Curages cervicaux et cancers thyroïdiens

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Annales de chirurgie 128 (2003) 468–474 www.elsevier.com/locate/annchi Note technique Curages cervicaux et cancers thyroïdiens Cervical lymph node d...

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Annales de chirurgie 128 (2003) 468–474 www.elsevier.com/locate/annchi

Note technique

Curages cervicaux et cancers thyroïdiens Cervical lymph node dissection and thyroid carcinoma J.-L. Peix *, J.-C. Lifante Service de chirurgie générale, hôpital de l’Antiquaille, 69321 Lyon cedex 05, France

Résumé Après un rappel anatomique du territoire de drainage cervical de la thyroïde, nous décrivons la technique chirurgicale des curages cervicaux pour cancer différencié de la thyroïde. Ils n’ont d’intérêt qu’associés à la thyroïdectomie totale. Le curage cervical intéresse toujours le compartiment central du cou et s’étend parfois aux compartiments latéraux. Le curage d’un compartiment doit être complet d’emblée, les réinterventions exposent à une morbidité importante. Les principales complications sont la paralysie récurrentielle et l’hypoparathyroïdie. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract After an anatomic recall of the cervical lymph node compartments we describe the surgical technique of the lymph node dissection in patients with differentiated thyroid carcinoma. These lymphadenectomies should be associated with total thyroidectomy. Cervical lymph node dissection always concerns central compartment and is sometimes extended to the cervico lateral compartments. Lymphadenectomy of a compartment should be complete, reoperations leading to an important morbidity. The two main complications of cervical lymph node dissection are inferior laryngeal nerve palsy and hypoparathyroidism. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Curage cervical ; Cancer de la thyroïde Keywords: Lymph node dissection; Thyroid carcinoma

La réalisation de principe et l’étendue du curage lymphatique dans la chirurgie du cancer thyroïdien sont bien codifiées pour les cancers médullaires [1–3] mais restent encore débattues pour les cancers différenciés. Le but de cet article n’est pas d’aborder le problème des indications mais les principes techniques de réalisation. 1. Rappel anatomique et anatomopathologique Les travaux d’anatomie descriptive classique de Rouvière et plus récemment de Chevrel [4–6] ont individualisé les voies de drainage lymphatique du corps thyroïde : prévasculaires ou préviscérales d’une part, profondes, rétrovasculaires ou rétroviscérales d’autre part. Ces voies de drainage * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-L. Peix). © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/S0003-3944(03)00189-5

correspondent à des collecteurs médians d’une part et latéraux d’autre part. Parmi les nombreuses chaînes lymphatiques individualisées dans le cou, chaîne du cercle péricervical de Cunéo, du triangle de Rouvière, seuls les lymphonœuds prélaryngés, sous-digastriques, jugulocarotidiens moyens, inférieurs, supraclaviculaires (ancien. : ganglions cervicaux transverses) et accessoires (ancien. : spinaux) sont concernés par l’extension des cancers thyroïdiens. Aussi, en pratique, on retient 3 territoires correspondant aux sites de drainage et aux relais lymphatiques issus du corps thyroïde (Fig. 1) : • le compartiment central du cou ; • les deux compartiments droit et gauche du cou. 1.1. Le compartiment central du cou Le compartiment central du cou est limité en haut par l’os hyoïde, en bas au niveau du médiastin supérieur par le tronc

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Fig. 2. Incision de cervicotomie et abord complémentaire.

vers la chaîne supraclaviculaire, en arrière et en haut vers la chaîne accessoire. Il n’existe pas de structure anatomique permettant de tracer une frontière précise entre ces chaînes lymphatiques qui, pour le chirurgien, appartiennent globalement à une région commune située en arrière et en dehors de la veine jugulaire interne et correspondant au classique triangle de Rouvière. 2. Technique 2.1. Le curage central du cou (Figs. 3a, b et Figs. 4a, b) Fig. 1. Compartiments centraux et latéraux. Les aires d’évidement cellulolymphatique (rosé = C. central, jaune = C. latéraux).

