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ScienceDirect Droit Déontologie & Soin 17 (2017) 343–352
Chronique d’actualité
Droit ordinal Gilles Devers 23, rue des Belles-Feuilles, 75116 Paris, France Disponible sur Internet le 13 septembre 2017
Actualité de la jurisprudence en matière ordinale du 2e trimestre 2017 : diplÔme étranger et autorisation d’exerce une spécialité, conditions d’ouverture d’un cabinet secondaire, insuffisance professionnelle, faute disciplinaire et détermination de la sanction, responsabilité de l’Ordre à l’égard d’un médecin.
1. Diplôme étranger et autorisation d’exerce une spécialité 䊏 CAA de PARIS, 27 mars 2017, no 15PA02082 Faits Un praticien franc¸ais d’origine ukrainienne, a demandé à exercer en France la profession de médecin dans la spécialité neurologie. Il est titulaire du diplôme de docteur en médecine délivré le 3 janvier 1992 par l’université nationale de médecine de Lviv en Ukraine et il a, par ailleurs, obtenu, dans ce même État, le 28 janvier 2000, le titre de médecin spécialiste en neurochirurgie. Il est, en outre, titulaire d’une attestation de formation spécialisée approfondie de neurochirurgie du 19 octobre 2006 correspondant à quatre semestres de formation validée, d’un diplôme interuniversitaire en pathologie neurovasculaire délivré en 2010. En outre : • il a suivi plusieurs formations dont les « cours et ateliers pratiques en épileptologie » du 17 au 19 juin 2011 et l’enseignement pratique d’électroencéphalographie du 31 mars au 3 avril 2011 et du 20 au 23 octobre 2011 ; • il a participé à un stage de perfectionnement en neurochirurgie du 21 août 2003 au 16 mars 2004 et à la garde commune de neurochirurgie/neurologie au centre hospitalier de Lons-leSaunier de juin 2004 à avril 2007 ; • il a occupé les fonctions de « faisant fonction d’interne » en médecine du 2 mai au 1er novembre 2007 au sein de cet établissement hospitalier. Depuis cette date, il a été recruté en qualité de praticien hospitalier associé à raison de dix demi-journées par semaine et a intégré l’équipe neurologique régionale. Il ressort, également, des pièces du dossier qu’il a participé à une communication collective le 16 mai 2009 sur l’angiolipome Adresse e-mail :
[email protected] 1629-6583/$ – see front matter http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2017.07.020
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intrarachidien et la compression médullaire et a donné des cours destinés à des élèves infirmiers en neurologie et neurochirurgie respectivement les 6 et 10 avril 2009 et 2 et 9 mars 2009 sur les processus obstructifs. Par arrêté du 9 septembre 2013, la ministre des Affaires sociales et de la Santé l’a autorisé à exercer en France la profession de médecin dans la spécialité neurologie, en application de l’article L. 4111-2 CSP. Procédure Le CNOM fait valoir que la formation théorique et l’expérience pratique du praticien sont manifestement insuffisantes au regard des conditions habituellement requises pour l’obtention de la qualification de spécialiste quant au niveau de diplômes et de degré de responsabilité et d’autonomie dans la pratique professionnelle. Le CNOM a demandé l’annulation de cet arrêté. Par jugement du 24 mars 2015, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation. Le CNOM a interjeté appel. Analyse Formation théorique ou fondamentale Le CNOM soutient que le praticien devrait justifier d’un diplôme universitaire ou interuniversitaire dans le domaine de sa spécialité. Or, les dispositions du I de l’article L. 4111-2 CSP, qui se bornent à « autoriser individuellement à exercer les personnes titulaires d’un diplôme, certificat ou autre titre permettant l’exercice de la profession de médecin, chirurgien-dentiste ou sage-femme dans le pays d’obtention de ce diplôme, certificat ou titre », n’exigent nullement que le pétitionnaire justifie d’un diplôme afférent à une spécialité, mais seulement la réussite aux « épreuves anonymes de vérification des connaissances, organisées par profession, discipline ou spécialité ». En réalité, il ressort des pièces du dossier que le praticien a obtenu aux épreuves de vérification des connaissances en neurologie, à la session 2011, la note de 19/20 à l’épreuve de vérification des connaissances fondamentales. Dans ces conditions, le Conseil national ne peut invoquer l’absence de toute équivalence avec le diplôme d’études universitaires en neurologie ou encore celle de toute formation initiale en neurologie justifiant une formation diplômante ou l’insuffisance de sa formation en neurochirurgie. Expérience pratique Le Conseil national allègue que le praticien, qui n’a exercé que dans un centre hospitalier général, en qualité de praticien attaché associé, pendant cinq ans, avec peu d’autonomie, devrait compléter son activité pratique d’une année dans un service agréé pour la spécialité, notamment un centre hospitalier universitaire. Toutefois, les dispositions du I de l’article L. 4111-2 CSP n’imposent pas qu’un candidat justifie d’une pratique professionnelle dans un centre hospitalier universitaire ou dans un établissement agréé pour la formation des internes. Le service dans lequel le praticien exerce depuis 2007 est agréé pour la formation des internes en neurologie et possède une unité neurovasculaire et le rapport d’évaluation indique que le praticien est un « excellent praticien neurologue ». Commentaire Le Conseil de l’ordre perd le procès, car il retenait une lecture littérale des textes, alors que la juridiction administrative, sans écarter les aspects formels de titularité des diplômes, met l’accent sur la qualification des pratiques.
