Symposium A 46 : Aspects fondamentaux et nouvelles perspectives dans le SAS
Effets délétères de l’hypoxie intermittente chronique
S. Launois-Rollinat
L
e syndrome d’apnées du sommeil (SAS) s’accompagne d’une morbidité cardio-vasculaire et neurologique et d’anomalies du métabolisme glucidique et lipidique. La compréhension de ces conséquences du SAS est rendue difficile par l’intrication de facteurs physiopathologiques (hypoxie ou hypercapnie intermittente, micro-éveils, efforts respiratoires) et d’états morbides ou facteurs de risque associés. Néanmoins, depuis plusieurs années déjà, l’hypoxie intermittente chronique apparaît comme particulièrement délétère et à l’origine d’un grand nombre des morbidités liées au SAS.
Les méthodes d’investigation
Laboratoire HP2 (Hypoxie PhysioPathologies), UJF, Laboratoire du sommeil, Centre Hospitalier Universitaire, Hôpital Nord, BP 217, 38043 Grenoble Cedex 9. Correspondance :
[email protected]
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Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 7S116-7S119 Doi : 10.1019/200530200
L’exploration des effets délétères de l’hypoxie intermittente chronique peut reposer soit sur la corrélation des anomalies observées à un index de sévérité de l’hypoxémie intermittente nocturne par des études prospectives chez l’Homme, soit en exposant des animaux à une hypoxémie intermittente seule permettant de s’affranchir de tous les facteurs confondants (âge, IMC (indice de masse corporelle), sexe, durée d’évolution de la maladie...). Dans ce dernier cas, l’animal – essentiellement un rongeur – est placé dans une chambre d’exposition (fig. 1) où il reçoit par intermittence soit un mélange enrichi en azote et donc hypoxique soit de l’air (correspondant à une réoxygénation), avec mesure de la FiO2. Les caractéristiques de l’hypoxie sont contrôlables. Il est possible d’étudier ces anomalies en les comparant à une population témoin dont l’exposition contrôle est réalisée en remplaçant l’alternance air/azote par une alternance air/air de telle sorte que les animaux ne sont alors exposés qu’aux stimuli tactile et auditif et à un stress similaires à celui de l’hypoxie intermittente Ces rats manipulés sont comparés à des rats témoins restant dans leur environnement de stabulation.
S. Launois-Rollinat
Fig. 1.
Dispositif expérimental d’hypoxie intermittente chronique chez le rongeur. A : rats exposés à l’hypoxie intermittente ou contrôle. B : rats témoins
Les dispositifs et les protocoles utilisés pour ces expériences sont très différents d’une équipe à l’autre. Ils sont caractérisés par la durée des cycles (1 cycle par minute avec 40 secondes d’hypoxie et 20 secondes de réoxygénation à Grenoble), la profondeur de l’hypoxie (le plus souvent 3-5 % ou 10 %), la durée d’exposition (de quelques heures à plusieurs jours, voire semaines) et le moment de l’exposition (repos vs sommeil). Au regard de la durée de vie des rats, la durée d’exposition arbitrairement choisie comme représentant une hypoxie intermittente chronique, et la plus souvent utilisée, est de 35 jours.
La morbidité cardio-vasculaire de l’hypoxie intermittente chronique chez l’adulte La morbidité cardio-vasculaire dans le SAS est aujourd’hui bien connue : hypertension artérielle systémique (HTA), insuffisance coronaire, arythmies cardiaques, insuffisance cardiaque, accidents vasculaires cérébraux [1]. Se pose évidemment la question du lien de causalité de ces évènements avec le SAS ou avec l’hypoxie intermittente, et du (des) mécanisme(s) en jeu.
Hypoxie intermittente et hypertension artérielle systémique Des études épidémiologiques ont montré un effet (modeste) des troubles respiratoires nocturnes sur la pression artérielle systémique diurne, chez l’Homme et le chien [2, 3]. Cet effet est influencé par la sévérité du SAS. L’équipe de Fletcher a été parmi les premières à s’intéresser à l’effet de l’hypoxémie intermittente sur la pression artérielle, chez des rats exposés (35 jours d’HI) comparés à des rats témoins [4]. Cette étude, comme d’autres plus tard, a montré
une légère élévation de la pression artérielle dès la 1re semaine d’exposition, de l’ordre de 10 à 40 mmHg, persistant quelques jours après l’arrêt de l’exposition ; elle dépend de l’intégrité des chémorécepteurs, du système nerveux sympathique, des médullosurrénales et du système rénino-angiotensine, avec un effet additif de l’hypercapnie qui n’a cependant pas été retrouvé dans tous les essais [7]. Mais les résultats des différents travaux sur le sujet sont en fait très variables d’une étude à l’autre, allant d’une élévation à peine perceptible jusqu’à plus de 50 mmHg ; une atténuation voire une disparition de cette élévation tensionelle au fur et à mesure de l’exposition des animaux à l’hypoxie a également été observée [5]. Les différences méthodologiques sont fréquentes, liées notamment aux différents types de dispositifs utilisés. En outre, la sensibilité aux élévations des chiffres tensionnels est variable en fonction des espèces animales et du sexe (les mâles étant plus sensibles). Les mécanismes physiopathologiques évoqués pour expliquer ce lien entre la pression artérielle et l’hypoxie intermittente sont la stimulation du chémoréflexe, les modifications du système nerveux sympathique et rénine-angiotensine et la dysfonction endothéliale. Les différents travaux ayant étudié ces facteurs ont démontré leur lien avec l’hypoxie intermittente [6, 7].