veineux brachiocéphalique gauche (ancien. : tronc veineux innominé) et latéralement par la gaine vasculaire carotidienne. Il correspond à ce que l’on appelle classiquement les chaînes lymphatiques récurrentielles ou paratrachéales, sous-isthmiques ou prétrachéales et la chaîne de drainage supérieure, peu importante, appelée prélaryngée. Cette dernière correspond, lorsqu’il est retrouvé, au classique « ganglion delphien » sus-isthmique. Enfin, de façon inconstante, il existe un drainage lymphatique médian et postérieur, rétroœsophagien et rétropharyngien que Rouvière estimait présent dans un cas sur cinq [4]. Cet ensemble est le premier relais de l’extension lymphatique d’un cancer thyroïdien. Dans de rares cas de tumeurs polaires supérieures des lobes thyroïdiens, le drainage lymphatique peut sauter ce premier relais et l’atteinte métastatique ne se développe qu’au niveau latéral en l’absence d’envahissement central [2]. 1.2. Les compartiments latéraux droit et gauche du cou Les deux compartiments latéraux droit et gauche du cou correspondent à la chaîne jugulocarotidienne supérieure (entre muscle digastrique et abouchement du tronc veineux thyrolinguofacial), moyenne (entre tronc veineux thyrolinguofacial et muscle omohyoïdien), inférieure (en-dessous du muscle omohyoïdien). Ils s’étendent latéralement et en bas

La réalisation d’un curage central est effectuée dans le même temps que la thyroïdectomie totale dont elle constitue une extension dans toutes les directions et en particulier latéralement et vers le bas. Ce curage central expose à des lésions des nerfs laryngés inférieurs (ancien. : récurrents) et des glandes parathyroïdes. Cela impose un contrôle des nerfs sur tout leur trajet cervical et l’individualisation des glandes parathyroïdes et de leur pédicule nécessaire à leur conservation. L’intervention débute par l’identification et la mise sur un lacs du tronc de l’artère thyroïdienne inférieure, juste après son croisement en arrière de la carotide primitive et en dedans de celle-ci. Il est alors possible, en exerçant une traction sur le lacs, de repérer le nerf laryngé inférieur au niveau de son croisement avec l’artère, croisement prévasculaire à droite et plus volontiers rétrovasculaire à gauche mais les exceptions sont nombreuses. Le risque majeur est de méconnaître un nerf laryngé inférieur précocement divisé et de prendre pour le tronc du nerf ce qui ne correspond qu’à un rameau principal. Le tronc nerveux peut être mis prudemment sur un lacs siliconé en évitant toute traction excessive. Ce lacs facilitera la présentation pour la dissection du nerf jusqu’à sa terminaison dans le larynx (et sa disparition sous le bord inférieur du muscle constricteur inférieur du pharynx). Il sera également fort utile pour permettre la dissection de la chaîne lymphatique en descendant le long du bord latéral de la trachée. La libération du tissu cellulolymphatique situé depuis les bords latéraux de la thyroïde, de la trachée et de la paroi

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Fig. 3. a, b. Mise sur lacette du récurrent et repérage des parathyroïdes (vue latérale côté gauche du compartiment central).

œsophagienne jusqu’à la gaine carotidienne sera réalisée prudemment. Si le nerf peut sembler fréquemment englobé dans des adénopathies métastatiques, il est exceptionnel que son sacrifice soit indiqué. Le contrôle laryngoscopique préopératoire en cas de cancers extensifs doit être systématique et une possible résection pour raison carcinologique du nerf n’est licite qu’en cas de constatation pré-opératoire d’une paralysie de la corde vocale correspondante. La dissection nerveuse est un bon repère pour l’individualisation et le contrôle des glandes parathyroïdes. Si la glande parathyroïde supérieure peut, en règle générale, être laissée en place avec une vascularisation satisfaisante du fait de sa topographie fixe, la parathyroïde inférieure, située volontiers dans la graisse thyrothymique ou à l’inverse en situation sous capsulaire thyroïdienne, ne peut pas toujours être conservée in situ lors du curage. Elle est alors prélevée et en l’absence d’extension tumorale à son contact, autogreffée dans le muscle sternocléïdomastoïdien après fragmentation de la glande en petits cubes parenchymateux d’environ 1 mm3. Vers le bas, la dissection est prolongée dans le médiastin supérieur et emporte tout le tissu médian prétrachéal jusqu’à ce que le bord supérieur du tronc veineux brachiocéphalique gauche soit mis en évidence. Quelques veines thymiques et thyroïdiennes inférieures sous l’isthme sont contrôlées par clips ou ligatures. Cet évidement cellulolymphatique médiastinal supérieur n’est en fait complet qu’au prix de la traction et de la résection des cornes thymiques. Ceci facilite

