Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale 134 (2017) 360–365
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Article original
Diagnostic de la dyskinésie ciliaire primitive : quand et comment ?夽 J.J. Braun a,∗,b , N. Boehm c , C. Metz-Favre b , I. Koscinski d , M. Teletin d , C. Debry a a
Service ORL-CCF, hôpital de Hautepierre, hôpitaux universitaires de Strasbourg, avenue Molière, 67098 Strasbourg cedex, France Service de pneumologie et d’allergologie, NHC, hôpitaux universitaires de Strasbourg, avenue Molière, 67098 Strasbourg cedex, France c Institut d’histologie, universités de Strasbourg, Strasbourg, France d Laboratoire de biologie de la reproduction, centre médico-chirurgical obstétrique, 19, rue Louis-Pasteur, 67300 Schiltigheim, France b
i n f o
a r t i c l e
Mots clés : Dyskinésie ciliaire primitive Syndrome de Kartagener Syndrome des cils immobiles Clearance mucociliaire Brossage ciliaire Microscopie
r é s u m é Introduction. – La dyskinésie ciliaire primitive (DCP) est une maladie congénitale rare liée à une anomalie permanente et ubiquitaire de la structure et/ou de la fonction ciliaire. Méthodes. – Les auteurs rapportent une étude rétrospective monocentrique de 56 cas de DCP (forme respiratoire) sur 280 patients suspects de DCP en analysant les données anamnestiques et cliniques et proposent une démarche diagnostique pragmatique, facilement applicable en pratique clinique courante. Résultats. – Face à une symptomatologie infectieuse respiratoire chronique sensible mais non spécifique, dans le but d’établir le diagnostic de DCP, le brossage ciliaire nasal qui permet d’étudier la morphologie et l’activité ciliaire en microscopie à contraste de phase représente un examen facile, rapide, peu invasif, sans limite d’âge avec une bonne rentabilité diagnostique. En cas de doute et selon les possibilités du centre d’investigation, d’autres examens sont indiqués telles la mesure de l’oxyde d’azote nasal, la microscopie électronique, l’étude génétique et la culture cellulaire. Conclusions. – Devant une suspicion de DCP, le brossage ciliaire effectué dans le cadre des nombreux examens complémentaires garde son utilité, sous réserve d’une bonne expérience du clinicien et de l’intégration des résultats dans le contexte clinique et anamnestique, en l’absence du gold standard pour le dépistage et le diagnostic (précoce) de la DCP. © 2017 Publie´ par Elsevier Masson SAS.
1. Introduction La dyskinésie ciliaire primitive (DCP) regroupe l’ensemble des pathologies d’origine génétique liées à des anomalies ultrastructurales et/ou fonctionnelles, ubiquitaires et permanentes, de l’ensemble des cils mobiles. La symptomatologie est polymorphe et concerne essentiellement la sphère pulmonaire, ORL et génitale. Cette maladie rare, de transmission classiquement autosomique récessive, a une prévalence de 1/10 000–20 000 naissances. Le diagnostic reste difficile en l’absence de signe clinique pathognomonique de DCP et la sélection des patients éligibles pour une étude ciliaire se fait sur un faisceau d’arguments. La démarche diagnostique est complexe mais définie par des équipes expertes
DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.anorl.2017.04.001. 夽 Ne pas utiliser pour citation la référence franc¸aise de cet article mais celle de l’article original paru dans European Annals of Otorhinolaryngology Head and Neck Diseases en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J.J. Braun). http://dx.doi.org/10.1016/j.aforl.2016.11.008 1879-7261/© 2017 Publie´ par Elsevier Masson SAS.
