Table ronde Vivre avec les recommandations
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www.sciencedirect.com Mots clés : recommandations, pratique clinique
De l’élaboration à la diffusion des recommandations de pratique clinique : quels éléments favorisent leur application ? Attributes of elaboration and dissemination strategies that influence the implementation of clinical practice guidelines A. Martinot*, R. Cohen Service de pédiatrie générale, urgences et maladies infectieuses, Département de pédiatrie, Hôpital Jeanne de Flandre, Avenue Eugène Avinée, 59037 Lille cedex, France.
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es recommandations pour la pratique clinique (RPC) sont des « propositions développées avec une méthode explicite dont l’objectif est d’aider le praticien et le patient à rechercher les soins les plus appropriés… en intégrant dans la pratique quotidienne les progrès issus de la recherche clinique » [1]. Les RPC sont de plus en plus nombreuses (peut-être trop ?), leurs méthodes d’élaboration et leurs niveaux de preuves scientifiques de qualité croissante. Il faut distinguer les RCP émises par des sociétés savantes et celles des autorités officielles : Direction Générale de la Santé, Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (Afssaps), Haute Autorité de Santé. Les secondes ont des implications légales évidentes et constituent des compléments d’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour différents médicaments. Ainsi, depuis plus de 10 ans, les indications des AMM des antibiotiques sont complétées par une phrase sibylline « le prescripteur devra tenir compte des recommandations officielles concernant l’utilisation des antiinfectieux ». Pourtant un écart important persiste entre recommandations et pratiques observées : 30 à 40 % des patients ne reçoivent pas les soins correspondant aux données scientifiques et 20 à 25 % des soins prodigués ne sont pas nécessaires [2,3]. L’application des RPC par les médecins passe par leur connaissance, un accord, puis une appropriation facilitant la décision de mise en pratique. Cet article envisage successivement : la place des RPC au sein des facteurs influençant les changements de pratique, puis les facteurs propres aux RPC (élaboration, diffusion) influençant leur impact sur ces changements, enfin les facteurs externes aux RPC, en les illustrant des exemples de la réhydratation orale des diarrhées aiguës et de l’antibiothérapie des infections respiratoires de l’enfant.
Facteurs influençant les changements de pratiques médicales Les modèles comportementaux élaborés pour analyser les mécanismes du changement des pratiques médicales distinguent trois types de facteurs : 1) des facteurs « prédisposant », dont le * Auteur correspondant. e-mail :
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656 © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2008;15:p656-p658
principal est l’état des connaissances qui peut être amélioré par la diffusion de RPC ; 2) des facteurs « facilitant » ou « inhibant » comme les facilités ou contraintes administratives de prescription ou de remboursement, la connaissance des coûts ; 3) des facteurs « consolidant » comme des programmes d’évaluation des pratiques et d’amélioration continue de la qualité [2,3]. Les programmes visant à modifier les pratiques doivent, pour être efficaces, influer sur ces trois types de facteurs. La diffusion de RPC reste décevante s’il s’agit d’une mesure isolée, mais peut être efficace si elle est associée à des actions complémentaires (facilités de prescription, évaluation des pratiques, rappel de prescription au moment de la consultation…). L’importance de ces facteurs extrinsèques ne doit donc pas être sous-estimée quand on analyse l’impact de RPC. Tous ces facteurs associés à l’application de RPC par le corps médical ont fait l’objet de revues générales récentes de la littérature [1,4].
Facteurs intrinsèques aux recommandations influençant leur application [1,4] L’application des RPC par les médecins est influencée par leurs caractéristiques, ainsi que leurs méthodes d’élaboration et de diffusion. Le thème des RPC doit être jugé important et correspondre à une attente des médecins. La forme doit privilégier une présentation pratique et la plus concise possible pour faciliter la compréhension. La qualité scientifique des RPC est jugée sur la qualité de la méthode d’élaboration, des sources de données, et le niveau de preuves scientifiques des travaux analysés. L’applicabilité est jugée bonne si les RPC sont compatibles avec les conditions d’exercice, ne nécessitent pas de nouvelles compétences importantes ni de modifications majeures des habitudes ou des organisations, n’engendrent pas un coût élevé pour le patient, la société, ou le soignant. La perception de bénéfices cliniques (visibilité) est facilitée par la réalisation d’une évaluation préalable à petite échelle de l’impact des RPC. Les implications médico-légales potentielles des RPC favorisent leur application. La qualité des RPC peut être évaluée au moyen d’un outil validé : la grille AGREE qui comporte 23 critères, tous côtés selon une échelle de Likert à 4 niveaux, et évaluant 6 domaines de qualité : champ et objectifs, participation des groupes concernés, rigueur d’élaboration, clarté et présentation, applicabilité, indépendance éditoriale [5].
