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du rapport bénéfice sur risque, mais où l’anesthésie et la chirurgie sont de plus interdépendantes. Le bénéfice attendu étant d’abord chirurgical, l’anesthésie est comprise par le patient comme un risque surajouté mais incontournable. Parmi ceuxci, la possibilité d’une réaction allergique est à considérer. Si l’utilisation d’antibiotique (antibioprophylaxie chirurgicale), de soluté macromoléculaire (hypovolémie franche) s’impose dans ces situations, on peut discuter le recours aux myorelaxants, quand la chirurgie ne le justifie pas, d’autant qu’ils sont le plus souvent en cause dans ces accidents [1]. On peut lire, sous la plume de référents, que les curares sont à l’origine de « complications imprévisibles, souvent sévères, dont les circonstances de survenue sont sans rapport avec l’état du patient et dont l’issue est parfois mortelle malgré une prise en charge rapide et apparemment bien conduite ». Si l’on suit les recommandations de la Sfar en la matière [2, 3] « l’intubation sans curare peut être proposée lorsque la curarisation n’est pas nécessaire à l’acte chirurgical » si les effets hémodynamiques liés à des posologies élevées d’hypnotique et de morphinique sont acceptables pour un patient donné. La curarisation systématique permet une amélioration des conditions d’intubation et elle réduit le risque traumatique lors du geste mais elle expose à un risque allergique grave potentiellement mortel [4]. La probabilité d’un accident est plus élevée en l’absence de curare (traumatisme des voies aériennes) mais la gravité est extrême en sa présence (choc anaphylactique). On oppose ainsi deux risques. Mais peut-on raisonnablement comparer ces deux données qualitatives ? Quelle option choisirait le patient bien informé ? En pratique quotidienne, l’information sur ce risque particulier, est exceptionnellement donnée à moins de devoir argumenter longuement avec le patient… La fiche d’information de la Sfar prévient tacitement le patient s’il ne prend pas l’initiative d’évoquer ce risque en consultation d’anesthésie. Pourtant, c’est aussi cette « peur de l’anesthésie » qui est évoquée à ce moment et que l’on décrypte ainsi : être victime d’un accident d’anesthésie, grave et imprévisible, confinant au coma définitif ou entraînant la mort. La recherche de la responsabilité d’un praticien lors d’un accident allergique lié au curare peut entraîner sa condamnation, soit pour « risque supplémentaire », soit pour « défaut d’information » sur ce risque et son corollaire qualifié de perte de chance (de s’y soustraire), ou encore pour une prise en charge inappropriée de l’accident allergique grave [5,6]. L’inverse est vrai d’ailleurs aussi, lorsque la curarisation n’est pas effectuée pour limiter le risque traumatique lors d’une sismothérapie [7]… La controverse persistante (curarisation systématique ou non pour l’intubation) signifie peut être que la réponse est ailleurs ? L’usage d’un curare ne devrait-il pas être raisonné en termes de rapport bénéfice sur risque tel que le praticien en charge d’un patient l’évalue et tel qu’il aura à en répondre éventuellement devant un magistrat (qui ne suit pas toujours l’avis de l’expert) ? La médecine basée sur les évidences ne devraitelle pas aussi prendre en compte les faits médicojudiciaires ?
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Remerciements À Maître Isabelle Lucas-Baloup, avocat à la Cour de Paris, pour son aide bibliographique. Références [1] Mertes MP, Laxenaire MC. Épidémiologie des réactions anaphylactiques et anaphylactoïdes peranesthésiques en France. Septième enquête multicentrique (janvier 2001-décembre 2002). Ann Fr Anesth Reanim 2004; 23:1133–43. [2] Sfar. Conférence de consensus. Prise en charge des voies aériennes en anesthésie adulte, à l’exception de l’intubation difficile (texte court 2002). Ann Fr Anesth Reanim 2003;22:745–9 (http://www.sfar.org/vasccons.html). [3] Sfar. Conférence de consensus. Indications de la curarisation en anesthésie (texte court 1999). Ann Fr Anesth Reanim 2000;19:fi34–7 (http://www. sfar.org/curarisationccons.html). [4] Combes X, Dhonneur G. Faut-il un curare pour intuber? In: Communication scientifiques. Kremlin-Bicêtre: Mapar; 2005. p. 25–30. [5] Cour d’appel de Rennes, Arrêt no 340 du 21 septembre 2005. [6] Cour d’appel de Riom, Arrêt no 01/1355 du 18 décembre 2003. [7] Tribunal Administratif de Nantes, chambre 3, 11 octobre 1984.