dans la DCP [1,2]. Cependant elle reste hétérogène dans la littérature, sans gold standard diagnostique réel et unique, admis par tous les auteurs et appliqué dans tous les centres à l’échelon international, permettant de palier la complexité des différents examens complémentaires [3–7]. De nombreux examens complémentaires sont à la disposition du clinicien pour le dépistage et/ou la confirmation du diagnostic de DCP, allant du dosage du monoxyde d’azote (NO) nasal, à la clearance mucociliaire isotopique, de la microscopie optique avec ou sans vidéocinématographie à haute vitesse, à la microscopie électronique et de la culture des cellules ciliées, à la génétique. En dehors des notions de coût, de complexité et de disponibilité voire de faisabilité en fonction de l’âge pour certains de ces examens on peut s’interroger sur la « bonne démarche diagnostique » face aux nombreuses demandes de bilan pour suspicion de DCP et ce indépendamment de l’intérêt des études génétiques guidées par l’étude ultrastructurale des anomalies ciliaires pour une meilleure approche phénotypes-génotypes des ciliopathies congénitales dans leurs formes respiratoires (DCP) et autres (syndrome de Bardet-Biedl, syndrome d’Alström)[8]. Nous proposons en fonction de notre expérience et de la revue de la littérature une démarche diagnostique pragmatique, rapide,
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peu coûteuse, non invasive, facilement applicable en pratique clinique courante, sans limite d’âge, ce qui est important pour un diagnostic et une prise en charge thérapeutique précoces conditionnant le pronostic.
2. Matériel et méthodes Il s’agit d’une étude monocentrique rétrospective sur 30 ans portant sur 280 patients suspects de DCP parmi lesquels nous avons retenu le diagnostic de DCP : forme respiratoire, chez 56 patients. Cette cohorte est particulière car tous les patients ont été vus, sélectionnés, explorés, en ce qui concerne la morphologie et l’activité ciliaire en microscopie optique à contraste de phase (MOCP) par le même clinicien référent. Au fil des années la sélection des patients éligibles pour un bilan ciliaire et la technique d’examen en MOCP (courbe d’apprentissage) ont été améliorées (brossage de la muqueuse nasale, coloration vitale, choix des grossissements, technique de balayage des lames, double lecture contradictoire par le clinicien référent et un biologiste pour évaluer la morphologie et la fonction ciliaires, intégration des résultats dans le contexte clinique et comparaison avec les autres examens. . .). Cela a permis une meilleure standardisation de la technique en attendant l’utilisation systématique de la vidéo microscopie haute-vitesse dans tous les cas et surtout un diagnostic de plus en plus précoce de la DCP. Notre cohorte de 280 patients suspects de DCP était composée de 110 sujets de sexe féminin (39,3 %) et de 170 sujets de sexe masculin (60,7 %). Au moment du bilan de DCP on notait 65 % de patients âgés de moins de 20 ans dont 18 % de moins de 1 an pour des âges extrêmes de 1 mois à 69 ans. Les patients étaient adressés par des pédiatres et des pneumopédiatres (57 %), des ORL (19 %), des pneumologues pour adultes (12 %), des spécialistes de la fertilité (8,3 %), des généticiens (2 %) et d’autres spécialistes (1,7 %) essentiellement en raison d’une symptomatologie. Systématiquement ont été recueillies les données épidémiologiques (âge, sexe, spécialité du médecin adresseur) et les antécédents personnels et familiaux (situs inversus, consanguinité parentale, antécédents familiaux de DCP, pathologie infectieuse respiratoire, stérilité) ainsi que la symptomatologie ORL et pulmonaire. Différents diagnostics différentiels ont été envisagés : mucoviscidose, déficit en alpha 1 antitrypsine, aspergillose bronchopulmonaire allergique, dilations des bronches liées à une maladie de système, déficit immunitaire et pathologie atopique avec analyse de la pertinence clinique des résultats du bilan allergologique quant à la symptomatologie en cas d’association atopie et DCP. Le brossage ciliaire nasal était réalisé en dehors de tout traitement local nasal, sans anesthésie locale, avec une brossette synthétique (Référence : 100-1215/50 LTA Médical, Montreuil, France) au niveau du tiers moyen des cornets inférieurs et du septum. Les prélèvements étaient examinés dans l’heure qui suivait les prélèvements en MOCP après étalement entre lame et lamelle et coloration vitale (bleu de trypan) : microscope Zeiss avec des grossissements × 16 pour le repérage des plages cellulaires et × 30 pour l’analyse ciliaire. L’ORL préleveur et un médecin biologiste évaluaient la cellularité du milieu (richesse en cellules ciliées vivantes, leucocytes, pus, cellules mortes), la morphologie ciliaire (ballonisation des cils, cils courts, mégacils, déciliation) et la fonction ciliaire avec évaluation visuelle semi quantitative de la fréquence des battements ciliaires (normale, ralentie ou nulle) et de l’activité ciliaire riche (ample, synchrone, bien coordonnée ou non). La fréquence normale des battements ciliaires était de 9–12 Hz dans nos conditions d’observation. Dans les cas pathologiques elle était ralentie (1–3 Hz ou moins) et plus souvent encore les cils étaient immobiles ou présentaient une simple ébauche d’activité manifestement non
Fig. 1. Cils normaux en microscopie optique à contraste de phase après coloration vitale (bleu trypan) sur brossage nasal.