le contrôle visuel du tronc veineux et emporte les chaînes lymphatiques médiastinales transverses les plus haut situées. La lobectomie controlatérale permettant de totaliser la thyroïdectomie sera réalisée de la même façon en association avec le curage complémentaire du compartiment central correspondant. Le curage central sera terminé, lors de l’ablation de la pièce, par l’évidement du tissu cellulolymphatique souvent peu marqué, situé entre l’isthme et l’os hyoïde avec le tractus thyréoglosse plus ou moins charnu. Enfin de dissection, il convient de soulever l’ensemble trachéo-œsophagien. Cela nécessite l’effondrement des attaches fibreuses entre la gaine viscérale du cou et le fascia prévertébral (ancien. : lames de Charpy) et l’ouverture de l’espace rétro-œsophagien sur ses 2 faces. On vérifie par la palpation et la vue l’absence de lymphonœud rétroœsophagien et rétropharyngien. Toute la dissection du compartiment central est facilitée et grandement sécurisée par l’utilisation de lunettes à grossissement faible ou modéré (grossissement multiplié par 2,5 ou 3). 2.2. Le curage des compartiments latéraux du cou (Figs. 5a, b et Figs. 6a, b) Le curage latéral, lorsqu’il est indiqué, sera toujours réalisé en complément de la thyroïdectomie et du curage central compte tenu de la présence habituelle d’adénopathies dans le

Fig. 4. a, b. Thyroïdectomie avec résection des muscles sous hyoïdiens et curage central monobloc : contrôle des adénopathies retrorécurrentielles (côté gauche).

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Fig. 5. a, b. Thyroïdectomie et curage du C. central vu du coté gauche avec évidement cellulolymphatique le long de la veine jugulaire interne jusqu’au tronc veineux innominé (fin d’intervention).

relais central avant l’extension à la région latérale. Il existe de façon parfois surprenante une asymétrie marquée entre la taille des adénopathies métastatiques centrales, souvent modérées de l’ordre de quelques millimètres de grand axe et la taille des adénopathies jugulocarotidiennes métastatiques souvent beaucoup plus volumineuses de l’ordre du centimètre ou plus. Dans ces cas-là, le curage latéral constitue le premier temps de l’intervention suivi en monobloc par la thyroïdectomie et le curage central ce qui limite le temps d’exposition du nerf laryngé inférieur. Pour éviter toute dissection nocive du nerf, nous réalisons régulièrement une humidification de la région à la seringue avec du sérum physiologique si le nerf doit rester exposé plusieurs heures à la lumière chauffante des scialytiques. Le curage comporte l’évidement complet de tout élément cellulolymphatique inclus dans la gaine vasculaire en respectant uniquement les vaisseaux et le nerf vague. Le curage comporte également une résection de la gaine vasculaire elle-même, ce qui garantit une sécurité carcinologique supplémentaire [3]. Il est fréquent de constater histologiquement une rupture capsulaire des adénopathies qui exposerait, en cas de simple exérèse des lymphonœuds, à une récidive tumorale dans la graisse cervicale liée à l’inoculation peropératoire. Cette éventualité est souvent considérée à tort comme une adénopathie récidivante. Il est aisé de commencer par la dissection de la veine jugulaire interne, plus latérale et plus superficielle que l’ar-

