Démence à corps de Lewy et démence associée à la maladie de Parkinson

Démence à corps de Lewy et démence associée à la maladie de Parkinson

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troubles cognitifs et démences

www.masson.fr/revues/pm

Dossier thématique

Mise au point

Presse Med. 2007; 36: 1485–90 © 2007 Elsevier Masson SAS Tous droits réservés.

Démence à corps de Lewy et démence associée à la maladie de Parkinson Claire Meyniel, Philippe Damier

CHU Nantes, Clinique neurologique, Nantes (44) ; Inserm, Centre d’investigation clinique, Nantes (44)

Correspondance : Philippe Damier, CHU Nantes, Clinique neurologique, Hôpital Laennec, 44093 Nantes. [email protected]

■ Key points

■ Points essentiels

Lewy body dementia and Parkinson disease dementia

La démence à corps de Lewy et la démence associée à la maladie de Parkinson représentent deux causes fréquentes de démences dégénératives : 20 % des démences chez les patients de plus de 65 ans pour la première et près de 80 % des patients atteints de maladie de Parkinson évoluée pour la seconde. La démence à corps de Lewy a une sémiologie caractérisée par des fluctuations des performances cognitives, une atteinte cognitive sous-cortico-frontale et visuospatiale, des hallucinations visuelles et une symptomatologie parkinsonienne. La démence associée à la maladie de Parkinson a 2 formes sémiologiques : une forme “sous-corticale”, caractérisée par un syndrome frontal où prédominent apathie, apragmatisme ; une forme “corticale”, avec des symptômes proches de ceux de la démence à corps de Lewy. La parfaite gestion des facteurs iatrogéniques potentiels est importante, avec des psychotropes au strict minimum indispensable, une monothérapie par L-dopa à la posologie minimale acceptable pour corriger la symptomatologie motrice parkinsonienne. Les inhibiteurs d’acétylcholinestérase présentent un intérêt dans ces 2 démences (AMM pour la rivastigmine dans la démence associée à la maladie de Parkinson) et de la clozapine pour contrôler les hallucinations.

Lewy body dementia and Parkinson disease dementia are frequent causes of degenerative dementia: 20% of the dementias in patients older than 65 years are caused by the former and nearly 80% of patients with advanced Parkinson disease develop the latter. Symptoms of Lewy body dementia include fluctuations of cognitive performance, frontal and visuospatial impairment, visual hallucinations, and parkinsonism. Parkinson disease dementia could be differenciated in two subtypes: a “subcortical” subtype, characterized by frontal impairment with apathy and dullness and a “cortical” subtype with symptoms similar to those of Lewy body dementia. Mastery of potential iatrogenic factors is important: psychotropic drugs must be prescribed at the strict minimum, and L-dopa monotherapy at the minimal dose acceptable for correcting Parkinsonian motor symptoms should be the rule. Acetylcholinesterase inhibitors may be useful in both these types of dementia: rivastigmine is approved for treating Parkinson disease dementia and clozapine for reducing hallucinations.

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Disponible sur internet : le 14 juin 2007

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oins connues que la maladie d’Alzheimer, la démence à corps de Lewy et la démence associée à la maladie de Parkinson sont pourtant 2 causes fréquentes d’altération cognitive neurodégénérative. Le spectre sémiologique de ces affections est large et leurs limites nosologiques encore discutées, mais des avancées thérapeutiques récentes permettent de dégager quelques stratégies de prise en charge pragmatiques. Parmi les démences dégénératives, ce sont probablement celles pour lesquelles une stratégie thérapeutique bien dirigée conduit à des résultats souvent probants et parfois même spectaculaires.

Démence à corps de Lewy : un spectre clinique mieux identifiable, des traitements utiles Deuxième cause de démence chez le sujet de plus de 65 ans La démence à corps de Lewy est en fréquence la deuxième cause des démences chez les patients âgés de plus de 65 ans. Elle est à l’origine d’environ 20 % des démences dans cette classe d’âge. La dénomination “démence à corps de Lewy” aujourd’hui admise impose quelques explications nosologiques préliminaires [1]. Basée sur un terme neuropathologique, elle a une connotation pathogénique trop forte que la clinique seule ne peut affirmer. Du point de vue clinique, il faut en fait entendre sous le terme “démence à corps de Lewy” un tableau sémiologique particulier auquel est associée avec une probabilité élevée une dégénérescence cérébrale caractérisée par la présence d’inclusions neuronales et extraneuronales particulières, les corps de Lewy [2]1.

