capillary leak syndrome. This is a commentary on the typical clinical and biological features of the capillary leak syndrome by one of the first physicians to publish on such a pathophysiological condition. It is also an opportunity to revisit the main therapeutic interventions available to improve this syndrome, whose mechanisms are still poorly understood. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS hyperpermeability capillary leak syndrome / treatment
Le choc cyclique est un syndrome qui fut décrit pour la première fois par Clarkson en 1960 [1] et dont j’ai rapporté la deuxième observation mondiale, d’évolution également fatale en 1962 [2]. Je confirmais la description princeps en soulignant l’association avec une gammapathie monoclonale qui existait dans l’observation de Clarkson, mais à laquelle ce dernier n’avait pas attaché d’importance. Par la suite, j’ai pu observer un deuxième cas tout aussi complet et lui aussi fatal [3], et la description a été complétée par la publication de cas isolés puis de séries [4, 5].
*Correspondance et tirés à part.
Les deux observations de Bracq publiées dans ce numéro de la revue Réanimation [6] confirment qu’il faut savoir y penser devant un tableau de choc hypovolémique sans cause évidente dans un service d’urgences. La clinique et la biologie de ce choc cyclique sont bien caractérisées, le mécanisme physiopathologique est à l’évidence celui d’une hyperperméabilité paroxystique mais les circonstances étiologiques, les associations demeurent variées, même si l’association initialement décrite de choc cyclique et de gammapathie monoclonale demeure la plus fréquente et la plus significative [7,
Choc cyclique et syndrome d’hyperperméabilité idiopathique
8]. Quant aux mécanismes intimes de l’hyperperméabilité et les relations mêmes avec la gammapathie, ils demeurent opaques. C’est la raison pour laquelle le choc cyclique est encore appelé syndrome d’hyperperméabilité idiopathique ou « systemic capillary leak syndrome ». La symptomatologie clinique est récurrente et les épisodes paroxystiques se succèdent selon une périodicité variable (de un tous les cinq jours à un par an), n’obéissant à aucune systématisation, si ce n’est parfois une recrudescence prémenstruelle. Il est habituel qu’un épisode pseudo-infectieux d’allure grippale précède de peu l’apparition des manifestations cliniques qui comprennent d’abord et surtout une chute tensionnelle (inférieure à 80 et même 50 mmHg) plus accentuée en orthostatisme, et un syndrome œdémateux tégumentaire plus marqué dans la région faciale [9] et aux membres supérieurs et s’étendant aux séreuses, se traduisant par une symptomatologie digestive ou pleuropulmonaire. Les œdèmes ne prennent que peu ou pas le godet. Exceptionnellement, l’œdème interstitiel peut conduire à un syndrome des compartiments et à une rhabdomyolyse. La chute tensionnelle qui correspond à une hypovolémie circulante peut créer un pseudo-cœur pulmonaire aigu ou même une insuffisance rénale fonctionnelle susceptible elle-même d’évoluer vers une insuffisance rénale aiguë avec nécrose tubulo-interstitielle. L’étude hémodynamique, lorsqu’elle a été pratiquée, est celle d’un choc hypovolémique avec index cardiaque abaissé et élévation des résistances artérielles. La biologie associe de façon constante hypoprotidémie et hypoalbuminémie à une élévation considérable de l’hématocrite (supérieur à 60 et atteignant parfois 80) et donc de la viscosité. L’analyse protidique montre que la diminution porte sur les protéines de poids moléculaire inférieur à 200 000 dont les immunoglobulines G, les fractions du complément C3-C4-C6, et il faut donc tenir compte de cette diminution dans l’interprétation du protidogramme. Il peut exister une élévation relative des immunoglobulines M et de C1 et ceci doit aussi être pris en compte indépendamment des gammapathies associées. Plus récemment, Andres [9] a noté une élévation des interleukines 2 et 6. L’existence d’une hyperperméabilité capillaire et d’une fuite plasmatique a été confirmée par le test de Landis classique (mesure du gradient de concentration des protéines après garrot) ou isotopique ainsi que par l’étude du métabolisme et des échanges. Si le métabolisme de l’albumine est normal (pas de fuite ni de catabolisme excessif), les échanges entre compartiments sont deux
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fois plus élevés que la normale et le taux de fuite plasmatique qui normalement se situe aux environs de 5 % peut atteindre 30 %. Curieusement, ces anomalies existent entre les poussées en l’absence de signes cliniques, mais sont plus accentuées lors des épisodes de choc. Enfin, les rares études ultrastructurales qui ont été réalisées surtout sur biospie musculaire ont mis en évidence un grand nombre de corps multivésiculaires, des bulles de l’endothélium artériolaire (« blebbing »), une action hétérophagique endothéliale accentuée, mais pas de signes de transport transendothélial accru et aucune anomalie morphologique des jonctions interendothéliales. La recherche des étiologies a permis de distinguer des syndromes nettement secondaires à des agents médicamenteux surtout utilisés dans le traitement des hémopathies malignes et des néoplasies : interleukine 2 et recombinant r interleukine 2, interféron alpha et bêta (en particulier interféron bêta 1), GMSMCSF ou Human granulocyte macrophage stimulating factor, anticorps monoclonaux humanisés, cytostatiques (comme le docetaxel). La plupart du temps, l’association