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2. Conditions d’ouverture d’un cabinet secondaire 2.1. Analyse insuffisante des besoins 䊏 CAA de NANTES, 7 juin 2017, no 16NT00917 Faits Le 8 mars 2013, une SCP exerc¸ant en cabinet principal à la clinique Pasteur de Brest, centre d’oncologie médicale, a obtenu l’autorisation d’ouvrir un cabinet secondaire à Quimper au sein de la clinique Saint-Michel Sainte-Anne à raison d’une demi-journée hebdomadaire assurée par l’un des médecins associés, oncologue radiothérapeute, par décision du conseil départemental de l’ordre des médecins du Finistère du 18 avril 2013. Procédure Le centre hospitalier intercommunal de Cornouaille a contesté cette décision devant le Conseil national, qui a rejeté son recours administratif préalable obligatoire par décision du 10 octobre 2013. Le centre hospitalier a saisi le tribunal administratif de Rennes d’une demande d’annulation de cette décision. La SCP relève appel du jugement du 31 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du Conseil national. En droit Les membres d’une société d’exercice libéral de médecins (. . .) ont une résidence professionnelle commune. Toutefois, la société peut être autorisée par le conseil départemental de l’ordre à exercer dans un ou plusieurs cabinets secondaires l’une ou plusieurs des disciplines pratiquées par ses membres si la satisfaction des besoins des malades l’exige et à la condition que la situation des cabinets secondaires par rapport au cabinet principal ainsi que l’organisation des soins dans ces cabinets permettent de répondre aux urgences (CSP, art. R. 4113-74). Le lieu habituel d’exercice d’un médecin est celui de la résidence professionnelle au titre de laquelle il est inscrit sur le tableau du conseil départemental, conformément à l’article L. 4112-1. Dans l’intérêt de la population, un médecin peut exercer son activité professionnelle sur un ou plusieurs sites distincts de sa résidence professionnelle habituelle : lorsqu’il existe dans le secteur géographique considéré une carence ou une insuffisance de l’offre de soins préjudiciable aux besoins des patients ou à la permanence des soins (CSP, art. R. 4127-85). En fait Pour soutenir que l’offre de soins en oncologie au sein du territoire de santé de Quimper est insuffisante, la SCP des praticiens produit : • l’étude réalisée le 18 avril 2013 par le médecin cardiologue mandaté par le conseil départemental, qui fait valoir que « les besoins existent » et que »des praticiens privés du secteur soulignent les difficultés d’obtention de rendez-vous dans des délais raisonnables au centre hospitalier intercommunal de Cornouaille », et la lettre de démission, le 25 juillet 2013, d’un médecin oncologue du centre hospitalier au regard d’une situation qualifiée de « surcharge de travail » ; • des avis de recrutement d’un praticien hospitalier oncologue édictés par l’établissement hospitalier public en juillet 2014 et juin 2016, soit postérieurement à la décision contestée. Or, la SCP n’appuie pas son argumentation sur des documents plus précis, tels que des éléments chiffrés relatifs notamment au nombre de patients traités dans ce type de pathologies au sein du territoire de santé de Quimper. Dans ces conditions, elle n’établit pas que l’ouverture sollicitée d’un cabinet secondaire répondait à l’exigence de « satisfaction des besoins des malades » au sens des dispositions de l’article R. 4113-74 CSP.