Un spectre d’aspects cliniques large mais différenciable de celui de la maladie d’Alzheimer L’aspect clinique le plus connu de la démence à corps de Lewy est, comme son nom l’indique, une démence. Les troubles cognitifs débutent comme cela est classique dans les maladies neuro-

Glossaire BREF COMT CT-scan IMAO IRM

batterie rapide d’évaluation des fonctions frontales catéchol-O-méthyl transférase Computerized Tomography scan inhibiteur de la monoamine-oxydase imagerie par résonance magnétique

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1. À noter que la problématique est identique dans la maladie d’Alzheimer : à partir d’une présentation clinique particulière, le diagnostic est supposé par le clinicien et il dénomme une entité nosologique reposant sur une neuropathologie dont la preuve n’est que rarement obtenue ; le développement de biomarqueurs pourrait dans les années à venir aider à un cadrage nosologique plus précis.

dégénératives souvent de façon insidieuse. Contrairement à la maladie d’Alzheimer, les troubles mnésiques ne sont généralement pas au premier plan au stade précoce [3]. La présentation est plutôt celle d’épisodes confusionnels récurrents, volontiers favorisés par des facteurs iatrogènes ou une affection médicale intercurrente, dans un contexte d’altération progressive des fonctions cognitives (troubles attentionnels, perte du sens critique, apragmatisme). Parfois, la symptomatologie initiale est celle d’une maladie de Parkinson, mais qui rapidement (par définition en moins d’un an) se complique d’une altération cognitive telle qu’observée dans la présentation classique de la démence à corps de Lewy [1]. Plus rarement, la maladie se révèle par des troubles du sommeil ou des troubles végétatifs. Avec l’évolution les troubles cognitifs se précisent. Les troubles mnésiques deviennent plus nets. Ils portent essentiellement sur la mémoire épisodique. Le test des 5 mots peut être utilisé pour évaluer les capacités mnésiques (encadré 1). Par rapport aux troubles mnésiques de la maladie d’Alzheimer, les performances sont souvent améliorées par l’indiçage (le fait d’indiquer la catégorie à laquelle appartient l’item à retrouver aide le patient ; par exemple : « quel nom de fruit vous ai-je demandé de mémoriser ? ») et les intrusions (le sujet donne de façon erronée un nom de la même catégorie : “orange” alors que l’item fruit à retenir était “abricot”) sont moins nombreuses. Des troubles visuospatiaux sont fréquemment pré-

Encad ré 1 Une évaluation rapide et instructive des capacités mnésiques : le test des 5 mots Une liste de 5 mots est donnée à apprendre au patient. Chaque mot appartient à une catégorie particulière (animal, fruit, instrument de musique, etc.) et ne doit pas être un mot “évident” de la catégorie (“myosotis” pour une fleur plutôt que “rose”). Il faut s’assurer que la liste est correctement apprise (en vérifiant que le patient est capable de les répéter). À quelques minutes de distance de l’apprentissage (une autre tâche cognitive est faite dans l’intervalle), le patient doit restituer les 5 mots. Pour le ou les mots qu’il ne retrouve pas spontanément, lui sont fournis des indices : « quelle était la fleur ? », « quel était le fruit ? », etc. Puis pour le (ou les) mot(s) encore non retrouvé(s), est proposé de le (les) reconnaître au sein d’une liste de 5 mots de la catégorie du mot recherché : « parmi les 5 fleurs suivantes […] quelle était celle que je vous avais demandé de mémoriser ? ». Si le patient a des difficultés d’encodage (ce qui est typiquement observé dans la maladie d’Alzheimer), indiçage et reconnaissance ne sont que peu d’aide ; il y a même souvent des “intrusions” c’est-à-dire l’énoncé de mots de la catégorie autre que celui qui était à apprendre (par exemple, “tulipe” alors que le mot demandé était “myosotis”). Au contraire, si le patient n’a pas de problème d’encodage mais des problèmes de rappel mnésique, indiçage ou reconnaissance l’aident à retrouver les mots appris.

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Des explorations complémentaires dont la contribution reste à démontrer L’électroencéphalogramme est très souvent altéré, mais avec des modifications sans grande spécificité (tracé ralenti, tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2

vagues d’ondes lentes). L’imagerie cérébrale morphologique (CT-Scan : Computerized Tomography scan, IRM : imagerie par résonance magnétique) met en évidence une atrophie cortico-sous-corticale plus ou moins marquée, sans spécificité et a pour principal intérêt l’élimination de certains diagnostics différentiels d’une altération cognitive. L’imagerie fonctionnelle, en particulier la scintigraphie cérébrale, semble intéressante : les mesures de débit sanguin cérébral montrent une réduction d’activité au niveau frontal et pariétooccipital [7] ; les marqueurs du système dopaminergique (DATscan®) peuvent révéler la dénervation dopaminergique [8]. La sensibilité de ces examens par rapport aux données cliniques reste cependant à démontrer.