efficace. Cet examen portait sur les cellules ciliées isolées et surtout sur les placards épithéliaux des deux cavités nasales soit au moins une analyse de deux lames par patient et par prélèvement. Cet examen pouvait être répété si nécessaire après 1 à 6 mois ou après antibiothérapie (Fig. 1). Dans 40 cas l’évaluation de la fonction ciliaire en MOCP couplée à la vidéocinématographie haute vitesse pour des ciliopathies congénitales « non respiratoires » (étude en cours de publication) tels le syndrome de Bardet-Biedl et le syndrome d’Alström a permis de valider notre technique de MOCP en montrant une excellente corrélation entre l’évaluation visuelle en MOCP et la mesure de la fréquence et de la cinétique des battements ciliaires par vidéocinématographie pour 39 sur les 40 patients étudiés (non inclus dans cette étude). Durant la même séance des prélèvements étaient réalisés pour la microscopie électronique, habituellement réservée dans notre centre aux cas d’examens douteux en MOCP : fixation au glutaraldéhyde, coupes semi-fines (4 m) pour le repérage des cellules ciliées puis coupes ultrafines (0,05-0,5 m) pour l’analyse ultrastructurale qualitative et quantitative des cils. Dans 6 cas une enquête génétique (DNAI1, DNAH5. . .) guidée par l’étude de l’ultrastructure ciliaire a été réalisée. Dans 10 cas nous avions évalué la fonction ciliaire in vivo par la technique de clearance mucociliaire isotopique nasale plus précise que le test à la saccharine mais non-applicable chez le très petit enfant car nécessitant une immobilité stricte de l’enfant pendant l’examen. La clearance mucociliaire isotopique étudiait la vitesse de déplacement et la phénoménologie de la migration du traceur (iode131 et/ou technetium99m ) couplé à un agrégat d’albumine avec une caméra à scintillation et un système informatique permettant l’analyse des données. L’étude du NO exhalé nasal n’a pu être effectuée dans notre étude car non-disponible localement tout comme les cultures cellulaires avec étude de la ciliogénèse. 3. Résultats Nous avions analysé la cohorte des 280 patients suspects de DCP et comparé les sous-groupes DCP (56 patients) et non DCP (224 patients) au terme du bilan. 4. Cohorte des 280 patients suspects de DCP Sur les 280 patients de la cohorte le premier brossage était en faveur d’une DCP dans 14 % des cas. Il était normal dans 61 % des cas
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Tableau 1 Principales données cliniques des patients DCP et non DCP. Patients n = 280
Cohorte DCP n = 56
Cohorte non DCP n = 224
Âge moyen (années) lors du bilan diagnostique Sexe Consanguinité parentale Antécédents familiaux de DCP Situs inversus-hétérotaxie Infections ORL chroniques Otite séromuqueuse Interventions ORL Infections bronchopulmonaires chroniques Dilatations des bronches Atélectasie Lobectomie moyenne Détresse respiratoire néonatale Anomalies cardio-neuro-rénales associées Anomalies de la fertilité (hommes en âge de procréer)
17,2
24
♀ 39 %/♂ 61 % 18 % 23 % 38 % 96 % 67 % 70 % 90 %
♀ 39 %/♂ 61 % 1% 0% 1 cas non DCP 56 % 42 % 30 % 70 %
67 % 75 % 24 % 38 % 9%
24 % 23 % 3% 1% 1%
20 %
2%
