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ScienceDirect Droit Déontologie & Soin 15 (2015) 188–196
Chronique
Chronique d’actualité jurisprudentielle de droit ordinal, en matière administrative et disciplinaire Gilles Devers 23, rue des Belles-Feuilles, 75116 Paris, France Disponible sur Internet le 14 mai 2015
1. Action administrative 1.1. Procédure d’inscription au tableau • Conseil d’État, 25 février 2015, no 362988 Les décisions des instances compétentes de l’ordre des médecins relative à l’inscription au tableau de l’ordre, qui sont de type administratif, ne sont pas au nombre de celles auxquelles les stipulations de l’article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont applicables. Par ailleurs, aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obstacle à ce que le président du conseil de l’ordre exerce lui-même les fonctions de rapporteur de la demande d’inscription au tableau, ni ne prévoit que son rapport soit communiqué à l’intéressé. De même, aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit que les réunions au cours desquelles les décisions sont prises soient publiques. Commentaire La procédure d’inscription un tableau est d’ordre administratif et non juridictionnel, comme l’est, elle, la phase disciplinaire. C’est ce que rappelle le Conseil d’État dans cette affaire, reprenant des solutions acquises depuis longtemps. Sur la question du rapport, les analyses sont moins convaincantes. Il s’agit certes d’un acte préparatoire, qui en tant que tel ne fait pas grief. Mais si rien n’impose de communiquer à l’avance un acte préparatoire, rien ne l’interdit non plus, et dans le contexte d’une institution ordinale, marquée par une vraie qualité relationnelle, la procédure serait renforcée si le rapport était transmis à l’avance au praticien concerné. Adresse e-mail :
[email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2015.04.017 1629-6583/© 2015 Publié par Elsevier Masson SAS.
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1.2. Pratique suffisante pour être inscrit au tableau • Conseil d’État, 25 février 2015, no 362988 Faits Par une décision du 12 janvier 2012, le conseil départemental de l’ordre des médecins des Pyrénées-Atlantiques a rejeté la demande d’inscription au tableau présentée par un médecin. Sur recours de celui-ci, le conseil régional de l’ordre des médecins d’Aquitaine a également rejeté cette demande par décision du 4 mai 2012. Sur un nouveau recours de l’intéressé, le Conseil national de l’ordre des médecins a, à son tour, rejeté cette demande par la décision attaquée du 5 juillet 2012. Analyse Aux termes des dispositions de l’article L. 4112-1 CSP qui posent le principe de l’inscription au tableau de l’ordre : « Nul ne peut être inscrit sur ce tableau s’il ne remplit pas les conditions requises par le présent titre et notamment les conditions nécessaires de moralité, d’indépendance et de compétence ». Le Conseil national de l’ordre des médecins a pu légalement estimer que le médecin, qui n’avait plus pratiqué la médecine depuis 1992 et dont il ressort des pièces du dossier qu’il n’avait pas suffisamment tenu à jour ses connaissances, n’offrait pas, s’agissant de l’obligation de délivrer des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science posée à l’article R. 4127-32 CSP, des garanties suffisantes. C’est, par suite, par une exacte application des dispositions citées ci-dessus de l’article L. 4112-1 CSP que le Conseil national de l’ordre des médecins a refusé son inscription au tableau de l’ordre. Commentaire L’inscription au tableau de l’Ordre est loin d’être formalité, contrairement à ce qui peut parfois être perc¸u. La titularité du titre de Docteur en médecine n’est qu’un élément, car l’Ordre doit ensuite prendre en compte les questions de moralité, d’indépendance et de compétence. Cette affaire traite du troisième volet, celui de la compétence, et il semble bien que le médecin assimilait ce critère à la seule possession du titre. Or, un médecin est un praticien, qui doit donc prouver sa capacité à pratiquer de manière effective, et il est à ce titre soumis à des obligations de formation professionnelle. Dès lors, la décision rendue par les instances ordinales ne saurait surprendre, après cet arrêt d’activité depuis 1992. Il reste au médecin à reprendre un processus de formation et à suivre des stages, avant de pouvoir déposer une nouvelle demande. Le conseil départemental pourra d’ailleurs le conseiller utilement. 2. Action disciplinaire 2.1. Procédure 2.1.1. Obligation de prendre en compte les notes en délibéré • Conseil d’État, 27 février 2015, no 376381 La chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins est tenue de faire application, comme toute juridiction administrative, des règles générales relatives à toutes les productions postérieures à la clôture de l’instruction. Ainsi, il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance des notes en délibéré et de les viser.
