Dépression du sujet âgé : données épidémiologiques, aspects cliniques et approches thérapeutiques spécifiques

Dépression du sujet âgé : données épidémiologiques, aspects cliniques et approches thérapeutiques spécifiques

Modele + ARTICLE IN PRESS NPG-490; No. of Pages 6 NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2015) xxx, xxx—xxx Disponible en ligne sur ScienceDir...

519KB Sizes 187 Downloads 535 Views

Modele +

ARTICLE IN PRESS

NPG-490; No. of Pages 6

NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2015) xxx, xxx—xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

DOSSIER : 2E JOURNÉE DU CENTRE RESSOURCE RÉGIONAL DE PSYCHIATRIE DU SUJET ÂGÉ D’ÎLE-DE-FRANCE

Dépression du sujet âgé : données épidémiologiques, aspects cliniques et approches thérapeutiques spécifiques Depression in the elderly: Epidemiological data, clinical specificities and treatment options F. Limosin (Psychiatre) a,∗,b,c, A. Manetti (Psychiatre) a, M. René (Psychologue) a, J.-P. Schuster (Psychiatre) a a

Centre ressource régional de psychiatrie de la personne âgée, service de psychiatrie de l’adulte et du sujet âgé, hôpital Corentin-Celton, groupe hospitalier hôpitaux universitaires Paris-Ouest, Assistance publique—Hôpitaux de Paris (AP—HP), 4, Parvis-Corentin-Celton, 92130 Issy-les-Moulineaux, France b Sorbonne Paris-Cité, université Paris Descartes, 75006 Paris, France c Inserm, U894, centre de psychiatrie et neurosciences, 75014 Paris, France

MOTS CLÉS Dépression ; Sujet âgé ; Antidépresseur ; Psychothérapie ; Deuil



Résumé Parmi l’ensemble des troubles psychiatriques retrouvés chez le sujet âgé, la dépression représente un enjeu prioritaire de santé publique, par sa prévalence élevée, ses conséquences délétères en termes de morbi-mortalité, notamment par suicide, et par son impact sur la qualité de vie et l’autonomie fonctionnelle. Pourtant, malgré sa fréquence, on constate encore aujourd’hui un filtre majeur d’accès à des soins spécialisés. Les raisons en sont multiples, que ce soit le manque de repérage précoce, la sous-estimation des affects dépressifs par l’entourage et par le patient lui-même, mais également du fait des spécificités cliniques de la symptomatologie dépressive du sujet âgé, et de la nécessité de proposer une prise en charge thérapeutique adaptée. Cette approche thérapeutique spécifique doit tenir compte des particularités d’utilisation des antidépresseurs et des stratégies psychothérapiques propres au sujet âgé. Enfin, une attention particulière doit être portée sur les réactions liées aux deuils face auxquels le sujet âgé peut se révéler particulièrement vulnérable. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Limosin).

http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2014.12.007 1627-4830/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Pour citer cet article : Limosin F, et al. Dépression du sujet âgé : données épidémiologiques, aspects cliniques et approches thérapeutiques spécifiques. Neurol psychiatr gériatr (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2014.12.007

Modele + NPG-490; No. of Pages 6

ARTICLE IN PRESS

2

F. Limosin et al.

KEYWORDS Depression; Elderly; Antidepressant; Psychotherapy; Grief

Summary Depression in the elderly is a widespread problem and a key domain of public health. It can contribute strongly to disability, impaired well-being and excessive use of the health services. In the elderly, depression often occurs in conjunction with other medical illnesses and disabilities, and lasts longer. Furthermore, the elderly often display the symptoms of depression differently. Depression also increases the risk of suicide, especially among elderly white men, with a suicide rate in people aged 80 to 84 more than twice that of the general population. The under-diagnosis and under-treatment of depression in older adults has been well documented. In general, effective treatment for depression in the elderly is thought to be the same as for younger patients. Most of the available antidepressants are believed to be equally effective in elderly adults. However, antidepressants may take longer to start working in older people than they do in younger people. Cognitive-behavioral therapy, problem-solving treatment, and interpersonal therapy have the strongest evidence base for treating patients with late-life depression. Finally, particular attention should be paid to complicated grief in late life. In later life, losses commonly include spouses, siblings, and peers, and less commonly adult children and grandchildren. In case of complicated grief, the griever remains preoccupied with reminders of the reality of their loss that are persistent, severe, and pervasive, giving the griever a sense of being stuck in their grief beyond 6 months, and sometimes for decades after the death has occurred. Complicated grief must be taken seriously and treated appropriately. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

