Éducation thérapeutique en rhumatologie : l’exemple de la polyarthrite rhumatoïde

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Dossier thématique Éducation thérapeutique du patient et maladies chroniques

Éducation thérapeutique en rhumatologie : l’exemple de la polyarthrite rhumatoïde Patient education in rheumatic diseases: Example of rheumatoid arthritis

C. Beauvais

Résumé 

Service de rhumatologie, Hôpital Saint-Antoine, AP-HP, Paris.

L’éducation thérapeutique du patient (ETP) pour les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR) représente une très large part des programmes français en rhumatologie. Suite aux nouvelles stratégies thérapeutiques et à l’avènement des biothérapies, l’ETP fait partie intégrante des recommandations de prise en charge. Plusieurs programmes français ont publiés leurs pratiques et leurs résultats, confirmant l’intérêt de l’ETP dans la PR, même si l’évaluation montre des résultats discordants. Les difficultés rencontrées ont pu être reconnues grâce à plusieurs enquêtes de la Section ETP de la Société française de rhumatologie : inadéquation entre l’offre et la demande, difficultés du parcours éducatif, défaut de recrutement des patients ou de communication avec les rhumatologues traitants. Du point de vue des équipes soignantes, le manque de temps ou de reconnaissance peut être une source de fatigue et de stress. Les perspectives seraient de diffuser la posture éducative en formant les professionnels, d’étudier des stratégies éducatives plus ciblées ou stratifiées, et d’utiliser à l’avenir les moyens de communication du Web.

Mots-clés : Polyarthrite rhumatoïde – éducation thérapeutique du patient – médecine centrée sur le patient.

Summary Patient education for rheumatoid arthritis (RA) represents a large part of self-management programs in rheumatic diseases in France. Due to treat-to-target strategies and the increasing use of biologics, patient education is recognized and recommended in RA management. Several French programs have recently showed positive results, although assessment of self-management approaches is still controversial. The programs encounter difficulties, better known through surveys by the Section for Therapeutic patient education of the French Society of Rheumatology: gap between supply and needs, optimizing patients’ educational care, difficulties in enrolling patients, limited communication among health professionals (HPs) in charge. Lack of time for performing education and lack of recognition can cause fatigue and stress among HPs. Perspectives should include doctors’ and HPs’ training to the patient-centered care approach, developing research on targeted or stratified education strategies and the development of web-based patient education.

Key-words: Rheumatoid arthritis – therapeutic patient education – patient-centered Correspondance

care.

Catherine Beauvais Service de rhumatologie Hôpital Saint-Antoine 184, rue du Faubourg Saint-Antoine 75012 Paris [email protected] © 2014 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.

Introduction L’éducation thérapeutique du patient (ETP) pour les patients atteints de

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polyarthrite rhumatoïde est la démarche éducative la plus représentée en rhumatologie. Au cours des dernières années, les rhumatologues et les soignants ont

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Dossier thématique Éducation thérapeutique du patient et maladies chroniques adapté l’organisation et le contenu de leurs démarches éducatives, et l’ETP a connu un formidable essor et une reconnaissance pour les maladies rhumatologiques. Il existe des difficultés, mais également des points positifs sur lesquels s’appuyer pour l’avenir.

