De l’ennui au bore-out, une revue de la littérature

De l’ennui au bore-out, une revue de la littérature

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ARTICLE IN PRESS

Journal de thérapie comportementale et cognitive (2016) xxx, xxx—xxx

Disponible en ligne sur

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ARTICLE ORIGINAL

De l’ennui au bore-out, une revue de la littérature From boredom to bore-out, a literature review Charles-Edouard Rengade Département de psychiatrie de l’adulte, Centre neuchâtelois de psychiatrie, site de Préfargier, 2074 Marin-Epagnier, Suisse Rec ¸u le 30 octobre 2015 ; rec ¸u sous la forme révisée le 18 mars 2016 ; accepté le 19 mars 2016

MOTS CLÉS Ennui ; Pathologie professionnelle ; Bore-out ; Burn-out ; Thérapies cognitives et comportementales

KEYWORDS Boredom; Occupational pathology; Bore-out; Burn-out; CBT

Résumé L’ennui est l’impression de vide intérieur causée par le désœuvrement, le désintérêt ou la répétition d’une tâche, la lassitude, et peut susciter des sentiments d’inutilité, de découragement, voire d’abattement. Il peut être la cause de nombreux troubles mais aussi motiver à diversifier son quotidien. Plusieurs auteurs en relèvent les méfaits au travail : il majore l’insatisfaction ainsi que les risques d’accidents par une baisse de la vigilance, conduit à l’absentéisme ou aux baisses des cadences. Il diminue la motivation à réussir mais conduit aussi à développer des activités alternatives. Toutefois l’ennui au travail peut conduire à un sentiment d’épuisement profond — le bore-out — qu’il convient de pouvoir repérer, prévenir et traiter. © 2016 Association franc ¸aise de thérapie comportementale et cognitive. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary Boredom is distinct from depression (Merrifield and Danckert, 2014). In psychopathology it is defined, on one hand, cognitively, as a state of relatively low excitement or arousal, attributable to an internal or external situation perceived as being inadequately stimulating (Mikulas and Vodanovich, 1993), and, on the other hand, emotionally, as the consequence of a situation perceived as frustrating, giving rise to dissatisfaction. Boredom can take different forms (Clive, 1965) from inhibition to inertia. Acedia, or spiritual boredom described by philosophers and mystics, is caused by both a lack and an excess of stimulation and can lead to a real distaste for life: taedium vitae (Sénèque, in. Charpentier and Lemaistre, 1860), which can be expressed in a lethargic or agitated way (Fénichel, 1934). It can also be a subjective indicator of the flow of time (Zakay, 2014). Susceptibility to boredom is a sub-dimension of the search for sensations (Zuckerman et al., 1974; Cloninger et al., 1991), a risk factor for impulsive behavior, for dependency (Willging et al., 2014) and for risky sexual practices (Miller et al., 2014).

Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.jtcc.2016.03.002 1155-1704/© 2016 Association franc ¸aise de thérapie comportementale et cognitive. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Pour citer cet article : Rengade C-E. De l’ennui au bore-out, une revue de la littérature. Journal de thérapie comportementale et cognitive (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.jtcc.2016.03.002

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C.-E. Rengade Boredom at work can be the cause of numerous difficulties: decrease in performance, slowdown in pace, increase in impulsivity, professional tensions, increase in the risk of accidents. Boredom also favors an increased risk of absenteeism or resignations (Guglielmi et al., 2013), taking early retirement, the feeling of being in ill health or being incompetent. It contributes to team turn-over and can lead to burn-out or to professional alcoholism (Harju et al., 2014). At the other extreme, boredom can encourage alternative solutions to an unpleasant activity, for example, taking advantage of a commute to work to cycle or meet new people on public transport (Ollson et al.,2012; Bench and Lench, 2013). Bore-out, which is caused by a lack of professional activities (Rothlin and Werder, 2007; 2008), consists of three elements: boredom, lack of challenge and professional demotivation. A functional analysis can be formulated (Bourion and Trebucq, 2011) to consider therapeutic approaches: create new challenges or envisage professional retraining (Rothlin and Werder, 2008), avoid overstimulation and work more on the behavioral consequences than on the feelings of boredom (van Hooff and von Hooft, 2014). Cognitively, boredom can be fought by focusing on planning and better time management (Wang et al., 2012). An original perspective would be to work with the feeling of nostalgia (Van Tilburg et al., 2013) as, even if it is the regret of a bygone era, it could bring comfort and meaning to life by reinforcing self-determination (Routledge et al., 2012): it associates pleasant memories with success in overcoming challenges in the past (Hepper et al., 2014). © 2016 Association franc ¸aise de thérapie comportementale et cognitive. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

