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ScienceDirect www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 64 (2016) 31–35
Cas clinique
Comment soutenir l’arrivée au monde d’un enfant de mère migrante dans une maternité franc¸aise : entre urgence somatique et urgence psychiatrique, le temps de la reconstruction. . . Ways to support the birth of a migrant mother’s child in French maternity: A rebuilding period between medical and psychiatric emergencies A.-S. Perrin a,∗ , E. Drain b , A. Sarot c , M.-R. Moro d a
Université de Rouen, CHU Charles-Nicolle, 1, rue de Germont, 76031 Rouen cedex, France b Hôpital Avicenne, 93000 Bobigny, France c Inserm U1178, équipe Métisco du centre Babel, maison de Solenn, hôpital Cochin, université Paris Descartes - Sorbonne Paris Cité, 75014 Paris, France d Maison de Solenn, centre Babel, hôpital Cochin, université Paris Descartes - Sorbonne Paris Cité, 75014 Paris, France Rec¸u le 26 aoˆut 2015 ; accepté le 30 novembre 2015
Résumé Enfanter sur une terre, qui n’est pas sienne peutêtre particulièrement éprouvant. Barrière de la langue, techniques médicales parfois en opposition aux fac¸ons de faire traditionnelles, représentations différentes de la maladie et solitude constituent autant de facteurs de vulnérabilité chez ces jeunes mères migrantes. Une situation clinique d’une dyade suivie en maternité par l’équipe de pédopsychiatrie de liaison est rapportée dans cet article, mettant à jour la difficile rencontre entre psychiatrie périnatale et souffrance du post-partum culturellement codée. Une orientation clinique et thérapeutique est discutée. Un nécessaire décentrage et l’acceptation d’une temporalité partagée permettra la naissance d’une riche expérience clinique et humaine. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Maternité ; Migration ; Périnatalité ; Trouble psychique du post-partum
Abstract Giving birth in a foreign land can be particularly difficult. The language barrier, medical techniques sometimes opposed to traditional customs, different representations of illness and solitude represent some of the vulnerability factors in young immigrant mothers. This article presents the clinical situation of a dyad under observation in the maternity ward by the pedopsychiatry team. Emphasis is put on the difficult encounter between perinatal psychiatry and culturally encoded postpartum depression. A clinical and therapeutic orientation is discussed. Acquiring more perspective while sharing the experience can lead to a rich clinical and human encounter at the same time. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Motherhood; Migration; Perinatal; Postpartum mental disorder
1. Un contexte périnatal préoccupant ∗
Auteur correspondant. Adresses e-mail :
[email protected] (A.-S. Perrin),
[email protected] (E. Drain),
[email protected] (A. Sarot),
[email protected] (M.-R. Moro). http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2015.11.004 0222-9617/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
En 2013, la France comptait 5,3 millions d’immigrés dont 3,8 millions d’étrangers [1]. Les deux-tiers sont issus de pays non européens : ils viennent en majorité d’Afrique du Nord, d’Europe de l’Est et d’Afrique de l’Ouest [2].