De l’élaboration à la diffusion des recommandations de pratique clinique : quels éléments favorisent leur application ?
Il existe de nombreuses preuves de l’intérêt d’impliquer dès le processus d’élaboration des RPC à la fois leurs diffuseurs et leurs utilisateurs, ce qui favorise l’adaptabilité du message des RPC au contexte local et améliore leur diffusion et leur acceptabilité. Les méthodes efficaces de diffusion et de mise en œuvre des RPC sont leur intégration dans un programme de formation médicale continue le plus interactif possible, les audits avec retour d’information, et les rappels au moment même de la consultation (rappels informatisés par exemple pour les vaccinations ou les dépistages). La diffusion dans des publications spécialisées de recommandations élaborées par des experts est ainsi vouée à l’échec si un programme de diffusion et d’appropriation de ces données n’est pas mis en place. L’efficacité de ces méthodes varie cependant selon les études tant pour leur taux que pour leur durée d’application, en fonction des facteurs propres aux RPC, mais aussi aux médecins, aux patients, aux structures de soins et à la politique de santé [1,4].
Facteurs extrinsèques influençant l’application des recommandations [1,4] Facteurs liés aux médecins Les caractéristiques psychologiques du médecin favorisant l’application des RPC sont une confiance dans sa capacité à les appliquer, une propension personnelle au changement, une satisfaction au travail. Le jeune âge et des revenus importants sont des facteurs favorisants. Le suivi d’une formation continue régulière, une spécialisation éventuelle dans la discipline concernée par les RPC, une attitude positive vis-à-vis des RPC en général, un abonnement à un bulletin ou journal divulguant des RPC, la participation à au moins une conférence de consensus sont associés à une meilleure application des RPC. L’importance des pairs est soulignée par le fait que des contacts avec des collègues ayant adopté les RPC, leur promotion par des collègues respectés ou un spécialiste référent favorisent l’application des RPC. La culture médicale, les valeurs et attitudes locales influencent ainsi fortement les pratiques.
Facteurs liés aux patients Les caractéristiques sociales des patients, en particulier leur faible niveau d’éducation, de qualité de vie, de couverture sociale et d’accès au soin défavorisent l’application des RPC. L’attitude des patients joue un rôle important : une mauvaise adéquation des RPC avec leurs attentes, un inconfort potentiel et une absence d’adhésion prévisible freinent l’application des RPC par les médecins.
Facteurs liés à l’environnement organisationnel et à la politique de santé Un lieu d’exercice urbain, dans une structure de grande taille, et de nature universitaire favorise les changements de pratiques. L’implication active de la hiérarchie dans ce processus tout en préservant une participation collégiale aux décisions est nécessaire dans les organisations hospitalières. L’existence d’un plan annuel stratégique et le niveau de ressources financières pour diffuser les RPC, la qualité du matériel éducatif et de communication, les compétences de l’organisation pour proposer des cycles de formation, organiser des rencontres entre médecins, mener des projets d’amélioration continue de la qualité, et une culture de l’organisation en faveur du changement avec des processus standardisés pour le favoriser sont des facteurs de succès. La surcharge
de travail et le manque de temps, l’existence d’une compétition entre médecins pour le recrutement des patients sont des facteurs d’échec. Enfin une politique de santé favorisant les enquêtes de pratique et le financement de programmes d’amélioration de la qualité des pratiques, la promotion des RPC par un organisme d’état ou une association, et des incitations financières pour organiser des réunions « autour » des recommandations favorisent l’application des RPC.