« L’ennui est une des plus tristes prérogatives de l’homme civilisé. » écrivait Alibert en 1825 [1] dans son traité de physiologie des passions, « c’est une disposition maladive de notre être qui nous conduit souvent à la consomption ou à la mort ; c’est une sorte de paralysie de l’âme qui succède à toutes les émotions qu’on a tant cherchées, et qu’il n’est pas facile de renouveler ; c’est enfin l’état le plus pénible de l’économie vivante. Il n’est pas un seul individu qui ne consentit à échanger son ennui pour une véritable douleur. » Si l’ennui a largement intéressé les poètes et les philosophes, les données médico-psychologiques le concernant restent moins fréquentes. L’étude de cette émotion revient sur le devant de l’actualité scientifique par ses conséquences dans le milieu professionnel, jusqu’à l’émergence récente du concept de bore-out, ou syndrome d’épuisement professionnel par ennui. Cette revue de la littérature propose de faire un point des données disponibles sur le sujet en partant de l’ennui en général pour se focaliser via l’ennui au travail sur le bore-out. Enfin, des perspectives de traitement psychothérapeutique en thérapies cognitives et comportementales seront envisagées. Le sentiment d’ennui peut provenir de facteurs extrinsèques ou de facteurs intrinsèques, ou de leur association [2].

L’ennui L’ennui en psychopathologie ou l’ennui intrinsèque L’ennui reste difficile à définir tant il apparaît polymorphe et influencé par les contextes socioculturels, et en raison de son omniprésence dans les états psychopathologiques et de sa primauté séméiologique dans les troubles dépressifs [3,4]. Son champ sémantique est lui-même plus large en franc ¸ais qu’en anglais, recouvrant à la fois la signification des verbes to bore (s’ennuyer) mais aussi to worry (s’inquiéter) et de plusieurs autres termes proches ayant

trait à l’anxiété ou à la dépression notamment. Mécanisme de défense pour certains [5], marque d’une perte d’intérêt pour d’autres, l’ennui pourrait être défini comme un état de malaise, marqué du sentiment de vacuité et renvoie à l’épreuve du temps semblant s’étirer à l’infini, sans pouvoir s’achever et suscitant l’expérience douloureuse du vide. Pour sa part cognitive, Mikulas et Vodanovich [6] le définissent, comme un état d’insatisfaction et d’excitation ou d’éveil (arousal) relativement bas, imputable à une situation (interne ou externe) perc ¸ue comme étant insuffisamment stimulante. L’aspect émotionnel de l’ennui est la conséquence de la frustration, réelle ou perc ¸ue, dans une situation, suscitant l’insatisfaction. Eastwood et al. [7] proposent une définition intégrative de l’ennui comme « l’expérience aversive de vouloir s’engager dans une activité satisfaisante mais d’en être incapable ». L’ennui est empiriquement distinct de l’anhédonie, de l’apathie et de la dépression [8]. Il doit être différencié de la dépression, notamment par ses effets physiologiques : expérimentalement, par rapport à la tristesse, l’ennui majorerait plus le rythme cardiaque, diminuerait plus la conductance cutanée et serait marqué d’un niveau supérieur de cortisol [9]. Au total, l’ennui activerait plus l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien que la tristesse [9]. L’ennui devient pathologique, voire pathogène s’il se chronicise et s’associe alors à une symptomatologie d’anxiété, de dépression, de frustrations, d’obsessions, voire d’apathie [10]. L’ennui pathologique et l’inertie, comme manifestations de l’inhibition ou de l’incapacité à agir dans plusieurs domaines importants de la vie, sont catégorisés en deux groupes, selon Bieber [11], mais qui ne s’opposent pas toujours en réalité : certains s’ennuient uniquement dans leurs temps libres (soirs, vacances, weekends) mais jamais au travail, comme s’ils étaient effrayés de prendre du plaisir, se sentant soit coupables soit égoïstes : ils souffrent d’inhibition au plaisir. D’autres s’ennuient au travail,

Pour citer cet article : Rengade C-E. De l’ennui au bore-out, une revue de la littérature. Journal de thérapie comportementale et cognitive (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.jtcc.2016.03.002

