Dermatite atopique : définition, épidémiologie, histoire naturelle, gravité et scores

Dermatite atopique : définition, épidémiologie, histoire naturelle, gravité et scores

Conférence de consensus Texte des experts Ann Dermatol Venereol 2005;132:1S35-43 Dermatite atopique : définition, épidémiologie, histoire naturelle,...

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Conférence de consensus Texte des experts

Ann Dermatol Venereol 2005;132:1S35-43

Dermatite atopique : définition, épidémiologie, histoire naturelle, gravité et scores A. TAÏEB

Résumé Ce texte a pour but de définir la dermatite atopique dans une perspective historique et pragmatique (critères de diagnostic et scores de gravité, échelles de qualité de vie) et de résumer son histoire naturelle, complications incluses. La signification du terme d’atopie n’est pas encore fixée définitivement, les immuno-allergologistes ayant tendance à le restreindre à une prédisposition héréditaire du système immunitaire. La définition de la dermatite atopique du nourrisson n’est pas validée. La dermatite atopique en France a une prévalence de 2 à 5 p. 100 toutes tranches d’âge confondues (6 à 9 p. 100 avant 15 ans), en fonction de la stringence des critères utilisés. Pour un nourrisson atteint de DA avec un parent au premier degré atteint de DA, d’asthme ou de rhinite, le risque de développer un asthme est d’environ 40 p. 100. Cette donnée suggère l’intérêt d’une prévention à ciblage cutané dans l’hypothèse d’une « marche » atopique. Il n’existe pas de consensus pour définir les termes utilisés dans la description de la phase de maintenance du traitement de cette affection chronique et récidivante. Des propositions sont faites pour définir les termes de poussée, rémission, intolérance, résistance.

Summary This paper is aimed at defining atopic dermatitis (AD) in a pragmatic and historical perspective (diagnostic criteria, severity scores, quality of life scales) and to summarise its natural history, complications included. The signification of atopy is still not clearly defined. Immuno-allergologists tend to limit the term to a hereditary predisposition of the immune system. The definition of atopic dermatitis in infants has not been validated. Atopic dermatitis in France has a prevalence of 2 to 5 p. 100 at any age (6 to 9 p. 100 before the age of 15), depending on the strictness of the criteria applied. For infants suffering from AD with a first degree parent exhibiting AD, asthma or rhinitis, the risk of developing asthma is of around 40 p. 100. This data suggests the interest of preventive measures targeting the skin in the hypothesis of an atopic “march”. There is no consensus to define the terms used in the description of the maintenance phase of treatment of this chronic and recurring affection. Proposals have been made to define the terms of flares, remission, intolerance and resistance.

Atopic dermatitis: definition, epidemiology, natural history, severity and scores A. TAÏEB Ann Dermatol Venereol 2005;132:1S35-43

Définitions PERSPECTIVE HISTORIQUE Une histoire de la dermatite atopique (DA) qui détaille l’articulation de la sémantique à la nosologie, incluant l’histoire des critères et scores actuellement utilisés, a été récemment publiée [1]. Quelques points clés seront seulement rappelés ici pour placer en perspective les difficultés à nommer et définir l’entité discutée. Dermatite ou dermite, signifiant affection cutanée inflammatoire a longtemps été préféré à eczéma par de nombreux auteurs suivant en particulier l’exemple de l’école améri-

Service de Dermatologie, Hôpital Saint-André, 1, rue Jean-Burguet, 33075 Bordeaux Cedex. Correspondance : [email protected]

caine, car eczéma était devenu, dans la dermatologie du début du XXe siècle, un fourre-tout considéré comme impossible à définir et surtout possédant une connotation non scientifique. Atopie, qui fut créé en 1923 par Coca et Cooke pour les manifestations allergiques muqueuses, vient du grec : a-, préfixe privatif, topos, endroit, place, a une signification diathésique (voir 1, chapitre diathèse). Dermatite atopique est donc une désignation peu informative sur le plan étymologique, qui s’est imposée avec difficulté, mais reste majoritaire dans la bibliométrie malgré des tentatives réformistes récentes (voir infra). Une note entre crochets et en petits caractères du Year Book of Dermatology and Syphilology de 1933 [2] introduisit le terme pour la première fois dans une revue de la littérature discutant les distinctions entre les névrodermites au sens de Brocq et les lichénifications, par Wise et Sulzberger. Ce commentaire est l’acte de naissance officiel de la DA : dans ce groupe assez confus des lichénifications, une entité émergeait de façon distincte avec des dénomi1S35

