Annales de pathologie (2020) 40, 12—18
Disponible en ligne sur
ScienceDirect www.sciencedirect.com
ARTICLE ORIGINAL
Comparaison du « deficit mismatch repair » des cancers colorectaux entre des cohortes africaines et européennes Comparison of the mismatch repair deficiency of colorectal cancers between African and European cohorts Lucie Bienfait a, Brahima Doukoure b, Laurine Verset a, Pieter Demetter c,∗ a
Service d’anatomie pathologique de l’hôpital Erasme (ULB), route de Lennik 808, 1070 Bruxelles, Belgique b Service d’anatomie pathologique du CHU de Cocody, boulevard de l’Université, Abidjan, Côte d’Ivoire c Institut Jules Bordet (ULB), rue Héger-Bordet 1, 1000 Bruxelles, Belgique Disponible sur Internet le 9 octobre 2019
MOTS CLÉS Cancer ; Colorectal ; Instabilité microsatellitaire ; Afrique ; Immunohistochimie
∗
Résumé Introduction. — D’après les séries européenne et américaine, jusqu’à 20 % des cancers colorectaux sont caractérisés par une instabilité microsatellitaire. Les cancers colorectaux MMR déficients sont principalement retrouvés dans le côlon droit. Bien qu’on observe une augmentation du nombre de cancers colorectaux dans les pays en voie de développement, notamment en Afrique de l’Ouest, les données sur l’épidémiologie et la biologie du cancer colorectal de cette région sont rares. Matériels et méthodes. — Nous avions pour but d’étudier l’incidence du déficit MMR en Côte d’Ivoire et de comparer les données avec un centre tertiaire belge. Les immunohistochimies dirigées contre les protéines MLH1, MSH2, MSH6 et PMS2 ont été réalisées sur des échantillons de tissus inclus en paraffine provenant de 83 cancers colorectaux (46 % d’hommes) opérés à Abidjan et de 343 cancers colorectaux (53 % d’hommes) opérés à Bruxelles. Résultats. — Les cancers colorectaux survenaient à un plus jeune âge en Côte d’Ivoire comparé à la Belgique (âge médian : 53 versus 66). Le déficit MMR a été détecté dans 11,7 % des cas belges et dans 13,3 % des cas ivoiriens. Cependant, les cancers colorectaux MMR déficients bruxellois étaient principalement retrouvés chez des femmes (24/40, c’est-à-dire, 60 %), contrairement aux Ivoiriens (3/11) (27 %). De plus, la localisation prédominante des cancers colorectaux MMR déficients était différente entre les deux séries : à Bruxelles, à droite (24/40, c’est-à-dire, 60 %), tandis qu’à Abidjan c’était à gauche (10/11, c’est-à-dire, 91 %). À Bruxelles, on observait dans la plupart des cas (67,5 %), une perte d’expression de MLH1 et PMS2. À Abidjan il s’agissait plutôt d’une perte d’expression de MSH2 et MSH6 (54,5 %).
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (P. Demetter).
https://doi.org/10.1016/j.annpat.2019.08.002 0242-6498/© 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.
Comparaison du « deficit mismatch repair » des cancers colorectaux
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Conclusions. — Notre étude révèle des différences dans la présentation du cancer colorectal MMR déficient entre deux régions géographiques, suggérant des différences dans l’épidémiologie et la biologie du cancer colorectal des Africains natifs. © 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.