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De l’ennui au bore-out, une revue de la littérature craignant la promotion, la gratification salariale ou le prestige, allant jusqu’à s’inhiber dans leurs tâches professionnelles et parfois même jusqu’à se clochardiser. . . Même si les nouvelles tâches sont initialement embrassées avec enthousiasme, celui-ci s’émousse plus ou moins tôt, conduisant les intéressés à changer de tâche, et le cycle recommence. Ces personnes apparaissent donc comme des dilettantes. Certains travaillent avec angoisse ou peu d’intérêt pour leur tâche, d’autres renoncent à toute forme de reconnaissance, financière ou autre. Bieber [11] propose le concept d’inhibition au plaisir, dans une perspective psycho-dynamique, acquis par une éducation culpabilisant la prise de plaisir où toute gratification rec ¸ue devrait être immédiatement rendue en échange. L’acédie, l’ennui sur le plan spirituel, forme d’apathie morale, décrite par les philosophes ou les mystiques, s’oppose à l’ennui du profane. Ainsi Clive [12] différencie la réalité de l’ennui à son sentiment : à l’instar d’un homme qui se sent seul au milieu d’une foule, celui qui s’ennuie ne manque pas forcément d’activités. Il rappelle que l’ennui pourrait aussi permettre de justifier certains comportements psychopathiques et de citer Néron qui aurait mit le feu à Rome, « parce qu’il n’avait rien de mieux à faire » selon les propos qu’on lui attribue parfois, bien que cela soit remis en question aujourd’hui. D’autres, pour tenter d’échapper à l’ennui sont poussés à manger pour se stimuler ou rechercher des sensations [13]. Une autre forme d’évitement de l’ennui est l’usage du téléphone portable (et de son accès à internet) : simple stratégie d’évitement de l’ennui, sans être pathologique, à faible dose, il devient ¸on massive et est corrélé à pathogène s’il est utilisé de fac la dépression ou à de fort niveaux d’anxiété [14]. L’ennui par manque de stimulations externes est fortement associé à la colère, aux comportements violents ou agressifs, indépendamment d’une recherche de sensation ou de l’impulsivité [15]. L’une des plus prosaïques expériences d’ennui est causée par une forme de frustration, celle de ne pas avoir de possibilité de divertissements « pour tuer le temps » par exemple, et pourrait aussi s’opposer à l’ennui par saturation, qui confine à l’inverse à un excès de possibilités. Clive [12] illustre ces deux formes d’ennui en opposant la vie à la ville à celle à la campagne ou encore oppose l’ennui par la répétition d’une même tâche, la routine, à celui provoqué par une totale liberté. Au fond, cette ironie n’est qu’apparente : l’ennui ne provient pas d’un défaut de stimulation issu de l’environnement mais de soi-même : on ne s’ennuie que de soi, pourrait-on résumer. Plus encore, l’ennui viendrait d’un problème d’émancipation personnelle ; il conviendrait pour ne pas s’ennuyer, de trouver « une raison d’être ». Au-delà de la psychologie, mais dans ce sens, Sénèque [16] propose le concept de taedium vitae, souvent traduit par le dégoût de la vie, qui renvoie à un profond ennui existentiel, provenant pour le philosophe stoïcien d’une incapacité à fixer un sens à sa vie et qui conduit du désintérêt à l’indifférence.

La dialogique de l’ennui L’ennui porte en lui deux visages se répondant mutuellement et contribuant à son ambiguïté pour ne pas dire ambivalence : l’une innée, celle de la vulnérabilité de l’individu

3 à s’ennuyer, nommée sensibilité à l’ennui, l’autre acquise, suscitée par la répétition d’une activité [17]. Il convient d’une certaine nuance néanmoins, car les personnes qui s’ennuient ont souvent des difficultés à accéder à leurs émotions et attribuent volontiers cet ennui à des facteurs externes [18]. Plus récemment, Zakay [19] propose l’hypothèse que l’ennui est un indicateur de la perception du temps qui passe : un ralentissement du flux d’informations perc ¸u par la conscience est associé à l’émergence du sentiment d’ennui. L’ennui survient lorsque l’environnement est perc ¸u comme statique, lors de privations sensorielles ou perceptuelles, ou plus simplement en situation de monotonie. Les personnes présentant un seuil de tolérance à l’ennui bas se voient à risque de consommer des toxiques, de développer certains troubles du comportement alimentaire, d’exprimer une insatisfaction de leur vie. Dans leur vie professionnelle, l’ennui peut être associé à une perte d’efficacité. De fait, ces individus ont une hypersensibilité au rythme de l’écoulement du temps, notamment à ses ralentissements ou ses rallongements. Toutefois, seule leur perception subjective est altérée car ils ne font pas d’erreur dans leur estimation chronologique objective [19]. Ainsi, une activité peut être ennuyeuse par elle-même d’un côté, d’un autre les individus peuvent éprouver une sensibilité à l’ennui différente pour une même situation. Parfois ces deux aspects peuvent se conjuguer [2].