tère carotide commune. La veine jugulaire interne est saisie par une pince, sa gaine ouverte au niveau de son bord externe, verticalement. La limite inférieure du curage latéral descend jusqu’au confluent veineux jugulosubclavier. Le confluent de ces 2 veines reçoit de nombreux vaisseaux lymphatiques. Ici, la dissection doit être méticuleuse en prenant soin de lier tous les éléments sanguins ou lymphatiques particulièrement à la face dorsale. Les vaisseaux lymphatiques sont parfois réunis à droite en un conduit unique qui draine la lymphe du membre supérieur, de l’hémicou et l’hémithorax droits. Du côté gauche, le conduit thoracique (ancien. : canal thoracique) doit être identifié, contrôlé et lié au niveau de sa crosse et de sa terminaison pour éviter une lymphorrhée postopératoire persistante et massive. En cas d’envahissement de sa paroi par un volumineux ganglion métastatique, la résection de la veine jugulaire interne peut être effectuée de façon unilatérale sans aucune conséquence. Il convient de placer une ligature appuyée au niveau de la partie haute de la résection compte tenu de la pression veineuse à ce niveau. La dissection veineuse remonte ensuite pour buter sur le croisement de la gaine vasculaire avec le muscle omohyoïdien. Pour simplifier cette dissection, la partie moyenne du muscle est sectionnée entre ligatures et laissée solidaire de la gaine vasculaire. À la fin de la dissection, cette gaine sera réséquée complètement avec le segment musculaire omohyoïdien et tous les filets nerveux de l’anse cervicale (ancien. : branche descendante de l’hypoglosse) qui y sont

Fig. 6. a, b. Curage monobloc central et latéral droit contrôlant les territoires jugulocarotidiens moyen et inférieur, les régions sus-claviculaire et cervicale transverse (veine jugulaire interne sur lacette et parathyroïde supérieure repérée par la pince (côté droit)).

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inclus. Ces nerfs assurent l’innervation motrice des muscles infrahyoïdiens et leur sacrifice n’a pas de conséquence notable dans le cadre d’un geste carcinologique d’autant que ces muscles peuvent être réséqués lors de la thyroïdectomie. La dissection remonte encore et permet de lier la ou les veines thyroïdiennes moyennes à leur terminaison puis toujours plus haut, le tronc thyrolinguofacial (ancien. : tronc veineux de Farabeuf) ou ses branches constituantes. La veine jugulaire interne est alors entièrement libérée entre ses deux extrémités. Elle est mise sur lacs. La carotide commune est séparée de sa gaine de bas en haut pour finir par une dissection de sa bifurcation puis de l’origine de l’artère thyroïdienne supérieure. Elle est regroupée avec la veine jugulaire dans un même lacs. La traction sur le lacs permet de visualiser le nerf vague qui va être suivi de haut en bas. Du côté droit, vers le bas, au croisement avec l’artère subclavière, sa dissection permet de reconnaître l’origine récurrente du nerf laryngé inférieur et de rejoindre en toute sécurité le curage central. Le nerf vague, la carotide commune et la veine jugulaire interne sont rassemblés et soulevés par le même lacs. Il reste ensuite à réséquer tout le tissu limité par la gaine vasculaire et qui n’est pas protégé par le lacs. Le curage s’étend en arrière jusqu’au plan musculaire. Le muscle scalène antérieur est mis à nu en laissant dans sa gaine le nerf phrénique ainsi protégé. Ce nerf est surcroisé en bas par l’artère suprascapulaire qui traverse les branches du plexus brachial, au-dessus par l’artère cervicale transverse et plus haut encore par l’artère cervicale ascendante. Plus médialement, la chaîne sympathique cervicale est plaquée contre le muscle long du cou dans un mince dédoublement du fascia prévertébral. Elle ne doit pas être mobilisée lorsque la dissection va emporter la gaine vasculaire. Sa blessure, qui est à l’origine d’un syndrome de Claude-Bernard-Horner postopératoire, est particulièrement risquée au niveau du ganglion sympathique moyen qui peut être traversé par l’artère thyroïdienne inférieure. Cette chaîne peut également échanger des anastomoses nerveuses avec le nerf laryngé inférieur homolatéral. En cas de cancer thyroïdien, l’extension du curage vers le haut se fait jusqu’à la naissance de l’artère thyroïdienne supérieure sur la carotide externe, un peu au-dessus de la bifurcation carotidienne. Le ganglion de Küttner ou lymphonœud sous-digastrique, correspond à la limite supérieure du curage jugulocarotidien. Ce n’est qu’en cas d’envahissement de ce relais que le curage pourra être prolongé plus haut dans la région submandibulaire qui n’est pas concernée par le corps thyroïde sauf anomalie de drainage lymphatique. 2.3. Extension du curage latéral vers le creux susclaviculaire L’extension lymphatique des cancers thyroïdiens se fait essentiellement vers la région jugulocarotidienne moyenne et inférieure. Un envahissement massif en situation inférieure, doit faire redouter une extension rétrograde vers la chaîne supraclaviculaire. Dans ces cas seulement, le creux sus-claviculaire devra être évidé jusqu’aux racines du plexus