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Commentaire L’ouverture d’un cabinet secondaire est liée à une approche pratique et extrêmement fine des réalités du terrain, la juridiction administrative exerc¸ant un contrôle complet, comme elle le fait pour l’implantation et les transferts d’officines. 2.2. Analyse pertinente des besoins 䊏 CAA de BORDEAUX, 16 mai 2017, no 16BX00512 Faits Un médecin spécialisé en chirurgie orthopédique et traumatologie dont le lieu habituel d’exercice est à Montauban, a demandé au conseil départemental de Tarn-et-Garonne l’autorisation d’ouvrir un cabinet secondaire situé sur le territoire de la commune de Caussade. Par une décision du 18 septembre 2012, le conseil départemental a rejeté sa demande. L’intéressé a saisi le Conseil national qui a confirmé ce refus par une décision du 13 décembre 2012. Le Conseil national relève appel du jugement du 3 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé sa décision. En droit Le lieu habituel d’exercice d’un médecin est celui de la résidence professionnelle au titre de laquelle il est inscrit sur le tableau du conseil départemental, conformément à l’article L. 41121 CSP. Selon l’article R. 4127-85 CSP, dans l’intérêt de la population, un médecin peut exercer son activité professionnelle sur un ou plusieurs sites distincts de sa résidence professionnelle habituelle : • lorsqu’il existe dans le secteur géographique considéré une carence ou une insuffisance de l’offre de soins préjudiciable aux besoins des patients ou à la permanence des soins ; • ou lorsque les investigations et les soins qu’il entreprend nécessitent un environnement adapté, l’utilisation d’équipements particuliers, la mise en œuvre de techniques spécifiques ou la coordination de différents intervenants. Le médecin doit prendre toutes dispositions et en justifier pour que soient assurées sur tous ces sites d’exercice la réponse aux urgences, la qualité, la sécurité et la continuité des soins. Analyse La demande d’autorisation d’un site distinct à Caussade présentée par le praticien qui dispose d’un bloc opératoire dans une clinique de Montauban où se trouve son lieu habituel d’exercice, a pour objet d’exercer sur place, entre deux et quatre jours par semaine, une activité de consultations préopératoires et postopératoires ainsi que de petites interventions chirurgicales ambulatoires, ce cabinet secondaire étant équipé d’un matériel de radiologie, d’un matériel d’échographie et comportant une salle de soins. Contrairement à ce que soutient le Conseil national le « secteur géographique » qui doit être pris en compte en application des dispositions de l’article R. 4127-85 CSP n’est pas nécessairement le département ou même le « bassin de santé ». Ce secteur géographique peut être une zone du département, suffisamment peuplée, dans laquelle il existe, pour la spécialité considérée, une insuffisance de l’offre de soins préjudiciable aux besoins des patients. La commune de Caussade constitue avec la commune limitrophe de Monteils une unité urbaine d’environ 8000 habitants et fait partie de la communauté de communes du Quercy Caussadais regroupant environ 19 000 habitants. Elle a été classée en 2012 par l’agence régionale de santé Midi-Pyrénées en zone fragile pour laquelle des dispositifs ont été mis en place en vue de favoriser l’installation de médecins et de spécialistes.