et en faveur d’un aspect post-infectieux dans 17 % des cas et douteux ou sans conclusion possible dans 8 % des cas. Un deuxième brossage dans 34 cas (12 %) était en faveur du diagnostic de DCP dans 38 % des cas, normal dans 44 % des cas et en faveur d’un aspect postinfectieux dans 18 % des cas. Le diagnostic de DCP a été retenu au terme d’un troisième brossage pour 3 patients et d’un quatrième brossage pour 1 patient. Ainsi pour 56 patients le brossage ciliaire intégré dans un contexte clinique évocateur était en faveur du diagnostic de DCP. Quarante-neuf patients (17,5 %) ont bénéficié d’un examen en microscopie électronique qui avait permis : • de confirmer le diagnostic de DCP pour 19 patients soit 6,8 % de l’effectif total et 34 % de la cohorte DCP avec absence des bras de dynéine externes/internes, défaut de la structure axonémale lors de l’analyse qualitative et quantitative des cils en coupes transversales (30 à 50 coupes transversales par patient) ; • d’infirmer le diagnostic de DCP pour 15 patients ; • de mettre en évidence des anomalies en faveur d’une pathologie infectieuse (anomalies atypiques, polymorphes, hétérogènes) pour 5 patients. L’examen n’avait pas permis de conclure chez 10 autres patients. Un deuxième examen en microscopie électronique a été réalisé chez 4 patients ayant abouti au diagnostic de DCP pour un patient, de non DCP pour un patient et n’ayant pas permis de conclusion chez les deux autres patients. Ainsi le diagnostic de DCP a été confirmé par la microscopie électronique chez 20 sur 56 patients DCP (36 %). 5. Cohortes des 56 patients DCP et des 224 patients non DCP Les caractéristiques épidémiologiques (sexe, modalités de recrutement) étaient superposables dans les deux groupes DCP et non DCP. L’âge moyen au moment du diagnostic de DCP était de 17,2 ans contre un âge moyen de 24 ans lors du bilan dans la cohorte non DCP et de 4,8 ans pour les 40 DCP pédiatriques. Les principaux symptômes cliniques pouvant faire suspecter une DCP ont été regroupé dans le Tableau 1. On notait également une grande fréquence d’interventions ORL (11 poses de drains transtympaniques, 8 amygdalectomies, 12 adénoïdectomies, 2 septoplasties, 3 ethmoïdectomies, 3 polypectomies, 2 interventions de Caldwell Luc et une chirurgie
turbinale) et de lobectomie moyenne dans 24 % des cas pour le groupe DCP. Un retard staturopondéral était présent chez 25 % des 40 patients pédiatriques DCP pour un poids correct à la naissance supérieur à 2,2 kilos dans tous les cas. Diverses pathologies associées ont été relevées dans le groupe DCP : 3 cas de cardiopathie (communication inter-auriculaire, communication inter-ventriculaire, cardiopathie complexe), 4 cas de reflux gastro-œsophagien confirmé par pH-métrie, 2 cas de pathologie hépatique avec stase biliaire, 1 cas de dilatation ventriculaire cérébrale anténatale, 1 cas de polykystose rénale et 11 cas avec anomalie au spermogramme (asthénospermie) et demande de procréation médicalement assistée. Quatre-vingts brossages avec étude en MOCP ont été réalisés pour les 56 patients DCP :
• 1er brossage des 56 cas : 70 % de DCP, 20 % d’anomalies postinfectieuses et 10 % sans conclusion possible ; • 2e brossage dans 17 cas : 68 % de DCP et 12 % d’anomalies postinfectieuses et 20 % sans conclusion possible ; • 3e et 4e brossage dans 6 cas : 100 % de DCP.