L’ennui est un construit Avant leur validation en franc ¸ais de l’échelle de disposition à l’ennui (EDE), traduite de la Boredom Proneness Scale (BPS) de Farmer et Sundberg [20], les auteurs, Gana et Akremi [21], expliquent qu’il n’existait que la sous-échelle de susceptibilité à l’ennui (Boredom Susceptibility scale [BSS]), issue de l’échelle de recherche de sensations de Zuckerman pour mesurer ce trait de personnalité [22]. L’EDE (ou BPS en anglais) est un questionnaire auto-rapporté de 28 items binaires soit vrais, soit faux, dont un score élevé marque la sensibilité à l’ennui. Elle est l’échelle la plus largement utilisée dans les études actuellement. Ensuite, Fahlman et al. [23] développent une échelle à cinq sous-dimensions, la Multidimensional State Boredom Scale (MSBS), pour évaluer la susceptibilité à l’ennui (ennui-état). Ils opposent pour la première fois l’ennui comme trait de personnalité à l’ennui comme état émotionnel, de la même manière que l’anxiétéétat et l’anxiété-trait. Trois ans plus tard, Vodanovich et Watt [24] proposent une revue détaillée des seize échelles auto-rapportées de mesure de l’ennui, preuve de l’essor considérable de la recherche sur ce thème. Ils les classent en quatre groupes : les échelles mesurant l’ennui-trait, celles mesurant l’ennui-trait dans des situations spécifiques (coping, loisirs, relations sexuelles, relations interpersonnelles), celles mesurant l’ennui-état et celles mesurant l’ennui-état dans des situations spécifiques (travail, école). Zuckerman et al. [25], puis Cloninger et al. [26] considèrent que la susceptibilité à l’ennui est une sous-dimension de la recherche de sensations. Ainsi les personnes présentant ce trait de personnalité auraient tendance à rechercher des sensations nouvelles ou complexes par de nouvelles expériences, comme par exemple des pratiques sexuelles

Pour citer cet article : Rengade C-E. De l’ennui au bore-out, une revue de la littérature. Journal de thérapie comportementale et cognitive (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.jtcc.2016.03.002

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ou des comportements à risque, comme celle du parachutisme ou l’usage de toxiques, mettant en péril leur santé. La recherche de sensations comporte quatre sous-dimensions : la recherche de frissons ou d’aventures (ou la recherche de dangers), la recherche d’expériences existantes (ou la recherche de sensations inhabituelles), la désinhibition et la susceptibilité à l’ennui [22]. La susceptibilité à l’ennui est l’intolérance aux expériences répétitives pour ces auteurs. Chez les jeunes en particulier, la susceptibilité à l’ennui serait très fortement reliée aux comportements impulsifs et aux conduites de dépendances [27] et aux pratiques sexuelles à risque [28]. Grâce à leur revue de la littérature, Gerritsen et al. [29] relèvent que quatre causes cognitives potentielles seraient prédictives d’une propension à l’ennui : l’impulsivité, l’inattention, l’hyperactivité et les troubles des fonctions exécutives, ces deux dernières ayant une place prépondérante. Les auteurs indiquent que ces relations causales, issues de méthodes psychométriques auto-rapportées, ne sont pas univoques, c’est-à-dire que ces quatre mécanismes cognitifs pourraient tout aussi bien être des moyens de lutter contre l’ennui. Ainsi, il est difficile de conclure si l’ennui en est la cause ou la conséquence. Toutefois, dans le modèle du Big Five, le neuroticisme (névrosisme) par sa sensibilité aux affects négatifs prédispose à l’intolérance à l’ennui, alors que la conscienciosité (ou conscience) en protège [30,31]. Fénichel [32] décrit deux formes d’ennui, l’un calme, l’autre agité, et le présente comme un état où les tensions instinctuelles persistent et où les objectifs sont réprimés. Certains décrivent l’ennui comme une maladie moderne, ainsi du texte suranné de Cowdry [33], qui différencie deux manifestations cliniques de l’ennui chez les personnes âgées : l’agitation pour lutter contre la monotonie, et la dépression avec le risque de suicide. L’auteur suggère de proposer des jeux de société particulièrement chronophages pour lutter contre l’ennui ainsi que des jeux d’argent, tout en mettant en garde contre les excès possibles de ce type d’activité, ou encore des thérapies occupationnelles, en groupe de préférence, afin d’ouvrir à une vie sociale. Il pourrait être curieux de proposer comme moyen de lutte contre l’ennui de s’occuper. . . De même, Malkovsky et al. [34] discriminent deux formes de modalité d’expression de l’ennui : la forme apathique, et celle agitée. Seule la forme apathique est marquée de troubles de l’attention, toutefois un biais pourrait être que les participants apathiques seraient plus aptes à repérer leurs erreurs d’attention que ceux agités. Ces auteurs constatent, et surtout chez les participants qui expriment leur ennui par l’agitation, que les hauts scores d’ennui mesuré à la BPS sont liés à des scores plus élevés de trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité et de dépression : mais, ici encore, la question est de savoir si l’ennui est la cause ou la conséquence de ces troubles. L’ennui à des effets fondamentalement négatifs et peut conduire au développement de troubles psychiatriques. L’ennui semble toujours associé à l’insatisfaction, souvent à l’agitation ou à la lassitude, et pousse à vouloir s’échapper de cette situation aversive. Pourrait-il avoir des aspects positifs ? Il apporte, en effet, une information cruciale, celle que le sujet vit une situation ou une activité insatisfaisante, inintéressante, peu stimulante. Il motive ensuite à se diriger vers une autre situation, plus satisfaisante, intéressante