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nations variables comme névrodermite généralisée, prurit généralisé avec lichénification, etc., mais, selon Wise et Sulzberger, « this is probably best called atopic dermatitis ». Ils proposèrent dans ce même commentaire des critères, qui sont les précurseurs de nos critères modernes : 1 - une histoire familiale d’atopie ; 2 - des antécédents d’eczéma infantile ; 3 - des localisations particulières : plis des coudes et creux poplités, cou, thorax, visage et surtout paupières ; 4 -une coloration grisâtre ou brunâtre de la peau ; 5 - l’absence de vraies vésicules, à la fois cliniquement et histologiquement ; 6 - une instabilité ou irritabilité vasomotrice ; 7 - la négativité des patch-tests aux irritants de contact ; 8 - les nombreuses réactions positives de type immédiat, urticarien, à des tests intradermiques ou par scarification (à des allergènes d’environnement qu’ils nommeront atopènes) ; 9 - la présence de réagines dans le sérum (détectées par la réaction de transfert passif de Prausnitz et Kustner). Dès 1935, Hill et Sulzberger [3] purent, à la lumière de cette création, décrire l’évolution naturelle de la DA en trois stades qui n’a pas été beaucoup modifiée – voir infra– depuis : le premier stade est le type atopique de l’eczéma infantile. De 2 à 12 ans, la DA est identifié à ce qu’on appelait la majoritairement alors neurodermatite (neurodermatitis) avec de nombreux synonymes. Le troisième stade est celui de la DA de l’adulte qui était désigné sous de nombreux vocables, en particulier prurigo diathésique (de) Besnier en Europe. Hill et Sulzberger proposèrent d’appeler l’eczéma infantile « dermatite atopique de l’enfant », et le prurigo diathésique « dermatite atopique de l’adulte », affirmant l’unicité de la DA, une notion qui n’a pas été facile à admettre et qui soulève encore des interrogations [4]. Dès cette description princeps de l’histoire naturelle de la DA, Hill et Sulzberger signalaient que la sensibilisation aux atopènes avait valeur de marqueur du terrain atopique, mais que son lien de causalité à la maladie restait mystérieux, constatation qui reste pertinente au plus haut degré en 2004. DÉFINITION ACTUELLE/CRITÈRES DIAGNOSTIQUES Dermatite atopique (DA) ou eczéma atopique : terme qui désigne les manifestations inflammatoires cutanées chroniques et/ou récidivantes associées à l’atopie, trait héréditaire polygénique très prévalent, dont les diverses manifestations cliniques (DA, rhinite allergique et asthme) touchent environ un tiers de la population générale [5]. L’atopie au sens moderne est une prédisposition héréditaire du système immunitaire à privilégier des réactions d’hypersensibilité médiées par les immunoglobulines E (IgE) vis-à-vis d’antigènes communs dans l’alimentation, l’environnement extérieur ou domestique, dont l’immunopathogénie est sous la dépendance de lymphocytes TH2 (voir chapitre physiopathologie). Si le phénotype cutané de l’atopie (dermatite/eczéma) est en pratique jugé facilement identifiable par les dermatologistes, il nécessite, si on le soumet à une analyse descriptive, de proposer des critères diagnostiques. Les critères proposés en 1979 par Hanifin et Rajka [6] (tableau I) ont été revus, simplifiés, et validés en 1994 par le Working Party britannique dirigé par Williams [7] (tableau II). Cinq de ces cri1S36

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Tableau I. – Critères diagnostiques de Hanifin et Rajka, 1979. Critères majeurs (3 au moins) Prurit Aspect et localisation typiques : lichénifications des plis chez les adultes ; atteinte du visage et des faces d’extension des membres chez les nourrissons et les enfants ; Dermatite chronique, ou rechutant de façon chronique Antécédents personnels ou familiaux d’atopie (asthme, rhinite allergique, dermatite atopique) Critères mineurs (3 au moins) Xérose Ichtyose/hyperlinéarité des paumes/kératose pilaire Positivité des tests cutanés d’hypersensibilité immédiate (type I) Élévation des IgE sériques Début précoce Tendance aux infections cutanées (staphylocoques, herpès)/ déficit de l’immunité cellulaire Tendance aux dermites non spécifiques des mains et des pieds Eczéma des mamelons Chéilite Conjonctivite récidivante Pli sous-orbitaire de Dennie-Morgan Kératocone Cataracte antérieure sous-capsulaire Pigmentation orbitaire Pâleur du visage/érythème du visage Pityriasis alba Plis cervicaux antérieurs Prurit à la sueur Intolérance à la laine et aux solvants des lipides Accentuation périfolliculaire Intolérance alimentaire Évolution influencée par des facteurs environnementaux et émotionnels Dermographisme blanc/blanchiment retardé.

Tableau II. – Critères de diagnostic de l’United Kingdom Working Party, 1994. Critère obligatoire Dermatose prurigineuse ou parents rapportant que l’enfant se gratte ou se frotte. Associé à trois ou plus des critères suivants 1. Antécédents personnels de dermatite des plis de flexion (fosses antécubitales, creux poplités, face antérieure des chevilles, cou) et/ou des joues chez les enfants de moins de 10 ans. 2. Antécédents personnels d’asthme ou de rhume des foins (ou antécédents de maladie atopique chez un parent au premier degré chez l’enfant de moins de 4 ans). 3. Antécédents de peau sèche généralisée au cours de la dernière année 4. Eczéma des grands plis visible ou eczéma des joues, du front et des convexités des membres chez l’enfant au-dessous de 4 ans. 5. Début des signes cutanés avant l’âge de 2 ans (critère utilisable chez les plus de 4 ans uniquement).

tères validés sont des critères d’interrogatoire ; un seul, l’eczéma visible des plis, est un critère d’examen clinique. Un résultat paradoxal du travail du Working Party, qui était parti d’un diagnostic validé par l’examen des patients « tests» par des dermatologistes chevronnés, est que la DA est, pour l’essentiel, un diagnostic anamnestique. Les signes cliniques de la DA sont tellement variables et changeants qu’ils sont difficiles à standardiser. Cette constatation, qui pourrait paraître choquante pour le clinicien, a été largement utilisée depuis en épidémiologie clinique. Ces critères

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ont acquis une validité internationale et trans-ethnique en une dizaine d’années, succès remarquable sur l’échelle du temps des progrès cliniques de l’affection. Cependant, les âges extrêmes, la variabilité des signes par rapport aux symptômes selon l’origine géographique ou ethnique des populations, font encore problème. Une étude récente [8] a montré que l’atteinte réputée plus fréquente chez le nourrisson des faces d’extension des membres et des joues était mise en défaut dans une approche systématique, prospective. Cette atteinte est en fait aussi fréquente sur les zones de flexion (coudes, genou, cou), et souvent isolée. Une révision des critères de DA du nourrisson a été récemment proposée [9] (tableau III). Les formes de l’adulte, en particulier celles dont le début concerne la maturité ou le sujet âgé, sont parfois l’objet d’une négation dogmatique. Il est probable cependant, et des travaux récents l’abordent, que l’expansion épidémique de la DA se fait sur toutes les tranches d’âge, ce qui est à mettre en rapport avec une influence continue de l’environnement sur la diathèse atopique, non seulement limitée à la période périnatale. Chez l’adulte japonais, en utilisant les critères britanniques, la prévalence perannuelle de la DA, quelle que soit la tranche d’âge et le sexe est de 3 p. 100 en milieu urbain [10]. Il est donc probable que des cas d’eczéma mal classés de l’adulte, souvent gardés en diagnostic d’attente car une toxidermie, un lymphome cutané ou une maladie interne s’inscrivent souvent en priorité dans les considérations diagnostiques, ressortissent de la DA. À la variation selon l’âge, qui fut une source importante de difficulté dans la création du concept de DA, il faut ajouter la variation liée au groupe ethnique majoritaire de la population étudiée [11-12]. Des marqueurs « ethniques » apparaissent : lésions de type papier verre qui sont des équivalents probables de lichénification sur peau asiatique, papules du dos des mains, peau huileuse (« oily skin »), érythème palmaire, fissures des talons... On serait tenté d’en déduire que, si les voies du prurit sont probablement les mêmes dans l’espèce humaine, la peau, comme cela est démontré pour la pigmentation et la photoprotection, n’est pas qualitativement égale au même âge dans sa réaction au grattage selon son origine ethnique. Tableau III. – Critères de définition de la dermatite atopique du nourrisson, adaptation des critères de l’United Kingdom Working Party (Taïeb et Boralevi, 2004). Critère obligatoire • Affection cutanée prurigineuse récurrente, durant depuis plus de trois semaines. Autres critères (3 ou plus) • Atteinte cutanée céphalique épargnant la zone péribuccale, nasale et orbitaire. • Atteinte pure des zones d’extension ou mixte (dermite des zones d’extension ou de flexion). • Absence d’atteinte sur l’aire des langes. • Xérose diffuse. • Dermite des mains. • Réactions cutanées aux aliments (ingérés). • Antécédents de maladie atopique au premier degré (dermatite atopique, asthme, ou rhinite allergique).