L’étude en microscopie électronique a été réalisée sur 47 brossages nasaux et 2 prélèvements bronchiques. Elle avait permis de confirmer le diagnostic de DCP dans 19 cas sur des anomalies ultrastructurales évocatrices de DCP lors du premier examen et dans 1 cas lors d’un deuxième examen. Dans 10 cas la microscopie électronique n’avait pas permis de conclusion diagnostique pour des problèmes techniques (coupes transversales insuffisantes en nombre, prélèvements de mauvaise qualité) ou des problèmes d’anomalies post-infectieuses atypiques et polymorphes. À noter que chez un patient avec situs inversus et symptomatologie clinique évocatrice de DCP, l’examen en MOCP était considéré comme normal à 2 reprises ; la microscopie électronique a permis de redresser le diagnostic (absence des bras de dynéine interne et désorganisation de la paire centrale) avec confirmation de ces anomalies par une deuxième équipe de référence en matière de DCP. Dans un autre cas l’examen en MOCP et la clinique étaient en faveur d’une DCP et la microscopie électronique était normale. S’agissait-il d’anomalies moléculaires sans anomalies ultrastructurales visibles des cils ? S’agissait-il d’un cas de DCP avec des cils normaux ? Ainsi dans 2 cas il existait une discordance entre les résultats en MOCP et en microscopie électronique perturbant le diagnostic final. Les anomalies génétiques ont été identifiées dans 5 cas de DCP (dans un cas les résultats génétiques sont en attente) et se situaient au niveau des gènes CCDC 39 et 40. Pour les 56 cas de DCP, 10 patients (18 %) étaient nés d’un couple consanguin et 13 patients (23 %) avaient des antécédents familiaux de DCP. Une famille avait un fils DCP Kartagener et un fils présentant une mucoviscidose (hétérozygote composite Delta F508/21 N 303 K). Au total le diagnostic de DCP a été retenu chez 56 patients (40 cas pédiatriques et 16 cas adultes) sur les 280 patients avec suspicion de DCP sur les critères suivants :
• tableau clinique compatible avec le diagnostic de DCP dans tous les cas, avec (38 %) ou sans (62 %) situs inversus ; • brossage ciliaire en MOCP avec des anomalies franches, ubiquitaires et permanentes de la fonction ciliaire dans tous les cas ; • anomalies ultrastructurales caractéristiques dans 20 cas sur les 56 DCP (36 %) ; • anomalies génétiques (gènes CCDC 39 et 40) dans 5 cas (9 %) et fréquemment consanguinité parentale (18 %) et antécédents familiaux de DCP (23 %) ;
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• clearance mucociliaire isotopique en faveur d’une DCP (forme respiratoire) dans 10 cas avec absence de transport mucociliaire ou transport fortement ralenti, inefficace (18 %) ; • asthénospermie dans un contexte d’infections respiratoires chroniques dans 11 cas (20 %). 6. Discussion La DCP est une maladie congénitale rare avec une expression clinique et génétique hétérogène rendant le diagnostic difficile pour le pédiatre, le pneumologue, l’ORL, le spécialiste de la fertilité et différents fondamentalistes impliqués en l’absence de gold standard diagnostique dans la littérature [3–5,9]. À partir de notre expérience de 56 cas de DCP comparée aux données de la littérature et face à une symptomatologie infectieuse respiratoire chronique et/ou récidivante sans signe clinique pathognomonique de la DCP nous proposons une démarche diagnostique qui se veut pragmatique, rapide, non invasive, peu coûteuse, facilement applicable en pratique clinique courante et sans limite d’âge. En effet la précocité du diagnostic est un élément essentiel pour le pronostic de la DCP [9]. La détresse respiratoire