la plus fréquente est celle d’une gammapathie monoclonale (immunoglobulines G kappa surtout) mais l’on a signalé également un myélome, une maladie de Waldenström, une cryoglobulinémie de type III avec présence d’immuns complexes, un lymphome malin non hodgkinien, une néoplasie (tumeur ovarienne), une papuloérythrodermie d’Ofreji. Il existe enfin des syndromes totalement primitifs et en apparence isolés mais où l’on peut toujours suspecter la première manifestation d’une néoplasie, d’une réticulopathie ou d’une hémopathie encore ignorée. L’évolution peut être celle de l’affection associée, mais à s’en tenir uniquement aux épisodes de choc, il faut souligner la gravité de l’évolution avec épisodes de plus en plus fréquents et de plus en plus graves. La médiane de survie par rapport au premier épisode se situe aux environs de quatre ans. Il convient de distinguer ce syndrome d’autres œdèmes et chocs susceptibles aussi d’évolution paroxystique : œdème de Quincke et choc anaphylactique, angioœdème intermittent avec éosinophilie (syndrome de Gleich), œdème angioneurotique à transmission dominante autosomique et défini par un déficit en inhibiteur de C1 estérase, œdème idiopathique orthostatique, œdèmes cycliques à recrudescence prémenstruelle, maladie périodique, etc. Même si les circonstances sont totalement différentes, il convient pour rechercher les
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A. Larcan
mécanismes en cause d’évoquer encore les œdèmes des brûlés avec élévation de interleukine 6 et les œdèmes dus aux prothèses au méthylacrylate. Il existe deux modèles expérimentaux qui peuvent être rapprochés du syndrome : injection de pseudomonas chez la souris permettant d’incriminer des immunotoxines, et injection de ricine A sur souris SCID (severe combined immunodeficiency disease) greffée avec de la peau humaine. Le mystère demeure concernant les mécanismes de l’hyperperméabilité et plus encore de l’hyperperméabilité paroxystique qui ne semblent pas mettre en cause une activation du complément. On a invoqué le rôle possible de la sérotonine, des nucléotides adényliques (AMP, ADP, ATP), de la bradykinine, des leucotriènes divers, du VEGF, du Fas ligand et de la perforine, etc. Les hypothèses les plus récentes s’orientent vers le rôle des interleukines 2 et 6 et de leurs récepteurs [10], sur celui également des canaux ioniques en particulier des canaux portant sur les échanges du calcium libre. Une synthèse intégrerait un dysfonctionnement endothélial lié aux cytokines (interleukines) et aux lymphocytes cytotoxiques (CD44) activés par l’interleukine 2 [10, 11]. Un rapprochement peut être fait avec les infiltrats de lymphocytes T, CD8 parfois rencontrés, et qui expliqueraient par ailleurs, au moins en partie, les diverses associations décrites. Quant aux traitements essentiellement symptomatiques, à la phase aiguë, ils cherchent surtout à réduire la fréquence des accès et donc la gravité évolutive. Ont été utilisés : les corticoïdes, les anti-inflammatoires non stéroïdiens, les antioxydants, les veinotropes (ginkgo biloba) et surtout les bases xanthiques inhibitrices des phosphodiestérases (aminophylline et théophylline), la terbutaline [4, 5, 12] ; les gammaglobulines en raison de leur effet anti-idiotypique et aussi anticytokines et anticomplément ; sans oublier, lorsqu’il existe une néo-
plasie, les antimitotiques et l’effet de la cyclosporine sur l’interleukine 2, et encore pour les gammapathies malignes la plasmaphérèse. RE´FE´RENCES 1 Clarkson B, Thomson D, Horwith M, Luckey H. Cyclical edema and shock due to increased capillary permeability. Am J Med 1960 ; 29 : 193-216. 2 Larcan A, Calamai M, Heully MC, Helmer J. Choc cyclique per exagération de la perméabilité capillaire. Responsabilité probable d’une immunoglobuline G. Presse Méd 1969 ; 77 : 1931-9. 3 Larcan A, Lapreuvote-Heully MC, Lambert H. Cyclical shock with hyperglobulinemia. Bibl Anat 1975 ; 13 : 343-6. 4 Amoura Z, Papo T, Ninet J, Hatron PY, Guillaumie J, Piette AM, et al. Systemic capillary leak syndrome : report/on 13 patients with special focus on course and treatment. Am J Med 1997 ; 103 : 514-9. 5 Droder RM, Kyle RA, Greipp PR. Control of systemic leak syndrome with aminophylline and terbutaline. Am J Med 1992 ; 92 : 523-6. 6 Bracq C, Souyris F, Masse C, Boldron A, Poivre P, Vanrenterghem B, et al. Le syndrome d’hyperperméabilité capillaire idiopathique : à propos de deux cas. Réanimation 2001 ; 10 : 232-5. 7 Atkinson JP, Waldmann TA, Stein SF, Gelfand JA, Macdonald WJ, Heck LW, et al. Systemic capillary leak syndrom and monoclonal IgG gammapathy. Medicine 1977 ; 56 : 225-39. 8 Zhang W, Ewan PW, Lachmann PJ. The paraproteins in systemic capillary leak syndrome. Clin Exp Immunol 1991 ; 93 : 424-9. 9 Andres E, Vinzio S, Ruellan A, Herbrecht R, Goichot B, Schlienger JL. Syndrome d’hyperperméabilité capillaire de la face. Presse Méd 2000 ; 29 : 1279-81. 10 Cicardi M, Berti E, Caputo V, Radicc F, Gardinali M, Agostini A. Idiopathic capillary leak syndrome : evidence of CD8 positive lymphocytes surrounding damaged endothelial cells. J Allergy Clin Immunol 1997 ; 99 : 417-9. 11 Rafi-Janajreh AQ, Chen O, Schmits R, Mak TW, Grayson RL, Sponenberg DP, et al. Evidence for the involvement of CD 44 in endothelial cell injury and induction of vascular leak syndrome by IL2. J Immunol 1999 ; 163 : 1619-27. 12 Tahirkheli NK, Greipp PR. Treatment of the systemic capillary leak syndrome with terbutaline and theophylline. Ann Int Med 1999 ; 130 : 905-9.