3quel est votre diagnostic ?
Feuillets de Radiologie 2008, 48, n° 5,321-324 © 2008. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Douleur et voussure de l’hypochondre droit A. El Kharras 1, D. Bassou 1, M. Yaka 2, A. Ehirichiou 2, M. Jidal 1, M. Benameur 1, A. Darbi 1 1. Service d’imagerie médical, 2. Service de chirurgie viscérale et proctologie, hôpital militaire Med V, Rabat, Maroc. Correspondance : El Kharras, ALEM, Imm. A7, Appt. 15, Menzeh, Rabat, Maroc. Email :
[email protected]
Observation Il s’agit d’un patient âgé de 54 ans ayant présenté une douleur de l’hypochondre droit, évoluant depuis deux semaines, non améliorée par le traitement symptomatique. L’examen physique a trouvé un patient apyrétique en assez bon état général, présentant une voussure sensible ferme du flanc droit, fixe par rapport aux plans cutané et profond. Le bilan biologique a montré une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles, et une VS accélérée à 30 mm la première heure. On réalise une échographie (fig. 1) et un scanner abdominal (fig. 2).
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Quel est votre diagnostic ? Réponse page 322 B
Figure 1. Échographie abdominale.
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Figure 2. Scanner abdominal. Coupes axiales après injection de contraste et balisage digestif (A) et reconstructions coronales (B).
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Réponse de la page 321
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Diagnostic Amoebome du colon droit.
Analyse des images L’échographie abdominale (fig. 1) montre une vésicule biliaire multi lithiasique non distendue à parois discrètement épaissies associée à une formation hétérogène mal limitée de l’hypochondre droit (antro-duodénale ou colique ?). La TDM abdominale après ingestion de la gastrographine, et injection intraveineuse du produit de contraste (fig. 2) met en évidence un processus aux dépens du côlon droit de plage hétérogène rehaussé en périphérie et renfermant au centre une composante hypodense nécrotique associée à une infiltration modérée de la graisse péri colique. Ce processus jouxte la face inférieure de la vésicule biliaire et entraîne un rétrécissement de la lumière colique sans signe d’occlusion. Une colonoscopie a permis d’objectiver un processus sténosant infranchissable et les résultats anatomopathologiques des biopsies réalisées étaient non concluants. Le diagnostic de cancer colique a été soulevé devant l’aspect en imagerie. Une cholécystectomie avec hémicolectomie droite a été réalisée avec une anastomose iléo-colique termino-terminale. Macroscopiquement (fig. 3), la partie médiane de la colectomie était occupée par une masse indurée mesurant 8 cm × 5 cm de diamètre avec sténose de la lumière colique ; la muqueuse à ce niveau était ulcérée. Le diagnostic d’amoebome colique a été retenu sur les constatations de l’examen microscopique, et le patient a été mis sous métronidazole à raison de deux comprimés trois fois par jour pendant trois semaines en complément du traitement chirurgical. La coproparasitologie des selles, demandée par la suite, était négative. Les suites opératoires étaient simples et l’évolution après un an était favorable.
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Discussion L’amibiase est une affection cosmopolite touchant 10 % de la population mondiale. Elle est endémique dans les pays chauds et humides. La maladie est liée au péril fécal et avec les mauvaises conditions d’hygiène fécale [1, 2]. L’amoebome est une pseudotumeur, très rare, parasitaire du côlon. L’amoebome colique est l’une des rares complications de l’amibiase intestinale qui se développe parfois longtemps après une amibiase aiguë mais aussi de façon inaugurale comme c’est le cas de notre patient [3, 4]. L’agent pathogène est l’Enta-
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Figure 3. Pièce opératoire montrant un épaississement de la paroi du côlon avec des zones d’ulcérations et masse indurée de la lumière colique.
moeba histolytica qui existe sous trois formes [2, 4]. La forme végétative hématophage et pathogène (E. histolytica histolytica) est responsable de l’amibiase maladie. L’amibe hématophage acquiert un pouvoir histolytique nécrosant lui permettant de traverser par effraction la muqueuse intestinale déterminant des ulcérations de la paroi colique qui se surinfectent formant des abcès [3, 5]. De là, par voie hématogène, elles peuvent
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A. El Kharras et al.
essaimer dans d’autres organes comme le foie, le poumon ou autres [2, 4, 5]. L’amoebome colique est rarement solitaire, sa taille est variable pouvant atteindre 15 cm de longueur. Il se rencontre souvent chez l’homme entre 20 à 60 ans. La symptomatologie clinique est non spécifique faite de douleurs abdominales, constipation, diarrhée sanglante, altération de l’état général, ou état pseudo-occlusif [6]. La présence d’une masse abdominale est possible comme dans notre cas. L’amoebome peut également être associé à une colite fulminante (complication rare de l’amibiase maladie), ou rarement à un abcès amibien hépatique et peut être diagnostiqué à tort comme un cancer colorectal métastatique [7, 8]. L’aspect en imagerie de l’amoebome est non spécifique. Il siège souvent dans le cæcum ou dans le recto-sigmoïde [6, 9]. Chez notre malade, la masse intéressait le côlon ascendant. Le lavement baryté montre un segment rétréci du colon de longueur variable avec une irrégularité de la muqueuse associée à une perte des haustrations. Dans certains cas, l’amoebome peut passer inaperçu à l’échographie et l’aspect en tomodensitométrie simule souvent un cancer colique [6, 10]. Les examens coprologiques sont habituellement négatifs, mais le sérodiagnostic est positif comme dans les amibiases viscérales [5, 7]. Il faut demander deux techniques complémentaires (ELISA et immunofluorescence indirecte). L’endoscopie permet le diagnostic positif dans 60 % des cas grâce aux biopsies réalisées. L’aspect macroscopique à l’endoscopie peut poser le problème du diagnostic différentiel avec un carcinome [9, 11]. Le diagnostic différentiel se pose également en imagerie avec les autres
Références 1. 2. 3.
