Dépression et imagerie cérébrale fonctionnelle

Dépression et imagerie cérébrale fonctionnelle

L’Encéphale (2012) 38, S37-S40 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Dépression et imagerie...

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L’Encéphale (2012) 38, S37-S40

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep

Dépression et imagerie cérébrale fonctionnelle R. Gaillard Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, Faculté de Médecine Paris Descartes, Paris France ; Centre Hospitalier Sainte-Anne, Service Hospitalo-Universitaire, Paris, France ; INSERM, Laboratoire de Physiopathologie des maladies Psychiatriques, Centre de psychiatrie et neurosciences, CPN U894, Paris France

L’excès d’affects négatifs Les amygdales cérébrales sont des structures mésio-temporales essentielles dans le traitement d’informations émotionnelles, surtout dans le registre de la menace et de la peur. Elles sont activées de deux façons dans le registre émotionnel : soit par une voie directe sous-corticale (de la rétine au colliculus puis vers les régions sous-corticales dont les amygdales), permettant une réaction immédiate, soit par une voie corticale, impliquant le cortex visuel notamment et permettant la mise en jeu de processus cognitifs amplifiant ou diminuant la réponse à l’information. Dans la dépression, les données de l’imagerie structurale concernant les amygdales sont contradictoires, des études retrouvant une augmentation de volume de ces structures, d’autres une diminution [1]. En imagerie fonctionnelle, les études montrent une hyperactivité amygdalienne, aussi bien en métabolisme de repos que lors de la perception de stimuli négatifs – y compris lorsque ces stimuli ne sont pas consciemment perçus. Cette hyperactivité amygdalienne a des conséquences cognitives. Ainsi, dans un paradigme au cours duquel les sujets sont amenés à mémoriser des images émotionnellement positives, neutres, ou négatives, en 2008, Hamilton et Gotlib ont montré que les sujets déprimés ont une activation plus importante des amygdales cérébrales pour les images négatives, correspondant à une mémorisation plus importante de ces images [2]. Ils ont montré également que cette activation des amygdales cérébrales par la mémorisation d’images négatives est corrélée avec l’intensité de la symptomatologie dépressive, évaluée par les scores sur l’échelle de Beck (Fig. 1). Les études d’imagerie neurocognitive ont également utilisé des paradigmes de présentation subliminale masquée, pour étudier les aspects automatiques, non conscients, des perceptions émotionnelles. Un premier stimulus à valence émotionnelle marquée est présenté durant une durée très brève (20 ms), puis immédiatement suivi d’un « masque », c’est-à-dire une seconde image à valence émotionnelle différente (généralement neutre), présentée plus longtemps (100 ms) qui supprime

Correspondance. Adresse e-mail : [email protected] (R. Gaillard). © L’Encéphale, Paris, 2012

la perception consciente du premier stimulus. Ce type d’étude [3] montre que les sujets témoins ont une activation plus marquée des amygdales pour des visages exprimant des émotions positives (joie), tandis que les sujets déprimés présentent un biais émotionnel inverse, avec une activation plus marquée pour les visages exprimant des émotions négatives (tristesse) (Fig. 2). D’autres travaux ont porté sur l’impact pharmacologique des psychotropes sur le traitement de l’information, aussi bien chez des sujets présentant une pathologie psychiatrique que chez les sujets sains. Les travaux de Harmer et al., à Oxford, ont ainsi montré qu’un traitement court, durant 7 jours, par un antidépresseur sérotoninergique peut avoir des effets sur le traitement des émotions, alors qu’en clinique l’effet antidépresseur n’est formellement évalué qu’après 3 à 6 semaines de traitements. Chez des sujets sains, Harmer a montré que, dès 7 jours, le traitement antidépresseur atténue la réponse amygdalienne à des stimuli masqués (donc inconsciemment perçus) exprimant la peur, et a tendance à augmenter la réponse des amygdales à des visages exprimant des émotions positives [4]. S’appuyant sur ces travaux, Harmer a proposé un modèle métacognitif de compréhension du délai d’action des antidépresseurs (Fig. 3) [5]. L’hypothèse classique sur le délai d’action des antidépresseurs est l’hypothèse neurobiologique de l’adaptation réceptorielle au niveau des neurones (par exemple le délai nécessaire pour la désensibilisation des autorécepteurs sérotoninergiques 5HT-1A avec un antidépresseur sérotoninergique). Harmer propose une explication plus cognitive à ce délai, l’amélioration observé sous antidépresseurs correspondant à une modification des biais émotionnels dépressifs : le patient filtrerait de plus en plus les informations négatives et engrangerait à l’inverse les informations positives, cette modification progressive du biais émotionnel et son application aux informations de la vie quotidienne permettant de normaliser progressivement l’humeur. Notons enfin que les amygdales cérébrales sont fortement connectées aux hippocampes, structures essentielles dans les phénomènes de mémorisation. Les données structurales (qui ne relèvent donc pas directement de cette présentation)