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Cinquante et un pour cent des migrants sont de sexe féminin et ces femmes totalisent 12 % des naissances en France [3]. Cette jeune immigration est précieuse pour la constitution des générations de demain. Or, il s’agit d’une population particulièrement fragile au sens où elle comptabilise en son sein davantage de troubles psychiatriques et psychologiques, de difficultés socioéconomiques et un accès aux soins bien moindre, comparé aux franc¸ais autochtones [2–7]. Plusieurs études internationales mettent en évidence une proportion plus importante de syndrome de stress post-traumatique (ESPT), de dépression et d’anxiété chez les migrants, taux encore plus élevé chez les demandeurs d’asile qui ont davantage été confrontés à des violences. Dans cette population, les taux varient de 20 à 40 % pour le syndrome de stress post-traumatique et de 30 à 70 % pour la dépression et l’anxiété [4,5]. Le cas des femmes est encore plus préoccupant en ce qui concerne les violences liées au genre. Une étude réalisée au Comité pour la santé des exilés (Comede) entre 2012 et 2013 sur 173 femmes enceintes suivies, a retrouvé que la moitié d’entre elles avaient subi des violences, le quart étaient enceintes suite à un viol, et la moitié présentaient un retard dans le suivi de la grossesse. Une femme sur 4 était atteinte d’une maladie grave dont 50 % souffraient d’ESPT [2]. Le viol est en effet utilisé comme arme de destruction des individus sur plusieurs générations et entraîne fréquemment un cortège de pathologies psychiques et physiques graves [8]. Sur le plan somatique aussi, les inquiétudes et les interrogations persistent. L’institut de veille sanitaire s’est intéressé dans une étude à la mortalité maternelle en France. Le taux de mortalité est 7,9 pour 100 000 naissances vivantes (IC95 % [7,0–8,9]) pour les femmes franc¸aises et de 12,5 pour 100 000 (IC95 % [1,5–9,9–16]) pour les femmes étrangères avec un taux particulièrement alarmant concernant celles qui ont migré d’Afrique subsaharienne, à 21,8 (IC95 % [14,0–32,4]) [6]. D’autres éléments inquiétants font surface en ce qui concerne les femmes étrangères : la grossesse est en moyenne moins suivie, avec davantage d’hospitalisation en gynécologie ; il y a plus de césariennes, plus de prématurité chez les nouveau-nés. L’association forte entre morbi-mortalité périnatale et origine étrangère des femmes se retrouve dans plusieurs autres études internationales : aux États-Unis [7], au Canada [9], et en Europe [10]. Malgré plusieurs facteurs confondants (parité plus importante, conditions socioéconomiques plus faibles, statut de l’emploi précaire), les études ajustées retrouvent des différences statistiques en ce qui concerne surtout les mères originaires d’Afrique subsaharienne et leur enfant. 2. La vulnérabilité psychique particulière des mères migrantes La grossesse fait habituellement vivre chez les femmes des états psychiques inédits. La transparence psychique définie par Bydlowski, en est une explication : il s’agit de la levée du refoulement concernant pour partie ses conflits infantiles, liée à l’hyperinvestissement narcissique du bébé en formation [11]. La femme revit, par un processus régressif, ses propres liens à sa mère, ce qui lui permet d’atteindre la condition winnicotienne
pour être une « mère suffisamment bonne », animée d’une préoccupation maternelle primaire envers son nourrisson [12]. À cette vulnérabilité particulière s’ajoute, pour les migrantes, ce que Moro et al. ont décrit comme la transparence culturelle. Cet état permet à la future maman de rendre manifeste les éléments de sa culture et de se les réapproprier, de parvenir à résoudre des conflits, des traumatismes [13]. En effet, ces particularités culturelles peuvent avoir été refoulées dans la migration, parfois synonyme de traumatisme pour le sujet. Traumatisme pré-migratoire quand il en est, per-migratoire souvent, et post-migratoire aussi par le vacillement des repères, de sa fac¸on propre de lire le monde, qui n’est plus effective dans cet ailleurs. Moro et Nathan parlent d’une rupture de l’enveloppe culturelle, secondaire au défaut de cohérence entre le cadre culturel interne de la personne, établi dans une culture donnée, d’avec le cadre culturel externe, c’est-à-dire du milieu environnant [14]. Comment alors expliquer la maladie pour que cela fasse sens pour elles aussi ? Comment donner un nom à son enfant ? Et le porter, le materner, l’affilier dans ce pays d’accueil avec des fac¸ons de faire et de penser si éloignées de sa terre natale ? À cela viennent s’ajouter d’autres facteurs de vulnérabilité dans cette population, qui constituent des facteurs de risque à part entière dans le développement d’une dépression du post-partum. Nous citerons l’isolement social et, plus particulièrement, l’absence de la grand-mère maternelle (qui est à l’origine des