La constante augmentation de l’espérance de vie nous confronte à la nécessité d’enrichir et d’adapter l’offre de soins psychiatrique spécifiquement dédiée à nos aînés. La part des séjours hospitaliers en médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) des patients âgés de 80 ans et plus a augmenté de 3,7 % par an depuis 2007, atteignant 12,9 % en 2010, alors même que cette tranche d’âge ne représente que 5,3 % de la population franc ¸aise [1]. Concernant les files actives de psychiatrie, les personnes âgées de 80 ans et plus ne représentent que 3 % des patients, l’évolution du nombre de journées d’hospitalisation pour cette classe d’âge étant similaire à celle de l’ensemble de la population [1]. Pourtant, les troubles psychiatriques constituent une des premières causes de morbidité et de mortalité prématurée chez le sujet âgé, et les 3/5es des sources d’incapacité liées au vieillissement [2,3]. Parmi ces troubles, la dépression est particulièrement fréquente, avec des taux de prévalence parmi les résidents des Établissements d’hébergement pour personnes âgées (EHPA) allant jusqu’à 40 % [4]. En outre, la dépression est fréquemment sous-diagnostiquée et de fait insuffisamment prise en charge [5], alors que paradoxalement un certain nombre de résidents d’EHPA rec ¸oivent des antidépresseurs sans présenter de dépression caractérisée [6]. Ce paradoxe se retrouve en médecine générale, comme l’a montré l’étude réalisée par l’Institut national de veille sanitaire en 2007—2008, en retrouvant que 1/3 des patients âgés de 65 ans ou plus consultant leur médecin généraliste recevait un traitement tranquillisant/hypnotique, et 17 % un antidépresseur, alors même que 59 % des médecins déclaraient ne jamais utiliser de critères pour établir un diagnostic de troubles anxiodépressifs [7,8]. Globalement, les prescriptions de psychotropes chez le sujet âgé sont insuffisamment réévaluées, ce qui conduit à des utilisations

excessives et/ou non justifiées. Ainsi, plus d’un quart des résidents en EHPAD ont une prescription d’au moins un neuroleptique, malgré des effets secondaires parfois extrêmement délétères (risque de chutes, accidents vasculaires cérébraux, troubles cognitifs. . .) [9]. Enfin, le suicide est un autre enjeu majeur de santé publique dans cette tranche d’âge : 30 % du total des suicides sont réalisés chez des sujets d’au moins 60 ans, le suicide rendant compte de 10 % de l’ensemble des décès du sujet âgé [10].

Prévalence de la dépression chez le sujet âgé Les facteurs de risque sociaux et environnementaux ont une place importante dans la vulnérabilité dépressive du sujet âgé, qu’il s’agisse de la solitude, de l’isolement, du faible support social et de la perte de proches (veuvage, etc.), mais également de l’impact des pathologies somatiques éventuelles [11]. L’Enquête de santé psychologique — risques, incidence et traitement (ESPRIT), réalisée en population générale entre 1999 et 2001 auprès de 1863 personnes âgées d’au moins 65 ans et non institutionnalisées (âge moyen : 73 ± 6 ans, 58 % de femmes), a permis de déterminer les prévalences actuelles et vie entière des principaux troubles psychiatriques. Elles étaient respectivement de 3,1 et 26,5 % pour l’épisode dépressif majeur, de 14,2 et 29,4 % pour les troubles anxieux, de 1,7 et 4,7 % pour les psychoses [12]. De surcroît, 9,8 % des sujets rapportaient des idéations suicidaires. Concernant la dépression avec caractéristiques psychotiques, en population générale là encore, c’est dans la tranche d’âge des 65 ans et plus que le taux de prévalence est le plus élevé [13]. Pour le trouble bipolaire,

