Dépistage du cancer de l’ovaire : le point en 2011

Dépistage du cancer de l’ovaire : le point en 2011

Imagerie de la Femme (2011) 21, 45—49 MISE AU POINT Dépistage du cancer de l’ovaire : le point en 2011 Screening ovarian carcinoma: What’s new in 20...

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Imagerie de la Femme (2011) 21, 45—49

MISE AU POINT

Dépistage du cancer de l’ovaire : le point en 2011 Screening ovarian carcinoma: What’s new in 2011? Sophie Taïeb ∗, Philippe Vennin Département d’imagerie, centre Oscar-Lambret, 3, rue F.-Combemale, 59000 Lille, France Disponible sur Internet le 4 mai 2011

MOTS CLÉS Cancer de l’ovaire ; Dépistage ; BRCA ; Échographie endovaginale ; Ca125

KEYWORDS Ovarian carcinoma; Screening; BRCA; Transvaginal sonography; Ca125



Résumé Le cancer de l’ovaire est découvert dans deux tiers des cas à un stade avancé de la maladie et le pronostic est très péjoratif. L’objectif d’un dépistage organisé de la population générale est de diminuer la mortalité. Compte tenu de la faible valeur prédictive positive de nos tests diagnostiques : échographie endovaginale et dosage du Ca125, et de la nécessité de réaliser au minimum une cœlioscopie pour obtenir un diagnostic histologique, on opère actuellement, selon la littérature, 30 femmes pour trouver un cancer. Dans 60 % des cas, ces cancers détectés sont de stade III et plus. Chez les patientes à haut risque, malgré l’augmentation de la prévalence du cancer de l’ovaire dans cette population, le calcul théorique montre qu’il faudrait tester 800 femmes pour trouver un cancer localisé. Dans la pratique, les deux tiers des cancers détectés sont également de stade III et plus. Il n’y a donc pas actuellement, avec les examens dont nous disposons, d’indication à réaliser un dépistage du cancer de l’ovaire. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary Ovarian carcinoma, in two-third of cases, is discovered at a late stage of the disease with very pejorative prognosis. The aim of an organized screening of the general population is to decrease the mortality. Considering the low positive predictive value of our screening tests (transvaginal pelvic ultrasound and Ca125 sampling), 30 women have to undergo surgery to find one malignant tumor according to literature. In 60% of cases, these detected cancers are of stage III and more. For patients at high risk, in spite of the increase of prevalence of ovarian carcinoma in this population, the theoretical calculation shows that it would be necessary to test 800 women to find one localized cancer. In practice, two-third of the detected cancers are also of stage III and more. There is thus no indication, with our tests, to perform ovarian cancer screening. © 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Taïeb).

1776-9817/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.femme.2011.03.003

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S. Taïeb, P. Vennin

Figure 1. Incidence et mortalité du cancer de l’ovaire par âge en 2005. D’après [1].

En France, en 2005, 4375 nouveaux cas de cancer de l’ovaire ont été diagnostiqués. Ce cancer est au septième rang des cancers féminins. Avec 3180 décès en 2005, le cancer de l’ovaire se situe au treizième rang de l’ensemble des décès par cancer, et au cinquième rang des décès par cancer chez la femme (Fig. 1). Depuis 1980, on note une diminution de l’incidence de l’ordre de 1 % et une diminution de la mortalité de l’ordre de 3 % avec un risque pour la vie entière de 1,4 % [1]. Les deux tiers des cancers de l’ovaire surviennent après 55 ans. La présence d’un antécédent au premier degré de cancer de l’ovaire augmente le risque d’un facteur de trois. Ce risque est également particulièrement élevé chez les femmes présentant une mutation chromosomique délétère des gènes BRCA1 (39 à 46 % pour la vie entière) et BRCA2 (12 à 20 % pour la vie entière) [2]. Le traitement actuel est basé sur l’association d’une résection chirurgicale dont l’objectif est d’être l’absence de résidus macroscopiques visibles en fin d’intervention [3]

Tableau 1

et d’une chimiothérapie adjuvante associant sels de platine et taxanes. Celle-ci est discutée dès les stades 1A, 1B grade 2 et indiquée pour les stades supérieurs et les lésions de grade 3 de la stadification FIGO [4]. En cas de résection prévisiblement incomplète, il est admis qu’il ne faut pas retarder la chimiothérapie et les patientes sont traitées par une chimiothérapie néoadjuvante, puis une chirurgie intervallaire à trois cures si elle devient possible, puis reprise de la chimiothérapie [4,5]. Plus de 70 % des cancers de l’ovaire sont diagnostiqués à un stade avancé quand il existe déjà une extension péritonéale et de ce fait, le pronostic de la maladie reste très péjoratif : la survie à cinq ans qui approche les 90 % pour les stades 1 chute à 33 % pour les stades 3 et 4 [6,7] (Tableau 1). Le retard au diagnostic des cancers de l’ovaire est corrélé à la gravité du pronostic ; pouvoir bénéficier de test(s) diagnostiques précoces pourrait permettre la mise en place d’un dépistage améliorant ce pronostic.