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Aucun chirurgien orthopédiste n’est installé dans cette commune ou celles avoisinantes, les médecins de cette spécialité étant tous regroupés à Montauban ou à Moissac. Eu égard à la spécialité considérée, qui s’adresse majoritairement à des personnes âgées et se déplac¸ant difficilement, et compte tenu de l’absence de tout chirurgien orthopédiste installé à Caussade ou dans les communes avoisinantes, notamment celles qui sont plus éloignées de Montauban, la création du site distinct envisagé par le praticien, même s’il ne permet pas de procéder à des opérations nécessitant un bloc opératoire et même si Caussade se situe à 28 kilomètres de Montauban, est de nature à répondre à une insuffisance de l’offre de soins préjudiciable aux besoins des patients du secteur géographique considéré. Eu égard à la distance séparant le site habituel d’exercice de ce site distinct, l’ouverture de ce dernier ne peut être regardée en l’espèce, contrairement à ce que soutient le Conseil national, comme ne permettant pas au médecin d’assurer, sur le site habituel, la réponse aux urgences, la qualité, la sécurité et la continuité des soins. Dans ces conditions, en refusant par la décision attaquée, l’autorisation qu’il sollicitait, le Conseil national a fait une inexacte application des dispositions de l’article R. 4127-85 CSP. 3. Insuffisance professionnelle 3.1. Expertise des pratiques professionnelles 䊏 Conseil d’État, 7 juin 2017, no 401802, Tables Faits Informé par une patiente de ce que la responsabilité d’un praticien, médecin qualifié spécialiste en ophtalmologie, avait été engagée devant le juge judiciaire à raison de fautes commises à l’occasion d’interventions chirurgicales, le conseil départemental de la Moselle de l’Ordre de la Moselle a saisi le conseil régional de Lorraine en vue de l’engagement de la procédure prévue à l’article R. 4124-3-5 CSP. Le conseil régional n’ayant pas statué dans le délai de deux mois, le dossier a été transmis au Conseil national. Par une décision du 24 mai 2016, le Conseil national, statuant en formation restreinte, a suspendu pour une durée de dix-huit mois du droit d’exercer une activité chirurgicale et du droit de pratiquer des examens dits OCT (tomographie par cohérence optique) et lui a prescrit des obligations de formation, subordonnant la reprise de l’ensemble de son activité à la justification du respect de celles-ci. Le médecin demande l’annulation pour excès de pouvoir de cette décision. En droit Textes Aux termes de l’article R. 4124-3-5 CSP : « I.- En cas d’insuffisance professionnelle rendant dangereux l’exercice de la profession, la suspension temporaire, totale ou partielle, du droit d’exercer est prononcée par le conseil régional ou interrégional pour une période déterminée qui peut, s’il y a lieu, être renouvelée. Le conseil régional ou interrégional est saisi à cet effet soit par le directeur général de l’agence régionale de santé, soit par une délibération du conseil départemental ou du Conseil national. Ces saisines ne sont pas susceptibles de recours. « II. - La suspension ne peut être ordonnée que sur un rapport motivé établi à la demande du conseil régional ou interrégional dans les conditions suivantes : 1◦ Pour les médecins, le rapport est établi par trois médecins qualifiés dans la même spécialité que celle du praticien concerné désignés comme experts, le premier par l’intéressé, le deuxième
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par le conseil régional ou interrégional et le troisième par les deux premiers experts. Ce dernier est choisi parmi les personnels enseignants et hospitaliers titulaires de la spécialité (. . .) IV.- Les experts procèdent ensemble, sauf impossibilité manifeste, à l’examen des connaissances théoriques et pratiques du praticien. Le rapport d’expertise est déposé au plus tard dans le délai de six semaines à compter de la saisine du conseil. Il indique les insuffisances relevées au cours de l’expertise, leur dangerosité et préconise les moyens de les pallier par une formation théorique et, si nécessaire, pratique. Si les experts ne peuvent parvenir à la rédaction de conclusions communes, le rapport comporte l’avis motivé de chacun d’eux. Si l’intéressé ne se présente pas à la convocation fixée par les experts, une seconde convocation lui est adressée. En cas d’absence de l’intéressé aux deux convocations, les experts établissent un rapport de carence à l’intention du conseil régional ou interrégional, qui peut alors suspendre le praticien pour présomption d’insuffisance professionnelle rendant dangereux l’exercice de la profession VI. Si le conseil régional ou