Une évolution péjorative classiquement plus rapide que dans la maladie d’Alzheimer L’absence d’études épidémiologiques large avec authentification neuropathologique du diagnostic ne permet pas d’avoir de données très précises sur ce sujet. L’évolution se fait vers une accentuation des troubles cognitifs avec un progressif retrait de toute vie communicative et une accentuation de la symptomatologie parkinsonienne. Par les chutes, les troubles de déglutition et la plus rapide exposition aux complications de l’immobilité que cette composante entraîne, le pronostic vital serait moins bon que dans la maladie d’Alzheimer. Les traitements actuellement disponibles sont peut-être en train de modifier cette vision classique.

Des options thérapeutiques utiles Même si, faute d’études conduites sur un très grand nombre de patients, le niveau de preuve des essais thérapeutiques dans cette maladie reste moyen, plusieurs traitements ont démontré une certaine efficacité et se révèlent en pratique clinique souvent très utiles. Une fois le diagnostic évoqué, un “ménage thérapeutique” est le premier acte à entreprendre. Les patients atteints de démence à corps de Lewy sont comme vu précédemment extrêmement sensibles aux facteurs iatrogènes. Les traitements psychotropes (anxiolytiques, antidépresseurs) sont souvent utilisés face à des troubles cognitivocomportementaux débutants. Leur pertinence est à évaluer soigneusement et le traitement à simplifier progressivement. Une vigilance particulière est à apporter aux médicaments ayant des propriétés anticholinergiques (antidépresseurs tricycliques, certains sédatifs, mais aussi des médicaments à visée urinaire). Les performances cognitives des patients y sont très sensibles. Le traitement dopaminergique parfois nécessaire pour corriger les symptômes parkinsoniens (cf. infra) doit se résumer aux doses minimales de L-dopa pour réduire les effets indésirables psychiques de ce traitement.

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sents. Le patient a du mal à gérer son environnement visuel, comme en témoignent ses difficultés à reproduire un dessin complexe, à positionner les heures sur un cadran d’horloge. Les fonctions instrumentales (langage, praxie) sont en revanche longtemps préservées. Un dysfonctionnement frontal est pratiquement toujours présent avec en particulier des troubles attentionnels, une réduction de la fluence verbale, un apragmatisme, une altération des capacités de jugement. Le caractère fluctuant des troubles cognitifs et des capacités attentionnelles est typique de cette affection avec un niveau de performance variable d’un jour à l’autre, voire d’une heure à l’autre. Des troubles de vigilance avec somnolence diurne sont souvent présents [4]. Des hallucinations sont fréquemment présentes. Elles peuvent être inaugurales, survenir de façon spontanée ou être favorisées par un facteur iatrogénique. Il s’agit essentiellement d’hallucinations visuelles, colorées à type de personnes ou d’animaux. Le patient n’y est pas le plus souvent totalement adhérent et peut les critiquer. Un syndrome parkinsonien est observé chez 25 à 50 % des patients. Le tableau moteur peut être assez proche de celui observé dans une maladie de Parkinson. Le tremblement de repos est néanmoins peu fréquent et la symptomatologie prédomine volontiers en axial : troubles de la marche, amimie, rigidité nucale. La symptomatologie motrice est partiellement réversible par le traitement dopaminergique [5]. Néanmoins, l’efficacité de ce traitement est surtout nette sur le syndrome parkinsonien périphérique (touchant les membres) qui est ici moins souvent au premier plan que dans la maladie de Parkinson et surtout le renforcement posologique se heurte à une mauvaise tolérance psychique (hallucinations, confusion). Le syndrome parkinsonien peut parfois être inaugural, ne se différenciant pas les premiers temps d’une maladie de Parkinson classique. Il est parfois révélé en cours d’évolution à l’occasion d’une prise de neuroleptique. Les patients sont en effet particulièrement sensibles à ce type de médicament et le tableau moteur peut être alors parfois sévère. Des troubles du comportement du sommeil paradoxal sont possibles et assez caractéristiques. Ils sont le fait de la moindre efficacité de la “paralysie physiologique” qui accompagne normalement cette phase de sommeil où se déroulent les rêves. Les patients ont donc tendance à “vivre” leurs rêves [6]. Le système neurovégétatif étant volontiers atteint par le processus pathogénique, des troubles tensionnels avec des hypotensions en particulier orthostatiques sont fréquents. Ils peuvent être à l’origine de syncopes. Des troubles sphinctériens sont parfois présents.