transmissions autour de la puériculture dans de nombreuses sociétés ici, mais encore plus ailleurs) [15,16], la précarité physique et socioéconomique qui touche durement les migrants, la barrière de la langue qui va avec l’isolement mais aussi avec la méconnaissance du système de soins [17]. Cet isolement à l’intérieur de sociétés individualistes occidentales, est d’autant plus fragilisant lorsque ces femmes viennent d’aires culturelles où la collectivité a une place prépondérante, comme en Afrique de l’Ouest. C’est en effet avec toute la communauté que se vivent alors ces étapes initiatiques que constituent la grossesse et l’accouchement. La dépression du post-partum touche, on le comprend mieux maintenant, plus durement les femmes en situation de migration. Encore faut-il que les soignants du péripartum puissent la repérer au milieu du silence du traumatisme, de la barrière de la langue et d’aspects culturels particuliers. Sur ce dernier point, on citera la prépondérance des plaintes physiques et d’un codage particulier de la souffrance notamment mentale. Ainsi les idées de culpabilité, fréquentes dans notre monde occidental, disparaissent au profit d’idées dites délirantes à thème mysticoreligieux (possession, acte de sorcellerie), hallucinatoires ou interprétatifs [18]. 3. Prise en charge particulière dans le contexte migratoire La conduite thérapeutique se doit d’être précoce dans les troubles psychiatriques du post-partum. Prenons le cas de la dépression du post-partum, où les lourdes conséquences s’étendent sur la mère en premier lieu, mais aussi sur la dyade mère–enfant et sur la construction de l’enfant en devenir (trouble
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de l’attachement, troubles du comportement, retard de développement, troubles somatiques divers. . .) [19]. Moro préconise une action « transculturelle » particulière dans la prise en charge d’une dyade ou d’une triade père–mère–enfant en souffrance, dans le but de rétablir un cadre culturel efficient. Elle propose de mobiliser : les représentations ontologiques (qu’est-ce que l’enfant ? D’où vient-il ?), les théories étiologiques (étiologies sociales ou magico-religieuses rendant compte de la cause d’une maladie – transgression, attaque en sorcellerie. . .) et les thérapeutiques (issues des thérapies traditionnelles). Ainsi thérapeutes et patients peuvent « coconstruire un sens culturel », permettant d’inclure l’enfant dans le monde des représentations culturelles des parents, et ainsi lui assurer filiation et affiliation [15,20].
4. Vignette clinique : Zaïna, un bébé à l’arrivée « précipitée » Je rencontre Zaïna au lendemain de son arrivée dans le monde du Visible, au sein d’une maternité franc¸aise habituée à prendre soin d’une population immigrée. L’équipe soignante a repéré chez la maman un retrait, une tristesse et des inquiétudes massives. Je rentre donc sur cette indication dans l’intimité de la dyade, dans la chambre de Zaïna et de sa jeune maman, Zahida. Pendant cette première rencontre Zahida paraît lasse, son visage est peu expressif, sa tristesse m’interroge. Sa fille dort pendant cette première rencontre, et tout en la regardant anxieusement par instants, Zahida me livre sur un ton monocorde, d’une manière qui semble désaffectivée, certains éléments de son histoire. Zahida est une belle et jeune femme, émigrée depuis 1 an de Guinée. Elle est dioula, et parle bien le franc¸ais. Elle ne dit rien des circonstances de départ, mais explique qu’elle n’a aucune nouvelle de sa famille et se trouve assez isolée dans ce pays d’accueil. Le père de Zaïna est un compatriote qui a déjà deux enfants d’une première épouse. Ils se sont rencontrés rapidement après l’arrivée de Zahida en France, et elle est vite tombée enceinte de son premier enfant. La grossesse n’est pas « désirée » dans le sens où elle n’est pas inscrite dans un projet parental mais les parents l’acceptent. Les neuf mois semblent s’être bien déroulés pour la maman. Le papa se réjouit de l’arrivée de sa fille ; il connaît les choses de la parentalité, et de la puériculture et lui montre la voie avec peu de ménagement. Elle évoque rapidement lors de ce premier entretien son accouchement par césarienne en urgence, et met en avant quelques inquiétudes pour le problème articulaire de sa fille. En effet, Zaïna est née avec une particularité orthopédique, une malposition articulaire, tout à fait bénigne et indolore. Cependant la jeune maman dit se sentir bien empêchée de la prendre dans ses bras, craignant de lui faire mal par cette mobilisation. Les interactions sont donc très limitées ; Zahida a besoin de l’aide des puéricultrices pour tous les soins à apporter à son enfant. Elle préfère donner le biberon à sa fille après quelques tentatives compliquées de mises au sein. Elle dort mal et très peu, évoque des images difficiles du pays, qui lui reviennent en tête et des cauchemars.