interrégional n’a pas statué dans le délai de deux mois à compter de la réception de la demande dont il est saisi, l’affaire est portée devant le Conseil national de l’Ordre. VII. - La décision de suspension temporaire du droit d’exercer pour insuffisance professionnelle définit les obligations de formation du praticien. Jurisprudence Il résulte des dispositions de l’article R. 4124-3-5 CSP que, pour établir leur rapport à la demande du conseil régional saisi par le directeur général de l’agence régionale de santé ou un autre conseil de l’ordre, les experts désignés peuvent faire porter leur expertise sur l’ensemble des connaissances théoriques et pratiques du praticien. Ils peuvent ainsi, de leur propre initiative ou à la demande du conseil régional, élargir leur expertise à d’autres aspects de la pratique médicale que ceux ayant donné lieu à la saisine du conseil régional. En revanche, eu égard à la garantie que constitue, pour le praticien concerné, le rapport d’expertise prévu par ces dispositions, aucune décision de suspension temporaire ne peut être prononcée sur leur fondement pour des pratiques professionnelles qui, sauf rapport de carence, n’auraient fait l’objet d’aucun examen par les experts. Analyse Le praticien n’est pas fondé à soutenir qu’en l’absence de mention de ses connaissances en matière d’examens dits d’OCT, le rapport d’expertise ne pouvait régulièrement procéder à l’examen de ses connaissances théoriques et pratiques dans ce domaine. Le rapport d’expertise ayant ainsi porté sur la maîtrise par le praticien des examens dits d’OCT, il n’est pas davantage fondé à soutenir que la décision litigieuse du Conseil national aurait excédé le champ des activités sur lesquelles elle pouvait porter. 3.2. Contrôle approfondi par la juridiction administrative 䊏 Conseil d’État, 7 juin 2017, no 403567 Faits Sur une saisine du conseil départemental du Tarn de l’ordre des médecins, la formation restreinte du Conseil national de l’ordre, à laquelle l’affaire avait été renvoyée en application des dispositions du II de l’article R. 4123-3-5 CSP a, par décision du 7 juillet 2016, suspendu un praticien, chirurgien vasculaire, du droit, d’une part, d’exercer l’activité chirurgicale complexe de l’aorte thoracique et abdominale et la chirurgie de la carotidienne et des vaisseaux du cou et,
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d’autre part, de réaliser tout geste invasif, pendant une durée de deux ans et lui a fixé l’obligation de suivre une formation pendant la durée de la suspension. En droit Aux termes de l’article R. 4124-3-5 CSP : • I. - En cas d’insuffisance professionnelle rendant dangereux l’exercice de la profession, la suspension temporaire, totale ou partielle, du droit d’exercer est prononcée par le conseil régional ou interrégional pour une période déterminée ; • VI - Si le conseil régional ou interrégional n’a pas statué dans le délai de deux mois à compter de la réception de la demande dont il est saisi, l’affaire est portée devant le Conseil national de l’ordre ; • VII - La décision de suspension temporaire du droit d’exercer pour insuffisance professionnelle définit les obligations de formation du praticien. La notification de la décision mentionne que la reprise de l’exercice professionnel par le praticien ne pourra avoir lieu sans qu’il ait au préalable justifié avoir rempli les obligations de formation fixées par la décision. Secret Lorsque, dans le cadre des pouvoirs de police que lui confère l’article R. 4124-3-5 CSP, la formation restreinte du Conseil national suspend un médecin dont l’exercice est dangereux en se fondant sur des informations relatives aux soins donnés à certains patients, la circonstance que ces informations seraient couvertes par le secret médical, auquel les membres de la formation restreinte sont d’ailleurs eux-mêmes astreint dans l’exercice de leurs fonctions, n’est pas par elle-même de nature à entacher sa décision d’irrégularité. Justification de la mesure Il ressort des pièces du dossier, notamment des constats du rapport d’expertise ainsi que des enseignements à tirer de plusieurs interventions de chirurgie vasculaire conduites par ce praticien, qu’en estimant que ce dernier présentait des insuffisances professionnelles rendant dangereuse la pratique des actes chirurgicaux de sa spécialité et qu’une mesure de suspension temporaire du droit de pratiquer ces actes devait, par suite, être prise à son égard, la formation restreinte du Conseil national fait une exacte application des dispositions de l’article R. 4124-3-5 CSP. Condition de la reprise La décision a retenu que le médecin devrait « suivre une formation de remise à niveau dans le