État des lieux Une maladie invalidante, un traitement complexe • La polyarthrite rhumatoïde (PR) est, avec les spondyloarthrites, le rhumatisme inflammatoire chronique (RIC) le plus fréquent en France. Environ 600 000 patients sont atteints de ces deux maladies chroniques. • La PR affecte des personnes d’âge moyen, vers la cinquantaine, principalement les femmes. Cependant, des patients plus jeunes sont aussi à risque d’être atteints. La douleur est le maître symptôme, caractérisé par des réveils nocturnes et un dérouillage matinal des articulations, associée à des gonflements et des limitations articulaires, entraînant un gros impact sur la vie quotidienne. La nouvelle stratégie thérapeutique mise en place depuis plusieurs années, et l’avènement des bio-médicaments (biothérapies) depuis presque 15 ans, permet un meilleur contrôle de la maladie, en vue d’éviter les déformations caractéristiques et le handicap. Cette stratégie, appelée «  treat-to-target  » (« traiter selon l’objectif »), applicable dès le début de la maladie, implique une adaptation du traitement selon des critères d’activité, un suivi rapproché (« tight control ») et l’utilisation rapide des bio-médicaments si les traitements conventionnels, tel le méthotrexate, sont insuffisants (tableau I [1]). • Cette prise en charge a changé le visage de la PR, mais les besoins éducatifs des patients restent nombreux. Comme pour toutes les maladies chroniques, les patients doivent d’adapter à l’irruption de la PR dans leur vie sociale, familiale, et professionnelle. Une enquête, effectuée en pratique courante de consultation hospitalière et libérale, a montré que 64 % des patients exprimaient au moins un besoin éducatif, avec une grande part de besoins

Tableau I. Stratégie thérapeutique de la polyarthrite rhumatoïde [d’après 1]. But : rémission ou faible activité de la maladie. • Traitement de fond – Conventionnel • méthotrexate • léflunomide ou sulfasalazine, si intolérance ou contre-indication au méthotrexate  – Bio-médicaments ou biothérapies, si traitement conventionnel insuffisant : • Anti-tumor necrosis factor (TNF)-_ • Anti-interleukine (IL)-6 • Anti-cytotoxic T-lymphocyte associated protein-4 (CTLA-4) • Anti-antigène CD20. • Traitement symptomatique – Corticoïdes (au mieux en début de maladie, sur une courte durée ; ou dose minimale faible si échec des essais de sevrage malgré un traitement de fond adéquat) ; – Anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) – Antalgiques – Traitements locaux. • Traitement non médicamenteux – Information et éducation du patient – Auto-gymnastique et activité physique – Orthèses – Prise en charge psychosociale – Information sur les associations de patients. • Prévention et traitement des co-morbidités en particulier – Sevrage tabagique – Ostéoporose – Maladies cardiovasculaires.

psychosociaux d’adaptation. Ainsi, parmi les besoins éducatifs identifiés, 55 % concernaient la maladie, 39 % le traitement, 35 % la vie sociale et familiale, 44 % la vie professionnelle, 49 % la santé psychologique, et 34 % le système de soins [2]. • En raison des nouvelles stratégies thérapeutiques, les patients ont à gérer un traitement complexe, souvent en autoinjection, avec nécessité de prévention des effets indésirables infectieux, de précautions à prendre pour les voyages, les soins dentaires, ou la chirurgie, ainsi que de programmation de la grossesse en cas de désir d’enfant [3]. De plus, les nouvelles thérapeutiques, même si elles sont plus efficaces, n’échappent pas à la problématique de l’adhésion au traitement. Enfin, la prévention et le traitement des co-morbidités est devenue partie intégrante de la prise en charge [1]. Le sevrage tabagique fait partie des recommandations, car le tabac aggrave la PR et diminue les effets des traitements. Ainsi, de façon consensuelle, les objectifs éducatifs des patients PR couvrent tous les champs de l’auto-soins et de l’adaptation (tableau II).

Pratiques, organisation, efficacité de l’ETP pour les patients PR • L’ETP actuelle pour les patients PR est issue de l’adaptation des prises en charge pluridisciplinaire des rhumatismes, mise en place à partir des années 1990, dont le contenu était, la plupart du temps, descendant et prescriptif. Depuis 10 ans, un effort de formation des soignants et des médecins a permis de proposer une ETP centrée sur le patient. La visibilité de l’ETP en rhumatologie a augmenté depuis la création, en 2008, de la Section ETP de la Société française de rhumatologie et d’un diplôme d’ETP spécifique de la Section pour les soignants en rhumatologie, qui ont stimulé l’entraide, le partage d’expérience et la recherche. • Un recensement des programmes d’ETP, réalisé fin 2012, à partir des sites Internet des Agences régionales de santé (ARS) [4], retrouve 165 programmes consacrés aux maladies ostéoarticulaires (soit 5,4 % des programmes français). Les rhumatismes inflammatoires chroniques (RIC) sont