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Il ressort des pièces du dossier soumis à la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins que le praticien poursuivi avait, au soutien de son appel dirigé contre la décision du 2 mars 2012 de la chambre disciplinaire de première instance de Bourgogne, produit le 8 janvier 2014, postérieurement à l’audience de la chambre disciplinaire nationale et antérieurement à la lecture de sa décision, une note en délibéré. Cette note en délibéré n’a pas été visée par la décision attaquée et il était soutenu que cette demande était déjà exposée dans un précédent mémoire. Cette circonstance ne pouvait exonérer la juridiction de l’obligation rappelée ci-dessus. Par suite, la décision de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins doit être annulée. Commentaire Cette question n’avait jamais été tranchée par la jurisprudence, et cet apport est important. La position adoptée par la juridiction nationale était illogique et frileuse, alors qu’une juridiction n’a rien à craindre du jeu entier du contradictoire et des droits de la défense. Désormais, les notes en délibéré seront prises en compte, mais comment seront-elles traitées ? Pour qu’elle ait un intérêt réel, il faut que la note réponde ponctuellement à des points qui ont jailli lors de l’audience, car la note n’a aucune légitimité si c’est pour reprendre et souligner ce qui a été déjà été dit, étant rappelé que la procédure disciplinaire est écrite. Par ailleurs, l’avocat qui entend déposer une note en délibéré a tout intérêt à l’annoncer lors de l’audience, pour que la juridiction en tienne compte pour organiser son délibéré. 2.1.2. Obligation de communique l’ensemble des pièces • Conseil d’État, 25 février 2015, no 361995 Aux termes de l’article R. 145-19 CSS : « Lorsque les parties joignent des pièces à l’appui de leurs plaintes ou de leurs mémoires, ces pièces sont accompagnées de copies qu’elles certifient conformes en nombre égal à celui des autres parties augmentées de deux. Toutefois, lorsque le nombre, le volume ou les caractéristiques des pièces font obstacle à la production de copies, les autres parties ou leurs mandataires en prennent connaissance au secrétariat et peuvent en prendre copie à leurs frais (. . .) Les copies des plaintes et des mémoires produits sont communiqués, ainsi que les pièces jointes, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa du présent article, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, aux parties intéressées ». Après avoir relevé que le médecin n’avait pas eu communication des pièces accompagnant la plainte déposée contre lui et qu’il n’avait pas été invité à venir en prendre connaissance au greffe de la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance de l’ordre des médecins d’Aquitaine, la section des assurances sociales du Conseil national de l’ordre des médecins a pu juger à bon droit que les dispositions précitées avaient été méconnues et annuler pour ce motif la décision de première instance. Commentaire S’il existe parfois une certaine souplesse dans la gestion du contradictoire, comme pour les opérations d’expertise ou pour certaines phases de l’enquête préalable, la règle doit être appliquée sans réserve pour l’accès au dossier, sans que le praticien ait à prouver en quoi cette communication incomplète a préjudicié à ses droits.