Stadification FIGO des cancers de l’ovaire et survie à cinq ans.

Stade FIGO

Lésions

Stade I IA IB IC

Tumeur limitée aux ovaires Un seul ovaire, capsule intacte Deux ovaires, capsule intacte Rupture capsulaire ou tumeur à la surface de l’ovaire ou cytologie péritonéale positive Extension dans le pelvis Extension à l’utérus ou aux trompes Extension aux autres organes pelviens Extension pelvienne avec cytologie péritonéale positive

Stade II IIA IIB IIC Stade III IIIA IIIB IIIC Stade IV D’après [4—7].

Extension au péritoine Métastases péritonéales microscopiques Métastases péritonéales < 2 cm Métastases péritonéales > 2 cm ou adénopathies métastatiques régionales Métastases à distances extrapéritonéales

Survie à cinq ans

83 à 90 %

65 à 71 %

25 à 40 % (50 à 60 % si chirurgie initiale R1) 19—22 %

Dépistage du cancer de l’ovaire : le point en 2011

Dépistage de masse organisé Préalables Les critères permettant l’organisation d’un dépistage systématique d’une pathologie ont été définis par l’OMS [8] : • la maladie doit être une cause importante de décès dans la population et avoir une prévalence élevée ; • l’histoire naturelle de la pathologie doit permettre une phase préclinique où le diagnostic est possible ; • il doit exister un traitement efficace de la maladie à ce stade préclinique permettant d’obtenir une diminution de la mortalité ; • le ou les tests de dépistage doivent être simples, non invasifs et acceptables par les patientes, reproductibles, peu coûteux et enfin, ces tests doivent avoir des performances diagnostiques élevées. Compte tenu de la faible prévalence de la pathologie (40/100 000 femmes après 50 ans), les performances des tests diagnostiques pour le cancer de l’ovaire devraient avoir une sensibilité supérieur à 75 %, une spécificité supérieur à 99,6 %, et une valeur prédictive positive supérieur à 10 % afin de limiter la chirurgie à dix patientes opérées pour un cancer trouvé [9].

Les tests de dépistage L’échographie Elle doit associer : la voie sus-pubienne, la voie endovaginale et une étude doppler couleur. Elle a une très bonne valeur prédictive négative : si les ovaires sont visualisés et morphologiquement normaux, la probabilité de méconnaître un cancer de l’ovaire est quasi nulle [10,11] ; ce qui est une très bonne performance en situation diagnostique chez une patiente symptomatique. Ce n’est cependant pas suffisant en dépistage où il s’agit en plus de différencier une lésion bénigne d’une lésion maligne. Devant des lésions kystiques pures, les critères de suspicion de malignité sont : • un volume ovarien global supérieur à 20 cm3 en préménopause et supérieur à 10 cm3 en post-ménopause ; • la présence de kyste de plus de 5 cm en préménopause et 3 cm en post-ménopause. Les autres critères de suspicion sont : la présence de cloisons ou septa supérieur à 3 cm, l’existence de plus de quatre végétations endo- ou exokystiques. Les lésions majoritairement solides et vascularisées en doppler couleur sont également considérées suspectes [12]. Une étude multicentrique [13] sur 1233 lésions ovariennes chez 1066 patientes avec 903 lésions bénignes et 330 cancers propose cinq règles pour prédire un cancer : lésion solide et irrégulière, présence d’une ascite, présence de plus de quatre végétations, lésions mixtes liquide-solide avec un diamètre de plus de 10 cm enfin, hypervascularisation en doppler couleur. De là se déduisent cinq règles pour éliminer un cancer : kystes uniloculaires, portion solide d’un kyste inférieur à 7 mm, atténuation du faisceau ultrasonore en arrière de la lésion, lésion multiloculaire de moins de 10 cm et enfin, absence de signal doppler couleur. L’analyse prospective de ces signes permet le diagnostic de cancer avec une sensibilité de 95 % et une spécificité de 91 %. D’autres scores ont été proposés avec des performances équivalentes [11]. Néanmoins, il