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LA NOMENCLATURE EN PERPÉTUEL DÉBAT Une fièvre de révision de la nomenclature a agité, à l’orée du XXIe siècle, les immunolo-allergologistes et un groupe de travail ad hoc a été constitué par l’Académie européenne d’allergologie et d’immunologie clinique (EAACI). Dans cette révision [13], le terme hypersensibilité est utilisé de manière générale, tel un « parapluie » ; le terme allergie signifie que des mécanismes immunologiques sont en cause ; le terme atopie décrit une tendance familiale ou personnelle à développer des IgE spécifiques d’allergènes d’environnement, et à souffrir de symptômes allergiques tels que l’asthme, la rhinoconjonctivite, ou l’eczéma/dermatite. Cet ensemble de définitions fonctionne assez bien pour les manifestations respiratoires, oculaires, ORL. Mais, sur le versant des manifestations cutanées, il y a des eczémas atopiques (au sens clinique) sans atopie (au sens hyper-IgE dans le sérum, et sans même tests cutanés révélateurs d’un mécanisme IgE dépendant, type prick ou patch-tests aux atopènes), qui ont été nommés intrinsèques par Wühtrich. Les auteurs de l’EAACI, conscients de cette contradiction interne, proposent que l’atopie, s’agissant de la peau uniquement, peut être allergique ou non allergique, et s’accompagner ou non d’une élévation des IgE. Sur cette lancée, une nouvelle nomenclature simplifiée a été adoptée sous l’égide de l’Organisation Mondiale de la santé en 2004, par un comité comportant une plus grande représentation dermatologique [14].

Épidémiologie ; prévalence en France Plusieurs études européennes ont montré que la DA, comme l’asthme et la rhinoconjonctivite allergique augmentaient dans la population générale depuis la deuxième moitié du XXe siècle, de même que les maladies auto-immunes, alors que les grandes maladies infectieuses régressaient sous l’influence des vaccinations de masse, de l’avènement des traitements antibiotiques et de multiples autres facteurs en rapport avec la civilisation urbaine. La théorie hygiéniste proposée par Strachan et amplifiée par Bach formule un modèle intégrant les effets de l’environnement sur une prédisposition héréditaire pour expliquer cette tendance épidémique (voir physiopathologie). Une étude épidémiologique et économique de la DA et de sa prise en charge en France a été réalisée en 2002 avant l’introduction des immunomodulateurs topiques ou TIMs (étude ElipanelTM) à partir d’un interrogatoire mené auprès de 4 012 familles (foyers) représentatives de la population française [15]. La sélection de patients atteints de DA s’est effectuée au travers de la lecture d’une définition précise de la DA dérivée des critères britanniques (UK Working Party) et a permis de conduire secondairement une étude descriptive à partir de l’échantillon de patients sélectionnés (n = 190) sous forme d’un questionnaire auto-administré associé à des entretiens téléphoniques, permettant de recueillir des données concernant la sévérité, la prise en charge (consultations, traitements) et l’impact socio-économique de la maladie. Les données ont subi un redressement (méthodes des quotas foyers) pour garantir leur représentativité. 1S37

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Les scores de prévalence obtenus dépendent de la stringence des critères retenus (date de la première poussée, date de la dernière poussée, suivi effectué ou non par un médecin) et sont résumés dans le tableau IV. La figure 1 détaille les données de fréquence en fonction des tranches d’âge. Il n’y a pas de différence significative selon le sexe. Globalement, les résultats d’ElipanelTM montrent une concordance avec des études épidémiologiques européennes récentes de bonne qualité méthodologique pour la population pédiatrique comportant une validation par un examen clinique des malades [16]. On peut remarquer une atteinte d’un nombre de sujets adultes important et probablement sous estimé jusqu’ici (45 p. 100 de la population atteint de DA en France a plus de 15 ans). Par ailleurs, d’autres données intéressantes on émergé de l’étude ElipanelTM : 8,5 p. 100 des patients sont atteints de formes graves (selon les critères d’un SCORAD auto-administré). L’évolution de la dermatose était continue pour 26 p. 100 des patients. 5,5 poussées ont été répertoriées en moyenne pendant la dernière année et la durée moyenne de la dernière poussée était de 21 jours. 90,6 p. 100 des patients ont consulté un médecin : 7 fois par an pour les enfants, 5 fois par an pour les adultes Parmi les médecins consultés, 1/3 sont des généralistes et 2/3 des spécialistes (essentiellement Tableau IV. – Prévalence de la dermatite atopique en France, étude ElipanelTM, 2002. Résultats exprimés en pourcentage de la population française. Critères

Population < 15 ans > 15 ans totale Type Williams sans restriction* 4,96 Début avant 15 ans 2, 81 8,82 1,50 Dernière poussée datant de moins de 5 ans Id + suivi par un médecin 2,11 7,24 0,99 Début avant 15 ans 2,43 7,68 1,29 Dernière poussée datant de moins de 12 mois Id + suivi par un médecin 1,87 6,39 0,89 * Pas de critère en termes de date de la première poussée, de la dernière poussée ou de suivi médical.