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2.1.3. Indépendance de la juridiction disciplinaire (Ordre des pharmaciens) • Conseil constitutionnel QPC no 2014-457 QPC du 20 mars 2015
Méconnaissance du principe d’indépendance Aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Les principes d’indépendance et d’impartialité sont indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles ». L’article L. 4234-10 CSP dispose que : « Lorsque les différents conseils statuent en matière disciplinaire sur saisine du ministre chargé de la santé ou du directeur général de l’agence régionale de santé, les représentants de l’État mentionnés aux articles L. 4231-4 et L. 4232-6 à L. 4232-15 ne siègent pas dans ces instances ». Ces dispositions font obstacle à ce que les représentants de l’État mentionnés aux 2◦ et 3◦ de l’article L. 4231-4 CSP siègent au conseil national de l’ordre des pharmaciens réuni en formation disciplinaire lorsque la saisine émane d’un ministre ou d’un autre représentant de l’État. Elles instituent des garanties légales appropriées relatives aux fonctionnaires membres du conseil national de l’ordre des pharmaciens statuant en matière disciplinaire permettant de satisfaire au principe d’impartialité. Le directeur général de la santé ou le pharmacien inspecteur de santé publique qu’il désigne mentionnés au 2◦ de l’article L. 4231-4 et le pharmacien du service de santé mentionné au 3◦ du même article ne siègent pas en tant que membres nommés au sein du conseil national de l’ordre des pharmaciens statuant en matière disciplinaire mais en qualité de représentants respectivement du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de l’outre-mer. Les dispositions contestées, même si elles prévoient que ces fonctionnaires siègent dans ce conseil statuant en matière disciplinaire avec voix consultative, méconnaissent le principe d’indépendance. Ainsi, les 2◦ et 3◦ et le treizième alinéa de l’article L. 4231-4 du code de la santé publique sont contraires à la Constitution. Mise en œuvre de la mesure Aux termes du deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause. Si en principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration. L’abrogation immédiate des 2◦ , 3◦ et du treizième alinéa de l’article L. 4231-4 du code de la santé publique aurait pour effet de modifier la composition du conseil national de l’ordre des pharmaciens statuant en matière disciplinaire mais aussi pour l’ensemble de ses attributions. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives ; qu’il y a lieu, dès lors, de reporter au 1er janvier 2016 la date de cette abrogation afin de permettre au législateur de remédier à l’inconstitutionnalité constatée. De plus, afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou,
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au plus tard, jusqu’au 31 décembre 2015, les représentants de l’État ne siègeront plus au conseil national de l’ordre des pharmaciens statuant en formation disciplinaire. Enfin, la mise en cause de l’ensemble des décisions prises sur le fondement des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait des conséquences manifestement excessives. Par suite, les décisions rendues avant la publication de la présente décision par le conseil national de l’ordre des pharmaciens statuant en matière disciplinaire ne peuvent être remises en cause sur le fondement de cette inconstitutionnalité que si une partie l’a invoqué à l’encontre d’une décision n’ayant pas acquis un caractère définitif au jour de la publication de la présente décision. Commentaire Solution de bon sens retenue par le Conseil constitutionnel. Il est simplement regrettable que l’Ordre n’ait pas anticipé, alors qu’il est le mieux placé pour apprécier le fonctionnement effectif de la juridiction, et qu’il devrait être le premier à s’assurer que son indépendance ne puisse souffrir d’un doute. Or là, le conflit était patent. 2.1.4. Indépendance de la juridiction disciplinaire (Ordre des médecins) • Conseil d’État, 21 janvier 2015, no 370069, tables Le principe d’impartialité des juridictions, garanti par les stipulations du 1er paragraphe de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés individuelles, s’oppose à ce que soit conféré à une même autorité le pouvoir de poursuivre et celui de juger. Le requérant soutient que les dispositions de l’article L. 4132-5 du CSP qui fixent la composition de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins, en prévoyant que les membres qui la composent sont notamment élus parmi les membres du Conseil national de l’ordre des médecins alors que ce dernier jouit de pouvoirs de poursuite en application des dispositions de l’article R. 4126-1 du même code, seraient contraires au principe d’impartialité. Toutefois, les dispositions critiquées ne portent, par elles-mêmes, aucune atteinte à ce principe, dès lors qu’en vertu des dispositions de l’article L. 4122-3 CSP, aucun membre de la chambre disciplinaire nationale ne peut siéger lorsqu’il a eu connaissance des faits de la cause à raison de l’exercice d’autres fonctions ordinales. Commentaire Les textes ont évolué pour qu’au sein de l’institution ordinale, soit mieux séparées les filières administratives et juridictionnelles. La solution trouvée est ici très correcte : aucun membre de la chambre disciplinaire nationale ne peut siéger lorsqu’il a eu connaissance des faits de la cause à raison de l’exercice d’autres fonctions ordinales. 