Pour citer cet article : Limosin F, et al. Dépression du sujet âgé : données épidémiologiques, aspects cliniques et approches thérapeutiques spécifiques. Neurol psychiatr gériatr (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2014.12.007

Modele +

ARTICLE IN PRESS

NPG-490; No. of Pages 6

Dépression du sujet âgé

3

même si la moitié des cas sont diagnostiqués avant l’âge de 35 ans, 15 à 20 % le sont après 55 ans [14]. Si l’on s’intéresse maintenant aux personnes âgées résidant en EHPA, les chiffres de prévalence sont nettement plus élevés. Le volet « pathologies et morbidité » de l’enquête, réalisée par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) dans les EHPA en 2007, a ainsi porté sur un échantillon de 8972 personnes sélectionnées au hasard sur la base de la date de naissance et représentatives des 655 000 résidents recensés [4]. L’identification des pathologies reposait pour l’essentiel sur le référentiel de l’outil PATHOS (thésaurus de 50 états pathologiques), avec ajout des mentions « pathologies chroniques stabilisées, poussées aiguës d’une pathologie chronique, état/affection aigus ». Le Tableau 1 reprend les prévalences ponctuelles des états dépressifs, états anxieux, psychoses/délires et syndromes démentiels en fonction du type d’établissement. La prévalence des états dépressifs apparaît particulièrement élevée, puisque au total plus d’un tiers des résidents, toutes structures confondues, présentaient une telle pathologie. D’autres études apportent des données convergentes. Kuhnel et al. [15] ont réalisé un état des lieux sur 7 établissements de retraite privés en région Centre en 2008. Parmi les 547 patients évalués, 55 % avaient un score à la MADRS supérieur à 15, soit au-delà du seuil significatif de dépression, et 19 % avaient un score d’au moins 4 sur 6 à l’item « idéations suicidaires ». Au niveau européen, l’étude SHELTER réalisée auprès de 4159 résidents (dont 493 en France) a retrouvé un taux de dépression de 34,8 % (score à la DRS ≥ 3) [16]. L’existence d’un épisode dépressif majeur est un facteur de risque indépendant d’institutionnalisation chez les personnes présentant des troubles cognitifs, comme cela a été montré par une étude prospective ayant suivi 348 sujets déments sur 1 an [17]. De plus, les sujets nouvellement admis à partir de leur domicile constituent une population plus particulièrement vulnérable. Ainsi, Achterberg et al. [18] ont évalué aux Pays-Bas 562 résidents 10 jours après leur admission et ont retrouvé un taux de prévalence des symptômes dépressifs (score à la DRS > 3) plus élevé chez les sujets admis du domicile (34,3 %) que chez ceux adressés après un séjour hospitalier (19,7 % ; p < 0,05). Il faut également souligner qu’en plus du risque suicidaire et des effets délétères sur la santé physique, l’autonomie et la qualité de vie du sujet, avec au total une augmentation du risque de mortalité à 1 an (risque relatif = 1,59 [1,02—2,51])

[19], la dépression du résident a un impact négatif sur l’équipe soignante. Ainsi, Soldato et al. [20] ont montré, à partir des données d’une étude transversale ayant porté sur 3415 résidents (AgeD in HOme Care Study), que la présence de dépression chez les résidents était un facteur de risque de plus grande insatisfaction (OR = 1,84 [1,12—3,03]) et de plus grande détresse des soignants (OR = 2,41 [1,72—3,33]).