L’exemple de la réhydratation orale au cours des diarrhées aiguës du nourrisson Pourquoi des recommandations issues de sociétés savantes, reposant sur des preuves scientifiques, partagées par tous les experts, et préconisant un traitement efficace, simple et peu coûteux ne sont-elles que peu suivies ? Les raisons tiennent certes aux difficultés et au temps important nécessaire pour changer les habitudes de prescription dans une affection courante, mais aussi à la façon dont ces recommandations ont été établies et diffusées, à la nature de ces recommandations, enfin à des facteurs liés à l’utilisation des solutions de réhydratation orale (SRO). Les RPC qu’elles soient européennes ou françaises ont été établies par des experts pédiatres, gastro-entérologues et nutritionnistes, publiées dans une revue anglo-saxonne de gastro-entérologie pédiatrique et dans les Archives de Pédiatrie [6,7]. Aucun médecin généraliste qui constitue la cible prioritaire (voyant le plus grand nombre de diarrhées aiguës du nourrisson) n’en a eu connaissance et aucun n’était impliqué dans leur élaboration. Le thème des diarrhées aiguës, affection fréquente et évoluant le plus souvent favorablement, n’est probablement pas jugé prioritaire, les pratiques étant jugées a priori bonnes. Le contenu de la RPC, la réhydratation orale, peut être considéré par les médecins comme obtenant peu d’adhésion des parents. La condition sémiologique soulignée par Desjeux n’est en effet pas remplie car les signes d’efficacité ne sont pas visibles, les SRO ne diminuant pas la diarrhée. Cette inefficacité sur la diarrhée, la simplicité des SRO, peuvent menacer la crédibilité de la prescription et ainsi la compétence du médecin (condition stratégique). Une contrainte financière existait avant l’obtention du remboursement des SRO (2003), et celui-ci a été contemporain d’une nette augmentation des prescriptions. Ce non remboursement initial des SRO a probablement joué un rôle, jetant un doute sur leur efficacité pour les praticiens et les parents. La RPC est « coûteuse » pour le médecin, compte tenu du temps nécessaire pour fournir la somme importante de conseils sur l’intérêt des SRO, leur mode de préparation et d’administration. C’est pourquoi il est essentiel de simplifier les modalités d’administration trop compliquées dans le document européen [6], et plus adaptées dans les RPC françaises [7]. Enfin, on peut être frappé de constater le peu de moyens investis par les autorités de santé dans des programmes de diffusion de l’information auprès des médecins et des parents alors que ces recommandations ont été formulées par le Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France en 2006 (recommandations concernant la vaccination contre les rotavirus).
L’exemple de l’antibiothérapie des infections respiratoires de l’enfant En 10 ans, les recommandations émises par l’AFSSAPS concernant le bon usage des antibiotiques, ont eu à l’inverse un impact consi-
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dérable, tant sur la réduction de la consommation d’antibiotiques en France (plus d’un tiers de réduction chez l’enfant) que sur le type de molécules prescrites [8]. Ce succès s’explique à notre sens non pas par la qualité de ces RPC ou par une meilleure diffusion assurée par l’AFSSAPS, mais par deux relais d’informations : • l’assurance maladie, qui par des campagnes de publicité massives, visant non seulement les prescripteurs mais surtout le grand public, facteurs facilitant indiscutablement le travail des prescripteurs ; • les firmes pharmaceutiques, dont les produits étaient mis en avant par les RCP, se sont servies pendant longtemps de ces recommandations comme argument promotionnel décisif de leur produit. Malheureusement, cet effet ne pourra être pérennisé, l’ensemble des antibiotiques utilisables chez l’enfant étant maintenant génériqué.
Conclusion De nombreuses RPC sont disponibles, souvent de bonne qualité, et malheureusement insuffisamment appliquées. De nombreux facteurs sont susceptibles d’expliquer cette non-appropriation par les praticiens, mais le principal reste les faibles efforts de diffusion par les autorités de santé.
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Références 1. Saillour-Glenisson F, Michel P. Facteurs individuels et collectifs associés à l’application des recommandations de pratique clinique par le corps médical. Revue de la littérature. Rev Epidemiol Santé Publique 2003;51:65-80. 2. Grol R, Grimshaw J. From best evidence to best practice:effective implementation of change in patients’care. Lancet 2003;362:1225-30. 3. Greco P, Einsenberg J. Changing physicians’ practices. N Engl J Med 1993;329:1271-4. 4. Grimshaw JM, Thomas RE, MacLennan G, et al. Effectiveness and efficiency of guideline dissemination and implementation strategies. Health Technol Assess 2004;8:1-72. 5. AGREE Collaboration. Development and validation of an international appraisal instrument for assessing the quality of clinical practice guidelines: the AGREE project. Qual Saf Health Care 2003;12:18-23. 6. Sandhu BK, for the ESPGHAN Working group on acute diarrhoea. Practical Guidelines for the management of gastroenteritis in children. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2001;33:S36-9. 7. Comité de nutrition de la Société Française de Pédiatrie, Bocquet A, Bresson JL, et al. Traitement nutritionnel des diarrhées aiguës du nourrisson et du jeune enfant. Arch Pédiatr 2002;9:610-9. 8. Conférence de Presse de l’Assurance Maladie:10 Janvier 2008. http://www.ameli.fr/fileadmin/user_upload/documents/DP_ Antibiotiques_10-01-2008.pdf