KEYWORDS Cancer; Colorectal; Microsatellite instability; Africa; Immunohistochemistry
Summary Introduction. — According to European and American series, up to 20% of colorectal cancers are characterised by instability at microsatellites sites. MMR deficient colorectal cancers are predominantly found in the right colon. Although an increasing rate of colorectal cancer has been observed in many low-income countries including in West-Africa, data on epidemiology and biology of colorectal cancer in native Africans from this region are scarce. Materials and methods. — We aimed to study the incidence of MMR deficiency in Côte d’Ivoire and to compare the data with those from a tertiary center in Belgium. Immunohistochemistry for MLH1, MSH2, MSH6 and PMS2 was performed on paraffin-embedded tissue samples from 83 colorectal cancers (46% males) operated in Abidjan and from 343 colorectal cancers (53% males) from Brussels. Results. — Colorectal cancer was occuring at a younger age in Côte d’Ivoire compared to Belgium (median age: 53 versus 66). MMR deficiency was detected in 11,7% of Belgian cases and in 13,3% of Ivorian cases. Whereas MMR deficient cancers in Brussels were mainly found in women (24/40 i.e. 60%), in Abidjan only 3/11 (27%) were female. Moreover, the predominant location of MMR deficient tumours was different between both series: in Brussels, mainly located in the right colon (24/40 i.e. 60%) whereas in Abidjan predominantly (10/11 i.e. 91%) in the left colon. In Brussels we observed in the majority of cases (67,5%) loss of expression of MLH1 and PMS2, in Abidjan loss of expression of MSH2 and MSH6 (54,5%). Conclusions. — Our pilot study reveals differences in presentation of MMR deficient colorectal cancer between the two geographic regions suggesting differences in epidemiology and biology of colorectal cancer in native Africans. © 2019 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Dans les pays occidentaux, le cancer colorectal (CCR) représente le 3e cancer le plus fréquent. Tout stade confondu, le taux de survie à 5 ans est estimé à 66 % [1]. Le pronostic dépend essentiellement du stade au moment du diagnostic. En cas de maladie localisée au moment du diagnostic, le taux de survie à 5 ans atteint 90 % tandis qu’il n’excède pas 13 % en cas de maladie métastatique [2]. La principale cause de décès est liée au développement de métastases hépatiques et pulmonaires [3]. En Belgique, l’incidence du CCR est plus élevée chez l’homme, est la seconde cause de décès par cancer chez l’homme et la troisième chez la femme. Le CCR survient plus fréquemment chez les personnes de 65 ans et plus [4]. Avec le vieillissement de la population, le CCR va constituer dans les années à venir un véritable problème de santé publique. Les localisations les plus fréquentes sont la jonction recto-sigmoïdienne (avec une atteinte de 73,9 % chez les femmes et 68, 2 % pour les hommes) et le rectum (avec une proportion de 26,1 % chez les femmes et 31,8 % chez les hommes) [4]. En Afrique, les données épidémiologiques sur le CCR des populations d’Afrique noire sont parcellaires. Ceci est expliqué par un manque de relevés des registres du cancer. L’incidence du CCR est plus faible dans la population d’Afrique noire comparée à la population caucasienne [5,6].
Cependant, dans les études réalisées au Nigéria et au Ghana, on observe une augmentation croissante du nombre de CCR [7,8]. En Côte d’Ivoire, selon Effi et al., le CCR est le 2e cancer digestif avec 24,44 % soit 3,34 % de l’ensemble de cancers [9]. Selon Parkin et al., le CCR est le 5e cancer le plus fréquent en Afrique avec 41 000 nouveaux cas et près de 29 000 décès [10]. En Côte d’Ivoire et au Nigéria, les CCR surviennent fréquemment chez les hommes plus jeunes qu’en Europe (moyenne d’âge inférieur à 50 ans) et la localisation rectale prédomine [9,11]. Une étude a également montré qu’une majorité de cancers colorectaux se développent aux dépens du côlon distal au Ghana [12]. De plus, des projections prévoient une augmentation de 85 % des cancers pour 2030 en Afrique [6]. Le stade TNM est le critère standard qui permet de définir le pronostic et le traitement adéquat après la résection d’un cancer colorectal non métastatique. Néanmoins, pour un même stade, les patients atteints d’un CCR présentent une évolution variable qui peut être liée à l’hétérogénéité tumorale. Effectivement, le CCR englobe un complexe hétérogène de maladies caractérisées par de nombreuses anomalies génétiques et épigénétiques. Il existe différentes voies de développement du CCR, et les cancers résultant de chacune des voies ont des caractéristiques spécifiques, notamment moléculaires [12]. Le CCR résulte donc d’un processus en plusieurs étapes au cours duquel les altérations génétiques et épigénétiques