brachial et à l’origine des artères vertébrales et thyrocervicoscapulaires. 2.4. Le curage accessoire (ancien. : curage spinal) En cas de blocage lymphatique jugulocarotidien supérieur et moyen, une extension rétrograde vers la chaîne accessoire peut nécessiter l’extension du curage et le contrôle du nerf. Le nerf accessoire est repéré le plus haut possible en arrière de la veine jugulaire interne dans la région juxtastylienne. Le nerf est ensuite suivi de haut en bas jusqu’à rejoindre le territoire du curage supraclaviculaire. Il est essentiel de préserver dans cette extension, les nerfs sensitifs issus du plexus cervical superficiel particulièrement lorsque leurs branches sont concentrées au bord dorsal du muscle sternocléidomastoïdien. Il est exceptionnel de rencontrer un envahissement des lymphonœuds submandibulaires ou submentaux. 3. Les risques des curages cervicaux Si le curage central ne pose pas de problème technique, compte tenu du caractère bien limité de la région une fois que l’on a veillé à contrôler l’intégralité du nerf laryngé inférieur et que l’on a pu identifier et conserver ou autogreffer les glandes parathyroïdes, le curage latéral pose un certain nombre de problèmes spécifiques. Le contrôle jugulocarotidien moyen et inférieur est en général d’exposition facile ainsi que le contrôle des éventuelles adénopathies supraclaviculaires par une classique incision de Köcher. À ce niveau, le risque majeur est représenté par la plaie d’un volumineux conduit lymphatique ou du conduit thoracique lui-même et par le traumatisme du nerf vague facile à éviter par l’identification première du nerf. La dissection qui s’étend en arrière et latéralement jusqu’au contact du plan musculaire profond doit éviter toute lésion des éléments nobles et en particulier la chaîne sympathique. Le risque de blessure phrénique au niveau du scalène est nul sauf geste inconsidéré compte tenu de la situation profonde sous aponévrotique de celui-ci. Dans notre expérience, une lymphorrhée majeure et persistante est la conséquence exclusive d’une blessure du canal thoracique ou de la grande veine lymphatique droite. Le débit est alors très important, pouvant dépasser 1 l de lymphe/j, majoré par la prise alimentaire avec une lymphe chyleuse. Le tarissement est obtenu en règle après quelques jours d’alimentation parentérale et le maintien du drainage. Il est exceptionnel d’avoir à envisager une réintervention pour un contrôle secondaire du canal thoracique, celle-ci, lorsqu’elle s’impose, devra être différée au maximum. Les autres complications classiques correspondent à la paralysie cordale par lésion des nerfs laryngés inférieurs et à l’hypocalcémie postopératoire propres au curage central. Celui-ci impose un contrôle premier du nerf qui supprime tout risque de blessure intempestive. Cependant, la dissection peut être longue, au contact du nerf et une paralysie