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Tableau II. Objectifs pédagogiques pour les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde. 1. Mieux connaître la maladie. 2. Connaître les principes généraux des traitements (fond et/ou symptomatique). 3. Prévenir et gérer les effets indésirables des traitements. 4. Acquérir des compétences d’auto-soins (auto-injection). 5. Gérer et prévenir la douleur (inflammatoire et/ou mécanique). 6. Gérer la fatigue. 7. Protéger ses articulations (économie articulaire/ergothérapie). 8. Réaliser une auto-gymnastique. 9. Réaliser des activités physiques adaptées. 10. Mettre en œuvre les conseils hygiéno-diététiques. 11. Agir positivement avec l’environnement affectif, social et professionnel. 12. Mieux se situer psychologiquement (vécu, crainte, dépression, angoisse). 13. Mieux faire face à la maladie. 14. Mieux suivre le traitement.

les mieux représentés : 80 programmes, dont 28 pour la PR, et six pour la spondyloarthrite ; 38 s’adressent de façon commune aux RIC, et 10 aux RIC et autres pathologies. Parmi ces 80 programmes, 34 sont réalisés en CHU, 44 en hôpital général, un en centre de rééducation, deux en réseau ville-hôpital, et un en centre thermal. Dans quelques programmes, le mode de recrutement peut aussi être le type de traitement, par exemple l’éducation à la biothérapie, ou un programme transversal pour les patients traités par corticothérapie, quelle que soit la pathologie traitée. • Dans presque tous les cas d’ETP hospitalière, la première séance, dite de « diagnostic éducatif », sert également à réaliser une éducation de sécurité pour la biothérapie. Elle a lieu en Hôpital de jour, lors de l’initiation ou du changement de biothérapie. Dans certains centres, la presque totalité des patients revus en ETP individuelle ou collective sont ceux revenant pour les perfusions hospitalières [5]. Dans d’autres centres, les patients sont invités à revenir pour des séances collectives ambulatoires, qu’ils aient été recrutés à l’hôpital ou directement à partir des rhumatologues traitants. C’est le cas dans le service de rhumatologie à l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP, Paris) où des séances collectives sont réparties dans l’année, les patients étant accueillis au total 2,5 journées, selon les besoins et les disponibilités. L’organisation des séances collectives ambulatoires sur une journée est la plus répandue, cette journée pouvant être unique, avec suivi ultérieur individuel par des ateliers plus courts

selon les besoins des patients. Au CHU de Rouen, les patients se voient proposer des séances collectives, de durée limitée, si l’évaluation individuelle montre que les acquis de sécurité sont insuffisants : la réalisation de séances collective complémentaires chez les 64 patients a montré une efficacité sur l’acquisition de ces compétences, par comparaison avec les 305 patients du groupe contrôle qui n’avait eu qu’une séance individuelle [6]. • De façon générale, la réalisation d’objectifs est un critère d’efficacité du programme, comme l’a montré l’étude ouverte randomisée de Nantes [7]. Les patients avaient le choix des séances collectives (durée de 1 h 30) ou individuelles, selon le diagnostic éducatif. Au total, la répartition des séances s’est faite dans des domaines très variés, en concordance avec d’autres études [4] : – séances collectives sur la connaissance de la PR (48 %), traitement et surveillance (48 %), diététique (8 %), activité physique et ergothérapie (84 %), assistance sociale (44 %), estime de soi (24 %) ; – séances individuelles avec la psychologue (12 %), l’assistante sociale (8 %), la diététicienne (8 %). Lors de cette étude, le critère principal, c’est-à-dire la résolution de trois objectifs éducatifs pré-identifiés, a été atteint pour l’ensemble des trois thèmes choisis par 81,5 % des patients dans le groupe ETP versus 35,8 % dans le groupe contrôle, avec également plus de réalisation d’activité physique et une dose moyenne moindre de corticoïdes dans le groupe ETP. Par contre, il n’y