45 %

27 %

16 % 12 %

< 2 ans

2 à 5 ans

5 à 15 ans

> 15 ans

Fig. 1. Répartition par catégorie d’âge des patients atteints de dermatite atopique en France (étude ElipanelTM, 2002). Les moins de 15 ans représentent 55 p. 100 de l’effectif.

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dermatologistes et pédiatres). Plus d’1 patient sur 3 était suivi par plusieurs médecins. L’hospitalisation n’a pas été requise pour les patients de l’échantillon. 76 p. 100 des patients ont utilisé des dermocorticoïdes durant les 6 derniers mois. Le traitement de la dernière poussée a duré en moyenne 14 jours avec une consommation moyenne de 21 g (médiane = 7 g) de dermocorticoïdes. La consommation mensuelle moyenne des 6 derniers mois a été évaluée à 12,5 g (médiane = 7,8 g) ; 13 p. 100 des patients admettent une utilisation continue et 10 p. 100 signalent un arrêt pour « intolérance », alors que 41 p. 100 auto-limitent les quantités utilisées. Le coût annuel (médical et non médical) de l’affection a été estimé à 128 millions d’euros dont 59 p. 100 pour les consultations, avec probablement un biais de sous estimation pour les coûts dérivés.

Histoire naturelle ; manifestations selon tranches d’âge ; évolution ; autres manifestations atopiques « marche atopique » Cette partie est adaptée de chapitres rédigés pour le Précis de Dermatologie [5] et du Handbook on atopic eczema [9]. Une discussion des problèmes méthodologiques des études d’histoire naturelle est disponible dans la référence 16. PHASE INFANTILE (JUSQU’À 2 ANS) La DA commence communément dans les premiers mois de vie généralement vers 3 mois, mais parfois dès le premier mois, et comporte une atteinte grossièrement symétrique des convexités des membres, du visage avec un respect assez net de la partie médiane, en particulier la pointe du nez. Sur le tronc, les lésions s’arrêtent généralement à la zone protégée par les couches-culottes, témoignant d’un facteur de protection sur l’expression de la maladie. L’atteinte des plis est parfois notée dès cet âge. Au cuir chevelu, certains enfants ont une atteinte initialement « séborrhéique », comportant des squames jaunâtres, grasses, et la xérose cutanée n’est pas toujours au premier plan. Dans la deuxième année, la peau tend à devenir sèche de façon plus constante. L’aspect des lésions est variable selon la gravité de la DA et le moment de l’examen (poussées ou rémission). Les lésions aiguës sont suintantes, puis croûteuses et souvent impétiginisées. Elles sont mal limitées dans la plupart des cas. Cependant, les lésions plus chroniques peuvent prendre un aspect nummulaire (bien limité en pièce de monnaie) au tronc chez le nourrisson et touchent souvent le mamelon et le dos. Des aspects figurés, comportant des éléments circinés à guérison centrale, s’observent plus rarement. Dans les formes mineures, les lésions sont peu inflammatoires et palpables sous forme de rugosité cutanée des convexités. Les éléments de description les plus utiles pour établir un score lésionnel d’intensité (cf. infra scores) chez le nourrisson sont: l’érythème, l’œdème (papules œdémateuses), les excoriations qui témoignent objectivement du prurit, et le suintement associé aux croûtes qui témoigne de l’acuité des pous-

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sées vésiculeuses. Le prurit est souvent net et responsable de troubles du sommeil dès les premiers mois. Le grattage manuel est souvent précédé de mouvements équivalents dès le deuxième mois (frottement des joues contre les draps et les vêtements, agitation et trémoussement des membres et du tronc). Les lichénifications ne commencent à apparaître que dans l’enfance, mais parfois plus tôt dans la deuxième année chez les enfants noirs ou asiatiques. Le diagnostic différentiel inclut la gale et l’acropustulose infantile, l’histiocytose langerhansienne, la dermatite séborrhéique et le psoriasis, des dermatoses transitoires comme les éruptions sudorales, certains prurigos ectoparasitaires, le syndrome de Gianotti-Crosti à forme papulovésiculeuse, la kératose pilaire, la dermatite de friction, et l’érythème périflexural asymétrique de l’enfant dans les formes d’évolution prolongée. Un examen physique complet incluant l’inspection des muqueuses, la palpation des aires ganglionnaires, la palpation abdominale et l’auscultation pulmonaire est impératif pour ne pas porter par excès un diagnostic de DA devant toute dermatose « eczématiforme ». La notion de chronicité et d’évolution à rechute est importante pour le diagnostic : les formes débutantes sont d’interprétation difficile. En cas de doute, une biopsie sera effectuée en particulier pour éliminer une histiocytose langerhansienne, affection rare, mais souvent diagnostiquée avec retard malgré des lésions cutanées spécifiques. En cas de point d’appel supplémentaire : infections cutanées et/ou profondes répétées, anomalie de la croissance, purpura, fièvre inexpliquée, des examens complémentaires immunologiques seront nécessaires à la recherche d’une DA ou d’un tableau eczématiforme révélateur d’un syndrome génétique impliquant surtout le système immunitaire ou la barrière cutanée [4]. CHEZ L’ENFANT (APRÈS 2 ANS) Au-delà de deux ans, quand il coexiste avec la DA, l’asthme patent (ou les équivalents asthmatiques, sous forme de toux sèche nocturne, gêne respiratoire avec sifflement expiratoire – wheezing – au froid, à l’effort, au rire ou lors d’épisodes infectieux ORL ou respiratoires) devient souvent plus gênant pour l’enfant que l’eczéma. Les lésions cutanées d’eczéma sont volontiers plus localisées aux plis (cou, coudes, genoux), ou comportent des « zones bastion » (mains et poignets, chevilles, mamelon, rhagades sous-auriculaires) qui subsistent de façon chronique et parfois isolée. Des poussées saisonnières sont notées le plus souvent en automne et en hiver. Certains enfants restent handicapés par des poussées plus généralisées qui peuvent revêtir un aspect de prurigo aux membres. Dans les formes graves, une atteinte inversée pour l’âge peut encore toucher les faces d’extension des membres, en particulier aux coudes et aux genoux. La lichénification prédomine sur l’érythème et l’œdème. Les signes mineurs comme la pigmentation infraorbitaire, les plis sous-palpébraux (signe de Dennie-Morgan) sont plus nets. La sécheresse cutanée (xérose) est un élément plus constant que chez le nourrisson et pose fréquemment le problème d’une ichtyose vulgaire transmise en dominance