14 s’accumulent de manière séquentielle. Traditionnellement, deux voies pathogéniques majeures ont été impliquées dans le développement du CCR : l’instabilité chromosomique et l’instabilité microsatellitaire [13]. La majorité des cancers (80 à 85 % des CCR) surviennent par instabilité chromosomique, tandis que 15 à 20 % de ces cancers sont causés par un défaut de réparation des mésappariements de l’ADN (« mismatch repair » ou « MMR/deficient mismatch repair dMMR ») se traduisant par une instabilité microsatellitaire [14]. Ce défaut est impliqué dans la genèse de 15 à 20 % des cancers colorectaux sporadiques (le mécanisme en cause étant une hyperméthylation du promoteur du gène MLH1) et dans la quasi-totalité des cancers colorectaux survenant dans le contexte du syndrome de Lynch (le mécanisme étant alors une mutation constitutionnelle de l’un des 4 gènes : MLH1, MSH2, MSH6 ou PMS2) [15]. Malgré les progrès de la recherche sur les facteurs génétiques et moléculaires impliqués dans la cancérogenèse du cancer colorectal, les connaissances sur les mutations somatiques des gènes oncogènes et suppresseurs de tumeur sont loin d’être complètes. Cela est particulièrement vrai pour le cancer colorectal chez les patients d’origine africaine subsaharienne, où les facteurs moléculaires et génétiques sont peu étudiés et pourraient être différents du paysage moléculaire du cancer colorectal dans les populations blanches [12]. Au total peu d’études ont décrit la fréquence du statut dMMR des cancers colorectaux chez les Africains d’Afrique subsaharienne. Parmi les quelques études retrouvées, la fréquence varie entre 14,7 % au Congo [16] et 43 % au Nigéria [17], en passant par 41 % au Ghana [12]. Au Congo, les tumeurs dMMR sembleraient survenir à un plus jeune âge (âge moyen : 35 ans). L’étude réalisée au Ghana est la seule à s’intéresser aux caractéristiques moléculaires, génétiques et pathologiques du CCR sur 90 patients. Elle obtient comme résultat que le statut dMMR des CCR est rencontré dans des tumeurs situées plutôt à gauche et, dans une proportion de cas non négligeable, à un plus jeune âge [12]. Le but de notre étude est de comparer les données sur le déficit MMR des cancers colorectaux au sein d’une population de la Côte d’Ivoire avec celles d’un centre tertiaire en Belgique.
Matériels et méthodes Cohortes de patients Belgique Nous avons collecté de manière rétrospective 343 patients consécutifs atteints d’un CCR avec un matériel exploitable (biopsies, pièces opératoires) c’est-à-dire, pour lesquels il existe des blocs de tissus inclus en paraffine collectés ou référés à l’hôpital universitaire Erasme (Bruxelles, Belgique) sur une période de 7 ans (2010—2017).
Côte d’Ivoire Cent patients consécutifs porteurs d’un CCR ont été recrutés rétrospectivement de l’université Félix Houphouet-Boigny (UFR sciences médicales d’Abidjan, Côte d’Ivoire) sur une période de 5 ans (janvier 2011 à décembre 2015). Un bloc
L. Bienfait et al. de tissus inclus en paraffine représentatif de la tumeur a été choisi pour chaque patient. Parmi les 100 patients analysés, une perte de 17 d’entre eux a été déplorée pour problèmes techniques (bloc en mauvais état).
Données clinico-pathologiques Nous avons établi une base de données comportant les données clinico-pathologiques : l’âge, le sexe, le type histologique (adénocarcinome mucineux : larges flaques de mucus dans plus de 50 % de la tumeur ; adénocarcinome avec composante mucineuse : flaques de mucus dans moins de 50 % de la tumeur ; adénocarcinome à cellules en bague à chaton : au minimum 50 % des cellules en bague à chaton ; carcinome médullaire : constitué de plages de cellules très cohésives dans lesquelles il n’existe plus aucune structure glandulaire) et la localisation de la tumeur (côlon proximal, regroupant le cæcum, le côlon ascendant et le côlon transverse ; côlon distal, regroupant le côlon descendant et le sigmoïde ; rectum). Pour l’analyse des cancers dMMR, nous avons regroupé les cancers du côlon distal et du rectum en un seul groupe (= cancers situés à gauche).