cadre de stages au sein de services qualifiants en chirurgie vasculaire un jour par semaine pendant la durée de la suspension. Ces stages devront faire l’objet d’une évaluation sous forme d’attestations émanant des responsables du service, ou des services, qui auront constaté l’assiduité et procédé à une évaluation des compétences en matière de chirurgie vasculaire selon la forme qu’ils détermineront et préciseront », Ce faisant, la formation restreinte du Conseil national a suffisamment précisé le contenu et les modalités de la formation qu’elle imposait au praticien, dans le respect des dispositions du VII de l’article R. 4124-3-5 CSP. Commentaire Le juge de l’excès de pouvoir exerce un entier contrôle sur la durée de la suspension prononcée et sur les obligations de formation définies par la décision. 4. Faute disciplinaire et détermination de la sanction 䊏 Conseil d’État, 20 mars 2017, no 390889
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Faits Un patient a été pris en charge, de 1986 à 2011, par un médecin généraliste. En juin 1994, ce médecin a constaté que son patient, alors âgé de 57 ans, était contaminé, vraisemblablement depuis de nombreuses années, par le virus de l’hépatite C. Sans orienter son patient vers un confrère spécialiste en hépatologie ni lui prescrire un traitement spécifique par interférons, il s’est borné à prescrire un contrôle régulier de l’évolution de la contamination. Il n’a conseillé à son patient de consulter un médecin spécialiste en hépatologie qu’en 2011, après que des examens avaient révélé une charge virale élevée. Procédure Le patient a porté une plainte disciplinaire contre ce médecin en dénonc¸ant le défaut de prise en charge et de suivi de sa maladie ainsi que des prescriptions non conformes aux données acquises de la science. Par la décision du 5 mai 2015, la Chambre disciplinaire nationale a jugé que le comportement de ce médecin, entre 1994 et 2011, avait méconnu les dispositions de l’article R. 4127-32 CSP et lui a infligé la sanction d’interdiction d’exercer la médecine pendant une durée de trois ans. En droit Aux termes de l’article R. 4127-32 CSP : « Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents ». Analyse Faute La chambre disciplinaire nationale s’est fondée sur ce que le praticien avait méconnu les obligations déontologiques résultant de ces dispositions, au motif que, pendant plus de seize années, il s’était abstenu de « faire appel à des tiers compétents pour évaluer l’évolution de l’affection de son patient ainsi que les différents traitements qu’il aurait été possible de prescrire ». En jugeant que de tels faits étaient, eu égard à la gravité de l’affection dont le patient était atteint et à la durée de la période en cause, de nature à justifier une sanction disciplinaire, la chambre disciplinaire nationale n’a ni inexactement qualifié les faits dont elle était saisie ni entachée sa décision d’erreur de droit. Sanction Si le choix de la sanction relève de l’appréciation des juges du fond au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, il appartient au juge de cassation de vérifier que la sanction retenue n’est pas hors de proportion avec la faute commise et qu’elle a pu dès lors être légalement prise. En infligeant au praticien une sanction d’interdiction d’exercer la médecine pendant trois ans, alors qu’il ressort des termes de sa décision qu’elle n’a retenue à son encontre que le grief d’avoir, pendant une longue durée, décidé seul du traitement de son patient sans solliciter l’avis d’autres praticiens, la chambre disciplinaire nationale a prononcé une sanction hors de proportion avec la faute reprochée. Par suite, la décision est annulée la décision de la Chambre disciplinaire nationale. Commentaire La juridiction administrative ne peut remettre en cause la sanction que si elle l’estime « hors de proportion ». C’est dire la portée de la critique à l’encontre de la décision ordinale. 5. Responsabilité de l’Ordre à l’égard d’un médecin 䊏 CAA de BORDEAUX, 6 juin 2017, No 15BX02432