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avait pas de différence sur les données biomédicales (activité de la maladie, fatigue, dépression) ou l’observance, de même que sur les connaissances sur les traitements et leurs effets secondaires. À noter que tous les patients sous biothérapie avaient bénéficié, en parallèle, d’informations ponctuelles sur le sujet. L’absence d’effet sur les critères biomédicaux est conforme à la littérature dans la PR. Une méta-analyse ayant évalué les effets de sept programmes éducatifs et quatre programmes psycho-éducatifs avec un suivi maximum de 6 à 15 mois [8], a retrouvé des niveaux de preuve élevés d’efficacité sur les connaissances (sept programmes, efficacité à long terme) et le coping (efficacité à court terme). L’adhésion thérapeutique est améliorée dans six des sept programmes, avec une meilleure adhésion pour les thérapeutiques médicamenteuses que pour les techniques gestuelles. L’amélioration du faire-face, des connaissances et de la satisfaction, a également été retrouvé dans une autre étude [9] ayant évalué 104 patients PR et 104 sujets contrôles lors de séances collectives, alors que le handicap (critère principal), la qualité de vie et l’état psychologique, n’ont pas été modifiés. Dans un programme italien d’éducation de groupe, incluant le «  self management  » et les auto-exercices pour des patients sous biothérapie [10], s’adressant à 46 patients versus 39 sujets contrôles, les résultats positifs concernent la douleur, le handicap, les relations avec l’entourage. L’efficacité s’est maintenue jusqu’à 8 mois après la fin du programme. Malgré ces résultats discordants, l’ETP dans la PR est considérée comme globalement bénéfique [11] et est recommandée dans la prise en charge [1].

Difficultés rencontrées et points positifs Adéquation de l’offre et la demande • La PR est la pathologie rhumatologique pour laquelle l’offre d’ETP est la plus importante. Elle reste cependant en deçà des besoins. Si l’on se réfère à l’étude monocentrique de détection en

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Dossier thématique Éducation thérapeutique du patient et maladies chroniques routine des besoins éducatifs [4], 33 des 72 patients avaient eu un contact avec un programme éducatif, ce qui est supérieur au taux attendu, probablement en raison de l’implication dans l’ETP du rhumatologue. Dans une enquête nationale française, réalisée en 2010 auprès de 677 patients sur les compétences de sécurité des biothérapies, 90 % des patients recevaient les messages de sécurité par leur médecin, 11 % avaient bénéficié d’une séance individuelle ou collective d’ETP, 30 % avaient déclaré une consultation avec une infirmière, et 59 % des patients, au total, avait reçu une brochure [12]. Dans cette enquête, les patients ayant bénéficié d’une éducation, avaient pourtant 4 fois moins de risque de répondre de façon incorrecte à l’évaluation des compétences de sécurité que les patients traités en routine [13]. • Il existe plusieurs freins à l’accessibilité. Le fait que l’ETP soit organisée autour des biothérapies peut exclure, de fait, les patients traités par des thérapeutiques conventionnelles s’ils ne sont pas adressés directement par le rhumatologue traitant. • Le problème des patients en situation de précarité, ou ayant un niveau socioculturel bas, ou des barrières de langue (health litteracy), n’a pas été étudié de façon spécifique dans la PR, contrairement à d’autres pathologies, comme le lupus, ou récemment, en France, dans l’ostéoporose [14]. Il est connu de longue date que les patients ayant un niveau socioculturel bas ont un moins bon pronostic et une activité de la maladie plus élevée. De plus, un phénomène de sélection des patients risque de s’opérer par la perception de la part des soignants de l’obligation de montrer des effets positifs lors des évaluations quadriennales de programmes, qui s’adresserait alors préférentiellement aux patients capable de remplir des questionnaires d’évaluation. Cependant, l’état réel de la « sélection » des patients n’est pas connu dans les programmes PR. • L’ETP s’effectuant en partie en ambulatoire, certains programmes signalent, à l’inverse et de façon récurrente, la difficulté de faire participer les patients. Une étude australienne, randomisée, d’ETP dans la gonarthrose, avait prévu d’emblée d’étudier les raisons de la