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5. L’interrogation diagnostique Je la retrouve le lendemain, dans un contexte bien différent. Le fléchissement thymique de la veille fait maintenant place à un état d’agitation aigu avec une anxiété massive au premier plan. Elle présente des idées délirantes de thème persécutif, nosophobique, pour elle et son enfant (peur de mourir, d’avoir le VIH), idées également de culpabilité. La participation thymique et anxieuse est forte. « Je vais mourir, je sais que je vais mourir, pourquoi vous me le cachez ? », « Ma fille est malade, elle ne va pas bien ». Le contact est correct, il n’y a pas d’éléments hallucinatoires mais des interprétations et des intuitions qui transforment les éléments de réalité. Seule puis avec une sage-femme de l’unité, je reprends avec la patiente, au calme et dans sa chambre, tous ses éléments d’inquiétude. Je comprends alors que les angoisses esquissées la veille en entretien se sont étendues rapidement. Son espace psychique paraît complètement envahi. Les plaquettes des tests de dépistage néonataux retrouvés dans le berceau de sa fille endormie, signaient pour elle des troubles dissimulés par l’équipe soignante. La pathologie bénigne orthopédique allait, malgré nos dires, empêcher un développement moteur correct. Elle est également très choquée par la césarienne en urgence et n’entend pas qu’elle ait été pratiquée suite à une souffrance fœtale de son bébé, qui ne s’engageait pas suffisamment. Malgré nos explications et nos multiples tentatives d’apaisement, elle ne retrouvera son calme qu’après l’intervention de son conjoint, qui lui parlera dans sa langue natale. De son côté, il est très surpris de voir sa compagne dans cet état inhabituel. Sur le plan somatique, et pour éliminer toute cause organique, un examen clinique et paraclinique complet est pratiqué dans le service, qui ne retrouve aucune anomalie. Cette symptomatologie nous fait évoquer, en équipe, une psychose puerpérale de type mélancolie délirante. Cependant, les idées de persécution s’amendent rapidement, et il n’y a pas d’hallucinations ni de confusion. Par ailleurs, l’angoisse importante de la patiente, ainsi que l’aspect culturel des mécanismes projectifs et interprétatifs dans les sociétés africaines, concourent à s’orienter ici, vers un diagnostic de dépression du post-partum avec des éléments culturels. Inquiète d’une prolongation d’hospitalisation, Zahida sort finalement à j7 de son accouchement, avec sa fille et son conjoint. La prise en charge par le service de protection maternelle et infantile (PMI) de sa ville, permet d’assurer des visites à domicile régulières. 6. Un suivi difficile Lorsque je revois Zahida quelques semaines plus tard, le contact est bon, et c’est une tristesse et des inquiétudes qui apparaissent au premier plan. Des questions s’enchaînent sur la santé de sa fille, malgré son bon développement psychomoteur ; ses questions, qui se répètent, ne se satisfont pas de mes réponses ni du résultat des pesées qu’elle effectue fréquemment à la PMI. La jeune maman reste interprétative et difficilement rassurable, mais elle peut critiquer ses idées qui tournent en boucle : « J’ai l’impression qu’on me cache toujours des choses ».