Recherche du déficit « MisMatch Repair » Immunohistochimie Les immunomarquages ont été réalisés sur des coupes de 4 m d’épaisseur pour visualiser l’expression des protéines MLH1, MSH2, MSH6 et PMS2, en utilisant les anticorps anti-MLH1 (Menarini, Zaventem, Belgique ; clone ES05, dilution 1/100), anti-MSH2 (Menarini ; clone 25D12, dilution 1/200), anti-MSH6 (Menarini ; clone PU29, dilution 1/400) et anti-PMS2 (Menarini ; clone M0R4G, dilution 1/100). Ces immunomarquages ont été effectués sur l’automate BOND-MAX (Leica, Wetzlar, Allemagne). L’expression immunohistochimique est visualisée en utilisant le kit de détection « Bond Polymer Refine Detection kit » (Menarini ; kit DS9800). Le marquage immunohistochimique est considéré comme négatif (perte d’expression) ou positif. Chez les patients pMMR, on observe un marquage nucléaire pour les quatre marqueurs au niveau des cellules tumorales. Chez les patients dMMR, on peut observer la perte d’un ou de deux marqueurs au sein des cellules tumorales (Fig. 1), mais une expression au niveau des cellules de l’environnement tumoral telles que les lymphocytes qui représentent un témoin positif interne. Le protocole de l’étude a été relu et approuvé par le comité d’éthique de l’hôpital Erasme (Bruxelles, Belgique) portant le numéro de référence P2017/333.
Analyse statistique Les associations entre les variables catégorielles ont été évaluées en utilisant le test du Chi2 et le test exact de Fisher. La distribution des variables continues entre les groupes a été comparée à l’aide du modèle non paramétrique U de Mann-Whitney (ou le test de Wilcoxon-Mann-Whithney). Toutes les analyses statistiques ont été réalisées en utilisant le logiciel Statistica (Statsoft, Tulsa, OK, États-Unis) et les valeurs ayant un p < 0,05 ont été considérées comme significatives.
Comparaison du « deficit mismatch repair » des cancers colorectaux
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Figure 1. Images représentatives d’un marquage immunohistochimique dirigé contre les protéines du système MMR. On observe que les immunohistochimies dirigées contre les protéines MLH1 et PMS2 sont maintenues tandis qu’il y a une perte du marquage nucléaire de MSH2 et MSH6. À noter, la présence d’une positivité nucléaire au sein des lymphocytes qui représentent un témoin interne (immunohistochimie, × 50). Representative images of immunohistochemistry staining of four MMR proteins. The stainings of MSH2 and MSH6 are maintained, but there is loss of staining of MLH1 and PMS2. We observed a nuclear positivity in lymphocytes, serving as internal control (immunochemistry, × 50).
Résultats Populations belge et ivoirienne
La comparaison faite entre les deux populations concernant les cancers dMMR sur le plan épidémiologique et histopathologique est rapporté dans le Tableau 2.
Description des populations Pour l’ensemble des patients belges (n = 343) atteints de CCR, l’âge moyen au diagnostic était de 65 ans (avec des extrêmes de 27 à 96 ans). Le sex-ratio (M/F) était de 0,9. L’analyse immunohistochimique a retrouvé des défects dans le système MMR chez 40 patients belges (=11,7 %). Pour l’ensemble des patients ivoiriens (n = 83) atteints de CCR, l’âge moyen au diagnostic était de 53 ans (avec des extrêmes de 24 à 84 ans). Le sex-ratio (M/F) était de 1,8. L’analyse immunohistochimique a permis de trouver des défects dans le système MMR chez 11 patients ivoiriens (=13,3 %). Les données épidémiologiques des populations belges et ivoiriennes sont résumées dans le Tableau 1. La description des caractéristiques des populations dMMR est rapportée dans le Tableau 2.