47 existe d’importantes variations quand ces différents scores sont validés par d’autres équipes [14]. Les études initiées dans les années 1990 à 2000 ont testé l’échographie comme moyen de dépistage des cancers de l’ovaire sur plus de 136 000 femmes. Les résultats ne sont pas réellement informatifs puisque la VPP de l’échographie varie entre 1 et 27 %, les critères de positivité de l’échographie sont variables et ces études ont dépisté des femmes de risque standard et des femmes à haut risque de cancer de l’ovaire [9]. L’étude de van Nagell et al. [15] a concerné 25 327 femmes (soit de risque standard de plus de 50 ans, soit des femmes à haut risque dès l’âge de 25 ans) qui ont bénéficié d’un dépistage annuel par échographie endovaginale avec un suivi à 12 mois pendant en moyenne 4,8 tours par femme. Si l’on élimine les sept patientes chez lesquelles des métastases ovariennes d’origine non gynécologique ont été trouvées, 357/25 320 ont bénéficié d’une chirurgie permettant de trouver 44 cancers : 28 de stade 1, huit de stade 2, huit de stade 3. La VPP de l’échographie pour le dépistage des stades 1 est de 8 %, et de 11 % si l’on inclue les stades 2. La survie des patientes est de 86 % à 5,3 ans (DS six mois—15,8 ans) alors que la série historique objective une survie de 49 % à cinq ans dans la même institution. Néanmoins, en l’absence de randomisation, il est difficile de conclure à la réelle efficacité de ce dépistage d’autant qu’il y a eu neuf cancers intervallaires dans les 12 mois qui ont suivi une échographie normale.

Le dosage du marqueur Ca125 Malgré la simplicité et le faible coût de ce test, il faut garder à l’esprit que si il est supérieur à la normale dans 80 % des cancers avancés de l’ovaire, il n’est augmenté que dans moins de 50 % des cancers de stade 1 [16]. De plus, la spécificité de cette augmentation est faible puisqu’elle traduit uniquement une altération des séreuses. Ainsi, les néoplasmes mammaires, pancréatiques, coliques, pulmonaires et endométriaux peuvent s’accompagner d’une augmentation de ce marqueur. Par ailleurs, des lésions non néoplasiques : endométrioses, fibromes ovariens, pelvipéritonites, hépatites, péritonite, épanchement pleural peuvent être responsables également d’une élévation du Ca125 [9]. Il est possible d’augmenter la spécificité par une comparaison de la variation de Ca125 au cours du temps à des abaques réalisés sur un échantillonnage de 33 621 sérums sur 9233 femmes. Cet algorithme (risk of ovarian cancer [ROC]) a une VPP évaluée à 19 % sur une série prospective de 13 000 femmes ménopausées. Si plusieurs études y font référence, nous n’avons pour notre part pas trouvé de référence précise permettant de l’utiliser en pratique quotidienne [17].

Les études en cours Deux études randomisées ont actuellement terminé les inclusions prévues et ont publié leurs résultats préliminaires, les résultats finaux concernant la survie sont attendus pour 2014—2015. Dans l’étude Prostate, Lung, Colon and Ovarian cancer screening trial (PLCO) [18], 74 000 volontaires saines en post-ménopause de 55 à 74 ans ont été randomisées entre 1992 et 2001 en deux groupes : un groupe suivi cliniquement et le second groupe (34 261 femmes) a bénéficié d’une échographie endovaginale annuelle pendant trois ans

48 et un dosage du Ca125 annuel pendant cinq ans. Étaient considéré positifs : un taux du Ca125 supérieur à 35 U/mL et/ou la présence d’anomalie en échographie sur les critères décrits plus haut. Les résultats publiés concernent les trois premières années où le dosage du Ca125 est couplé à l’échographie : 108 294 femmes ont bénéficié d’au moins un test et 106 413 femmes ont eu les deux. Chez 3388 femmes, au moins un des tests a été positif et 1170 (34,5 %) d’entre elles ont bénéficié d’une annexectomie bilatérale permettant la détection de 60 (5,1 %) cancers invasifs dont 43 (72 %) étaient de stade 3 ou 4. Il y a eu 19 cancers d’intervalle (17 ≥ stade 3). La VPP du dépistage était de 1 à 1,3 % pendant les quatre tours de dépistage. Les résultats sur la survie ne sont pas encore connus mais la plupart des cancers dépistés étaient de stade élevé. Dans la deuxième étude (UKCTOC) [19], 202 638 femmes de 50 à 74 ans en post-ménopause ont été enrôlées de 2001 à 2005 et randomisées en trois groupes. Les femmes présentant un risque familial ont été exclues. Le groupe témoin est composé de 101 359 femmes, un groupe de 48 230 femmes bénéficie d’une échographie annuelle et le dernier groupe (50 078 femmes) bénéficie d’un dosage du Ca125 et d’une échographie si celui-ci, analysé par l’algorithme ROC, est anormal. Pour la première année de suivi : 845 femmes ont bénéficié d’une annexectomie bilatérale dans le groupe échographie pour détecter 24 cancers invasifs, et 97 chirurgies réalisées pour trouver 34 cancers invasifs dans le groupe Ca125 + échographie. La VPP des deux tests est de l’ordre de 35 % alors que la VPP de l’échographie seule est de 2,8 %. Sur les 58 cancers diagnostiqués, 30 étaient de stade 3 ou 4 et il y a eu 13 cancers intervallaires sur la période.