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Figure 1 Ligne du haut et du milieu : contrastes entre les images remémorées versus oubliées selon leur valence émotionnelle dans l’amygdale gauche et dans l’amygdale droite, pour les patients (MDD) et les témoins (CTL) ; ligne du bas : contrastes entre les images remémorées et les images oubliées, pour les patients (MDD) et les témoins (CTL) ; corrélation entre l’activation amygdalienne droite pour des images négatives remémorées et les scores de la BDI-II.

Emotion 0,75

Happy Sad

Contrast value

0,50

0,25

0,00

-0,25 Controls

Patients

Figure 2 Activation amygdalienne droite, avec les contrastes entre visages exprimant la joie versus neutres, et visages exprimant la tristesse versus neutres, chez les patients et chez les témoins. D’après Suslow, Biological Psychiatry, 2010.

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Cortex préfrontal dorsolatéral et cortex préfrontal médian

Figure 3 Le modèle métacognitif de Harmer. D’après Harmer, British Journal of Psychiatry, 2009.

montrent une diminution du volume des hippocampes dans les troubles dépressifs, sous l’effet de phénomènes de neurotoxicité sans doute surtout liés à l’anxiété et au stress, et impliquant les glucocoticoïdes, les facteurs de croissance, et différents neuromodulateurs [6].

L’absence d’affect Dans l’étude des composantes émotionnelles et affectives de la dépression, parallèlement à l’excès d’affects négatifs, l’absence d’affects notamment positifs – l’anhédonie dépressive – tient également une place importante. Divers auteurs, en particulier dans l’école de la Salpêtrière, ont souligné le parallélisme entre d’une part l’anhédonie et le ralentissement psychomoteur dépressif, et d’autre part les anomalies motrices de la maladie de Parkinson [7]. Dans un autre syndrome, décrit à la Salpêtrière par Laplane, le syndrome de perte d’auto-activation psychique, les patients n’ont plus d’initiative, ont un véritable « vide de pensée » lorsqu’ils ne sont pas stimulés, mais réagissent normalement lorsqu’on les stimule. Ce syndrome résulte de lésions bipallidales [8]. Des travaux en imagerie cérébrale fonctionnelle de l’équipe d’Oxford ont montré, chez des patients en rémission d’un épisode dépressif et qui ne sont plus sous traitement, que la réponse du système de la récompense (cortex préfrontal ventro-médial et structures sous corticales dopaminergiques) est diminuée [9]. Une autre étude réalisée chez le sujet sain a montré un effet d’un antidépresseur sérotoninergique (vs antidépresseur noradrénergique et vs placebo) en présence de stimuli aversifs : l’antidépresseur sérotoninergique réduit l’activation des régions cérébrales codant pour les processus aversifs (insula essentiellement). En présence de stimuli positifs, l’antidépresseur sérotoninergique a un effet similaire, en réduisant l’activation dans les régions de réponse à la récompense (régions striatales ou cortex orbito-frontal), alors que le noradrénergique ne réduit pas, voire augmente l’activation dans ces mêmes régions [10]. Ces résultats illustrent les données cliniques observées avec les antidépresseurs sérotoninergiques, qui diminuent le cortège d’émotions négatives liées à la dépression, mais qui également, au moins chez certains patients, diminuent en parallèle la réponse à des stimuli positifs : ceci correspond à l’apathie ou l’abrasement émotionnel, qui ont pu être imputés à l’action des antidépresseurs sérotoninergiques.