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Elle s’inquiète aussi des conditions d’accueil de son enfant, étant donné sa situation encore irrégulière, et les difficultés socioéconomiques qu’elle rencontre avec son conjoint. Des tensions conjugales apparaissent, Zahida se plaint d’une absence croissante du papa. Zaïna dort, encore, emmitouflée dans ses vêtements et une couverture malgré la chaleur du bureau de consultation. Elle somnole mais se réveille quand on la stimule. Sa plagiocéphalie signe un manque de stimulations de ses parents. Ses pleurs sont sources d’angoisse pour sa maman, qui y répond dans une hyperstimulation désorganisée. Cependant Zahida est attentive aux hypothèses que je formule par rapport à l’inconfort manifesté par sa fille. Zaïna soutient par moment le regard de sa maman mais porte surtout une attention très marquée, avide presque, à l’environnement extérieur et aux autres visages. Cherche-t-elle de l’aide ? Pour elle et pour sa mère ? Zahida s’anime quand sa fille lui sourit, elle lui donne des surnoms affectueux, répond à ses babillements de fac¸on adaptée, semblant alors dissiper pour un instant toute sa souffrance. Je m’attelle alors à chercher dans cet ailleurs que la maman livre peu, et je parviens progressivement à établir une alliance, un sentiment de confiance dans les soins proposés grâce aussi à l’instauration progressive d’une consultation conjointe que nous proposons avec la pédopsychiatre du service de la maternité. Alors petit à petit nous pouvons reparler des évènements récents, des choses qui la concerne elle, en lien avec sa fille. Nous revenons ensemble sur l’anomalie orthopédique que présentait Zaïna à sa naissance, qui est déjà totalement résolu, mais qui revient en continu dans le discours maternel. Elle a fait entièrement confiance à la médecine occidentale dans son suivi de grossesse, et ne comprend pas pourquoi on n’a pas pu la prévenir que sa fille présentait cette anomalie, par le biais notamment des échographies. Sa représentation de la médecine occidentale toute puissante est très forte. Nous reparlons aussi de la césarienne car elle s’inquiète de manifestations somatiques inhabituelles : elle est fatiguée, douloureuse. Des questions se formulent qui n’ont pas eu le temps d’émerger avant, dans l’urgence de l’accouchement. « Je ne pourrais pas avoir d’autres enfants à cause de la césarienne. . . Si ? », « Est-ce que je vais pouvoir prendre du poids ? ». Elle explique que là où elle est née, les femmes césarisées sont mises au banc de la société : « Au pays si quelqu’un touche une femme qui a fait une césarienne, on appelle la police ! ». On dit souvent là-bas, qu’après une césarienne, la nouvelle accouchée risque la stérilité et que l’enfant, lui, est marqué par le sceau d’une malformation. Zahida n’a effectué aucun rituel traditionnel autour de l’arrivée de sa fille, elle dit ne pas les connaˆıtre. Notamment, elle n’a pas recherché l’origine ontologique de Zaïna avec un tradipraticien. Elle souhaite faire comme les femmes franc¸aises. Cependant, sa belle-famille offre à Zaïna un objet particulier qui vient du pays : un bijou protecteur « pour qu’elle grandisse bien » et qui rassure la jeune maman. Zahida peut parler de sa solitude, de ses doutes sur ses compétences de mère. Elle-même souffre de la cruelle absence de sa propre mère, dont elle n’a pas de nouvelles depuis son arrivée en France. Personne ne lui apprend à materner, elle est seule
avec Zaïna. Quand elle est envahie par des angoisses, elles sont parfois si fortes que viennent à son esprit des idées de mort. Pour elle et pour sa fille. Car toutes les deux vont si mal. Et elles sont si seules. Comment faire pour porter son enfant, pour la laver, pour l’élever loin des siens ? Elle trouvera néanmoins un grand soutien auprès d’une compatriote qui pratique les massages traditionnels sur sa fille : « Elle aime c¸a, elle est bien après », dit-elle dans un précieux sourire. Les choses plus anciennes – les traumas au pays, le trajet migratoire difficile, les rêves qui continuent de la hanter – elle en reparlera dans un autre espace, dans le sien propre, en consultation avec un psychiatre d’adultes. En effet, nous l’y avons adressé face à l’intensité de ses symptômes. Elle refusera tout au long de nos suivis parallèles, le moindre traitement médicamenteux proposé par la médecine