Le dépistage chez les femmes à haut risque La compilation d’étude réalisée par van der Velde et al. [20] à partir de dix cohortes, dont quatre prospectives, faisait état de 1156 femmes mutées parmi lesquelles 40 cancers avaient été détectés par les examens. Seize de ces 40 cas étaient de stade I ou II, et six sur les 16 avaient un antécédent de cancer du sein (le diagnostic de tumeur primitive ovarienne n’est pas assuré). Il y avait eu dans ces cohortes six cancers de l’intervalle, ce qui est relativement peu. Le calcul donne 800 femmes à tester pour trouver un cancer de stade localisé [20]. Les deux études les plus récentes nous viennent des Pays-Bas. La série de van der Velde et al. [20], à l’université de Groningen, comporte 241 femmes mutées BRCA1 ou BRCA2, 37 % avec un antécédent personnel de cancer du sein. Trois cancers de l’ovaire ont été détectés, un cas découvert au premier test (cas prévalent), un cas intervallaire et un dépisté, les trois cas sont de stade IIIc. La plus grande cohorte à ce jour publiée est de 888 femmes mutées qui ont eu entre 1993 et 2005 une échographie annuelle transvaginale et un dosage du Ca125 dans six centres universitaires [21]. Cinq cas prévalents ont été identifiés, cinq incidents lors du dépistage, cinq également pendant l’intervalle des examens. Parmi les 15 cas, il y a deux stades IIc qui sont des tumeurs endométrioïdes, les autres sont de stade III ou IV. Il n’y a pas dans cette série de différence de stade entre les tumeurs intervallaires et les autres. Dans notre série [22], sur 72 femmes suivies pendant six ans, représentant un suivi de 157,6 années/femmes, seuls

S. Taïeb, P. Vennin deux cancers incidents de stade IIIc ont été découverts par un dépistage associant dosage du Ca125 et échographie tous les six mois. À ce rythme de surveillance, aucun cancer d’intervalle n’est survenu, mais il s’agit d’une surveillance lourde pour les patientes et inefficace en termes de détection de stade précoce. La solution la plus efficace pour diminuer le risque de cancer de l’ovaire chez ces patientes à très haut risque est l’annexectomie prophylactique [23,24]. Elle est proposée à partir de 40 ans chez les femmes mutées BRCA1 et à partir de 50 ans chez les femmes mutées BRCA2. On comprend que ce choix reste difficile pour ces patientes d’autant qu’une proportion importante a déjà eu un cancer du sein contreindiquant l’emploi d’un traitement hormonal substitutif en cas de symptômes invalidants de ménopause lié à cette castration.

Conclusion Compte tenu de la gravité du pronostic des cancers de l’ovaire, le clinicien est partagé entre l’abstention totale d’un quelconque moyen de dépistage dont les limites sont évidentes même chez les femmes à haut risque et l’organisation de tests réguliers. Ceux-ci risquent de rassurer à tort les femmes qui se savent à risque et entraîner un nombre important d’annexectomies inutiles : 30 chirurgies réalisées en moyenne pour trouver un cancer dont plus de 50 % est de stade avancé. Il n’y a donc pas d’indication à organiser un dépistage du cancer de l’ovaire dans la population générale en l’état actuel des tests dont nous disposons [4,9,25,26]. Concernant les femmes à haut risque, la décision sera individuelle, après information des femmes du peu d’efficience de ce dépistage. Dans notre expérience, le contact régulier avec un radiologue formé à cette prise en charge particulière est pour les femmes, une aide à la décision du choix de la date de l’annexectomie prophylactique qui est actuellement la seule prise en charge validée pour diminuer le risque de cancer de l’ovaire.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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