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associée. Ce trait est fréquemment retrouvé chez un des parents associant une kératose pilaire (aspect râpeux noté sur la face externe des bras et des cuisses), un état squameux en petites écailles des jambes, et des paumes sèches avec une accentuation des plis (hyperlinéarité palmaire). L’amélioration de cette xérose est constante en été et nécessite des soins émollients redoublés en hiver. Aux pieds, l’aspect de pulpite sèche et fissuraire est fréquent chez l’enfant et parfois isolé. Au visage, mais aussi parfois de façon plus diffuse, des eczématides sèches achromiantes (pityriasis alba) constituent un motif de consultation esthétique, en particulier après l’été. De façon plus fréquente chez l’enfant noir, l’accentuation folliculaire des lésions est marquée en particulier au tronc (DA folliculaire ou eczéma périfolliculaire). D’autres éléments sémiologiques traduisent des altérations fonctionnelles du tégument : pâleur faciale, dermographisme blanc (raie blanche de vasoconstriction après grattage), crises de sudation labiles. Le diagnostic différentiel est d’autant plus restreint que la notion de chronicité avec évolution à rechutes est bien établie. Outre la difficulté déjà notée de distinguer une xérose associée à la DA d’une ichtyose vulgaire dominante (problème nosologique qui sera résolu quand les gènes de l’ichtyose vulgaire seront connus), les formes localisées ou mineures soulèvent la question de leur rattachement à la DA : dermatite périorale, dermite plantaire juvénile, dyshidrose, chéilite, vulvite, eczéma pénoscrotal. Le diagnostic d’eczéma de contact et parfois de psoriasis doit être évoqué, et les tests allergologiques de contact et parfois la biopsie sont utiles pour faire progresser l’enquête diagnostique. La possibilité d’une intrication avec une autre dermatose doit être soulevée dans certains cas: psoriasis concomitant ou consécutif, lichen plan sous forme d’une poussée prurigineuse inhabituelle à différencier d’une lichénification banale, véritable vitiligo qui peut épouser les zones de topographie de la DA. CHEZ L’ADOLESCENT ET L’ADULTE La DA manifeste une période de recrudescence à l’adolescence souvent à l’occasion de conflits psychoaffectifs ou de stress. Le début de l’affection est parfois situé à cette époque de la vie, mais les critères anamnestiques pour la période infantile sont souvent pris en défaut pour pouvoir l’affirmer. Un début tardif à l’âge adulte, bien que difficile à exclure, n’est pas exceptionnel (cf. définition supra), mais doit faire effectuer des examens complémentaires et une biopsie avec étude en immunofluorescence directe, pour éliminer une autre affection (gale, eczéma de contact, réaction à des allergènes ingérés comme le nickel, dermatite à la progestérone ou aux œstrogènes, dermatite herpétiforme ou pemphigoïde, lymphome cutané, néoplasie profonde...). Parmi les aspects symptomatiques, les formes graves peuvent se manifester à l’extrême sous un aspect érythrodermique ou, plus communément, sous forme de prurigo lichénifié (type Besnier) prédominant aux membres. Des aspects cliniques similaires à la période de l’enfance sont associés, en particulier l’atteinte lichénifiée des plis de flexion. Des aspects nummulaires peuvent coexister. Un aspect particu1S39

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lier est l’atteinte tête et cou prédominante qui fait rechercher une aggravation par des allergènes aéroportés et/ou une sensibilisation aux levures du genre Malassezia.

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Les éléments cités habituellement pour un mauvais pronostic incluent : la gravité pendant l’enfance, des antécédents familiaux de DA, une association précoce avec de l’asthme, un début tardif après 2 ans, une topographie inversée pour l’âge, une atteinte des mains et une xérose persistante à l’âge adulte. La période du nourrisson est celle qui comporte le plus de formes étendues et graves, mais l’évolution est spontanément bonne dans la majorité des cas, les formes persistant dans l’enfance étant plus localisées. La persistance de la DA au-delà de la période infantile est appréciée de façon variable, car le paramètre de gravité (ou d’impact sur la qualité de vie) n’est pas pris en compte. En fonction des données d’une enquête portant sur la population, l’incidence établie pour la DA à l’âge de 7 ans de 15 p. 100 en Allemagne, Danemark et Suède laisse à penser que cette persistance est sous-évaluée [18]. En termes de retentissement sur la vie quotidienne (qualité de vie), cette période est globalement plus affectée par l’asthme que par la DA. On estime que pour une DA ayant débuté avant un an, il y a 50 p. 100 de chances pour qu’à l’âge de 5 ans la DA ne pose plus de problème (atteinte infraclinique ou cliniquement insignifiante). Le pourcentage de persistance après la puberté est de 10 à 15 p. 100. Pour un nourrisson atteint de DA avec un parent au premier degré atteint de DA, d’asthme ou de rhinite, le risque de développer un asthme est d’environ 40 p. 100 [19]. Les formes débutant plus tardivement dans l’enfance sont plus tenaces. Les formes débutant à l’adolescence ou à l’âge adulte ont un pronostic réservé. De nombreux patients consultant en médecine du travail pour des dermites des mains sont atopiques depuis l’enfance. Le concept de marche atopique, « atopic march », reprend l’idée que l’atteinte cutanée aux cours des manifestations atopiques est la plus précoce et de loin la plus fréquente, à côté de manifestations digestives d’intolérance alimentaire. La peau pourrait être une porte d’entrée d’allergènes et la DA du nourrisson un syndrome cutané d’irritation simple puis de pénétration des atopènes, donc un organe accessible à une prévention de la « marche » ultérieure vers l’asthme et la rhinite [4]. Des études ont été lancées avec les TIMs pour évaluer cette prévention secondaire.

