Échec du traitement de Plasmodium falciparum par atovaquone-proguanil Atovaquone-proguanil treatment failure in Plasmodium falciparum Le paludisme est une parasitose érythrocytaire de distribution (sub-) tropicale. Cette protozoose, à l’origine d’environ 250 millions d’accès annuels dans le monde, est due à des protozoaires du genre Plasmodium. Le moustique anophèle joue le rôle de vecteur dans la transmission de la maladie. Nous rapportons le cas d’une récidive d’accès palustre à Plasmodium falciparum après traitement bien conduit par atovaquone-proguanil (AP). Cas clinique Un homme de 35 ans d’origine guinéenne, pesant 70 kg et sans antécédent, a eu deux jours avant la fin d’un voyage d’une durée d’un mois en Guinée-Conakry (sans chimioprophylaxie antipalustre), une fièvre accompagnée de céphalées, myalgies et asthénie. Le diagnostic d’accès palustre à P. falciparum a été établi au laboratoire de garde des urgences du CHRU de Tours, sur la positivité du frottis sanguin et la recherche d’antigène HRP-2 par le kit ICT BinaxNOWW Malaria. Il n’y avait pas de signe de gravité clinicobiologique, hormis une parasitémie estimée à 7 %. Il a reçu un traitement par AP en milieu hospitalier : quatre comprimés par 24 heures, trois jours de suite, avec une évolution clinique et biologique favorable, ayant permis son retour à domicile. Le contrôle parasitaire réalisé en ville environ une semaine après le premier jour de traitement retrouvait la présence de P. falciparum, non quantifiée. Vingt jours après le premier diagnostic établi aux urgences, les symptômes réapparaissaient, motivant à nouveau une consultation aux urgences où le frottis et la goutte épaisse positifs confirmaient l’échec du traitement. La parasitémie était alors évaluée à 1,7 %, avec envoi des prélèvements au Centre National de Référence (CNR) du paludisme pour typer la souche et rechercher une éventuelle résistance. Malheureusement ce prélèvement réalisé un vendredi n’a pas pu être analysé face à un défaut d’acheminement inhérent au week-end. Le patient était traité par quinine per os 1500 mg par 24 heures en trois prises durant sept jours, avec une évolution clinique favorable
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et des parasitémies négatives à j3 et j7. Le bilan biologique de suivi d’un accès palustre était sans particularité, il n’y avait pas de stigmate d’accès grave avec une glycémie, une numération formule sanguine et un TP normaux. La sérologie antipalustre sur le prélèvement au décours de cette seconde hospitalisation accroche à la première dilution au 1/40e (technique Falciparum – spot IF/BioMérieux/CP). Nous l’avons cependant considérée comme négative car n’étant pas assez significative. Le patient était sorti d’hospitalisation à j8 avec prescription d’un contrôle parasitologique à j28 avec consultation médicale au décours. Le patient n’est pas revenu en consultation et n’a pas réalisé le contrôle parasitaire à j28.
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Discussion Le paludisme d’importation en France est en diminution, mais reste une affection grave pouvant être mortelle si l’espèce Plasmodium falciparum est impliquée [1–3]. En France, l’AP constitue la première ligne thérapeutique à visée curative [1] pour les accès simples (48,4 %) devant la quinine (26,5 %). Ce cas clinique permet de discuter les différents mécanismes d’échec du traitement antipaludique par AP. Une mauvaise observance du traitement peut expliquer un échec thérapeutique. Dans ce cas clinique, cela semble peu probable puisque la prise en charge a été conduite en milieu hospitalier. D’une façon générale, la mauvaise observance peut être expliquée par une compliance aléatoire et/ou une incompréhension des modalités de prise du traitement, mais également par le problème du coût du médicament. En ce qui concerne la prophylaxie du paludisme, seuls 29 % des patients impaludés déclarent avoir pris un médicament adapté au pays visité, avec des prises jugées correctes et régulières [1]. Les dosages plasmatiques des substances médicamenteuses, réalisés en guise de contrôle, démentent bien souvent ces déclarations. Les conséquences d’une mauvaise observance sont multiples et potentiellement graves : échec thérapeutique et survenue de résistance parasitaire [4]. Un trouble de l’absorption peut également expliquer un échec du traitement. L’atovaquone est une molécule très lipophile [5,6] dont la biodisponibilité est augmentée lors d’une prise en association avec un repas. Un échec du traitement peut donc s’expliquer par une prise en dehors de tout repas, ce qui n’a pas été le cas ici. Le patient peut également avoir des vomissements lors de sa crise palustre, et ainsi ne peut absorber son