Spécificités cliniques de la dépression du sujet âgé La présentation clinique de la dépression du sujet âgé est le plus souvent caractérisée par des affects dépressifs moins souvent verbalisés, une perte d’intérêt ou de plaisir pour les activités usuelles, un ralentissement psychomoteur, des plaintes somatiques non expliquées par une pathologie organique, des idées délirantes de persécution et un risque élevé de suicide. Les formes dites « masquées » sont fréquentes et ont en commun une absence de tristesse exprimée, voire un déni des sentiments de dépression [21]. La forme hypocondriaque se manifeste essentiellement par des plaintes somatiques, sans tristesse au premier plan, avec une anxiété majeure et de fréquentes revendications. Les formes délirantes associent des idées de préjudice, de persécution, de jalousie, de mécanismes interprétatifs, imaginatifs, plus rarement hallucinatoires, et la possibilité de comportements quérulents, procéduriers et agressifs. Il faut néanmoins rappeler que 2 à 5 % des personnes âgées autonomes, indépendamment de tout autre diagnostic psychiatrique, présentent des idées de préjudice et 4 à 5 % des hallucinations. La forme hostile se caractérise par un changement important et récent du comportement, le sujet devient irritable, susceptible, coléreux, querelleur, mais aussi méfiant, agité et émotionnellement labile. La forme anxieuse est dominée par une inquiétude permanente émaillée d’accès anxieux inexpliqués, une grande inhibition, des ruminations envahissantes, ainsi qu’une dépendance et des comportements régressifs. Parfois, le tableau clinique est d’allure pseudo-confusionnelle. La forme pseudo-démentielle est caractérisée par une désorientation temporo-spatiale, des troubles mnésiques, des difficultés de concentration et des troubles praxiques, ainsi qu’une agitation, des déambulations et un mutisme. On note fréquemment la sévérité et la brutalité des conduites régressives et de la dépendance.

Tableau 1 Prévalences ponctuelles des états dépressifs, états anxieux, psychoses/délires et syndromes démentiels en fonction du type d’établissement (n = 8972). Pathologies

EHPAD (%)

Maison de retraite (%)

Logement foyer (%)

USLD (%)

Ensemble EHPA (%)

État dépressif État anxieux Psychose, délire Syndrome démentiel

36 26 16 42

31 26 15 31

26 32 7 8

35 21 23 60

34 27 15 36

D’après [4]. EHPAD : Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ; USLD : unités de soins de longue durée ; EHPA : Établissements d’hébergement pour personnes âgées.

Pour citer cet article : Limosin F, et al. Dépression du sujet âgé : données épidémiologiques, aspects cliniques et approches thérapeutiques spécifiques. Neurol psychiatr gériatr (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2014.12.007

Modele + NPG-490; No. of Pages 6

ARTICLE IN PRESS

4

F. Limosin et al.

La dépression conative survient essentiellement chez les sujets de plus de 85 ans et s’exprime par une forte démotivation, un désengagement affectif et relationnel, un sentiment d’inutilité d’être, de renoncement, avec apathie et anhédonie. On note également une négligence envers soi-même, et des manifestations de régression et de dépendance. La dépression vasculaire survient dans un contexte de pathologie cérébrale vasculaire avec hypodensités de la substance blanche et dysfonctionnement préfrontal. Le ralentissement psychomoteur est marqué, ainsi que l’apathie et les troubles des fonctions exécutives.

Quelles stratégies thérapeutiques ? Malgré la forte prévalence de la dépression chez le sujet âgé, son impact particulièrement délétère en termes de morbi-mortalité, de perte d’autonomie et d’altération de la qualité de vie, il faut souligner le faible nombre d’essais thérapeutiques dédiés à cette population. Les raisons sont multiples. La première raison est d’ordre clinique et tient à l’hétérogénéité et à la plus grande fragilité des patients âgés déprimés, qu’il s’agisse de la fréquence des altérations des fonctions cognitives et de celle des comorbidités psychiatriques et somatiques, ou du risque suicidaire particulièrement élevé (les tentatives de suicide aboutissant dans 10 % des cas à un décès chez le sujet âgé). La deuxième raison est la plus grande sensibilité des sujets âgés aux effets indésirables des antidépresseurs, compte tenu des modifications pharmacodynamiques et pharmacocinétiques survenant au cours du vieillissement et de l’influence des co-prescriptions, fréquentes dans cette tranche d’âge. La troisième raison est directement liée au délai d’action des antidépresseurs, plus long chez le sujet âgé, ainsi qu’aux taux élevés de résistance thérapeutique (au moins 50 % des sujets âgés déprimés ne répondent pas au traitement antidépresseur de première intention, même prescrit de fac ¸on optimale) et de réponse partielle aux antidépresseurs. Cet ensemble de raisons explique la réticence de l’industrie pharmaceutique à développer des essais thérapeutiques spécifiques aux sujets âgés déprimés, la crainte principale étant de devoir composer avec un taux d’attrition élevé. Même s’il n’est pas uniquement influencé par l’âge du patient (sont également déterminants la sévérité symptomatique, la durée de l’essai, le profil de tolérance de la molécule testée, son efficacité attendue. . .), le taux d’attrition, ou taux de sorties d’essai, est en effet particulièrement élevé chez le sujet âgé. Heo et al. en 2009 [22] ont ainsi montré, à partir de l’analyse de 68 essais contrôlés, randomisés en simple ou double insu et à court terme (d’une durée allant de 17 jours à 12 semaines), réalisés chez des sujets âgés de 61 à 84 ans (âge moyen de 71,4 ans), que le taux global d’attrition était de 27,3 %, ce qui est particulièrement élevé. On dispose de nettement moins de recommandations de bonne pratique pour le traitement médicamenteux de la dépression du sujet âgé. En 2001, Alexopoulos et al. [23] ont recommandé de première intention un ISRS ou la venlafaxine et en deuxième intention un tricyclique, le buproprion ou la mirtazapine.