Comparaison des deux populations Les CCR (pMMR et dMMR confondus) survenaient à un plus jeune âge en Côte d’Ivoire comparé à la Belgique (âge médian : 53 versus 66). Le déficit MMR a été détecté dans 11,7 % des cas belges et dans 13,3 % des cas ivoiriens. Les CCR dMMR étaient détectés à un plus jeune âge à Abidjan (p = 0,01664). Les CCR dMMR bruxellois étaient principalement retrouvés chez des femmes (24/40, c’està-dire, 60 %), contrairement aux Ivoiriens (3/11) (27 %) (p = 0,05411). De plus, la localisation prédominante des CCR dMMR était différente entre les deux séries : à Bruxelles, à droite (24/40, c’est-à-dire, 60 %), tandis qu’à Abidjan c’était à gauche (10/11, c’est-à-dire, 91 %) (p = 0,00277). À Bruxelles, on observait dans la plupart des cas (67,5 %), une perte d’expression de MLH1 et PMS2. À Abidjan il s’agissait plutôt d’une perte d’expression de MSH2 et MSH6 (54,5 %).
Discussion Cette étude était une des rares études ayant pour but d’étudier le statut dMMR des cancers colorectaux au sein d’une population d’Afrique subsaharienne, précisément celle de la Côte d’Ivoire. Dans ce travail, nous avons tout d’abord démontré qu’au sein de notre population caucasienne étudiée, la fréquence de CCR dMMR retrouvée est proche de celle décrite (15 %) dans la littérature c’est-à-dire, 11,7 %. Dans la population ivoirienne étudiée, nous avons retrouvé une fréquence de 13,3 %. Seulement une étude réalisée au Congo [16] montrait une fréquence du statut dMMR comparable à la population caucasienne. Les autres études africaines ont conclu à des chiffres très disparates variant de 15 à 43 % selon les études [12,16,17]. Nos résultats tendent donc à suggérer qu’il n’y aurait pas de différence de fréquence du statut dMMR entre les populations blanches caucasiennes et les populations africaines subsahariennes ivoiriennes. Concernant le sexe, nous avons remarqué que, de manière globale, les CCR (pMMR et dMMR confondus) touchent le plus souvent les femmes dans notre population belge étudiée (52,5 %). Or dans la littérature, les hommes belges étaient plus souvent atteints. Cette même publication a cependant montré une prédominance du sexe féminin dans la région Bruxelles capitale [4]. En Afrique, et précisément en Côte d’Ivoire, dans notre étude, nous avons remarqué que le CCR est plus souvent retrouvé chez les hommes (54,2 %). Ce résultat est semblable à certains chiffres retrouvés dans la littérature comme par exemple dans d’autres pays d’Afrique subsaharienne comme au Nigeria avec une fréquence de 54 % [11]. Cependant, cette fréquence ne semble pas constante, car au Ghana [12], 58 % des CCR surviennent chez des femmes.
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L. Bienfait et al.
Tableau 1 Répartition des cancers selon les caractéristiques épidémiologiques et type histopathologique des populations belge et ivoirienne. Distribution of cancers according to the epidemiological and histopathological characteristics of the Belgian and Ivorian populations.
Caractéristiques épidémiologiques et histopathologiques
Population belge(n = 343)
Population ivoirienne (n = 83)
p
Âge moyen Sexe Masculin Féminin Localisation Côlon droit Côlon Gauche Types histologiques Adénocarcinome NOS Adénocarcinome avec composante mucineuse Adénocarcinome mucineux Carcinome médullaire Carcinome mixte (médullaire et mucineux) Adénocarcinome à cellules en bague à chaton Cancers dMMR
65 ans (27—96 ans)
53 ans (24—84 ans)
0,5387
163 (47,5 %) 180 (52,5 %)
45 (54,2 %) 38 (45,8 %)
0,327
105 (30,6 %) 238 (69,4 %)
15 (18,1 %) 68 (81,9 %)
0,028
293 (85,4 %) 32 (9,3 %)
78 (94 %) 3 (3,6 %)
0,456
14 (4,1 %) 2 (0,6 %) 1 (0,3 %)
2 (2,4 %) 0 0
Tableau 2 lations.
1 (0,3 %)
0
40 (11,7 %)
11 (13,3 %)
0,8316
Comparaison des caractéristiques épidémiologiques et histopathologiques des cancers dMMR des deux popu-
Comparison of epidemiological and histopathological characteristics of dMMR cancers in both populations.