néonatale inexpliquée, secondaire après une latence de quelques heures, de gravité variable, avec souvent sur la radiographie thoracique un situs inversus et/ou une atélectasie est fréquente dans les DCP pédiatriques (50 %) mais est plus difficile à rechercher à postériori chez les adultes. Ainsi Werner et al. notent une détresse respiratoire néonatale chez 85 % des patients DCP [10]. La présence d’infections ORL et pulmonaires chroniques et récidivantes doit faire évoquer le diagnostic de DCP mais est peu spécifique. L’otorrhée sur drains transtympaniques pour otite séromuqueuse (7/11 poses de drains transtympaniques dans notre série) [11], un syndrome du lobe moyen, des DDB, un encombrement bronchique chronique, des anomalies cardiaques ou neurologiques associées [12] doivent attirer l’attention du clinicien. Il en est de même des antécédents familiaux de DCP, de la notion de consanguinité parentale et de stérilité inexpliquée avec asthénospermie [13]. Ces éléments cliniques plus par leur association que par leur spécificité propre, après élimination de certains diagnostics différentiels, appellent à la poursuite du bilan de DCP par des examens complémentaires. Parmi ceux-ci aucun ne présente tous les critères de « l’examen idéal » en termes de sensibilité, de spécificité, de disponibilité en pratique clinique courante et de faisabilité chez le jeune enfant [3,4]. Face à une suspicion clinique de DCP nous réalisons en première intention un brossage nasal avec examen en MOCP, examen rapide et peu invasif par rapport à la bronchoscopie avec prélèvements bronchiques et aussi contributif au diagnostic [14]. L’analyse en MOCP évalue la cellularité du milieu, la morphologie des cils et l’activité ciliaire normale ou anormale sur plusieurs placards épithéliaux. Une évaluation des battements est possible par comptage ou mieux par vidéocinématographie à haute vitesse qui permet l’étude précise de la fréquence et de la cinétique des battements ciliaires [15]. L’analyse des cellules nasales est réalisé dans 85 % des centres européens investis dans le diagnostic de DCP et dans 27,3 % des centres interrogés selon la Task Force on PCD [7]. Ainsi le premier brossage a permis d’établir un diagnostic dans 75 % des cas (14 % en faveur d’une DCP et 61 % de brossages normaux) ; dans 17 % des cas il était en faveur de modifications non spécifiques post-infectieuses et dans 8 % des cas il n’a pas permis de conclusion diagnostique. Un deuxième brossage chez 34 patients a permis de renforcer la rentabilité diagnostique de cet examen. Ces résultats sont superposables à ceux de Pifferi et al. qui a eu recours à un deuxième brossage chez 25 % des patients DCP [16]. Le principal facteur limitant est l’infection nasosinusienne avec dyskinésie ciliaire acquise [16,17].
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Ainsi pour notre équipe la rentabilité diagnostique du brossage ciliaire MOCP ayant permis de diagnostiquer une anomalie franche, permanente et ubiquitaire de la fonction ciliaire a été de l’ordre de 20 % (56 DCP pour 280 patients suspects de DCP). Ce résultat est probablement lié à l’expérience du clinicien référent et au mode de sélection en amont des patients suspects de DCP, certains étant des faux positifs et d’autres de faux négatifs du fait de l’absence d’étude ultrastructurale et/ou de culture cellulaire systématiques. L’étude de la clearance mucociliaire isotopique nasale a été utilisée chez 10 patients pour évaluer la fonction mucociliaire in vivo par l’étude de la vitesse de déplacement et de la phénoménologie de la migration du traceur