ou stimulante. L’ennui peut donc être considéré comme un signal d’autorégulation qui amène à envisager la poursuite de nouveaux buts et préserve d’une vie morne et plate [35].

L’ennui dans l’enseignement L’impact de l’ennui sur l’apprentissage et la réussite a fait l’objet de plusieurs recherches auprès d’étudiants. Les résultats méritent d’être relevés. L’échelle Boredom Coping Scale (BCS) mesure en vingt items les quatre types de stratégies de coping auprès d’étudiants face à des situations d’ennui à l’école : cognitive (par exemple : j’essaye de faire plus attention à mes lec ¸ons), comportementales (par exemple : je demande à mon enseignant de me donner plus de tâches intéressantes), évitement cognitif (par exemple, je pense à quelque chose d’autre) ou évitement comportemental (par exemple, je parle avec mon voisin) [36]. Grâce à la BCS, Daniels et al. [37] relèvent trois profils d’étudiants en réaction à différents types d’ennui (tels la monotonie, l’excès ou le défaut de compétition, le manque de sens, l’aversion à l’enseignant, manque d’implication par exemple), comme autant de mécanismes de coping : le ré-évaluateur qui privilégie des mécanismes de coping de type cognitif, le critiqueur qui préfère des modalités d’adaptation comportementales et l’évitant qui use de stratégies d’évitement tant cognitives que comportementales. Tze et al. [38] étudient l’impact de l’ennui sur la motivation des étudiants dans le temps : quand l’ennui augmente, la détermination (ou motivation affective) et l’investissement temporel (ou motivation cognitive) restent stables, le sentiment d’autonomie diminue, et l’effort investi ainsi que l’implication (ou motivation à s’engager) augmentent. Enfin, Gerritsen et al. [29] relèvent que l’intolérance à l’ennui est plus forte chez les personnes présentant des traits de distractibilité, d’hyperactivité, d’impulsivité, et un faible fonctionnement du système exécutif.

L’ennui au travail Les méfaits de l’ennui au travail En 1937, le British Medical Journal publiait un petit encart qui rapportait les travaux de Wyatt et Langdon auprès de 355 professionnels de quatre usines différentes occupés à des tâches répétitives [39]. Leurs résultats indiquaient que 23 % d’entre eux souffraient d’ennui sévère et que 3 % ne ressentaient rien d’autre que ce sentiment. Les auteurs relèvent à l’époque les moyens de lutter contre l’ennui : penser à autre chose, rêver à des sujets plaisants ou connectés à des événements réels, chanter ou parler ; mais l’outil le plus efficace est l’usage du gramophone. La mise en place d’un gramophone avec des haut-parleurs aurait amélioré la productivité de 3 à 6 %, ainsi que la satisfaction des travailleurs en diminuant leur sentiment de fatigue. Cela ne prouve pas l’influence de l’ennui puisque les auteurs n’ont pas mesuré l’ennui après leur intervention, préférant plutôt mesurer la productivité. Néanmoins, l’usage du détournement attentionnel pour émousser ou annuler une émotion négative était découvert !