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traitement, raison pour laquelle l’AP ne doit pas être prescrite si des nausées et/des vomissements étaient présents. Dans notre cas, les médicaments ont été bien pris sous surveillance médicale, lors d’une prise alimentaire classique. Les résistances de P. falciparum sont plus ou moins importantes selon la zone géographique et la prise de chimioprophylaxie. À notre connaissance, aucun cas de résistance du parasite à l’AP n’a été rapporté chez les voyageurs en provenance de Guinée. Nous trouvons cependant dans la littérature des cas similaires d’échec d’AP décrits en traitement prophylactique de la survenue d’un accès palustre dans d’autres pays africain (Cameroun ou Comores) [7,8]. De plus, jusqu’ici l’AP n’est habituellement pas utilisée par les autorités de santé et les structures sanitaires de ce pays, en guise de traitement curatif ou préventif. Dans le cas rapporté ici, le centre de référence du paludisme n’a pas pu rechercher les résistances et mutations (par exemple mutation Y268S ou Y268 N du cytochrome b) de la souche pour des raisons logistiques lors de l’envoi au CNR [8,9]. Les conditions de transport ont été optimisées et validées en 2008 : un transporteur agréé rapatrie les échantillons en moins de 24 heures, les colis permettant un maintien à une température inférieure à 8 8C pendant 48 heures. La présence d’enregistreur de température permet d’assurer la traçabilité de cette phase pré-analytique [1]. Ce cas souligne l’importance et la nécessité d’organiser le transport et la réception des prélèvements jusqu’au laboratoire du CNR afin de pouvoir rechercher les mutations pouvant être responsable de résistance et savoir si elles existaient avant la mise en place du traitement ou non : résistance acquise ou innée ? En effet, les tests de chimiosensibilité ne peuvent être réalisés par le CNR que sous certaines conditions précises : la parasitémie doit être supérieure à 0,01 %, les formes plasmodiales ne doivent pas être altérées et l’acheminement de l’échantillon biologique doit se faire absolument dans les 48 heures qui suivent le prélèvement sanguin [1]. Cette observation permet également de souligner la nécessité de la surveillance clinicobiologique avec parasitémie à j3, j7 et j28 à réaliser dans le même laboratoire afin d’anticiper les échecs cliniques et parasitologiques tardifs qui se définissent par une parasitémie positive entre j7 et j28 associée à une fièvre. Les recommandations pour la pratique clinique concernant la surveillance post-traitement du paludisme sont : un contrôle par frottis-goutte épaisse à j3 (parasitémie inférieure à 25 % de la valeur initiale et fièvre < 37,5 8C), j7 (parasitémie négative) et j28 (absence de symptômes et de parasitémie détectable). Cependant ces recommandations sont peu suivies, puisqu’il n’y a pas de contrôle à j3 dans plus de 50 % des cas, pas de contrôle à j7 dans plus de 65 % des cas. Dans plus de 80 % des cas, le suivi à j28 n’est pas réalisé [2]. Ces patients, perdus de vue probablement du fait d’une amélioration de la symptomatologie clinique, ne jugent pas nécessaire de réaliser
le suivi post-thérapeutique. Cependant, les conséquences d’une récidive secondaire d’accès palustre peuvent être plus graves avec un possible retard diagnostique ou entraîner d’autres types de complication, par exemple neurologique [10]. L’importance du suivi est ainsi primordiale. Parmi les échecs thérapeutiques après traitement par AP, recueillis par le CNR, environ la moitié des cas sont des souches résistantes à l’atovaquone et l’autre moitié consécutive à une malabsorption [2]. L’absorption de l’atovaquone peut s’apprécier par un dosage plasmatique des taux sanguins de la molécule. La résistance de la souche est recherchée par biologie moléculaire (mutation du cytochrome b au niveau du codon 268) [11,12] et par des tests de sensibilité in vitro, via la détermination de concentration minimale inhibitrice par méthode de microdilutions en plaque. Les rares cas de résistance par mutation s’observent sur des isolats obtenus lors de suivi de patients en situation d’échec tardif après thérapie antipaludique et non sur les souches initiales, avant traitement [13]. Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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CHU Bretonneau, service de médecine interne et maladies infectieuses, 37044 Tours, France 2 CHU Bretonneau, service de parasitologie-mycologie-médecine tropicale, 37044 Tours, France 3 Faculté de médecine, université François Rabelais, 37000 Tours, France Correspondance : Laetitia Contentin, hôpital Bretonneau, service de médecine interne et maladies infectieuses 37044 Tours cedex 09, France.