C. Leclerc Service d’anesthésie et de chirurgie ambulatoire, clinique de la Miséricorde, 15, Fosses Saint-Julien, 14000 Caen, France Adresse e-mail :
[email protected] (C. Leclerc). Disponible sur internet le 23 mars 2007 0750-7658/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annfar.2007.02.017
Choc septique à Capnocytophaga canimorsus Septic failure due to Capnocytophaga canimorsus Mots clés : Choc septique ; Capnocytophaga canimorsus ; Purpura Keywords: Septic failure; Capnocytophaga canimorsus; Purpura
Les morsures canines sont à l’origine d’une pénétration tissulaire des germes de la cavité buccale de l’animal mordeur, dont Capnocytophaga canimorsus. Soixante-deux heures après une morsure canine bénigne, un patient de 61 ans était adressé au service d’accueil des urgences dans un contexte d’état de choc fébrile avec un examen cutané mettant en évidence une coloration violacée au niveau de la face, du tronc et de la racine des membres. Une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD), une acidose métabolique lactique et d’une insuffisance rénale aiguë oligoanurique compliquaient cet état de choc. Un traitement symptomatique de la défaillance multiviscérale et une antibiothérapie à large spectre étaient instaurés. Un bacille à Gram négatif était isolé dans les
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hémocultures au troisième jour et identifié seulement au 14e jour d’incubation : C. canimorsus (confirmé par séquençage ARN). L’examen clinique révélait une extension du purpura nécrotique aux membres à prédominance distale. L’amputation des deux jambes à leur tiers moyen et d’un total de six doigts à la troisième semaine d’évolution permettait d’obtenir la régression du sepsis, de l’instabilité hémodynamique et de l’insuffisance rénale. Ce patient a survécu à ce choc infectieux ainsi qu’à ses multiples complications après cinquante-trois jours de réanimation. Les bactéries du genre Capnocytophaga spp sont des bacilles à Gram négatif, aérobies et capnophiles à croissance lente. Le mécanisme de contamination relève le plus souvent d’une morsure, du léchage d’une plaie ou d’une griffure [1]. Ces bactéries sont sensibles aux bêta-lactamines, aux fluoroquinolones, au chloramphénicol, à la clindamycine et à l’érythromycine. Elles possèdent une résistante naturelle aux aminoglycosides, au triméthoprime, au métronidazole et à l’aztréonam. À l’opposé de la pasteurellose dont la durée d’incubation est très courte et l’évolution très rapide (quelques heures), l’intervalle libre séparant l’inoculation des manifestations pathologiques de l’infection à C. canimorsus peut varier de 24 heures à sept jours. L’éthylisme chronique, l’asplénisme, une granulopénie ou une corticothérapie au long cours semblent être associés à une gravité accrue. La forme clinique de l’infection est variable : choc septique (cas le plus fréquent), méningite, endocardite infectieuse mais aussi arthrite [2,3]. Dans la majorité des cas, les formes graves succèdent à une phase prodromique associant des signes généraux fièvre, malaise et souvent des signes digestifs (30 %) en imposant parfois pour un syndrome abdominal aigu chirurgical, ce qui a pu conduire à la réalisation de laparotomies blanches dans plusieurs observations [4]. La coloration, violacée particulière des téguments, notamment au visage est rapportée dans certaines observations [5]. Le polymorphisme des présentations cliniques, un intervalle libre variable séparant l’incident initial du processus morbide, apportent peu d’aide au diagnostic étiologique. Les hémocultures permettent d’isoler le germe dans un intervalle variant de 48 heures à 14 jours. Les délais d’isolement après repiquage sur milieu solide sont longs, témoignant de la présence d’une bactérie à croissance difficile et facteur d’errance diagnostic. Ces délais soulignent l’intérêt de préciser au laboratoire la notion de morsure canine précédant l’infection. La gravité potentielle de l’infection souligne l’importance du traitement local des plaies par morsures associé à une antibiothérapie précoce dès lors qu’il existe des signes locaux patents d’infection, surtout s’il existe un terrain à risque comme l’asplénisme, l’alcoolisme ou toute autre cause d’immunodéficience secondaire ou constitutionnelle.
Le cas que nous rapportons souligne la gravité potentielle d’une morsure de chien d’apparence bénigne. Les formes graves associées à une CIVD sont fréquemment létales ou à l’origine de séquelles fonctionnelles majeures. Le pronostic qui peut être très sombre tranche avec la sensibilité de la bactérie aux antibiotiques les plus accessibles et les plus fréquemment prescrits en médecine de ville. Références [1] Lion C, Escande F, Burdin JC. Capnocytophaga canimorsus infections in human: review of the literature and cases report. Eur J Epidemiol 1996;12: 521–33. [2] Pers C, Gahrn-Hansen B, Frederiksen W. Capnocytophaga canimorsus septicemia in Denmark, 1982-1995: review of 39 cases. Clin Infect Dis 1996;23:71–5. [3] Le Moal G, Landron C, Grollier G, Robert R, Burucoa C. Meningitis due to Capnocytophaga Canimorsus after receipt of a dog bite : Case Report and Review of the literature. Clin Infect Dis 2003;36:42–6. [4] Depres-Brummer P, Buijs J, Van Engelenburg KC, Oosten HR. Capnocytophaga canimorsus sepsis presenting as an acute abdomen in an asplenic patient. Neth J Med 2001;59:213–7. [5] Gouin P, Veber B, Collange O, Frebourg N, Dureuil B, et al. Un choc septique d’étiologie inhabituelle : Capnocytophaga canimorsus. Le chien est-il toujours le meilleur ami de l’homme ? Ann Fr Anesth Reanim 2004;23:1185–8.
V. Mardelle* Département d’anesthésie–réanimation, hôpital d’instruction des Armées-Laveran, boulevard Laveran, 13013 Marseille, France Adresse e-mail :
[email protected] (V. Mardelle). S. Vedy Laboratoire de microbiologie, hôpital d’instruction des Armées-Laveran, boulevard Laveran, 13013 Marseille, France G. Dosseh E. Peytel Département d’anesthésie–réanimation, hôpital d’instruction des Armées-Laveran, boulevard Laveran, 13013 Marseille, France Disponible sur internet le 23 mars 2007 *Auteur
correspondant.
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