Pour citer cet article : Rengade C-E. De l’ennui au bore-out, une revue de la littérature. Journal de thérapie comportementale et cognitive (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.jtcc.2016.03.002

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De l’ennui au bore-out, une revue de la littérature Il est admis que l’ennui au travail pourrait causer de l’insatisfaction professionnelle, une diminution des performances avec une déformation de la perception du temps ralentissant les cadences, qu’il favorise un comportement improductif, voire contre-productif, qu’il crée des tensions professionnelles et favorise l’absentéisme ou les démissions [40]. Il est lié également à l’augmentation des risques et à la baisse de la sécurité [41]. Warr [42] définit le bien-être au travail comme la conjonction de trois axes : du plaisir au déplaisir, du confort à l’anxiété, de l’enthousiasme à la dépression. Ainsi, si le burn-out est lié à la dépression, l’ennui au travail, lui, est lié à l’anxiété et à l’insatisfaction professionnelle [40]. Briton et Shipley [43] estiment, à travers l’observation d’une population tout venant de 7524 individus âgés de 35 à 55 ans, que ceux qui s’ennuient le plus sont les jeunes femmes. De plus, le niveau de mortalité plus élevé dans la population souffrant d’ennui pouvait être attribué à la pratique de comportements à risque plus fréquents. Dans leur population de près de 11 500 travailleurs, Harju et al. [44] montrent, eux, que les employés les plus sensibles à l’ennui sont des hommes de moins de 36 ans, et que les moins touchées sont les femmes de plus de 56 ans. L’ennui au travail est plus fréquent dans le secteur industriel tel que la fabrication, le transport, le stockage, mais aussi dans les arts, le divertissement et les loisirs. Enfin le niveau d’éducation n’aurait que peu d’influence sur l’ennui rapporté au travail. Les auteurs relèvent que l’ennui au travail pousse à envisager une retraite prématurée, laisse le sentiment d’une mauvaise santé ou d’incompétence, favorise le turn-over d’une équipe et conduirait à l’épuisement professionnel ou encore à l’alcoolisme professionnel. Pour eux, outre la monotonie des tâches, l’ennui émergerait de tâches trop exigeantes car manquant d’objectifs tangibles et de sens dans le travail. Ainsi, l’ennui au travail serait plus répandu dans les postes à peu de défis ou de variétés, et toucherait autant les « blouses bleues » que les « cols blancs ». Par contre, la propension à l’ennui au travail est influencée par les conditions de travail. Dans la marine marchande par exemple, Gerritsen et al. [29] montrent que l’ennui est plus associé au fait de travailler dans un espace clos pour les marins alors qu’il est plus en lien avec un état anxiodépressif chez les officiers.

Les bienfaits de l’ennui au travail Ollson et al. [45] estiment que l’ennui éprouvé lors des trajets réguliers et répétitifs, s’ils ne sont pas trop longs, pourrait s’émousser par une modification du mode de transport. Par exemple, l’usage du vélo ou de la marche permet de pratiquer un sport ou celui des transports en commun d’engager des relations sociales qui diminuent le stress et l’ennui. Ils formulent l’hypothèse que surmonter les aléas négatifs comme celui d’un trajet pénible vers son lieu de travail permet d’en tirer satisfaction, surtout si le travail en lui-même en procure aussi. Dans une revue de la littérature, Bench et Lench [46] soutiennent que face à un objectif, l’ennui motive à l’ouverture sur d’autres, alternatifs, ou à d’autres expériences. Cela ne ferait pas forcément perdre de vue l’objectif initial car,

5 selon eux, sans enjeu, la motivation à réussir s’atténue, mais la crainte d’un échec s’amoindrit aussi.