Comme évoqué précédemment, un des enjeux essentiels est la prise en charge des réponses partielles sous antidépresseur. Là encore, à l’inverse du sujet adulte non âgé pour lequel on dispose de recommandations issues de données robustes, comme l’étude STAR*D [24], très peu de données sont exploitables pour le sujet âgé. La revue de Cooper et al. [25], publiée en 2011, a analysé 14 essais thérapeutiques avec des cas de non-réponse à au moins un traitement antidépresseur bien conduit. Il ne figurait aucun essai contrôlé randomisé en double insu, et seulement 3 études randomisées et 1 essai versus placebo. La durée des essais se situait entre 3 semaines et 3 ans, la moitié d’entre eux ayant duré moins de 12 semaines, et l’âge des patients se situait entre 65,6 et 77,1 ans. Chez les patients non répondeurs, seule l’adjonction de lithium au traitement antidépresseur a fait preuve de son efficacité, avec, sur un total de 57 sujets, un taux de réponse de 42 % (IC 95 % : 21—65).

L’approche psychothérapeutique Il est aujourd’hui clairement établi que les sujets âgés peuvent bénéficier des mêmes psychothérapies que les plus jeunes, notamment des thérapies cognitives et comportementales (TCC) sous réserve que leurs capacités cognitives soient préservées [26]. La psychothérapie du sujet âgé peut néanmoins nécessiter quelques adaptations dans le sens d’une plus grande flexibilité du cadre thérapeutique [27]. Les thérapies de groupe s’avèrent particulièrement adaptées, car elles permettent au sujet âgé déprimé, centré sur ses difficultés, de prendre un certain recul vis-à-vis de luimême, de se décentrer, tout en favorisant une reprise de contact avec ses pairs.

La thérapie cognitive des pensées et des schémas dysfonctionnels Dans le modèle de Beck et al. [28], les pensées automatiques sont la résultante de schémas, ou structures mentales subconscientes stables, situées dans la mémoire à long terme, qui filtrent et organisent l’information pour la rendre conforme au système de croyances du sujet. Dans ce modèle, la survenue de troubles psychologiques et/ou leur pérennisation résultent de cognitions dysfonctionnelles sous-tendues par des schémas inadaptés. Ainsi, chez la personne âgée, les symptômes dépressifs peuvent être attribués, de fac ¸on erronée, au vieillissement normal. Tison et Hautekeete [29] ont ainsi montré que chez le sujet âgé déprimé deux cognitions dysfonctionnelles étaient particulièrement fréquentes : la banalisation des symptômes dépressifs et le changement considéré comme impossible. Antoine et al. [30], à partir des schémas précoces inadaptés initialement décrits par Young, ont montré que 9 schémas sont plus spécifiquement activés dans le contexte du vieillissement : la peur de perte de contrôle, de dépendance, de vulnérabilité, d’abandon, d’incompétence, le sacrifice de soi, la perte d’individualité, le refus d’assistance et le désengagement. Les schémas désengagement, perte d’individualité et dépendance seraient particulièrement liés à la dépression.

