Conduite à tenir devant un refus de césarienne en urgence

Conduite à tenir devant un refus de césarienne en urgence

146 Lettres à la rédaction / Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 22 (2002) 144–147 F. Ben Salem * L. Grati M. Gahbiche Service d’anest...

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Lettres à la rédaction / Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 22 (2002) 144–147

F. Ben Salem * L. Grati M. Gahbiche Service d’anesthésie–réanimation, centre hospitalo-universitaire de Monastir, avenue du 1er Juin, 5000 Monastir, Tunisie Adresse e-mail : [email protected] * Auteur correspondant. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 0 7 5 0 - 7 6 5 8 ( 0 2 ) 0 0 8 6 5 - 1

Conduite à tenir devant un refus de césarienne en urgence

How to manage an unwilling mother when an urgent Caesarean section is necessary? Mots clés : Césarienne ; Éthique Keywords: Caesarean; Ethical

Nous avons été confrontés à une situation inhabituelle : le refus par la parturiente d’une césarienne motivée par une souffrance fœtale. Cette situation pose le problème médicojuridique de la conduite à tenir en urgence et plus généralement, celui de l’information au patient. Il s’agissait d’une femme de 26 ans, zaïroise, deuxième geste, deuxième pare, sans antécédent notable en dehors d’une drépanocytose hétérozygote. En 1998, son premier accouchement avait nécessité une césarienne en urgence pour souffrance fœtale aiguë, diagnostiquée sur des anomalies du rythme cardiaque fœtal à 6 cm de dilatation. Sa seconde grossesse avait été suivie dans notre établissement : 6 consultations (3 réalisées par une sage-femme et 3 par un obstétricien), la dernière ayant eu lieu à 36 semaines d’aménorrhée, participation à une réunion d’enseignement de l’accouchement sans douleur, consultation d’anesthésie à la 36e semaine. À noter qu’une analgésie péridurale n’avait pas été souhaitée par la patiente à l’issue de cette consultation. Une radiopelvimétrie avait orienté la conduite obstétricale, la mention « essai voie basse » étant présente dans le dossier obstétrical. La jeune femme a été admise en travail à 39 semaines de grossesse. L’analgésie péridurale était débutée à 3 cm de dilatation, son indication étant le confort de la parturiente. Son mari l’assistait pendant le travail. À la 4e h de travail, l’obstétricien posait l’indication d’une césarienne pour anomalies du rythme cardiaque fœtal. La césarienne était refusée par le couple. Tout le personnel de la salle de

travail a essayé successivement de les convaincre pendant une heure. Puis l’administrateur de garde était appelé. Celui-ci assistait au long entretien durant lequel l’obstétricien et le médecin anesthésiste–réanimateur expliquaient à la parturiente et à son conjoint les motifs de l’indication d’une césarienne, les risques encourus par la mère et l’enfant. Devant le maintien d’un refus formel des deux conjoints, l’avis du Procureur de la République était demandé. Celui-ci préconisait de respecter les souhaits de la patiente, celle-ci étant majeure, saine d’esprit et que l’enfant à naître n’était pas une « personne ». L’ensemble des éléments de la discussion ainsi que l’avis du Procureur de la République était consigné dans le dossier médical. Il était donc décidé de ne pas procéder à la césarienne. Le travail obstétrical devait durer 11 h, l’enfant naissait par voie basse, le score Apgar était à 6-7, le pH à 7,15. Après les soins habituels, l’enfant était transféré dans un centre de réanimation pédiatrique où l’évolution était favorable. D’une manière générale, le malade est par principe libre de refuser les soins qui lui sont proposés. En effet, en vertu de l’article 16-3 du Code Civil, le médecin ne peut intervenir sur un patient sans avoir préalablement recueilli son consentement. L’article 36 du Code de Déontologie confirme cette position puisque le médecin doit respecter la volonté du malade lorsque celui-ci, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés mais « le médecin ne doit accepter le refus de soins qu’après avoir mis en œuvre tous les moyens de nature à faire prendre au patient la véritable mesure des conséquences de son refus ». De plus, il convient désormais de tenir compte des dispositions de la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui contient des dispositions relatives à ce genre de situation et consacre de nouveau la nécessité d’obtenir un consentement préalable à tout acte de soin. Ainsi, l’article L. 1111-4 alinéa 2 du Code de la santé publique prévoit que « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé ». « Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables ». « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ». « Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté ». À notre connaissance, il n’y a pas en France de jurisprudence spécifique à un refus de césarienne, motivée par un risque pour le fœtus, par une parturiente. Peut-on rapprocher de ce problème, celui d’une transfusion réalisée malgré le refus exprimé par un patient [1] ?

