Arch Pédiatr 2001 ; 8 : 793-4 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0929693X0100536X/EDI
Éditorial
Concepts culturels non occidentaux et soins pédiatriques : réflexions sur la rencontre entre des mondes divers C. Mannoni* Service de pédiatrie générale, hôpital Robert-Debré, 48, boulevard-Sérurier, 75019 Paris, France soins / culture / ethnopsychologie ethnopsychology / cultural characteristics / pediatrics
Depuis de nombreuses années en France, il a été nécessaire, dans le domaine psychiatrique, de prendre en compte certains concepts ainsi que de nombreuses étiologies traditionnelles afin d’aider au suivi et à la bonne démarche thérapeutique de familles migrantes. Cette approche ethnopsychiatrique nous a ouvert des horizons très larges dans la compréhension de gestes, de comportements, voire de discours de parents migrants ou de descendants de migrants à fortes traditions orales, dans la sphère pédiatrique. En effet, lorsqu’un enfant rencontre un médecin ou une équipe paramédicale, il est investi d’un ensemble de repères de son groupe d’appartenance et ce dans toutes les régions du monde. C’est souvent lorsqu’il est confronté à des normes extérieures inconnues que le professionnel de la santé se pose un certain nombre de questions quant à la démarche thérapeutique et globale adéquate. Devant certains dysfonctionnements visibles mais incompréhensibles quant à la prise du traitement ou à des comportements qui semblent inadaptés aux soins pour certaines familles, une méthodologie a vu le jour à l’hôpital pédiatrique depuis une dizaine d’années. Pour tenter de saisir l’impact de cette dernière il nous faut reprendre quelques notions et définitions de ce que la culture est à l’homme et l’homme à la culture. Dans les sociétés issues de cultures à fortes traditions orales (telles que le Maghreb, l’Afrique Noire, l’Asie, certaines îles et aussi certains pays de l’Est dont les familles affluent en ce début de millénaire)
*Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail :
[email protected] (C. Mannoni).
les représentations frayent souvent avec la notion de sacré. Ainsi, dans le domaine de la santé nous voyons apparaître des concepts culturels simultanés aux prises en charge médicales ; il n’est pas rare de trouver une cordelette ou un objet sur le corps de l’enfant consultant ou hospitalisé. La présence de ces objets thérapeutiques traditionnels est la preuve visible qu’un « travail » parallèle à la demande d’aide au médecin a été mis en place par la famille afin de permettre à l’enfant de guérir dans les meilleures conditions. L’enfant fait donc partie de l’ensemble d’un chaînon familial, générationnel, qui lui donne la possibilité d’être reconnu dans et par son groupe d’appartenance. MAIS QU’EST-CE QUE LA CULTURE AU REGARD DE CETTE APPROCHE SPÉCIFIQUE ? D’un point de vue anthropologique, la culture est une sorte de délimitation entre le dedans et le dehors d’une société ou d’un groupe. Telle une enveloppe clôturée, elle donne des repères d’ordre général aux membres de la société qu’elle forme. Ainsi, chaque ethnie a ses propres repères pour délimiter ce qui est possible ou impossible, ce qui est permis ou interdit, ce qui est nécessaire ou infructueux. Les objets évoqués plus au haut connotent cette délimitation souvent par des formes circulaires autour du corps du sujet. D’un point de vue psychique, la culture offre la capacité à se représenter le monde de manière « organisée » et d’introjecter, dès les premiers mois de la vie, une vision rassurante et contenante du monde environnant. Elle a donc une fonction de défense au
sens psychanalytique du terme ; défense souvent contre le stress et la confusion lors de maladies mentales. Elle permet aussi de se défendre contre la vision chaotique du monde et ce dans le domaine de la santé physique. Remettre de l’ordre dans le désordre de l’angoisse devant la maladie constitue le rôle éminemment fonctionnel des gestes et pensées rattachés à la culture que le sujet habite. La culture est ainsi comme une enveloppe qui contient à la fois l’individu qui se laisse porter par elle et les pensées qui proposent un sens à ce qui lui arrive et qui émanent du groupe dans lequel il est né. L’intégration des normes, des codes, des rites se réalise inconsciemment et à notre insu. Ainsi, la culture est loin d’être un fait exotique. Elle a un lien étroit avec la construction de l’identité du sujet. La culture est donc ce long travail relationnel débuté dès le plus jeune âge entre nous et notre environnement, entre nous et le monde plus élargi. Elle s’intègre progressivement et très tôt à notre personnalité qui s’affine au fur et à mesure des expériences vécues. COMMENT PRENDRE EN COMPTE CES DONNÉES CULTURELLES DANS NOTRE PRATIQUE MÉDICALE ? Devant une telle définition une question vient habiter nos pratiques et le vécu professionnel. Comment tenir compte d’un ensemble de données qui sont, il faut le souligner, souvent extérieures à nos propres repères, lorsque nous voulons proposer une démarche médicale thérapeutique rationnelle ? Comprendre qu’un objet apparaît lors d’un traitement, qu’un parent disparaît pour revenir quelques semaines plus tard avec un rituel à faire au lit de l’enfant ou à la maison, qu’une palabre est nécessaire avec les membres éloignés du pays avant de prendre une décision d’opérer, qu’un individu surgit lors des consultations qui n’est ni le père ni la mère de l’enfant, c’est déjà prendre en considération que l’enfant est pris en charge par l’ensemble de son groupe et qu’il pourra y retourner sans encombre ni rejet. Laisser agir un « traitement » traditionnel de lavement du corps, de portage d’objet, de changement de prénom de l’enfant, c’est donner la possibilité d’une interaction entre la famille et les soignants, l’enfant et sa famille, la famille et l’institution. Et si l’envie nous prenait d’aller plus loin dans la compréhension d’un geste ou d’un acte à nos yeux inex-
plicable, pourquoi ne pas poser de questions aux membres de cette famille qui deviendront alors des partenaires idéaux pour la bonne marche thérapeutique médicale ? C’est ce que je nomme le partenariat adéquat. Des groupes de travail clinique, de recherche et de réflexion, constitués de professionnels divers travaillent à aider et souligner les besoins lors de consultations psychocliniques interculturelles de familles migrantes. Cette démarche a vu le jour après constatations d’échecs thérapeutiques médicaux ou d’incompréhensions de représentations de soins entre les familles et le corps soignant. Dans un souci qui se veut éthique pour l’ensemble des populations que rencontrent les médecins et les infirmiers, il paraît judicieux de connaître a minima les pensées, rites et gestes contenant un groupe ethnique. Ainsi, les professionnels de la psyché, spécialistes des représentations culturelles, accompagnés d’interprètes, nous semblent souvent utiles pour proposer aux cliniciens une aide pour une démarche thérapeutique globale et efficace. POUR EN SAVOIR PLUS Articles périodiques Lallemand S. La filiation pour les ethnologues. Lieux de l’enfance 1987 ; n° 1. Salmi H, Mannoni C. Métissage des langues, métissage des cultures, métissage des cadres thérapeutiques. Psychologie Française 1991 ; 36-44. Ouvrages Devereux G. Essais d’ethnopsychiatrie générale. Paris : Gallimard ; 1970. Laplantine F. Anthropologie médicale. Paris : Payot ; 1986. Lévi-Strauss C. Anthropologie structurale. Paris : Plon ; 1996. Nathan T. La folie des autres. Traité d’ethnopsychiatrie clinique. Paris : Dunod ; 1987. Nathan T. L’influence qui guérit. Paris : Odile Jacob ; 1994. Thè