Hypoxie intermittente et fonction vasculaire Les études sur la réactivité vasculaire dans le SAS montrent, quelle que soit la technique de mesure utilisée, une diminution de la vasodilatation endothélium-dépendante [8, 9]. Elle persiste après ajustement pour l’IMC et l’âge, et est corrélée à la sévérité de l’hypoxémie nocturne. Elle est constatée même en l’absence d’HTA et s’améliore avec un traitement par pression positive continue (PPC). Il n’a pas été observé d’anomalie majeure de la vasodilatation endothélium-indépendante. La réponse vasoconstrictrice est également modifiée, variable d’une étude à l’autre mais le plus souvent dans le sens d’une amplification. Les travaux menés chez des animaux exposés à une hypoxémie intermittente ont retrouvé les mêmes conséquences sur la fonction vasculaire que dans le SAS (diminution de la vasodilatation endothélium-dépendante, même en l’absence d’HTA) [4, 10]. Les résultats variaient cependant selon le protocole d’hypoxie intermittente et le territoire vasculaire étudié (vaisseaux de résistance ou conductance). Dans l’étude de l’équipe de Fletcher, la vasodilatation d’une artériole de résistance endothélium-dépendante – obtenue par des doses croissantes d’acétylcholine – était plus atténuée chez des rats exposés à une hypoxie intermittente (35 jours) que chez les rats non exposés [4].
Hypoxémie intermittente et myocarde Le SAS apparaît comme un facteur de risque (modeste) indépendant d’insuffisance coronaire [11]. Les données © 2006 SPLF, tous droits réservés
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Effets délétères de l’hypoxie intermittente chronique
concernant le lien entre cette morbidité et l’hypoxie intermittente, étudié chez des modèles animaux, ont montré d’une part que l’hypoxie intermittente chronique augmentait la sensibilité du myocarde à l’ischémie [12], d’autre part que la sévérité de la dysfonction ventriculaire gauche était corrélée à la profondeur du stress oxydatif myocardique [5]. Dans l’essai de Joyeux-Faure et coll. ayant comparé des rats manipulés (exposés à 35 jours d’hypoxie intermittente) à des rats témoins, la taille de l’infarctus par rapport à la taille du ventricule gauche était très supérieure dans le groupe avec hypoxie, même en l’absence d’hypertension artérielle et de modifications de la réactivité vasculaire [12].
La morbidité neurologique de l’hypoxie intermittente chronique Les troubles de la vigilance observés dans le SAS sont généralement attribués à la fragmentation du sommeil et sont réversibles avec le traitement. Cependant, cette évolution favorable est variable en fonction des études et certains patients gardent une somnolence résiduelle malgré un traitement par traitement par PPC bien conduit [13]. Cette observation suggère un effet délétère de l’hypoxie chronique avec des lésions irréversibles responsables de ces troubles de la vigilance. Des travaux menés chez des souris ont montré que l’hypoxie intermittente induisait des micro-éveils, une altération de l’architecture du sommeil (transitoire ou persistante jusqu’à la fin de l’exposition selon les études) et une somnolence persistant après l’arrêt de l’exposition, accompagnée de lésions de type oxydatif dans tout le système nerveux central et particulièrement dans les régions impliquées dans l’éveil [14, 15]. Chez les souris exposées à une hypoxie intermittente pendant 8 semaines puis étudiées après 2 semaines d’arrêt de l’exposition, les latences d’endormissement ont significativement diminué (comparativement à celles de souris normoxiques) [15]. La somnolence de ces souris exposées est en outre augmentée lorsqu’elles subissent un éveil forcé de 6 heures consécutives. Au total, l’ensemble de ces travaux confirme l’implication de l’hypoxémie intermittente dans certaines conséquences du SAS, en particulier l’hypertension artérielle systémique, la dysfonction endothéliale et les troubles de la vigilance. D’autres travaux avec modèles animaux commencent à suggérer un effet délétère de l’hypoxie intermittente chronique également dans les anomalies métaboliques observées dans le SAS.
l’hypertension artérielle pulmonaire et de l’hypertrophie ventriculaire droite). Ils ne permettent pas non plus d’étudier les troubles neuropsychologiques de manière optimale. En pratique, certains patients sont peu somnolents et peu symptomatiques en journée, tout en ayant une hypoxémie nocturne répétée sur l’enregistrement polygraphique nocturne ; ces différentes données de la littérature incitent à traiter ces patients et à tenir compte de la présence d’une hypoxémie nocturne comme un élément pronostique important. Enfin, les effets délétères induits par l’hypoxie intermittente chronique, et non pas l’hypoxie continue, sont vraisemblablement liés aux cycles hypoxie/réoxygénation et à des lésions de type « stress oxydatif » dans les différents organes.
Perspectives Après ces travaux expérimentaux, un travail va bientôt être mené à Grenoble pour étudier l’effet de l’hypoxémie intermittente chez des sujets sains. L’implication du stress oxydatif et de l’inflammation serait aussi à étudier, ainsi que l’impact d’autres facteurs pouvant potentialiser l’effet délétère de l’hypoxie intermittente chronique (par exemple en exposant des rats hypertendus à une hypoxie intermittente). Par ailleurs, l’hypoxie intermittente pourrait ne pas avoir que des effets délétères : nous avons montré dans notre laboratoire qu’une exposition courte préalable à l’hypoxie intermittente protégeait le myocarde contre l’ischémie. Enfin, l’hypoxie intermittente pourrait être impliquée non seulement dans les conséquences physiopathologiques du syndrome d’apnées du sommeil, mais dans sa pathogenèse, par l’intermédiaire de l’atteinte des muscles et nerfs pharyngés.
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Du modèle animal à l’application chez l’Homme Ces modèles animaux, aussi utiles soit-il, ont néanmoins des limites puisque certains effets délétères de l’hypoxie intermittente ne sont pas retrouvés chez l’Homme (cas de 7S118
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