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Ce “ménage” thérapeutique a souvent un effet favorable sur les hallucinations. Si malgré tout ces dernières persistent et ont des conséquences comportementales importantes, un traitement neuroleptique s’impose. L’hypersensibilité des patients atteints de démence à corps de Lewy aux neuroleptiques impose de les utiliser à des doses minimes et, sauf altération cognitive déjà sévère, à privilégier l’utilisation de la clozapine. Même si le risque d’agranulocytose rend son utilisation compliquée (nécessité d’une surveillance hématologique étroite), c’est le seul neuroleptique à être vraiment dépourvu d’effets indésirables moteurs parkinsoniens. Ce médicament est à utiliser à des doses plus faibles que celles classiquement requises en psychiatrie : 12,5 mg/j peuvent suffire, il est rare d’aller au-delà de 75 mg/j [9]. Les anticholinestérasiques ont montré leur intérêt dans le traitement des troubles cognitifs de la démence à corps de Lewy [10]. D’expérience l’effet est même souvent plus net que dans la maladie d’Alzheimer. Ces médicaments semblent en outre avoir des effets favorables sur les hallucinations. Outre les troubles digestifs qui peuvent perturber l’initiation de ces médicaments, le principal effet secondaire peut être la majoration du syndrome parkinsonien. La gestion du syndrome parkinsonien lorsqu’il est marqué et invalidant repose exclusivement sur la L-dopa. Les agonistes dopaminergiques, les IMAO-B (inhibiteurs de la monoamineoxydase B) et bien sûr les anticholinergiques ne sont pas tolérés sur le plan psychique par ces patients. La posologie de la L-dopa est à utiliser au minimum nécessaire pour le patient. Ce n’est pas une parfaite correction de la symptomatologie motrice qui est recherchée mais le meilleur compromis entre l’effet bénéfique moteur et les effets indésirables psychiques. Enfin, à côté des médicaments, une prise en charge régulière en kinésithérapie pour les troubles moteurs, un soutien psychologique et le maintien d’une stimulation cognitive sont souvent d’un apport intéressant, même si dans ce domaine les preuves d’efficacité, difficiles à obtenir, sont inexistantes.

Démence associée à la maladie de Parkinson Fréquente mais sous-diagnostiquée

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La maladie de Parkinson est considérée avant tout comme une maladie motrice avec la classique triade akinésie, rigidité, tremblement. Le développement ces dernières années de traitements médicaux, voire chirurgicaux dans certains cas, efficaces sur ces symptômes a progressivement révélé la dimension cognitive de cette maladie. L’altération des fonctions supérieures s’avère en effet un problème évolutif fréquent mais encore sous-diagnostiqué. Par définition, le terme de démence associée à la maladie de Parkinson désigne toute altération cognitive survenant au-delà de la première année d’évolution clinique de maladie motrice (à savoir syndrome parkinsonien

amélioré ou ayant été amélioré de façon claire par un traitement dopaminergique) [11]. La différenciation nosologique avec la forme “parkinsonienne” de démence à corps de Lewy (où par définition la détérioration cognitive précède ou s’installe dans l’année suivant les premiers troubles moteurs) apparaît donc un peu artificielle. Classiquement, un syndrome démentiel affecte 30 % des patients atteints de maladie de Parkinson. Des suivis de cohorte et la recherche systématique des troubles cognitifs ont en fait récemment montré que cette fréquence était largement sous-évaluée, avec après plus de 10 ans de suivi une fréquence de troubles cognitifs conséquents chez près de 80 % des patients [12]. Outre la durée évolutive, l’âge est un facteur de risque indépendant important de développement d’une démence. La prévalence de la démence est presque nulle chez les patients parkinsoniens âgés de moins de 50 ans alors qu’elle s’élève à 70 % chez les plus de 80 ans. Certaines formes de maladie comme les formes dites axiales (rigidité axiale, dysarthrie, troubles de la marche et de l’équilibre) seraient à plus haut risque d’altération cognitive. Ces formes sont volontiers rencontrées lors des débuts à âge tardif de la maladie [11].