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Comment prendre en compte l’intérêt de l’enfant à naître ? On relève deux positions contradictoires : • la jurisprudence française applique au fœtus les principes définis par l’article 16 du Code Civil (L 94-653 du 29 juillet 1994) : « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de la vie ». Ainsi, le conseiller Sargos va dans ce sens : « on peut même penser que le médecin devrait passer outre à un refus de césarienne si celle-ci s’avérait le seul moyen de sauver la mère ou l’enfant ou de leur éviter un dommage majeur » [2]. On peut rapprocher ce cas de la non-assistance à personne en danger où le médecin a le devoir d’intervenir pour le bien de son patient, le fœtus dans le cas présent (article 9 du Code de Déontologie et article 223-6 du Code pénal) ; • le fœtus n’a pas le statut de personne et il n’a donc pas de droit. Telle est la position en Grande-Bretagne où, après une période où plusieurs césariennes « forcées » ont été pratiquées, une césarienne ne peut être réalisée sans le consentement maternel [3]. On pourrait rapprocher de cette attitude l’arrêt de la Cour de Cassation (25 juin 2002) qui énonce que le décès in utero d’un enfant ne peut être qualifié d’homicide involontaire, « une interprétation stricte de la loi pénale s’opposant à ce que l’incrimination d’homicide involontaire s’applique au cas de l’enfant qui n’est pas né vivant ». Un refus par la mère d’une césarienne motivée par une souffrance fœtale aiguë nous place dans un imbroglio juridique et dans un débat éthique particulièrement complexe. Comment contraindre la mère, comment négliger l’intérêt de l’enfant à naître ? Des auteurs envisagent deux situations lors d’un accouchement [4] : • il existe un risque potentiel pour le fœtus (placenta praevia, utérus cicatriciel) mais le fœtus est sain : un refus de césarienne par la mère doit faire rechercher un deuxième avis obstétrico-pédiatrique, faire intervenir un médiateur, proposer la prise en charge par une autre équipe obstétricale ; • il existe un risque vital pour la mère ou le fœtus : on doit se résoudre à saisir la justice avec l’ambiguïté des textes qui précisent « sans jamais faire intervenir la force ».

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Ceci a été notre attitude puisque nous avons fait appel au Procureur de la République et nous avons suivi son conseil de non-intervention, mais ceci ne met nullement à l’abri d’éventuelles poursuites et de leurs conséquences. La meilleure solution consiste bien sûr à éviter ce type de situation en rappelant qu’il appartient au spécialiste de chaque discipline d’assurer l’information propre à ses actes. Nous devons donc nous assurer que la possibilité d’une césarienne en urgence a été comprise par chaque parturiente ; ceci peut être problématique lorsqu’il existe une difficulté de langage ou de culture, comme dans le cas présenté ? La possibilité d’une telle situation devrait être discutée « à froid » par les équipes obstétricale et anesthésique. Enfin une recommandation émanant des Sociétés savantes serait d’un grand secours pour aider à la compréhension des implications médico-juridiques d’une telle situation.

Références [1] [2]

[3] [4]

Lienhart A. La transfusion sans consentement en cas d’urgence vitale : données récentes. http://www.sfar.org. Sargos P. Information et consentement en gynécologie-obstétrique. In: L’Entreprise médicale, editor. Les contestations en matière d’information et de recueil du consentement, Schering. 1998. p. 25–34. Mitchell P. UK doctors not to use law to force caesarean sections on unwilling mothers [lettre]. Lancet 1997;349:1006. Madelenat P, Proust A, Féraud O, Batalan A. La césarienne, les droits de l’obstétricien. 6e Journée Éthique, Religion, Droit et Reproduction. 2000.

A.C. Degrémont M. Fischler * Services d’anesthésie, hôpital Foch, 92150 Suresnes, France Adresse e-mail : [email protected] * Auteur correspondant. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 0 7 5 0 - 7 6 5 8 ( 0 2 ) 0 0 8 6 6 - 3