isotopique [18]. Dans les 10 cas la corrélation avec les résultats en MOCP était bonne. Une migration normale (5–7 mm/min) permet d’exclure une DCP dans sa forme respiratoire [18,19]. La mesure du NO nasal exhalé utilisé pour le dépistage de la DCP par certains centres en Europe et en Amérique du Nord paraît assez sensible avec une bonne valeur prédictive négative mais peu spécifique (DCP, polyposes nasosinusiennes, sinusites. . .). Sa technique et ses valeurs basales de référence dans la DCP sont en cours de standardisation ; l’examen est cependant difficilement applicable aux jeunes enfants dans le cadre d’un diagnostic précoce, ses résultats semblant en outre inégaux dépendant de l’expérience des centres d’investigation et l’âge des enfants [1,20,21]. La microscopie électronique reste un examen complexe, chronophage, coûteux, pas toujours disponible dans tous les centres, mais très utile pour la confirmation du diagnostic de DCP en cas de MOCP douteuse ; elle est nécessaire pour orienter l’étude génétique [22]. 49 patients de notre série ont bénéficié d’une étude en microscopie électronique et 4 patients de deux analyses ultrastructurales avec confirmation du diagnostic de DCP dans 20 cas (7 % de la cohorte totale et 36 % de la cohorte DCP) et infirmation du diagnostic de DCP chez 16 patients. L’étude ultrastructurale était en faveur d’un aspect post-infectieux chez 5 patients et n’a pas permis de conclusion chez 12 patients, soit 21 % des patients DCP. Dans 2 cas il existait une discordance entre la MOCP et la microscopie électronique perturbant le diagnostic final. En effet dans certains cas de DCP, la microscopie électronique pourrait être normale du fait d’anomalies moléculaires des cils sans traduction ultrastructurale. Aussi, l’absence d’anomalies ultrastructurales dans 10-33 % de DCP [22–24] ne permet-elle pas d’écarter le diagnostic de DCP. Par ailleurs les difficultés inhérentes à l’étude en microscopie électronique, liées à des prélèvements de mauvaise qualité, des anomalies non spécifiques post-infectieuses et des difficultés dans l’interprétation qualitative et quantitative de certaines anomalies ciliaires, constituent des limites à cette technique. Elles ne permettent pas faire de la microscopie électronique le gold standard en termes de sensibilité, de spécificité mais aussi de faisabilité et de rentabilité diagnostiques, ses résultats variant selon les centres d’investigation et l’âge des patients [22]. Ainsi pour Papon et al., sur 1149 examens en microscopie électronique la faisabilité était de 71,4 % soit un taux d’échec de 28,6 % et une pertinence diagnostique de 29,9 % pour la DCP [22]. À l’heure actuelle le grand intérêt de la microscopie électronique outre la confirmation du diagnostic dans les cas douteux est le rattachement des anomalies ultrastructurales aux anomalies génétiques dans le cadre d’étude génotypes-phénotypes pour une expression clinique très hétérogène de la DCP avec des formes précoces très symptomatiques et des formes plus frustres de diagnostic souvent tardif [25]. Les mutations DNAI1 et DNAH5 constituent les anomalies génétiques les plus fréquentes et les mieux connues pour la DCP. Trente et un gènes ont été décrits à ce jour pour la DCP grâce aux progrès considérables du séquenc¸age génétique qui devrait permettre un diagnostic plus précis et plus facile [6,10].
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Fig. 2. Algorithme diagnostique pour la DCP. DCP: dyskinésie ciliaire primitive ; OSM : otite séromuqueuse ; DTT : drains transtympaniques ; MOCP : microscopie optique à contraste de phase.