non-participation à l’étude [15]. Sur 1 125 patients éligibles, 216 avaient été écartés d’emblée, car incapables de suivre les six sessions prévues, ne parlant pas bien l’anglais (152 patients), ayant une incapacité sensorielle ou intellectuelle (19 patients) ; 197 patients ont opposé un refus primaire, quatre patients n’ont pas donné de consentement oral, et 57 patients n’ont pas signé le consentement écrit, aboutissant, au final, à l’inclusion de 123 patients seulement ! Cette étude n’est certes pas le reflet de la vraie vie, mais elle est à rapprocher de l’étude française [9], où sur 1 140 patients approchés, 932 patients ont décliné l’invitation de participer pour des raisons d’éloignement (316 patients), des raisons professionnelles ou familiales (398 patients), et d’autres raisons, comme le refus d’un essai, ou le fait de ne pas se retrouver face à la maladie (218 patients). Il existe aussi [15] des plannings non adaptés, mais les préférences des patients étaient partagées entre des séances dans la journée, le soir ou le week-end, ce qui correspond bien au dilemme des équipes. • D’autres raisons sont également pointées [15] : – le fait que le patient pense déjà bien se débrouiller avec la maladie ; – un doute sur le bénéfice à attendre du programme ; – le peu d’encouragement de leur médecin, en l’occurrence le médecin généraliste. La pratique montre, en effet, que ce sont toujours les mêmes médecins et soignants qui adressent les patients. Il persiste un défaut de compréhension et de communication entre les médecins de terrain et les programmes d’ETP. Une enquête déclarative, menée en fin 2009 et 2010, auprès de 412 rhumatologues lors du Congrès français de rhumatologue, puis sur Internet, a montré une bonne adhésion des médecins à la démarche éducative  : 90 % souhaitaient que leurs patients bénéficient d’ETP, 78 % désiraient être formés à l’ETP. Cependant, les rhumatologues avaient, en 2010, une connaissance insuffisante de programmes en place près de chez eux pour les RIC (34 %), et le niveau d’information du contenu

du programme était globalement insuffisant : 32 % se disaient bien informés, 53 % seulement en partie, et 15 % pas du tout informé [16]. Il sera intéressant de connaître les résultats de l’enquête qui va être menée, dans les mêmes conditions, en décembre 2014. • Il persiste également de grandes disparités régionales et départementales, dont l’interprétation n’est pas univoque (figure 1) [4]. Il est des cas où l’offre est limitée en raison d’une faible densité médicale, et d’autres cas où le rôle des médecins a été majeur dans le développement de l’ETP dans certaines régions : – rôle important d’entraînement des CHU ; – capacité de discussions positives avec les ARS, même si certaines d’entre elles ont une oreille plus attentive que d’autres.