Pour citer cet article : Limosin F, et al. Dépression du sujet âgé : données épidémiologiques, aspects cliniques et approches thérapeutiques spécifiques. Neurol psychiatr gériatr (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2014.12.007

Modele + NPG-490; No. of Pages 6

ARTICLE IN PRESS

Dépression du sujet âgé Ces différents travaux ont permis d’identifier des « cibles » thérapeutiques et d’établir des protocoles de psychothérapie adaptés au sujet âgé déprimé. Ces programmes incluent une approche psychoéducative, une étape de restructuration cognitive (repérage et discussion des pensées dysfonctionnelles pour permettre l’élaboration de pensées alternatives plus adaptées), un travail sur les schémas dépressifs typiques, et des tâches thérapeutiques ou épreuves de réalité qui permettent au patient de confronter expérimentalement au réel ses cognitions et schémas, pour les modifier lorsqu’ils apparaissent inadaptés. Les tâches cognitives s’appuient sur l’auto-observation par le patient de ses cognitions et comportements. Les tâches comportementales visent à stimuler l’engagement actuel du patient dans les activités et les échanges interpersonnels. Selon ce modèle, Kindynis et al. [26] ont recherché le lien entre les schémas inadaptés et l’intensité des symptômes dépressifs et anxieux chez 51 sujets âgés de plus de 60 ans hospitalisés pour dépression, et ont évalué l’efficacité d’une intervention psychothérapique individuelle et de groupe utilisant la thérapie basée sur les schémas. La plupart des schémas inadaptés (évalués par le Cognitive Inventory of Subjective Distress [CISD]) étaient significativement corrélés aux scores de dépression (mesurée par la Geriatric Depression Scale [GDS]) et d’anxiété-état (mesurée par le State-Trait Anxiety Inventory [STAI]). En fin d’hospitalisation, les scores de dépression et d’anxiété ont significativement diminué, de même que le niveau d’activation de cinq des sept schémas inadaptés. Cette étude confirme les liens entre les schémas cognitifs inadaptés et l’intensité des symptômes dépressifs et anxieux chez les sujets âgés déprimés. Cette étude montre également que l’activation des schémas est susceptible de diminuer au cours d’une intervention psychothérapique utilisant la thérapie basée sur les schémas chez des sujets âgés déprimés.

Une situation particulière : le deuil pathologique La pathologie du deuil est particulièrement fréquente chez le sujet âgé. La première raison en est bien sûr la plus grande fréquence des deuils vécus par le sujet vieillissant, qu’il s’agisse de la perte de proches, du conjoint [31], mais également de pertes d’autres natures, davantage liées à des « renoncements » successifs, comme l’autonomisation et le départ du foyer familial des enfants, la retraite, la diminution des revenus, la perte d’autonomie, l’entrée en institution, et plus globalement, la solitude et la fragilisation. Le travail du deuil présente un certain nombre de spécificités chez le sujet âgé [32]. Alors que le travail de deuil comporte classiquement 3 phases, de détresse, de dépression puis de réinvestissement, l’enjeu pour le sujet âgé est d’affronter cette troisième étape et de construire psychiquement une continuité de sens de son parcours de vie. Le risque évolutif est alors triple : maintien d’une réaction dépressive, comportement régressif, risque suicidaire [33]. Chez le sujet âgé, la phase de dépression est plus longue et se situe au-delà des 2 mois habituels qui délimitent le deuil « non pathologique », pouvant durer jusqu’à 1 an après

5 l’événement. La phase de réinvestissement est limitée chez le sujet âgé pour des raisons sociales et/ou de santé, avec fréquemment une réaction à type d’inhibition psychique. Les traits de personnalité sous-jacents influent sur les modalités de réaction : par exemple, sentiment de culpabilité souvent au premier plan dans la personnalité obsessionnelle, mécanismes de somatisation mimétique des affections ayant emporté le conjoint constatés dans la personnalité hystérique. Les principaux éléments en faveur d’un deuil pathologique chez le sujet âgé sont : la durée et l’intensité de la douleur morale, les complications somatiques aiguës (surmortalité de 40 % des endeuillés dans les six premiers mois), la présence d’une symptomatologie délirante (à distinguer des épisodes hallucinatoires, sentiments de présence de la personne décédée qui sont retrouvés chez 89 % des femmes et 57 % des hommes endeuillés), une symptomatologie régressive majeure.