Le cortex préfrontal dorsolatéral – qui représente les régions les plus « cognitives » du cerveau – est hypoactif dans la dépression aussi bien au repos que lors d’induction émotionnelle, ce que l’on peut mettre en rapport avec les troubles de la mémoire de travail et de l’attention, les troubles des fonctions exécutives, et le défaut de régulation émotionnelle observés dans la dépression. Ochsner et al. ont étudié en imagerie cérébral fonctionnelle l’impact sur les structures corticales préfrontales de la présentation d’une image à fort contenu émotionnel négatif dans 3 conditions : sans commentaire, avec un commentaire contextuel qui augmente l’émotion négative, ou avec un commentaire contextuel qui diminue l’émotion négative. En présence d’une information contextuelle augmentant le contenu émotionnel négatif, l’activation des amygdales est augmentée, tandis qu’en présence d’une information diminuant le contenu émotionnel négatif, l’activation des amygdales est diminuée, traduisant une diminution de la réponse émotionnelle : ces modifications font intervenir le cortex préfrontal dorsolatéral [11]. Le cortex préfrontal médian, qui comporte la partie médiane du cortex préfrontal et le cortex cingulaire antérieur, notamment subgénual, joue un rôle central dans la dépression. Les études en imagerie structurale réalisées en post-mortem chez des sujets dépressifs montrent une perte gliale dans ces régions cérébrales [12]. En imagerie fonctionnelle, les données de la littérature montrent une hypo-activation dorsale et une hyper-activation ventrale au repos, chez le sujet déprimé, avec une normalisation lors de la rémission [13]. Les travaux de stimulation cérébrale profonde du cortex cingulaire subgénual, initiés par Helen Mayberg, ont permis d’illustrer ces données [14]. Chez les patients présentant des dépressions hautement résistantes, on retrouve une hyperactivité de base de ce cortex cingulaire subgénual, avec, sous traitement de stimulation, une déactivation chez les patients répondeurs. Une revue de la littérature a décrit une hyperactivité de cette région cingulaire subgénuale chez des sujets sains lors d’une remémoration de souvenirs autobiographiques négatifs, hyperactivité qui est observée en cas de déplétion en tryptophane (donc en sérotonine) et induction de tristesse, et qui est également majorée chez les patients porteurs de l’allèle court de la région promotrice du gène du transporteur de la sérotonine [15]. En revanche, cette hyperactivité est corrigée chez les patients répondeurs à différentes mesures thérapeutiques : réponse aux antidépresseurs sérotoninergiques, au placebo, à la rTMS, aux ECT, et à la stimulation cérébrale profonde. Un autre argument en faveur de l’implication du cortex cingulaire subgénual dans les phénomènes de dépression et de réponse au traitement est apporté par les travaux portant sur la kétamine, qui a un effet antidépresseur immédiat (2 h après l’administration) : on retrouve en imagerie sous kétamine une déactivation du cortex cingulaire subgénual [16]. Dans un travail récent, Lemogne et al. [13] ont proposé un modèle de description des processus dépressifs et de leur traitement impliquant trois types de structures cérébrales : les structures corticales préfrontales, impliquées dans la stratégie et dans les régulations des émotions, phénomènes de haut niveau, conscients ; les structures sous corticales, qui présentent des anomalies d’activation lors de la dépression,

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R. Gaillard

Activation phasique élevée, révélée par un schéma basé sur les blocages

Patients déprimés Témoins sains

Activation tonique élevée, révélée par un schéma lié aux événements

Cortex préfrontal dorsomédian

Surrecrutement du réseau de contrôle cognitif (CCA, DLPFC) pendant une focalisation sur soi stratégique

Augmentation de la connectivité fonctionnelle Cortex préfrontal ventromédian Absence de désactivation du réseau du mode par défaut pendant des tâches orientées vers l’extérieur (focalisation sur soi automatique)

Figure 4 Fonctions supérieures corticales et réponses émotionnelles sous-corticales selon nature phasique ou tonique de l’activation. D’après [13].

y compris de manière non consciente ou automatique ; et le cortex cingulaire, qui se trouve à la jonction fonctionnelle entre ces structures corticales et ces structures sous corticales [13]. Ainsi, des perturbations du fonctionnement de cet « échangeur » qu’est le cortex cingulaire, peuvent modifier l’équilibre entre fonctions supérieures corticales et réponses émotionnelles sous-corticales selon la nature phasique ou tonique de leur activation (Fig. 4). Selon un autre modèle proposé par Johnstone et al., chez le sujet sain le cortex préfrontal médian (incluant le cortex cingulaire subgénual) a pour fonction d’inhiber la réponse émotionnelle, alors qu’il l’active chez le sujet déprimé, signant dans la dépression un couplage anormal entre cette région et les structures sous-corticales, peut-être d’origine génétique ; par ailleurs, le cortex préfrontal latéral a pour fonction de contrôler cet échangeur médian qu’est le cortex préfrontal médian, fonction défaillante dans la dépression sur l’activation émotionnelle sous-corticale [17].

Déclaration d’intérêts L’auteur n’a pas transmis ses conflits d’intérêts.

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