Le bore-out, une spécificité de l’ennui au travail ou l’ennui extrinsèque Rothlin et Werder [47,48], deux hommes d’affaires suisses, développent le concept de syndrome d’épuisement professionnel par ennui ou bore-out, en évaluant que plus de 30 % des salariés en Europe en souffriraient contre 10 % de burn-out. Les auteurs le définissent comme la souffrance imputable au manque d’activités dans leur travail. Le bore-out touche plus volontiers les secteurs tertiaires, dans les situations de restructuration où à l’extrême, l’employé demeure à son poste sans activité tout en percevant encore son salaire, ou encore, dans les situations où un employé est relégué « au placard » et où sa journée peut se dérouler dans la plus totale inactivité. Le bore-out comporte trois éléments : l’ennui, l’absence de défis et le désintérêt professionnel [48]. Bourion et Trebucq [49] relèvent différents comportements liés au bore-out à un niveau individuel : • un volume d’activité quotidien réalisable en moins de deux heures, comme seuil d’intolérance à l’ennui ; • des stratégies d’adaptation, comme partir en avance et arriver en retard, ou à l’opposé un pseudo-investissement qui consiste à simuler l’engagement professionnel en restant plus longtemps sur le lieu de travail, ou encore réaliser le travail des autres ou s’en attribuer les résultats, accomplir le travail avec une lenteur extrême pour tuer le temps ou au contraire le réaliser le plus rapidement possible pour s’adonner à des activités personnelles sur le lieu de travail ; • des stratégies occupationnelles pour meubler l’inactivité : discuter avec les collègues ou sur Internet, s’évader par la pensée, attendre patiemment ses vacances ; • une difficulté à l’avouer car l’ennui au travail est associé à la paresse. Cette difficulté est d’autant plus importante que les personnes restent passionnées par leurs tâches. Cette pensée dysfonctionnelle est renforcée par le regard social : il est concevable de se plaindre d’être écrasé de travail, mais il est indigne d’avoir un bon salaire et de se plaindre de n’avoir pas de tâche pour le mériter ; • l’émergence d’une dissonance cognitive [50] : ceux qui s’ennuient au travail tentent de se convaincre que ce n’est pas si mal, mieux que d’être chômeurs ; • une accumulation de sentiments négatifs prodromes à des troubles psychiatriques : un sentiment d’ennui intense, de culpabilité par rapport à ceux qui sont surchargés, d’inutilité allant jusqu’à l’anxiété ou la dépression (avec un état de fatigue, des troubles du sommeil, des troubles de la mémoire et de la concentration, de l’irritabilité).

Perspectives de traitement par les thérapies cognitives et comportementales Le repérage de l’ennui comme source de souffrance psychologique étant récent, peu de démarches de prises en charge psychothérapeutiques ont été proposées. Cependant,

Pour citer cet article : Rengade C-E. De l’ennui au bore-out, une revue de la littérature. Journal de thérapie comportementale et cognitive (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.jtcc.2016.03.002

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d’intéressantes initiatives ont été prises dans le champ des thérapies comportementales et cognitives. Quelle synthèse en retenir ?

procèdent également ainsi et pourraient aider à supporter l’ennui par une plongée en soi-même.

L’ennui dans la trichotillomanie L’ennui au travail Soigner l’ennui au travail doit passer par l’analyse fonctionnelle précise de la situation professionnelle, la recherche d’une solution avec la mise en place de nouveaux défis, voire la reconversion professionnelle [48]. En effet, il faut élargir la problématique de l’ennui à l’ensemble de la vie du consultant : s’ennuit-il dans d’autres domaines de sa vie, dans ses loisirs, dans sa famille ? Comment envisage-t-il le monde et son avenir avec ce filtre qu’est l’ennui ? Quelles sont les conséquences de son ennui au travail, les stratégies mises en œuvre pour lutter contre, l’attitude de ses collègues à son égard ? Y a-il eu un changement d’affectation ou une évolution récente de son travail correspondant à l’apparition de l’ennui ? Comment gère-t-il les émotions négatives en général et son sentiment de vide intérieur en particulier ? Souvent, les patients gérant mal le manque d’activité supportent mal leur sentiment de vacuité interne comme dans les troubles de personnalité borderline par exemple. Pour explorer cela, le thérapeute pourrait prescrire des moments d’ennui à son patient, limités à quelques minutes, et lui proposer de s’auto-observer. Si le bore-out est un ennui d’origine extrinsèque, son traitement est en premier lieu organisationnel et sociétal. Toutefois, il intéresse le thérapeute car il peut être l’écho de l’intolérance à l’ennui de son patient. Initialement limité au contexte à travers le prodrome qu’est le bore-out, l’ennui pourrait se généraliser. Il conviendrait donc de le prévenir et de le traiter précocement avant qu’il ne se complique. Différentes stratégies issues des thérapies cognitives et comportementales pourraient être utilisées avec succès. Par un abord comportemental surtout : l’ennui au travail est un sentiment qui entraîne toute une série de comportements négatifs. Ainsi van Hooff et von Hooft [51] proposent de combattre l’ennui au travail, non pas en agissant directement sur le sentiment mais sur les comportements qu’il induit, ainsi de proposer des activités artisanales pour lutter contre le travail contre-productif ou les plaintes dépressives par exemple. Wan et al. [52] le confirment : pour lutter contre le présentéisme, à savoir le fait d’avoir des occupations personnelles sur le lieu de travail, souvent lié à l’ennui, il conviendrait d’améliorer l’implication professionnelle. Nous pourrions suggérer d’associer les collaborateurs aux projets et développements de l’entreprise en les intégrant dans des groupes de travail ou de valoriser leur créativité et leur autonomie. Par un abord cognitif, en travaillant la planification et l’anticipation : l’ennui, notamment dans les activités de loisirs, entraîne des comportements de délinquance ou des difficultés sociales. Il pourrait être combattu par une meilleure planification, organisation et gestion du temps libre [53], en proposant d’imaginer un agenda d’activités pour ses temps libres par exemple. Par un abord sur la flexibilité mentale et l’utilisation de la pleine conscience, aussi : il conviendrait de se garder de la sur-stimulation pour combattre l’ennui. La pleine conscience et plus largement les techniques de méditation