Conclusion L’épisode dépressif majeur est fréquent chez le sujet âgé mais sous-diagnostiqué, alors même qu’il nécessite un traitement efficace, compte tenu du handicap associé et du risque de suicide particulièrement élevé dans cette tranche d’âge. On sait également que la réponse thérapeutique aux antidépresseurs est différée et globalement moins bonne, avec davantage de formes résistantes et de symptomatologie résiduelle. Malgré ce constat, très peu d’essais thérapeutiques ont été spécifiquement dédiés au sujet âgé déprimé. Devant un tel constat, il apparaît prioritaire de développer une offre de soins spécifique en psychiatrie du sujet âgé, et parallèlement de favoriser l’accès des sujets âgés déprimés à des prises en charge psychothérapiques spécifiques, qu’elles soient individuelles ou de groupe.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références [1] Agence technique de l’information sur l’hospitalisation. Vieillissement de la population et évolution de l’activité hospitalière 2007—2010. Focus sur la prise en charge des 80 ans et plus, 2012. http://www.atih.sante.fr/sites/default/files/ public/content/1475/etude vieillissement.pdf [2] Noël PH, Williams Jr JW, Unützer J, et al. Depression and comorbid illness in elderly primary care patients: impact on multiple domains of health status and well-being. Ann Fam Med 2004;2:555—62. [3] Schuster JP, Manetti A, Aeschimann M, Limosin F. Troubles psychiatriques du sujet âgé ; données épidémiologiques et morbi-mortalité associée. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2013;11:181—5. [4] Perrin-Haynes J. Les pathologies des personnes âgées vivant en établissement. DRESS 2011;22:4—15 http://www.epsilon. insee.fr/jspui/bitstream/1/13395/1/dossier201122.pdf

Pour citer cet article : Limosin F, et al. Dépression du sujet âgé : données épidémiologiques, aspects cliniques et approches thérapeutiques spécifiques. Neurol psychiatr gériatr (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2014.12.007

Modele + NPG-490; No. of Pages 6

ARTICLE IN PRESS

6

F. Limosin et al.

[5] Manetti A, Hoertel N, Le Strat Y, Schuster JP, Lemogne C, Limosin F. Comorbidity of late-life depression in the United States: a population-based study. Am J Geriatr 2014;22:1292—306. [6] Midlöv P, Andersson M, Ostgren CJ, Mölstad S. Depression and use of antidepressants in Swedish nursing homes: a 12-month follow-up study. Int Psychogeriatr 2014;26:669—75. [7] Inserm—UPMC UMR-S 707, Institut de veille sanitaire, DMCT. Rapport d’étude épidémiologique — Psychotropes; 2008 [53 p.] https://www.google.fr/url?url=https://websenti.u707. jussieu.fr/sentiweb/document.php%3Fdoc%3D955&rct=j&frm= 1&q=&esrc=s&sa=U&ei=LjrjU83qCcyU0QWv5ICYCA&ved= 0CCYQFjAD&usg=AFQjCNHj3f8mZiZ4b7FGYXdm CrBvxEOeg [8] Limosin F, Loze JY, Zylberman-Bouhassira M, Schmidt ME, Perrin E, Rouillon F. The course of depressive illness in general practice. Can J Psychiatry 2004;49:119—23. [9] Recherche en Établissement d’hébergement pour personnes âgées. Toulouse gérontopôle. In: La lettre du réseau 2008 http://www.orsmip.org/enquetes/rehpa/ REHPA; modules/partie/publications/lettre du gretonpole n 0.pdf [10] Direction de la recherché, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS). Suicides et tentatives de suicide en France. Études et résultats 2006:488 http://www. legislation-psy.com/IMG/article PDF/Suicides-et-tentativesde-suicide a1404.pdf [11] Hoertel N, Le Strat Y, Gorwood P, et al. Why does the lifetime prevalence of major depressive disorder in the elderly appear to be lower than in younger adults? Results from a national representative sample. J Affect Disord 2013;149:160—5. [12] Ritchie K, Artero S, Beluche I, et al. Prevalence of DSM-IV psychiatric disorder in the French elderly population. Br J Psychiatry 2004;184:147—52. [13] Perälä J, Suvisaari J, Saarni SI, et al. Lifetime prevalence of psychotic and bipolar I disorders in a general population. Arch Gen Psychiatry 2007;64:19—28. [14] Almeida OP, Fenner S. Bipolar disorder: similarities and differences between patients with illness onset before and after 65 years of age. Int Psychogeriatr 2002;14:311—22. [15] Kuhnel ML, El Iraki I, Tranchant M, Aspe G. Prévalence de la dépression en EHPAD : nécessité d’une approche gérontopsychiatrique. Neurol Psychiatr Geriatr 2010;10:111—5. [16] OnderG, Carpenter I, Finne-Soveri H, et al. Assessment of nursing home residents in Europe: the Services and Health for Elderly in Long TERm care (SHELTER) study. BMC Health Serv Res 2012;12:5. [17] Dorenlot P, Harboun M, Bige V, Henrard JC, Ankri J. Major depression as a risk factor for early institutionalization of