2.2. Fautes disciplinaires 2.2.1. Publicité licite ou illicite • Conseil d’État 21 janvier 2015, no 362761, Tables voir point 2 Faits et procédure Un praticien est inscrit au tableau de l’ordre des chirurgiens-dentistes de Paris ainsi qu’au General dental council du Royaume-Uni. Le 12 mars 2010, le conseil départemental de la Ville de Paris de l’ordre des chirurgiens-dentistes a porté plainte contre lui auprès de la chambre
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disciplinaire de première instance d’Île-de-France pour avoir diffusé des messages publicitaires contraires à l’article R. 4127-215 CSP sur deux sites Internet en langue anglaise qu’il administrait. Cette plainte a été rejetée par une décision du 28 mars 2011. Sur appel du conseil départemental de la Ville de Paris, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes a infligé à ce praticien par une décision du 5 juillet 2012, la sanction de l’avertissement au titre des messages publiés sur le site lingualorthodonctics.net, qu’elle a jugés contraires à l’article R. 4127-215 CSP. En droit Aux termes de l’article R. 4127-215 CSP : « La profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Sont notamment interdits : (. . .) 3◦ Tous procédés directs ou indirects de publicité ». Constitue un procédé publicitaire prohibé au sens de cet article, la mise à disposition du public, par un praticien ou sans que celui-ci ne s’y soit opposé, d’une information qui ne se limite pas à un contenu objectif et qui vise à promouvoir auprès de patients éventuels l’activité au titre de laquelle ce praticien est inscrit au tableau de l’ordre des chirurgiens-dentistes en France. Dans l’hypothèse où, eu égard à son contenu, cette information n’est pas destinée à de telles personnes, la circonstance qu’elle leur soit librement accessible, notamment lorsqu’elle figure sur un site Internet, n’est pas, par elle-même, de nature à lui conférer le caractère d’une publicité prohibée. Analyse Après avoir relevé que les messages figurant sur le site Internet lingualorthodontics.net ne se limitaient pas à une information objective, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes a jugé que les circonstances que le praticien disposait d’un cabinet en Angleterre, que le site était rédigé en anglais et qu’il ne faisait pas mention du cabinet franc¸ais du praticien n’étaient pas de nature à priver ces messages de caractère publicitaire au sens de l’article R. 4127-215 CSP, dès lors qu’ils étaient « accessibles en France ». Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 2 que les circonstances ainsi relevées par la chambre disciplinaire nationale et jugées par elle inopérantes étaient bien de celles dont le praticien pouvait utilement se prévaloir pour établir que l’information disponible sur le site litigieux n’était pas prohibée. 2.2.2. Fautes disciplinaires dans la gestion d’un conseil départemental • Conseil d’État, 21 janvier 2015, no 370069, tables Pour juger qu’un médecin avait commis de graves fautes dans l’exercice de ses fonctions de trésorier du conseil de l’ordre départemental des médecins du Pas-de-Calais, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a relevé que ce médecin avait consenti pendant plusieurs années à ce que des avances sur indemnités ou remboursements de frais fussent accordés au président de ce conseil, en toute irrégularité, entraînant une dette importante du président à l’égard du conseil départemental. Deux chèques de 30 000 euros et 9000 euros avaient été remis les 26 décembre 2007 et 25 janvier 2008 au président du conseil à des fins personnelles. Le médecin trésorier s’était abstenu de révéler ces agissements lors de la venue au conseil départemental d’une délégation du Conseil national de l’ordre des médecins le 1er octobre 2008. Si le médecin trésorier avait fait signer une reconnaissance de dette de 39 000 euros au président le 15 janvier 2008, il n’avait informé les autres membres du bureau de la situation qu’en novembre