occidentale. Le suivi par la PMI est difficile, car Zahida est souvent absente lors des passages de la puéricultrice. Cette dernière repère quand elle peut observer la dyade, la tristesse de Zahida et la pauvreté des échanges avec sa fille en termes qualitatif et quantitatif. Une travailleuse familiale est mandatée pour soutenir Zahida dans cette difficile parentalité. La jeune maman s’appuie beaucoup sur cette personne de confiance, qui l’accompagne dans son quotidien avec sa fille et dans l’accès aux soins psychiatriques. C’est par elle aussi que vont se tisser des liens avec d’autres femmes en difficulté, qu’elle peut rencontrer pour des séances de jeux ou de bavardages lors de temps bien définis. Zahida va se construire progressivement sur ce maillage, retrouver des moments de joie, de l’assurance dans ses compétences maternelles et une certaine confiance dans cet avenir qui commence à se dessiner dans ce monde, qui lui a paru d’abord si menac¸ant. Ainsi le suivi psychiatrique périnatal a permis d’établir le diagnostic de syndrome dépressif du post-partum avec une intrication importante d’éléments culturels. Malgré le refus de prise de psychotropes, Zahida est sensible à l’étayage médical et social qui s’est établi autour d’elle. Son moral s’est aujourd’hui bien amélioré, elle porte moins d’inquiétude quant au développement de sa fille et se rend régulièrement aux consultations de suivi. Nous souhaitons désormais avec l’équipe de la maternité, l’orienter vers une consultation transculturelle. Mais nous avanc¸ons à son rythme, avec elle. 7. Conclusion La situation clinique exposée illustre toute la nécessité de se décentrer de son propre système culturel lors de soins psychothérapeutiques et psychiatriques, concernant des personnes en situation d’exil. Il s’agit de s’ouvrir à des systèmes de représentations autres, des « grilles de lecture » différentes, pour aider ces patients à trouver des causalités, à faire des liens qui aient du sens pour eux [15]. La question de la temporalité est particulièrement contraignante. Alors qu’en maternité, le temps d’hospitalisation se raccourcit sans cesse en vue d’économies de santé, comment créer ce temps d’alliance nécessaire entre thérapeute et patient ? Même s’il est possible dans certaines circonstances particulières comme cela a été le cas pour Zahida, de prolonger le temps à l’hôpital, les femmes sont averties dès leur arrivée que 2 jours
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après (ou 4 en cas de césarienne), elles seront invitées à retourner chez elle. Elles s’y préparent donc, s’en réjouissent souvent et l’insistance des psychiatres et psychologues concernant la poursuite de l’hospitalisation peut rapidement devenir persécutante. Pour pallier en occident, l’absence de « co-mères » [15] qui existent dans les sociétés d’où viennent les patientes, et pour maintenir un lien avec ces femmes qui ont à appréhender une vie nouvelle avec leur bébé, avec là encore une temporalité propre, le réseau médicosocial est extrêmement aidant. La PMI doit pouvoir rester un lieu ressource pour les familles : souvent proches du lieu d’habitation, elles permettent d’effectuer des visites à domicile pour une évaluation fine des interactions intra-familiales. Elles sont également un endroit privilégié pour multiplier les rencontres, les lieux de paroles entre femmes, recréer du lien dans ces parcours faits de ruptures. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Brutel C. Les immigrés récemment arrivés en France. Une immigration de plus en plus européenne. Insee Prem 2014:4. [2] Comede. Rapport du Comede 2014. Comité de santé pour les exilés; 2014. [3] Saurel-Cubizolles M-J, Saucedo M, Drewniak N, Blondel B, Bouvier-Colle M-H. Santé périnatale des femmes étrangères en France. Bull Epidemiol Hebd 2012;2:30–4. [4] Heeren M, Mueller J, Ehlert U, Schnyder U, Copiery N, Maier T. Mental health of asylum seekers: a cross-sectional study of psychiatric disorders. BMC Psychiatry 2012;12:114. [5] Gerritsen AAM, Bramsen I, Devillé W, van Willigen LHM, Hovens JE, van der Ploeg HM. Physical and mental health of Afghan, Iranian and Somali asylum seekers and refugees living in the Netherlands. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol 2006;41:18–26, http://dx.doi.org/10.1007/ s00127-005-0003-5.
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