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6.
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pseudotumeurs inflammatoires coliques, à savoir la tuberculose iléo-ceocale hypertrophique, l’actinomycose pseudo-tumorale, la maladie de Crohn iléo-cæcale [11, 12]. L’anatomie pathologique montre un épaississement fibreux localisé de la paroi intestinale qui sténose la lumière et s’étend dans le méso renfermant un infiltrat inflammatoire lympho-plasmocytaire avec de nombreuses amibes hématophages [2, 13]. Si le diagnostic de l’amoebome est suspecté cliniquement, le traitement serait médical et l’amoebome peut fondre sous l’effet des amoebocides tissulaires dont le chef de file est le métronidazole [3, 14]. Le traitement chirurgical est réalisé en cas de séquelles importantes ou de doute sur une affection associée [10, 15]. Le plus souvent, l’amoebome n’est reconnu qu’à l’intervention chirurgicale et le traitement médical est associé à l’exérèse d’une pièce opératoire prise abusivement pour un cancer comme dans notre cas.
Conclusion L’amoebome est une pseudotumeur inflammatoire parasitaire rare du colon. Son diagnostic est difficile vu sa symptomatologie clinique peu spécifique et l’aspect en imagerie pouvant simuler un cancer ou une maladie inflammatoire chronique intestinale. Bien qu’il soit rare, il devrait être inclus en tant qu’un des diagnostics différentiels des masses du côlon et demander une sérologie amibienne.
cada R. Radiology of invasive amebiasis of the colon. AJR Am J Roentgenol 1977; 128:935-41. 7. Salles JM, Moraes LA, Salles MC. Hepatic amebiasis. Braz J Infect Dis 2003;7:96110. 8. Sharma D, Patel IK, Vaidya VV. Amoeboma of ascending colon with amoebic liver abcesses. J Assoc Physicians India 2001;49:579-80. 9. Bogers J, Van Marck E. Infections tropicales et helminthiques du tractus gastro-intestinal Acta Endoscopica 2002;32:185-94. 10. Mhlanga BR, Lanoie LO, Norris HJ, Lack EE, Connor DH. Amebiasis complicating carcinoma: a diagnostic dilemma. Am J Trop Med Hyg 1992;46:759-64. 11. Majeed SK, Ghazanfar A, Ashraf J. Caecal amoeboma simulating malignant neopla-
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sia, ileocaecal tuberculosis and Crohn’s disease. J Coll Physicians Surg Pak 2003; 13:116-7. Guzman Valdivia Gomez G, Chavelas Lluck M, Medina Gonzales E. Unsuspected tumor of the colon. Rev Gastroenterol Mex 1996; 61:362-5. Potet F, Barge J, Flejou JF, Zeitoun P. Colites parasitaires. In: Histopathologie du tube digestif. Paris: Masson, 1987, p. 166. Powell SJ, MacLeod I, Wilmot AL. Metronidazole in amoebic dysentery and amoebic liver abscess. Lancet 1966;2:1329-31. Sigler Morales L, Mier y Díaz J, Melgoza Ortiz C, Blanco Benavides R, Medina González E. Amebiasis: surgical treatment in 1989. Rev Gastroenterol Mex 1989;54:1859.
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Douleur et voussure de l’hypochondre droit
2test de formation médicale continue
Qu’avez-vous retenu de cet article ? Testez si vous avez assimilé les points importants de cet article en répondant à ce questionnaire sous forme de QCM. 1. Concernant l’amoebome colique : A : L’agent pathogène est l’Entamoeba histolytica ; B : Il s’agit d’une pseudotumeur parasitaire du côlon très fréquente ; C : Il siège souvent dans le cæcum ou dans le recto-sigmoïde ; D : Le tableau clinique est spécifique. 2. Quelles sont les propositions exactes ? A : L’amoebome est une complication de l’amibiase intestinale qui peut se développer longtemps après une amibiase aiguë ; B : L’amoebome colique est toujours solitaire ; C : L’amoebome peut être associé à une colite fulminante ou à un abcès amibien hépatique ; D : Les examens coprologiques sont habituellement positifs.
3. Concernant l’amoebome colique : A : Le sérodiagnostic est positif comme dans les amibiases viscérales ; B : L’aspect en imagerie de l’amoebome est spécifique ; C : Dans certains cas l’amoebome peut passer inaperçu à l’échographie ; D : L’aspect en tomodensitométrie simule souvent un cancer colique. 4. Quelles sont les propositions fausses ? A : L’endoscopie permet le diagnostic positif dans 60 % des cas grâce aux biopsies réalisées ; B : Le diagnostic différentiel se pose avec la tuberculose iléo-ceocale hypertrophique et la maladie de Crohn iléo-cæcale ; C : Le traitement médical de l’amoebome colique est basé sur les amoebocides tissulaires ; D : Le traitement chirurgical est toujours indiqué en cas d’amoebome colique.
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