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cordale transitoire peut être constatée lors du contrôle laryngoscopique systématiquement réalisé en postopératoire. Cette paralysie est en général régressive en quelques jours après l’intervention. Le curage central multiplie, au moins par 3, les risques d’hypocalcémie postopératoire par rapport à une simple thyroïdectomie totale [7]. Ceci est principalement lié à la difficulté de conserver les parathyroïdes inférieures avec une vascularisation satisfaisante. Cet élément est à prendre en compte dans la discussion concernant l’intérêt d’un curage de principe en l’absence d’adénopathie décelable pour les cancers différenciés [8]. À l’inverse, le curage latéral ne présente aucun risque pour les nerfs laryngés et les glandes parathyroïdes. 4. Voies d’abord nécessaires à l’extension du curage latéral (Fig. 2) L’accès aux régions subdigastriques et rétrojugulaires, lors du premier temps du curage accessoire, est limité et difficile par une classique cervicotomie de Köcher. Une classique incision en J ou en L qui remonte le long du bord médial du muscle sternocléïdomastoïdien donne un abord satisfaisant sur cette région au prix d’une cicatrice inesthétique. Dans la mesure où la pathologie thyroïdienne en cause intéresse souvent des sujets jeunes et des femmes, il est essentiel de veiller, dans ces cancers de bon pronostic, à pratiquer une incision le moins inesthétique possible. Nous réalisons une incision de Köcher modifiée Mac Fay, prolongée jusqu’au bord latéral du muscle sternocléïdomastoïdien. Elle permet aisément le contrôle des régions jugulaires inférieure et moyenne, du triangle postérieur du cou, de la région trapézienne basse. Du fait d’un important décollement cutané, cette incision donne un abord très large mais encore limité vers le haut. En cas de nécessité de contrôler la région subdigastrique ou la partie supérieure de la chaîne accessoire, une incision élective cervicale haute parallèle à l’incision de Köcher et latéralisée dans un pli du cou permet un bon contrôle sans abord délabrant. Elle donne une plus grande sécurité lors de la dissection du lymphonœud de Küttner grâce à un contrôle visuel vasculaire et nerveux des nerfs accessoire et hypoglosse. 5. Drainage chirurgical postopératoire L’hémostase et la lymphostase du curage peuvent être obtenues par l’utilisation de ligatures sélectives ou par commodité de petits clips fins de titane. À la fin de l’intervention, le drainage est en pratique systématique, soit par deux drains

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de Redon se croisant et drainant chacun une région latérale et la partie correspondante du compartiment central, soit par un seul drain placé transversalement dans le cou et drainant les deux chaînes latérales et la région centrale. L’utilisation de colle de fibrine après obtention d’une lymphostase chirurgicale satisfaisante représente un complément utile après un curage étendu. 6. Problèmes posés par les réinterventions La notion de réintervention en vue d’un curage itératif doit être discutée au niveau du compartiment central où un nouvel abord exposera à un risque majeur de blessure nerveuse et de dégâts parathyroïdiens [7,8]. Une réintervention au niveau de la région jugulocarotidienne est moins exposée à des complications même si la difficulté de disséquer à nouveau au sein de la fibrose consécutive à la première intervention peut poser des problèmes en particulier veineux. Compte tenu des difficultés et des risques liés à ces reprises chirurgicales, il nous paraît essentiel lorsqu’on décide de faire un geste lymphatique associé à la thyroïdectomie, de réaliser le curage complet d’une région, qu’elle soit centrale ou latérale afin de réduire au minimum ces risques de réintervention. Une récidive ganglionnaire dans une zone antérieurement abordée correspond plus à un geste initial incomplet qu’à une récidive au sens strict du terme Le simple picking est licite non à titre thérapeutique, mais pour confirmer par un examen anatomopathologique extemporané un envahissement lymphatique et compléter dans le même temps le geste d’exérèse. 7. Conclusion Si un curage lymphatique est indiqué, il est essentiel de le réaliser de façon complète pour limiter au maximum les risques de réinterventions. Bien que complet, le curage doit cependant rester conservateur, non mutilant, y compris sur le plan cosmétique, compte tenu du bon pronostic habituel des cancers différenciés et de la possibilité d’adjoindre à la chirurgie un efficace complément isotopique et un freinage médical. Dans le cas du cancer médullaire, la plus grande sévérité du pronostic, qui autorise cependant de longues survies malgré l’extension ganglionnaire, et l’absence de complément thérapeutique efficace justifient une politique chirurgicale plus agressive comportant des curages étendus et systématiques des différents compartiments du cou. Remerciements Nous remercions le Dr P. Chaffanjon pour ses précieux conseils d’anatomiste éclairé.

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