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Faits et procédure Procédure de suspension Par une décision du 14 mai 2009, notifiée le 25 mai suivant, la formation restreinte du conseil régional de l’ordre de Midi-Pyrénées a suspendu un médecin généraliste du droit d’exercer la médecine sur le fondement des dispositions de l’article R. 4124-3 CSP, pour un état mental défaillant. Par une décision du 8 juillet 2009, le Conseil national siégeant en formation restreinte, d’une part, a rejeté son recours tendant à l’annulation de cette décision de suspension, d’autre part, a subordonné la reprise de l’activité professionnelle du praticien au résultat favorable d’une expertise. Par une décision no 331991 du 16 mai 2011, le Conseil d’État a annulé cette décision du 8 juillet 2009 au motif qu’elle était insuffisamment motivée en ce qu’elle n’indiquait pas les éléments au regard desquels l’état de santé de l’intéressé rendait dangereux pour les patients l’exercice de sa profession. Par une décision du 27 septembre 2011, la formation restreinte du Conseil national a annulé cette décision de suspension. Procédure disciplinaire Par une décision du 17 décembre 2008, la chambre disciplinaire de première instance de MidiPyrénées a infligé au médecin la peine de radiation du tableau, cette décision prenant effet le 1er novembre 2009. Par décision du 15 septembre 2009, la chambre disciplinaire nationale a confirmé cette décision de radiation. Par une décision no 333072 du 16 mai 2011, le Conseil d’État a annulé la décision du 15 septembre 2009 de la Chambre disciplinaire nationale au motif tenant à son insuffisante motivation et renvoyé l’affaire devant cette instance. Par une décision du 17 novembre 2011, la Chambre disciplinaire nationale a ramené la sanction à une peine d’interdiction d’exercer la médecine pendant deux ans. Recours en responsabilité Le médecin saisi le tribunal administratif de Toulouse d’un recours indemnitaire tendant à la réparation des préjudices qu’il estime avoir subis du fait de l’illégalité fautive de la décision du 8 juillet 2009 par laquelle le Conseil national a confirmé la mesure de suspension temporaire du droit d’exercer la médecine dont il faisait l’objet. Le tribunal administratif de Toulouse, par jugement du 28 mai 2015, a retenu la responsabilité de CNOM, mais a limité à la somme de 1000 euros l’indemnisation allouée en réparation de ses préjudices. Analyse La responsabilité La décision du 8 juillet 2009 par laquelle le Conseil national, statuant en formation restreinte, a confirmé la décision du 14 mai 2009 de la formation restreinte du conseil régional portant suspension provisoire du droit d’exercer la médecine à raison de l’état pathologique rendant dangereux l’exercice de la profession sur le fondement de l’article R. 4124-3 CSP, est entachée d’illégalités tenant, d’une part, à son insuffisante motivation, d’autre part, à l’erreur d’appréciation dont elle est entachée. Cette illégalité fautive est de nature à engager la responsabilité du conseil national, et à ouvrir droit à réparation des préjudices causés.
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La réparation Le praticien demande l’indemnisation des pertes de revenus subies sur la durée totale d’exécution de la décision de suspension litigieuse, soit du 25 mai 2009, date de notification de cette décision, au 16 mai 2011, date de la décision par laquelle le Conseil d’État statuant au contentieux en a prononcé l’annulation. Or, par une décision du 17 novembre 2011, la chambre disciplinaire nationale a infligé à l’intéressé la sanction d’interdiction d’exercer la médecine pendant deux ans incluant la période allant de novembre 2009 à mai 2011 durant laquelle avait été exécutée la sanction de radiation du tableau initialement prononcée, et prenant effet, pour le reliquat, à compter du 1er février 2012. Il résulte de cette décision juridictionnelle définitive que, au cours de la période courant de novembre 2009 à mai 2011, le médecin était sous l’effet d’une interdiction d’exercer la médecine. Dans ces conditions, les pertes de revenus dont l’intéressé fait état au titre de cette période ne trouvent pas leur origine dans la mesure de suspension litigieuse. Il résulte des éléments d’évaluation produits par le médecin, notamment des comptes annuels certifiés par son expert-comptable et des déclarations fiscales, que les bénéfices tirés de son activité de médecin généraliste se sont élevés à 202 955 euros au titre de l’année 2006, 178 188 euros au titre de l’année 2007 et 149 953 euros au titre de l’année 2008. Eu égard à la baisse tendancielle de ces bénéfices au cours des trois années précédant celle d’édiction de la mesure de suspension litigieuse, il sera fait une juste appréciation de la perte de revenus subie au cours de la période allant du 25 mai 2009 au 31 octobre 2009 en lui allouant une somme de 60 000 euros. En dernier lieu, eu égard au motif pour lequel la suspension litigieuse a été prononcée, reposant sur le prétendu état mental défaillant, le praticien a subi du fait de la décision de suspension litigieuse un préjudice moral dont l’évaluation doit être fixée à la somme de 2000 euros. Commentaire La réparation ne concerne que les périodes pour lesquelles il s’agissait d’une suspension de type administratif, et non juridictionnel.