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aurait fallu que la caisse interjette applet dans le délai de recours, l’appel incident n’existant pas en la matière. 2.3.2. Double contentieux disciplinaire : ordinal et des assurances sociales • Conseil d’État, 25 février 2015, no 361995 Faits et procédure Un médecin généraliste, condamné par la chambre disciplinaire du Conseil national de l’ordre des médecins, par une décision du 17 novembre 2011, à une interdiction du droit d’exercer la médecine pendant deux ans, avait fait l’objet d’un contrôle de son activité portant sur la période du 1er juillet 2006 au 31 décembre 2007. À l’issue de ce contrôle, le médecin-conseil, chef de service de l’échelon local de la HauteGaronne et la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Garonne ont saisi la juridiction du contrôle technique de la sécurité sociale d’une plainte contre ce praticien. Le 8 juillet 2011, la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance de l’ordre des médecins d’Aquitaine, a infligé à ce médecin la sanction de l’interdiction permanente du droit de donner des soins aux assurés sociaux. Par une décision du 10 juillet 2012, la section des assurances sociales du Conseil national de l’ordre des médecins a estimé qu’il y avait lieu d’infliger à l’intéressé la sanction de l’interdiction du droit de donner des soins aux assurés sociaux pour une durée de trois ans, mais a décidé que la durée d’exécution de cette sanction serait limitée à un an en raison de la sanction prononcée le 17 novembre 2011 par la chambre disciplinaire. Le médecin, d’une part, le médecin-conseil, chef de service de l’échelon local de la HauteGaronne et la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Garonne, d’autre part, se pourvoient en cassation contre cette décision. Sur la règle non bis in idem En droit Aux termes du neuvième alinéa de l’article L. 145-2 CSS : « Les sanctions prévues au présent article ne sont pas cumulables avec les peines prévues à l’article L. 4124-6 du code de la santé publique lorsqu’elles ont été prononcées à l’occasion des mêmes faits. Si les juridictions compétentes prononcent des sanctions différentes, la sanction la plus forte peut être seule mise à exécution ». Par sa décision no 2012-289 QPC du 17 janvier 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution. Aux termes de l’article 4 du protocole no 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par des juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État. Aux termes de l’article 14 § 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : « Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ». Il résulte de ces stipulations que la règle non bis in idem qu’elles énoncent ne trouve à s’appliquer que pour les poursuites en matière pénale. Les poursuites qui peuvent être engagées par les instances ordinales contre un médecin en raison de manquements aux obligations définies par le code de la santé publique, d’une part, et par le code de la sécurité sociale, d’autre
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part, se rattachent à l’exercice de droits et obligations à caractère civil et non à des accusations en matière pénale. Analyse Par suite, le médecin ne saurait utilement soutenir que la section des assurances sociales du Conseil national de l’ordre des médecins aurait méconnu ces stipulations en lui infligeant une sanction pour des faits partiellement identiques à ceux qui avaient motivé la sanction que la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a prononcée contre lui le 17 novembre 2011. La règle de non-cumul prévue par les dispositions de l’article L. 145-2 CSS trouve à s’appliquer alors même que les faits susceptibles d’être sanctionnés sur leur fondement ne sont qu’en partie les mêmes que ceux qui ont donné lieu à une sanction disciplinaire prononcée sur le fondement de l’article L 4124-6 CSP. Cette règle ne fait pas obstacle à ce que, dans une telle hypothèse, une sanction soit prononcée en application de l’article L 145-2 du code de la sécurité sociale, mais implique seulement que, pour son exécution, il soit tenu compte de la sanction disciplinaire déjà prononcée. Commentaire La solution rappelée dans cette affaire est sans surprise : la loi avait aménagé ce cumul et le Conseil constitutionnel avait validé ce principe de prise en compte mutuelle des sanctions prononcées. Il n’en reste pas moins que ce cumul est profondément insatisfaisant. Lorsqu’elles engagent des procédures dans le cadre du contentieux du contrôle technique, les caisses ne manquent pas de rappeler que la procédure n’est pas limitée au droit conventionnel et que la juridiction de la section des assurances sociales peut se prononcer sur tous les aspects de la pratique médicale. Dans le même temps, la juridiction disciplinaire assume sa compétence de principe et peut statuer sur les fautes commises par un praticien dans le cadre conventionnel. C’est donc, en droit et en fait un doublon, parfait. Aussi, il serait bien souhaitable que le législateur prenne ses responsabilités et supprime le contentieux du contrôle technique. La juridiction ordinale de droit commun offre toutes les garanties de fonctionnement et il serait plus simple et plus logique qu’il n’existe qu’un seul contentieux disciplinaire.