duction d’IgE antistaphylococciques et la stimulation polyclonale superantigénique des T lymphocytes par les exotoxines staphylococciques, mais aussi par des mécanismes non immunologiques (rôle pro-inflammatoire de la protéine A du staphylocoque). Elle est probablement en rapport avec la différenciation aberrante de l’épiderme chez l’atopique et la réponse inefficace de son immunité innée. Il a été montré récemment que, contrairement au psoriasis, la production en peau lésée de peptides antimicrobiens, actifs contre le staphylocoque doré, était diminuée [20]. Le traitement dermocorticoïde ou par immunomodulateurs topiques seuls permet de diminuer la colonisation staphylococcique. Le seuil d’impétiginisation clinique est difficile à apprécier, en particulier dans les formes aiguës exsudatives. La présence de lésions vésiculobulleuses inhabituelles fera évoquer le diagnostic de surinfection et prescrire un traitement antibiotique local ou général pour éviter une infection systémique. Des complications bactériennes souscutanées (ostéomyélites des phalanges distales, bursites olécrâniennes et prétibiales) ont été décrites à titre exceptionnel. L’herpès (HSV1 essentiellement) est responsable de poussées aiguës parfois dramatiques. Une modification rapide de l’aspect des lésions et/ou la présence de vésiculopustules varioliformes, en association avec de la fièvre, doivent suggérer cette complication et faire mettre en œuvre un traitement antiviral en urgence, pour éviter un tableau de pustulose disséminée de Kaposi-Juliusberg autrefois décrite lors de la vaccination antivariolique, et actuellement d’étiologie herpétique quasi exclusive, mais qu’il faudrait redouter à nouveau en cas de conflit utilisant les armes biologiques et de campagne de vaccination. Ce tableau peut compliquer une primo-infection typiquement associée à une gingivostomatite ou bien un herpès récurrent. Des infections herpétiques torpides sur placards lichénifiés ont été signalées. La varicelle n’a pas de gravité particulière, contrairement à certaines idées reçues. Le molluscum contagiosum est fréquemment disséminé chez l’enfant atteint de DA, même en l’absence de déficit immunitaire associé. Typiquement, il y a une prépondérance sur les lésions de DA témoignant du rôle de l’auto-inoculation par grattage. Les verrues vulgaires ne semblent pas être plus fréquentes chez les atopiques. Les infections fongiques sont rarement impliquées dans les surinfections cutanées chez l’enfant. Il a été signalé à titre exceptionnel des dermatophyties rebelles chez l’adulte atopique (syndrome de Jones).

COMPLICATIONS INFECTIEUSES

AUTRES COMPLICATIONS

Dans toutes les périodes d’activité de la maladie, les surinfections cutanées bactériennes ou virales sont les complications les plus communes. Le staphylocoque doré colonise habituellement la peau de l’atopique, comme le montrent les études bactériologiques qualitatives ou quantitatives en peau lésée, mais aussi cliniquement non inflammatoire. Cette colonisation peut avoir un retentissement sur l’entretien de la réaction inflammatoire par la pro-

Un retard de croissance peut être associé dans les DA sévères. Il impose une surveillance de routine des paramètres auxologiques chez les enfants atteints de DA. Compte tenu de la prévalence de la DA, il est nécessaire d’éliminer les causes habituelles de retard staturopondéral avant d’attribuer les anomalies à la DA (retard de croissance intra-utérin, déficit en hormone de croissance, maladie cœliaque, mucoviscidose...). Il faut se méfier des faux posi-

ÉVOLUTION GLOBALE : FACTEURS CLINIQUES DE PRONOSTIC ET DE GRAVITÉ, MARCHE ATOPIQUE [16, 17]

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DA : définition, épidémiologie, histoire naturelle, gravité et scores

tifs des tests de dépistage de mucoviscidose chez le nourrisson atopique. Les retards de croissance sans étiologie commune retrouvée se corrigent souvent de façon spectaculaire quand la DA est traitée efficacement. Le rôle des dermocorticoïdes dans le retard de croissance n’est par contre pas établi. Complications ophtalmologiques : kératoconjonctivite, kératocône, cataracte et détachement rétinien sont connus dans le contexte de l’atopie et plus particulièrement de la DA. La kératoconjonctivite, la plus fréquente, peut être aggravée par le port de lentilles de contact, nécessite une prise en charge spécialisée. Le rôle des corticoïdes locaux ou systémiques dans la cataracte atopique est controversé. Eczémas de contact : les atopiques en poussée ne sont guère susceptibles de développer un eczéma de contact, même avec des allergènes puissants. Cependant, une sensibilisation est possible en dehors des poussées. Compte tenu de l’importance des soins locaux dans cette affection, il y a un risque important de sensibilisation de contact au long cours. Il est donc nécessaire d’évoquer cette hypothèse et de tester les patients qui répondent mal aux traitements habituels. Ces données obligent à une attitude préventive dans l’utilisation des topiques potentiellement à risque (conservateurs, parfums, néomycine...), et des métaux, nickel en particulier (percement d’oreilles, bijoux de fantaisie, piercing chez l’adolescent). Les dermocorticoïdes peuvent être également, bien que rarement, une cause d’eczémas de contact. Par ailleurs, l’orientation professionnelle doit tenir compte de ce paramètre pour éviter les eczémas des mains en particulier.