Organisation, financement et ressenti des équipes d’ETP • Fin 2012, une enquête nationale, réalisée auprès des membres de la Section ETP de la Société française de rhumatologie, sur les autorisations ARS et le bilan de la 1re année de fonctionnement des programmes [17], avait recueilli les réponses de 56 centres, tous hospitaliers, correspondant à 70 programmes autorisés, dont 25 pour les « RIC », 18 pour la PR, et neuf pour la spondylarthrite. Au total, 27 des centres répondeurs ont évoqué les difficultés qui les avaient empêchés de réaliser les objectifs qu’ils s’étaient fixés : – moyens humains insuffisants (16 centres) ; – problème de financement (8 centres) ; – problème de recrutement (2 centres) ; – motivation insuffisante des patients (2 centres) ; – manque de reconnaissance (1 centre). • Le manque de temps est le frein le plus souvent cité par les soignants, et il est une source majeure de démotivation et de fatigue. Les soignants, en particulier les infirmières, n’ont pas le temps de se « détacher » pour réaliser les séances d’ETP prévue, faute de temps dédié. Le temps ETP est souvent la variable d’ajustement dans la gestion des équipes et des plannings, avec une grande variabilité selon les services. Dans une autre enquête récente, de 2014, toujours par le biais de la section ETP de

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bénévolat des acteurs libéraux (médecins soignants et pharmacien) dû à un financement insuffisant.

Points positifs À côté des difficultés, on peut également entrevoir des éléments positifs. Dans l’enquête de la Société française de rhumatologie SFR-2014 [18], les soignants se disent bien formés : « 52 % des soignants avaient une formation en ETP avant d’intégrer un programme, 83 % suivaient une formation en parallèle, 67 % avaient une volonté de formation complémentaire ». Les soignants aussi se sentent à l’aise dans l’animation des séances d’ETP (80 %), et estiment avoir une meilleure connaissance des attentes des patients (89 %). La participation à l’ETP a changé la pratique médicale et de soins chez 68 % des participants, et elle constitue une source d’épanouissement personnel pour 89 % d’entre eux, et une ouverture d’esprit pour 93 %. La conclusion de cette enquête était que « le grand écart se situe entre le sentiment d’être intégré au sein de l’équipe d’ETP (87 % des participants) et celui d’être reconnu au sein de son service (58 %) et de l’hôpital (39 %) ». Figure 1. Programmes d’éducation thérapeutique du patient (ETP) en rhumatologie recensés sur les sites Internet des Agences régionales de santé (ARS), en novembre 2012 [4]. • Par rapport à la moyenne nationale pour la rhumatologie : – en vert : nombre > moyenne ; – en beige : nombre = moyenne ; – en rouge : nombre < moyenne. Hauteur : valeur absolue du nombre de programmes pour la rhumatologie.

la Société française de rhumatologie [18], la moitié des soignants ressentent l’activité ETP comme une surcharge de travail et un tiers comme une source de fatigue et de stress. Avaient participé à cette enquête, un panel de 95 soignants, dont 88 % de femmes, et 64 % des soignants exerçaient en province : 39 % infirmières, 25 % médecins, 9 % kinésithérapeutes/ ergothérapeutes, 3 % psychologues, 3 % diététiciennes. • Le problème de financement semble commun entre la rhumatologie et les autres spécialités. À l’hôpital, les financements fléchés étaient quasi-inexistants dans l’enquête réalisée, en 2010, auprès des membres de la section ETP de la Société française de rhumatologie. Il semble que des temps dédiés soient progressivement accordés par les directions

des hôpitaux sur les financements reçus des ARS. La réalité de ce phénomène récent n’est pas chiffrée actuellement en rhumatologie. L’impression est que le fléchage de crédits ARS reste insuffisant, et très dépendant des conditions locales : implication des chefs de service et des cadres, état de finances, lobbying auprès des directions, efforts d’évaluation des équipes pour montrer le temps passé et le bénéfice pour les patients, rôle positif de la certification des établissement de soins, créations d’Unités transversale d’éducation. Il faut aussi signaler la difficulté des programmes d’ETP en ambulatoire et en réseau ville-hôpital. Leur financement et leur pérennité sont variables. Celui de Grenoble a détaillé ses difficultés [19], car il repose en partie sur le

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Perspectives À l’issue de cet état des lieux des acquis, freins et difficultés, la mise en perspective doit s’interroger sur la façon d’intégrer l’ETP en pratique quotidienne, pour permettre, à la fois une meilleure adéquation de l’offre et de la demande, soulager les équipes, et mieux impliquer les médecins [21]. Les perspectives passent par de nouvelles stratégies d’éducation, la généralisation de la posture éducative, et les nouvelles technologies de la communication.