Caractéristiques épidémiologiques et histopathologiques
Population belge(n = 40)
Population ivoirienne (n = 11)
p
Âge moyen
66 ans (27—89 ans)
53 ans (24—72 ans)
0,01664
16 (40 %) 24 (60 %)
8 (72,7 %) 3 (27,3 %)
0,05411
24 (60 %) 16 (40 %)
1 (9,1 %) 10 (90,9 %)
0,00277
28 (70 %) 6 (15 %)
9 (81,8 %) 0
0,6601
3 (7,5 %) 1 (2,5 %) 1 (2,5 %)
2 (18,2 %) 0 0
1 (2,5 %)
0
27 (67,5 %) 9 (22,5 %) 3 (7,5 %) 1 (2,5 %) 0
4 (36,4 %) 6 (54,5 %) 0 0 1 (9,1 %)
Sexe Masculin Féminin Localisation Côlon droit Côlon gauche Types histologiques Adénocarcinome NOS Adénocarcinome avec composante mucineuse Adénocarcinome mucineux Carcinome médullaire Carcinome mixte (médullaire et mucineux) Adénocarcinome à cellules en bague à chaton Protéines impliquées Perte de MLH1/PMS2 Perte de MSH2/MSH6 Perte isolée de PMS2 Perte isolée de MSH6 Perte isolée de MLH1
Au sujet des CCR dMMR, à Bruxelles, ils étaient principalement retrouvés chez les femmes (60 %), résultat encore une fois concordant avec la littérature existante. Par contre, à Abidjan, seulement 27,3 % des cancers colorectaux dMMR touchaient la population féminine. Le statut dMMR en Côte
0,06255
d’Ivoire tendait à affecter plus fréquemment les hommes (72,7 %) que les femmes (p = 0,05411). Cette constatation est une des premières décrites au sein d’une population africaine, mais est à interpréter avec prudence : la même tendance était observée pour l’ensemble des cancers
Comparaison du « deficit mismatch repair » des cancers colorectaux colorectaux (dMMR et pMMR) dans la population ivoirienne. En effet, les rares études africaines dans lesquelles on mentionne le statut dMMR des CCR ne parlent pas de différence d’atteinte entre les sexes. Seule celle réalisée au Ghana [12] a montré une atteinte plus importante des femmes (59 %). L’âge à la présentation de la maladie était également différent au sein des deux populations. En effet, lorsque les CCR dMMR survenaient à un âge moyen de 66 ans au sein de notre population européenne, chez les Ivoiriens, ils étaient diagnostiqués à un âge moyen de 53 ans (p = 0,01664). Il n’y avait cependant pas d’arguments cliniques en faveur d’un syndrome de Lynch dans la population africaine étudiée. En Afrique de l’Ouest, les CCR dMMR surviennent précocement. Dans l’étude menée au Ghana [12], les auteurs ont rapporté un âge moyen au diagnostic de 52,6 (±16,2) ans. Cependant, on a retrouvé un âge moyen différent en Afrique centrale où l’âge moyen de survenue des CCR dMMR est de 35 ans au Congo selon Peko [16]. Dans certaines régions de l’Afrique, il y a un taux important de mariages consanguins ce qui pourrait expliquer les fréquences extrêmement variables du statut dMMR. Si de fac ¸on générale, le cancer survient chez les sujets plus jeunes en Afrique, il est important de souligner le manque de relevés des registres du cancer. En effet, d’après Parkin et al. [10], dans certains pays d’Afrique (subsaharienne), il existe des registres « locaux », mais qui couvrent moins de 10 % de la population nationale. Même si leurs données ont été jugées suffisantes pour estimer l’incidence nationale, nous devons garder à l’esprit qu’un bon nombre de cas ne sont pas enregistrés. De plus, nous avons également observé des différences entre les deux séries en termes de localisation des cancers dMMR. Au sein de la population bruxelloise, ces cancers étaient principalement localisés au niveau du côlon droit (60 %), ce qui est, une fois de plus concordant avec les résultats de la littérature existante qui souligne la prédominance de la localisation au niveau du côlon droit dans près de 70 % des CCR dMMR [18]. Par contre, à Abidjan, ces tumeurs prédominaient dans le côlon gauche (90,9 %) (p = 0,00277). Cette différence de localisation des cancers dMMR s’inscrit dans une même tendance déjà observée au Ghana [12] où les auteurs ont rapporté une atteinte plus importante du côlon gauche. En effet, les chiffres qu’ils ont trouvés sont répartis comme suit : côlon proximal = 38 %, côlon distal = 24 %, et rectum = 38 % soit un total de 62 % dans le côlon gauche contre 38 % dans le côlon droit. Nous devons cependant tenir compte de possibles biais d’inclusion : en l’absence de programmes de « screening » en Afrique, on pourrait diagnostiquer moins de cancers sur saignement occulte et donc moins de cancers du côlon droit. Bien que les différentes caractéristiques histologiques retrouvées ne soient pas corrélées avec le statut dMMR dans notre étude, nous avons retrouvé des sous-types histologiques qui dans la littérature sont décrits comme associés au statut dMMR ou fréquemment retrouvés dans les cancers dMMR. Il s’agit de la composante mucineuse (adénocarcinome mucineux ou adénocarcinome avec composante mucineuse), le carcinome médullaire ou encore l’adénocarcinome à cellules en « bague à chaton ». Différentes études ont montré que les CCR dMMR diffèrent des CCR pMMR. En effet les CCR dMMR sont plus susceptibles de montrer une différenciation de type médullaire ou mucineuse [19]. Cependant, les différences morphologiques ne sont pas suffisantes pour influencer la valeur prédictive du statut dMMR, mais pourraient souligner la possibilité de différentes voies pathogènes sous-jacentes [19].
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Enfin, aucune des études précédentes réalisées en Afrique ne parlent des différentes protéines MMR déficientes impliquées. Même si le nombre de nos patients ivoiriens CCR dMMR était minime, nous avons remarqué que 54,5 % des cas de la Côte d’Ivoire sont caractérisés par une perte d’expression de MSH2 et MSH6. Ce profil de perte de coloration immunohistochimique a été observé dans 22,5 % des cas de la population étudiée en Belgique, où la plupart de cas (67,5 %) étaient plutôt caractérisés par une perte d’expression de MLH1 et PMS2. Ce profil différent de perte d’expression entre les deux populations n’était cependant pas significatif statistiquement, mais nous fait penser qu’il y aurait peut-être une génomique sous-jacente différente. Nous savons en effet que lorsqu’il y a une perte de MSH2, MSH6 et/ou PMS2, une cause somatique est suspectée. La population ivoirienne étant plus jeune, il pourrait s’agir de patients atteints d’un syndrome de Lynch et/ou une sousreprésentation des cancers sporadiques MLH1 négatifs. Dans la population belge, nous avons remarqué également que, parmi les cas dMMR, un cas montrait une perte de MSH6 seulement, et trois cas montraient une perte de PMS2 seulement. Ce type d’observation peut être classiquement observé en cas de mutations constitutionnelles dans chacun de ces gènes respectifs, mais avec une persistance d’expression protéique de leur binôme d’hétérodimère respectif.
Conclusion En dehors de la fréquence identique de CCR dMMR entre une population d’Afrique de l’Ouest et une population européenne, notre étude révèle des différences entre les caractéristiques du cancer colorectal dMMR entre les deux régions géographiques étudiées. En effet, contrairement à l’Europe (précisément en Belgique), le CCR dMMR en Côte d’Ivoire semble se rencontrer principalement chez les hommes jeunes et dans le côlon gauche. Les protéines de réparation de mésappariements impliquées les plus fréquentes sont MSH2 et MSH6. Ces données suggèrent qu’il existe des différences dans l’épidémiologie et la biologie du cancer colorectal chez les Africains originaires d’Afrique de l’Ouest par rapport à une population européenne. Les données de cette étude rétrospective, qui ne contient que 11 cas de CCR dMMR ivoiriens en l’absence des stades TNM, doivent cependant être interprétées avec prudence. D’autres investigations, notamment de biologie moléculaire, avec un nombre plus important de patients seraient nécessaires pour étayer ces résultats préliminaires.
Remerciements Les auteurs remercient le Fonds Yvonne Boël pour le support financier.
Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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