Une sémiologie faite de deux formes cliniques De façon schématique, 2 grands aspects sémiologiques peuvent être distingués, une forme “sous-corticale” et une forme “corticale”, même si chez de nombreux patients existe une combinaison de ces 2 formes [13]. Bien que cette subdivision ne soit pas toujours reconnue dans la littérature, elle pourrait avoir un impact thérapeutique. La forme “sous-corticale” est la plus fréquemment observée, elle concerne environ 2/3 des patients avec démence. Dans cette forme prédomine un dysfonctionnement frontal d’où la présence au premier plan de troubles du comportement. Initialement, ils consistent en un repli progressif et un certain degré d’apathie avec réduction de la motivation, indifférence affective. Ils peuvent aussi se traduire par une moindre capacité à appréhender les tâches complexes, comme la gestion du traitement médicamenteux (probablement un bon indicateur dans cette maladie où ce traitement est souvent complexe et exigeant sur les horaires), la comptabilité personnelle, le bricolage, etc. Ces troubles peuvent évoluer jusqu’à un apragmatisme majeur. Cette symptomatologie est en fait généralement insidieuse et assez peu spécifique, d’où un fréquent retard diagnostique voire une absence de diagnostic. Elle est en effet difficile à apprécier chez un patient ralenti sur le plan moteur, qui en raison de difficultés de parole a tendance à moins s’exprimer. Elle peut aussi être faussement prise pour une symptomatologie dépressive dont souffrent souvent ces patients. Une évaluation cognitive est donc à faire face à ce type de troubles du comportement et même en fait de façon régulière (annuelle) au cours du suivi d’un patient atteint de tome 36 > n° 10 > octobre 2007 > cahier 2

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tement (intérêt d’une progression posologique lente) et plus rarement d’une majoration des symptômes parkinsoniens, en particulier du tremblement. Des études complémentaires ont montré que ces médicaments seraient plus particulièrement efficaces dans les formes où existent des hallucinations ou des troubles attentionnels, c’est-à-dire dans les formes “corticales” de la démence parkinsonienne [17]. Cette efficacité est souvent assez notable voire spectaculaire chez certains patients. L’effet de ces médicaments sur les formes “souscorticales” d’atteinte cognitive est par contre souvent moins net. En pratique, une fois la posologie maximale tolérée atteinte, il faut savoir, après une durée d’utilisation de l’ordre de 3 mois, arrêter ce type de traitement s’il n’a pas clairement apporté de bénéfice au patient. Comme dans la démence à corps de Lewy, la clozapine le plus souvent à faible dose (12,5 à 75 mg/j) a une place importante dans le traitement des hallucinations associées aux démences parkinsoniennes, si elles persistent une fois les actions thérapeutiques décrites ci-dessus appliquées [18].

Une stratégie thérapeutique qui se précise

Démence à corps de Lewy et démence associée à la maladie de Parkinson : une même maladie ?

La stratégie thérapeutique est assez similaire à celle de la démence à corps de Lewy. La principale différence vient de la présence systématique d’un traitement dopaminergique pour corriger les troubles moteurs. Devant l’apparition de troubles cognitifs, la première étape vise à la simplification pour réduire autant que faire se peut les facteurs iatrogéniques. Les traitements psychotropes (benzodiazépines, antidépresseurs), fréquemment reçus par les patients parkinsoniens sont à diminuer et si possible à stopper. Le traitement antiparkinsonien doit progressivement se simplifier pour tendre vers la L-dopa en monothérapie : arrêt des anticholinergiques bien sûr, puis dans l’ordre des IMAO-B, des agonistes dopaminergiques. La L-dopa est à utiliser à la dose minimale indispensable sur le plan moteur ; elle peut être optimisée par l’utilisation d’inhibiteurs de la COMT (catéchol-O-méthyl transférase) si des fluctuations d’efficacité sont présentes. De façon un peu surprenante, lorsque l’évolution s’est compliquée d’une détérioration cognitive, les patients ont en fait souvent besoin de doses de traitement dopaminergique moindre pour contrôler la symptomatologie motrice que celles antérieurement nécessaires. Plusieurs études ont suggéré l’intérêt des d’inhibiteurs de l’acétylcholinestérase dans la démence parkinsonienne. La démonstration de cette efficacité dans une étude contrôlée sur plus de 300 patients [16] a conduit à l’enregistrement récent de la rivsatigmine comme traitement de la démence parkinsonienne. Les principaux effets secondaires signalés sont les nausées et vomissements à la mise en route du trai-