Stratégies éducatives Les stratégies éducatives ne sont pas encore bien développées concernant les rhumatismes inflammatoires, contrairement à d’autres pathologies rhumatologiques, comme les lombalgies. Certaines études permettent cependant de mieux cibler le parcours de soins du patient, et de proposer une ETP ciblée, par exemple en fonction de l’évaluation

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Les points essentiels • L’information et l’éducation du patient font partie du traitement de la polyarthrite rhumatoïde (PR) selon les recommandations françaises récentes. • L’éducation thérapeutique du patient (ETP) pour les patients atteints de PR représente une très large part des programmes français en rhumatologie. • L’accessibilité à ces programmes est encore limitée, et il existe des difficultés pour faire adhérer les patients. • Le développement d’actions d’éducation, comme la posture éducative au quotidien et l’utilisation du Web, permettrait de faire bénéficier de l’ETP un plus grand nombre de patients.

des compétences acquises [6]. Ces stratégies devront faire l’objet de recherche d’impact et de satisfaction : s’il est facile d’identifier les besoins du point de vue des soignants (par exemple, la sécurité des traitements), il ne faudrait pas alors revenir à une ETP prescriptive, dont les buts à court terme laisserait de côté les compétences d’adaptation psychosociale, longues et difficiles à acquérir pour certains patients. L’étude nantaise récente [7] montre qu’une offre éducative ciblée est possible et permettrait, sans doute, de pallier à certaines difficultés de recrutement. Il est intéressant de noter qu’un programme ayant des facilités de recrutement (91 patients pressentis pour 85 inclus) a aussi montré un bénéfice pour les patients [10]. Si l’on admet que les besoins éducatifs sont exprimés par deux tiers des patients en pratique courante, certains patients n’ayant qu’un ou deux besoins [4], on peut s’interroger sur la pertinence de ne proposer que des programmes structurés lourds, avec un nombre de séances déterminé. L’étude d’actions éducatives plus légères serait utile.

La formation des professionnels, et particulièrement des médecins, à la posture éducative et à la médecine centrée sur le patient [20], est également une piste pour remplir le fossé entre les médecins qui adressent en ETP et ceux dont aucun patient n’a participé à un programme, même s’ils travaillent dans un structure hospitalière proposant de l’ETP. La posture éducative est actuellement enseignée lors des études de médecine, mais un gros travail de formation permanente est nécessaire, par exemple dans le cadre du développement médical continu.

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Les outils de communication : éducation sur le Web Afin de répondre à certains freins d’éloignement ou de disponibilité, et à ceux liés aux professionnels de santé eux-mêmes, il est nécessaire d’inscrire l’ETP dans la communauté de patients. Il existe déjà des programmes entièrement réalisés sur Internet par des médecins, des soignants ou des patients [22, 23], avec des espaces Web dédiés. Les outils de communication sont également utiles pour entretenir les connaissances et les compétences acquises. L’entraide entre les patients, favorisée par des « patients experts » [22] ou des associations, est également un moyen de prolonger l’ETP en dehors des programmes structurés. Déclaration d’intérêt L’auteure déclare avoir reçu des honoraires pour des interventions lors de symposia des laboratoires Abbvie, Merck Sharp & Dohme (MSD), Pfizer, Roche-Chugaï.

Références

Posture éducative

des programmes d’éducation thérapeutique pour les maladies ostéo-articulaires  : recensement auprès des agences régionales de santé (ARS). Rev Rhum 2012;79(Suppl.1):A301 [Abstract Me.61].

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Éducation thérapeutique en rhumatologie : l’exemple de la polyarthrite rhumatoïde

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