La culture de cellules ciliées avec étude de la ciliogénèse réalisée par quelques équipes permet de différencier dyskinésie ciliaire primitive (DCP) et dyskinésie ciliaire acquise (DCA), en particulier post-infectieuse, avec une sensibilité et une spécificité de près de 100 %. La culture cellulaire avec un taux de succès entre 50 et 75 % est également intéressante dans les cas de DCP avec ultrastructure normale dans le cas où la microscopie électronique n’est pas contributive pour le diagnostic. Cette culture cellulaire qui peut être réalisée sur biopsie nasale ou brossage nasal moins invasif est intéressante dans les cas douteux après les examens de première intention [20–27]. Ainsi dans une série de 59 patients, Pifferi et al. retiennent le diagnostic de DCP dans 22 % des cas, de dyskinésie ciliaire acquise post-infectieuse dans 63 % des cas. Dans 15 % des cas il n’a pas été possible de conclure en raison de problèmes techniques et/ou un de matériel insuffisant ou trop abîmé pour la culture [16,28]. Ainsi au terme de cette étude reflétant notre expérience du dépistage et du diagnostic de DPC et de la revue de la littérature qui
ne propose pas de gold standard admis par tous, nous préconisons en première intention le brossage nasal avec étude de la morphologie et de l’activité ciliaire en MCOP. L’expérience du clinicien, la sélection des patients en amont, l’intégration systématique des résultats de la MOCP dans le contexte clinique et anamnestique sont impératives pour une bonne rentabilité diagnostique. Dans les cas douteux et en fonction des possibilités techniques du centre d’investigation il convient de compléter le bilan par une étude de l’ultrastructure des cils et/ou une étude génétique, afin de limiter au maximum les faux positifs et les faux négatifs (Fig. 2). La faisabilité et le caractère non invasif de la démarche diagnostique conditionnent largement la possibilité pour un centre d’investigation de répondre aux nombreuses demandes de bilan pour suspicion de DCP. Dans notre série l’âge au moment du diagnostic était de 17,2 ans pour la cohorte DCP contre 26,4 ans pour une étude similaire dans le même centre en 2005 [29] et de 4,8 ans pour les 40 DCP pédiatriques. L’âge médian au moment du diagnostic dans l’enquête pédiatrique européenne était de 5,3 ans [30].
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Face à cette maladie encore sous diagnostiquée, la précocité du diagnostic est fondamentale pour améliorer le pronostic et limiter le coût lié au nomadisme médical et chirurgical des patients. Les études de modèles animaux et de différents microorganismes ainsi que les progrès des techniques de séquenc¸age génétique devraient permettre une meilleure compréhension du rôle des cils et flagelles et de leur expression dans les multiples ciliopathies congénitales dont la DCP dans sa forme respiratoire. De même l’analyse de grandes séries de patients, la standardisation et la hiérarchisation des différents examens complémentaires devraient permettre une meilleure approche clinique, diagnostique et thérapeutique que permettrait un travail de consensus réalisé par différents centres d’investigation et de recherche à l’échelon international. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Remerciements Les auteurs remercient les Docteurs L. Weiss, L. Donato et A. Philippe pour leur implication dans le diagnostic des patients DCP pédiatriques. Références [1] Centre de référence des maladies respiratoires rares. Algorithme pour le diagnostic de dyskinésie ciliaire primitive. Recommandations élaborées par le groupe de travail « dyskinésie ciliaire primitive » du centre de référence des maladies respiratoires rares; 2011 www.respirare.fr. [2] Behan L, Dimitrov BD, Kuehni CE, et al. PICADAR: a diagnostic predictive tool for primary ciliary dyskinesia. Eur Respir J 2016;47:1103–12. [3] Kuehni CE, Lucas JS. Toward an earlier diagnosis of primary ciliary dyskinesia. Which patients should undergo detailed diagnostic testing? Ann Am Thorac Soc 2016;13:1239–43. [4] Dehlink E, Hogg C, Carr SB, et al. Clinical phenotype and current diagnostic criteria for primary ciliary dyskinesia. Expert Rev Respir Med 2016;19: 1–13. [5] Amirav I, Roduta Roberts M, Mussaffi H, Mandelberg A, Roth Y, et al. Collecting clinical data in primary ciliary dyskinesia-challenges and opportunities. Version 2. F1000Res 2016;5:2031 [eCollection 2016]. [6] Popatia R, Haver K, Casey A. Primary ciliary dyskinesia: an update on new diagnostic modalities and review of the literature. Pediatr Allergy Immunol Pulmonol 2014;27:51–9. [7] Strippoli MP, Frischer T, Barbato A, et al. Management of primary ciliary dyskinesia in Europan children: recommendations and clinical practice. Eur Respir J 2012;39:1482–91.
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