La description du tableau clinique et de leur problématique thérapeutique fait apparaître des similitudes entre ces 2 affections et les limites du spectre de l’une à l’autre sont parfois un peu artificielles. S’agit-il donc d’une même maladie ? La réponse à cette question est en fait directement liée à la définition appliquée au terme maladie. Si cette dernière est définie par un ensemble de symptômes dans un contexte temporel, il s’agit tel que présenté dans les chapitres précédents de maladies différentes. Avec les 2 formes de démence associée à la maladie de Parkinson, c’est même 3 affections qui peuvent être différenciées. Ces différences sont la traduction de distributions lésionnelles cérébrales différentes en termes de topographie (forme “sous-corticale” versus forme “corticale” de démence associée à la maladie de Parkinson) ou en termes de décours temporel (forme “corticale” de démence parkinsonienne et démence à corps de Lewy). Si la définition d’une maladie s’adresse au mécanisme pathogénique sousjacent, ces maladies s’avèrent en fait assez proches. Le stigmate neuropathologique qu’est le corps de Lewy leur est en effet commun [19]. Ce dernier dénote d’une dégénérescence neuronale associée à des anomalies du catabolisme protéique cellulaire, en particulier du système ubiquitine-protéasome. Des progrès importants ont été faits ces dernières années sur les différentes étapes impliquées dans ce type de processus dégénératif. Les affections dégénératives dans lesquels les corps de Lewy sont observés sont regroupées sous le terme de synucléopathies (il existe en effet des dépôts anormaux de synucléine dans le cerveau entre autres sous forme de corps

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maladie de Parkinson. Elle met alors en évidence un syndrome frontal marqué avec une réduction de la fluence verbale, une altération dans la gestion des concepts, des difficultés à découvrir une nouvelle règle logique, des troubles de la planification et du maintien ainsi que du changement de consignes. Ces altérations peuvent être mises en évidence par la batterie rapide d’évaluation des fonctions frontales (la BREF) [14]. Les troubles mnésiques sont aussi présents mais rarement au premier plan. Contrairement à la maladie d’Alzheimer, ils atteignent essentiellement le rappel, l’encodage restant longtemps préservé. En cas de doute diagnostique, un bilan neuropsychologique peut préciser et confirmer ces anomalies. La forme “corticale” est un peu moins fréquente. Le tableau cognitif est celui observé dans la démence à corps de Lewy. Il consiste comme vu dans le chapitre précédent en des troubles cognitifs fluctuants avec variation de vigilance et hallucinations visuelles [15]. L’examen des fonctions cognitives révèle un dysfonctionnement frontal mais aussi une atteinte des fonctions visuospatiales. Comme dans la démence à corps de Lewy, des facteurs iatrogènes ou des affections médicales intercurrentes peuvent avoir un rôle révélateur ou aggravant de ces troubles.

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de Lewy) [20]. Dans ce groupe, se retrouvent à côté de ces 2 formes de démences, la maladie de Parkinson et une autre affection neurodégénérative motrice, l’atrophie multisystématisée. Reste la question de savoir pourquoi à un mécanisme pathogénique proche sont associées des distributions lésionnelles différentes. Des causes différentes ou l’existence de cofacteurs étiologiques pourraient en constituer l’explication. L’identification récente de la duplication du gène codant pour la synucléine comme facteur de risque de maladie de Parkinson et/ou de la triplication de ce même gène comme celui de démence à corps de Lewy [21] en est une illustration. Cette observation suggère un probable lien entre l’extension de la dégénérescence neuronale (restreinte à la substance noire dans la maladie de Parkinson, diffuse dans le cas de la démence à corps de Lewy) et la quantité de synucléine produite au niveau cellulaire.

Conclusion Quelques règles simples, en particulier une parfaite gestion des facteurs iatrogènes potentiels, et des médicaments utiles comme les inhibiteurs d’acetylcholinestérase et la clozapine ont clairement changé le pronostic de ces causes fréquentes de détérioration cognitive dégénératives que sont démence à corps de Lewy et démence associée à la maladie de Parkinson. Il est donc important de savoir les connaître et d’en poser le diagnostic. L’efficacité de ces différentes approches thérapeutiques reste néanmoins limitée à court ou au mieux à moyen terme car le processus dégénératif se poursuit. La compréhension des mécanismes pathogéniques de ces affections a cependant beaucoup progressé ces dernières années et laisse espérer le développement de traitements capables de contrôler le processus dégénératif. Conflits d’intérêts : aucun

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