[18]

[19] [20]

[21] [22]

[23]

[24]

[25]

[26]

[27]

[28] [29]

[30]

[31]

[32] [33]

dementia patients living in the community. Int J Geriatr Psychiatry 2005;20:471—8. Achterberg W, Pot AM, Kerkstra A, Ribbe M. Depressive symptoms in newly admitted nursing home residents. Int J Geriatr Psychiatry 2006;21:1156—62. Rovner BW, German PS, Brant LJ, et al. Depression and mortality in nursing homes. JAMA 1991;265:993—6. Soldato M, Liperoti R, Landi F, et al. Patient depression and caregiver attitudes: results from The AgeD in HOme Care study. J Affect Disord 2008;106:107—15. Thomas P, Hazif-Thomas C. Dépression chez la personne âgée. Rev Prat 2008;58:389—93. Heo M, Papademetriou E, Meyers BS. Design characteristics that influence attrition in geriatric antidepressant trials: metaanalysis. Int J Geriatr Psychiatry 2009;24:990—1001. Alexopoulos GS, Katz IR, Reynolds 3rd CF, et al. Pharmacotherapy of depression in older patients: a summary of the expert consensus guidelines. J Psychiatr Pract 2001;7:361—76. Rush AJ, Fava M, Wisniewski SR, et al. Sequenced treatment alternatives to relieve depression (STAR*D): rationale and design. Control Clin Trials 2004;25:119—42. Cooper C, Katona C, Lyketsos K, et al. A systematic review of treatments for refractory depression in older people. Am J Psychiatry 2011;168:681—8. Kindynis S, Burlacu S, Louville P, Limosin F. Thérapie des schémas du sujet âgé : impact sur la dépression, l’anxiété et les schémas cognitifs typiques. Encephale 2013;39:393—400. Dakin EK, Areán P. Patient perspectives on the benefits of psychotherapy for late-life depression. Am J Geriatr Psychiatry 2013;21:155—63. Beck AT, Rush AJ, Shaw BF, Emery G. Cognitive therapy of depression. New York: The Guilford Press; 1979. Tison P, Hautekeete M. Activation de pensées automatiques négatives spécifiques vers 60 ans chez des sujets déprimés âgés de 20 à 99 ans. J Ther Comport Cogn 2005;15:61—8. Antoine P, Antoine C, Poinsot R. Détresse du sujet âgé : identification des schémas cognitifs. Psychol Neuropsychiatr Vieil 2007;5:305—14. Sikorski C, Luppa M, Heser K, et al. The role of spousal loss in the development of depressive symptoms in the elderly — implications for diagnostic systems. J Affect Disord 2014;161:97—103. Ismail Z, Fischer C, McCall WV. What characterizes late-life depression? Psychiatr Clin North Am 2013;36:483—96. Miller MD. Complicated grief in late life. Dialogues Clin Neurosci 2012;14:195—202.

Pour citer cet article : Limosin F, et al. Dépression du sujet âgé : données épidémiologiques, aspects cliniques et approches thérapeutiques spécifiques. Neurol psychiatr gériatr (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2014.12.007