L’ennui est un facteur de rechute et d’entrave au traitement psychothérapeutique dans les addictions au jeu [54,55], mais surtout dans la trichotillomanie [56]. Diefenbach et al. [57] remarquent que l’ennui diminue lors des cycles d’arrachage compulsifs des cheveux (avant, pendant, après) dans la trichotillomanie. Une piste de traitement serait d’aider le patient à identifier les états émotionnels ¸ateurs de ses cycles d’arrachage déclencheurs ou renforc grâce à l’analyse fonctionnelle : l’ennui, parfois spécifiquement déclencheur s’associe volontiers à la tristesse, la culpabilité ou à la colère après l’arrachage [57] ; en outre l’ennui contribue à perpétuer le comportement. Ainsi, et plus généralement, les techniques de régulation des états émotionnels négatifs apparaissent moins efficaces dans le traitement cognitivo-comportemental de la trichotillomanie que les stratégies comportementales de gestion de l’ennui par une planification des activités ou des techniques de prévention de la réponse par exemple [58].

L’usage de la nostalgie Van Tilburg et al. [59] proposent plutôt l’usage de la nostalgie pour contrecarrer la perte du sens de la vie que provoque l’ennui. L’ennui entraîne la perte du sens d’une activité. La nostalgie, elle, est une source de sens, de significations. Elle associe a posteriori des sensations agréables à des instants du passé et se différencie ainsi de la mélancolie car elle apporte du réconfort. Autrefois associée aux troubles psychiatriques, la nostalgie est réhabilitée depuis plusieurs années car elle renforce les liens sociaux chez les personnes partageant la même nostalgie du « rétro » ou du vintage et devient même une arme de marketing repérée par la psychologie sociale [60]. Elle augmente aussi l’estime de soi, les affects positifs et la recherche de sens [61]. Ces auteurs présentent la nostalgie comme un outil d’autodétermination efficace pour affronter les menaces existentielles et permettre le maintien de sens dans sa vie. Ils observent, dans une population d’étudiants soumis à une situation d’ennui, que la nostalgie est un processus psychologique qui permet l’émergence de souvenirs et redonne du sens à la vie ou plus spécifiquement à une activité. En outre, les souvenirs nostalgiques seraient plus volontiers associés à des périodes où les épreuves ont été surmontées, sont plus souvent remémorées que les souvenirs classiques, et donc plus vivants et détaillés, et enfin produisent un sentiment de continuité de soi et de bien-être en réduisant la perception de distance temporelle entre le passé et le présent [62]. Bref, la nostalgie apporte réconfort et sens à la vie, moyen de lutter contre l’ennui [63].

Conclusion Le syndrome d’épuisement professionnel par ennui n’est qu’une sous-dimension contextuelle de l’ennui. S’il est marqué d’aspects cliniques spécifiques liés à l’environnement

Pour citer cet article : Rengade C-E. De l’ennui au bore-out, une revue de la littérature. Journal de thérapie comportementale et cognitive (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.jtcc.2016.03.002

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De l’ennui au bore-out, une revue de la littérature professionnel, son traitement devrait s’envisager en considérant l’ennui dans les différents domaines de vie de l’intéressé : son travail mais aussi ses loisirs et sa manière d’envisager l’avenir ou le monde. Une différence importante entre le bore-out et l’ennui est son caractère extrinsèque : le bore-out est fondamentalement causé par l’environnement professionnel et conduit à développer des troubles psychiques entre autres difficultés, alors que l’ennui peut être intrinsèque, lui-même conséquence d’une psychopathologie. Le bore-out pourrait aussi être un prodrome de l’ennui intrinsèque dans une perspective dimensionnelle. L’analyse fonctionnelle devra donc déterminer si l’ennui est la cause ou la conséquence d’un problème cible. S’il en est la cause, des pistes psychothérapeutiques comme la planification d’activités ou la recherche de solutions par l’usage de la nostalgie pourraient être des pistes intéressantes mais encore peu structurées ou validées.

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Déclaration de liens d’intérêts [25]

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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