Notion de chronicité et définition des poussées/ terminologie de la phase chronique Une des difficultés de la prise en charge de la DA est l’intégration par les patients et les médecins du caractère chronique et/ou récidivant de l’affection. La conception (design) des essais cliniques, jusqu’à une date récente, ne prenait en compte que les poussées et la phase de contrôle à long terme de la maladie était ignorée. La prescription de schémas de décroissance de la corticothérapie locale et, plus récemment, le maniement des TIMs ou des dermocorticoïdes comme thérapeutiques préventives des poussées ou d’épargne de doses plus importantes de médicament a fait reconsidérer le problème et obligé à une réflexion sémantique, dans un but de recherche clinique, mais aussi de simple communication entre les parties impliquées : industrie-médecins-autorités sanitaire, médecins-malades. Le terme de résistance ou d’intolérance aux médicaments habituellement actifs est de l’avis des experts (discussions au sein du groupe européen de travail sur la DA ETFAD) inaccessible à un consensus véritablement scientifique, en dehors d’un sous groupe prouvé d’allergie aux produits actifs ou à leurs excipients pour les formes locales. La prescription quantitative de produits actifs n’est pas établie et même les essais cliniques les plus récents bien conduits sont majoritairement muets sur les quantités optimales de produits actifs à appliquer par unité de surface ou par unité de temps. La résistance est donc difficilement chiffrable par rapport à une posologie quantitative.

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La notion de poussée est délicate à définir : les experts soulignent qu’il y a lieu d’abord de séparer les poussées à déclenchement infectieux (herpès, staphylocoque) des poussées de déterminisme allergique ou inconnu (stress, autre). La prise en charge des premières requérant un traitement étiologique avant un traitement symptomatique, cependant, la définition d’une poussée staphylococcique reste en débat, en dehors de l’impétigo clinique et des syndromes toxiniques bien individualisés. Définir des poussées par l’intensité (score par exemple) et le seuil qui les rend médicalement significatives (degré de tolérance ou d’automédication du malade) n’est pas aisé, et il existe des variations importantes interindividuelles de tolérance à la maladie. Nous sommes toujours surpris de voir des patients portant des lésions très lichénifiées qui donnent des valeurs basses ou modérées pour l’évaluation de leur prurit ou de leur insomnie, comme si un facteur d’habituation intervenait. Définir une poussée selon la dynamique et le mode d’installation insidieux, progressif, ou aigu/subaigu est peu applicable en pratique, mais correspond probablement à une réalité clinique et physiopathologique. Le maintien d’une rémission de bonne qualité est un objectif médical qui rejoint celui des autres maladies chroniques non cutanées. Il serait donc nécessaire d’élaborer une nomenclature consensuelle. Une rémission à long terme sans traitement peut être assimilée à une guérison, s’il n’y a plus de lésion visible, mais à partir de combien de temps sans traitement ? Une rémission sous traitement minimal (éviction des facteurs irritants et allergisants, émollients) ne peut se comparer dans son évaluation médicale et économique à une rémission sous cyclosporine ou photothérapie. Une rémission peut-elle comporter des poussées de faible amplitude ? Il est souhaitable de proposer des définitions simples, opérationnelles, non utopiques. Des propositions sont faites dans le tableau V. Tableau V. – Définitions de termes utilisables dans la prise en charge chronique de la dermatite atopique. Poussée

Augmentation de l’étendue et de l’intensité des lésions en moins de deux semaines, malgré un traitement maintenu. Correspond à une majoration du score clinique d’au moins 25 p. 100. Rémission Période sans poussée d’au moins deux mois sans traitement autre que les évictions d’irritants et d’allergènes éventuellement associées aux émollients*. Rémission Période sans lésions sauf dyschromie séquellaire d’au complète moins deux mois sans traitement local (évictions maintenues). Intolérance Opinion du malade au bout d’un essai d’au moins (au traitement quinze jours d’un nouveau traitement obligeant à local) l’arrêt de celui-ci pour aggravation ou difficultés à l’application (galénique, gêne transitoire marquée à l’application...). Résistance Opinion du médecin au bout d’un essai d’au moins (au traitement quinze jours avec une dose appropriée de produit qui local) n’a pas changé ou qui a aggravé le score de la maladie. * Il est envisageable de subdiviser cette rémission en 3 niveaux (I : traitement minime, correspondant à la définition donnée ; II : traitement modéré : dermocorticoïdes ou TIMs < 30 g par mois chez l’enfant et < à 60 g par mois après 15 ans ; III : traitement majeur : photothérapie, immunosuppresseurs).

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Scores de gravité/qualité de vie SCORES CLINIQUES. L’EXEMPLE DE L’INDEX SCORAD La nécessité de scores de gravité (severity en anglais) est devenue spécialement impérative lorsque s’est imposée l’« evidence-based medicine », médecine fondée sur des preuves (ou médecine probante en franco-canadien). Plusieurs tentatives de quantifier l’intensité de la DA ont été publiées [21]. À côté du SASSAD (britannique) et de l’EASI (américain), l’index SCORAD (Scoring Atopic Dermatitis) est l’outil plus utilisé et le mieux validé. Il dispose en 2004, plus de dix ans après sa publication princeps [22], du meilleur indice bibliométrique dans le champ considéré (130 citations référencées dans Pubmed avec « SCORAD » en septembre 2004). Vingt-neuf spécialistes de 9 pays d’Europe, aidés par un statisticien réunis au sein d’un groupe de travail européen sur la DA (European Task Force on Atopic Dermatitis, ETFAD) se sont réunis six fois entre 1990 et 1992 pour l’élaborer. D’une part, des photographies cliniques de grande qualité ont été évaluées de façon concordante par les experts, et peuvent donc être considérées comme représentatives de niveaux de gravité pour les signes cliniques principaux de la DA. Publiées sur papier et disponibles sur Internet http://ADserver.sante.univ-nantes.fr, montrées dans de nombreuses séances d’enseignement, ces images ont été largement utilisées pour la formation des médecins amenés à évaluer des patients atteints de DA en France et dans le monde. D’autre part, un score global a pu être proposé à partir de l’analyse statistique des notes obtenues sur 88 malades. Ce score constitue un raccourci acceptable pour définir par un seul chiffre l’intensité d’une maladie complexe. Le SCORAD est l’addition de trois notations : la première, que l’on appelle A, est la surface atteinte par l’eczéma. La technique de mesure retenue repose sur la règle des 9, utilisée pour évaluer la surface des brûlures, méthode qui a été critiquée [23], mais il est intéressant de noter que la pondération de l’étendue est faible dans l’index cumulatif final (voir infra). La seconde notation est l’intensité. Cinq signes d’eczéma ont été retenus : l’érythème ; l’œdème (ou l’épaississement/infiltration de la peau) ; le suintement (ou les vésicules) ; la lichénification ; les excoriations. À ces cinq signes d’eczéma proprement dit, on ajoute la sécheresse cutanée qui est évaluée en dehors des zones d’eczéma. Chacun des signes est coté de 0 à 3 : 0 = absent ; 1 = léger ; 2 = modéré ; 3 = sévère. Il faut coter chacun des signes sur une zone que l’on choisit comme représentative (de gravité moyenne). L’addition des signes, qui peut donc donner au maximum 18, constitue le composant de sévérité, appelé B, du SCORAD. Le troisième composant, C, est constitué par les signes subjectifs. Le patient, ou son parent s’il s’agit d’un enfant, évalue sur une échelle de 0 à 10 l’intensité, durant les trois jours précédents, d’une part du prurit, d’autre part des perturbations du sommeil. La somme de ce composant subjectif est donc au maximum de 20. Le SCORAD est donc un score composite, qui tient compte du poids (déterminé objectivement par une méthode statistique dite du composant principal sur une série pilote de malades) de chacun de ses trois éléments dans une appré1S42