[email protected] Reçu le 20 janvier 2011 Accepté le 22 mars 2011 Disponible sur internet le 13 mai 2011 ß 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés doi: 10.1016/j.lpm.2011.03.009
Intoxication aiguë transcutanée par organophosphorés : à propos d’une observation pédiatrique Acute percutaneous organophosphate poisoning: About a pediatric case Les organophosphorés (OP) sont des toxiques létaux, à action systémique prédominante, dont le mécanisme d’action principal est de bloquer la dégradation de l’acétylcholine au niveau des synapses cholinergiques par inhibition irréversible des cholinestérases [1]. L’intoxication peut survenir par ingestion, inhalation ou exposition cutanée. Nous rapportons un cas d’intoxication aux OP par voie transcutanée chez l’enfant. Observation Un nourrisson de neuf mois, de sexe féminin, sans antécédent pathologique notable, était admis en réanimation pédiatrique pour prise en charge d’une détresse respiratoire avec troubles de conscience. La symptomatologie remontait à deux jours auparavant débutant par une gastro-entérite fébrile. À l’admission, l’examen clinique trouvait une patiente comateuse avec un score de Glasgow à 4, pupilles en myosis serré, hypotonique, fébrile à 39 8C sans signes de focalisation ni raideur de nuque. Elle était polypnéique à 40 cycles par minute, sa saturation en O2 était de 95 % sous masque à haute concentration avec hypersialorrhée et larmoiement. Elle était stable sur le plan
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Laetitia Contentin1,3, Leslie Grammatico-Guillon13, Guillaume Desoubeaux23, Sabine Baron13, Hai Duong Thanh23
hémodynamique avec une pression artérielle à 92 mmHg de systolique et 60 mmHg de diastolique et une fréquence cardiaque à 125 battements par minute, l’abdomen était souple sans masse palpable. Sa prise en charge en réanimation a consisté en un monitorage (scope, SpO2, pression non invasive, diurèse), intubation et sédation, protection gastrique par antiH2, antipyrétique par paracétamol et protection anticomitiale (phénobarbital 10 mg/kg). De la ceftriaxone à dose méningée a été administrée dans l’attente des résultats de la ponction lombaire réalisée après mise en condition. Un bilan biologique métabolique, toxique (prélèvements au niveau sanguin, urinaire et gastrique), infectieux et radiologique a été réalisé. Le bilan métabolique était normal ainsi que la tomodensitométrie cérébrale et la ponction lombaire qui ne montrait pas d’anomalie. Le bilan toxicologique par chromatographie sur couche mince a objectivé une activité cholinestérasique érythrocytaire à 33 % et plasmatique en 69 % avec des traces d’OP dans les urines. La recherche toxique au niveau du liquide gastrique est revenue négative. La reprise de l’interrogatoire a retrouvé l’application sur le front, un jour avant l’hospitalisation, d’une plante Chenopodium ambrosioides (appelé mkhinza au Maroc). C’est une plante qui se trouve dans les champs agricoles, considérée comme une plante médicinale communément utilisée dans un but antipyrétique chez l’enfant. L’analyse de la plante appliquée par chromatographie gazeuse révélait la présence de Malathion au niveau de la plante. Le Malathion est un pesticide communément utilisé dans l’agriculture au Maroc. Un traitement spécifique a été entrepris consistant en une administration intraveineuse d’atropine (0,02 mg/kg en injection intraveineuse directe toutes les cinq minutes jusqu’à l’apparition d’une mydriase, puis diminution progressive des doses adaptée à la clinique). L’antidote (pralidoxime) n’était pas disponible. L’évolution a été marquée par une amélioration neurologique avec début de réveil à j4 et extubation à j5 ; le nourrisson est retourné à domicile à j6. Discussion En raison de leur absence d’accumulation dans l’organisme, les OP sont utilisés à large échelle depuis 1935 comme insecticides (IOP) en remplacement des organochlorés. Ce sont des toxiques potentiellement létaux en cas d’intoxication aiguë avec une fréquence importante particulièrement dans les pays en voie de développement avoisinant trois millions d’intoxications par an dans le monde entier et une mortalité de l’ordre de 200 000 personnes par an [2,3]. Au Maroc, cette intoxication représente 30 % des intoxications aux pesticides. Elle est l’apanage de l’enfant dans 40 % des cas avec un sex-ratio à 0,9 [4]. L’intoxication par les OP se fait par ingestion, pénétration cutanée, inhalation ou pénétration oculaire. Les OP bloquent les cholinestérases et provoquent une accumulation d’acétylcholine responsable des syndromes muscarinique, nicotinique
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[13] Thapar MM, Gil JP, Björkman A. In vitro recrudescence of Plasmodium falciparum parasites suppressed to dormant state by atovaquone alone and in combination with proguanil. Trans R Soc Trop Med Hyg 2005;99(1):62-70.