ciation globale de la gravité de la maladie. Le poids le plus important (60 p. 100) est attribué à l’intensité des lésions. La surface atteinte compte pour 20 p. 100 de la gravité. Les signes subjectifs sont également comptés sur 20, représentant un cinquième du poids de la maladie dans une évaluation. Ainsi, la formule est : SCORAD = A/5 + 7 B/2 + C. Le SCORAD a fait l’objet d’une validation formelle assortie de quelques modifications mineures [24]. Au cours de leur étude statistique des évaluations cliniques multicentriques, les membres de la l’ETFAD ont relevé pour une même gravité (SCORAD identique) une variation qui sépare deux profils de patients : ceux qui ont des scores élevés de sécheresse et de lichénification et ceux qui ont des scores subjectifs (prurit et insomnie) très élevés, ainsi qu’un érythème et/ou un œdème relativement intenses (cotés au moins 2). Pour pallier les difficultés engendrées par le cumul du score objectif et du score subjectif, un SCORAD objectif a été préconisé pour définir des classes de gravité dans les essais cliniques [24]. L’utilisation du SCORAD en pratique clinique routinière – hors essais cliniques – est tout à fait possible en un temps limité (2 à 3 minutes). L’avantage d’effectuer un score lors des visites est multiple : 1) il oblige à un examen systématique et permet de découvrir des lésions associées ou des signes de surinfection ; 2) il permet une comparaison avec les scores antérieurs, d’autant plus fiable qu’il s’agit du même médecin, donc des déductions thérapeutiques appropriées tenant compte des fluctuations de l’affection et des traitements entre deux visites. Le laboratoire Fujisawa a mis à disposition des spécialistes français une calculatrice très bien conçue qui accélère le rendu quantitatif décomposant le SCORAD objectif et le SCORAD total. Parmi les applications possibles d’un score de ce type, il a été proposé une classification selon la gravité des malades pour une prise en charge optimisée [25] (tableau VI). QUALITÉ DE VIE : ENFANTS ET PARENTS Un des premiers auteurs à évoquer le retentissement de la maladie sur la vie quotidienne des patients, résumé sous Tableau VI. – Prise en charge en fonction de la gravité déterminée par le score clinique (d’après réf. 23). SCORAD < 15

Gravité Mineure

15-40

Modérée

> 40

Grave

Traitements Émollients, conseils (incluant régime dans la première année). Dermocorticoïdes ou TIMs, les deux éventuellement associés; antihistaminiques et antibiotiques si poussées. Bilan allergologique si utilisation de plus de 30 g/mois de dermocorticoides ou de TIMs. Évaluation de l’observance thérapeutique. Bilan allergologique et éviction allergénique stricte si pertinent. Considérer une hospitalisation si traitement dermatologique inefficace. Photothérapie à partir de 6-7 ans. Cyclosporine en cure de 4 à 6 mois en cas d’échec des autres mesures, éventuellement cures d’altitude.

DA : définition, épidémiologie, histoire naturelle, gravité et scores

l’appellation actuelle de « qualité de vie » fut Hebra, le grand maître de la dermatologie européenne au milieu du XIXe siècle, et dont le prurigo éponyme est un précurseur direct des formes graves « inversées » de DA : « Lorsqu’on envisage le cours de la vie d’une personne affectée de cette maladie, combien dans son enfance son habitude constante de se gratter l’a fait gronder par ses maîtres, (...) combien, plus tard, elle est raillée par ses compagnes (...) combien (...) il lui est difficile de se créer un intérieur ou de se marier, - on ne sera pas surpris qu’une personne tourmentée d’une manière aussi terrible prenne la vie en dégoût... [26] ». Des échelles de qualité de vie généralistes ou dermatologiques [27], voire spécifiques de la DA [28] ont été proposées et appliquées par nos contemporains. L’étude ElipanelTM déjà citée [15] a confirmé dans notre pays des données déjà acquises ailleurs. 40 p. 100 des patients se plaignent d’une absence de répit lié à leur dermatose, 36 p. 100 se sentent stigmatisés par leur apparence, 33 p. 100 ont des difficultés à se détendre ; 24 p. 100 signalent une perte de confiance en soi. Pour les parents, les plaintes principales concernent l’absence de contrôle de la maladie (53 p. 100), l’inquiétude pour l’avenir de leur enfant (13 p. 100) et 13 p. 100 signalent des tension dans la famille à cause de la dermatose. Le travail d’élaboration de l’index SCORAD [22] avait montré une relation très forte entre le score de prurit et une évaluation globale de la qualité de vie, donnée largement confirmée depuis. S’il est important d’étudier avec des outils adaptés le paramètre qualité de vie lors de l’évaluation de nouvelles thérapeutiques, en particulier pour que la tolérance du patient soit prise en compte dans l’évaluation, « le premier symptôme et symptôme premier »1 de la maladie est un raccourci à usage pragmatique de la nébuleuse « qualité de vie ».

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Selon Besnier qui a fondé l’eczématologie.

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