Embolie pulmonaire, état de choc et masses biauriculaires

Embolie pulmonaire, état de choc et masses biauriculaires

FAIT CLINIQUE E M B O L I E P U L M O N A I R E , ETA T DE C H O C E T M A S S E S BIA U R I C U L A I R E S J O L L I E T (1, 2), M. L O U I S (2, 3...

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FAIT CLINIQUE

E M B O L I E P U L M O N A I R E , ETA T DE C H O C E T M A S S E S BIA U R I C U L A I R E S J O L L I E T (1, 2), M. L O U I S (2, 3), F. S I M O N E T (4), R. L E R C H (5), J.-C. C H E V R O L E T

(2, 3)

RC:SUME~

SUMMARY

L'embolie pulmonaire massive avec 6tat de choc persistant motive le recours & une thrombolyse m6dicamenteuse ou & une embolectomie chirurgicale. Nous rapportons une situation rare, darts laquelle un volumineux embole log6 dans un foramen ovale perm6able a pos6 un d61icat probl~me de choix th6rapeutique.

Pulmonary embolism with shock and biatrial masses

Massive pulmonary embolism complicated by persistent shock is an indication for thrombolytic therapy or surgical embolectomy. We report a rare situation in which a large embolus lodged in a patent foramen ovale entailed difficult decision-making.

Rdan. Urg., 1992, 1, (4), 613-615.

Mots-Clds : Embolie pulmonaire, foramen ovale perm6able, choc.

Key-words : Pulmonary embolism, patent foramen ovale, shock.

L'association entre une embolie pulmonaire (EP) et une embolie paradoxale (EPA) dans la circulation systhmique & travers un foramen o v a l e p e r m 6 a b l e ( F O P ) e s t d 6 c r i t e [1-3]. L e m 6 c a n i s m e p o s t u l 6 e s t le f r a n c h i s s e m e n t d u F O P par des fragments de thrombus, sous l'effet de l'augmentation de la pression auriculaire droite d u e & r E P [2]. N o u s r a p p o r t o n s le c a s r a r e d ' u n e E P m a s s i v e a v e c 6 t a t d e choc, c o m p l i q u 6 e d ' u n v o l u m i n e u x t h r o m b u s log6 d a n s le F O P , a y a n t pos6 un difficile probl6me d'attitude th6rapeutique.

une dyspn~e d'apparition subite. L'examen physique montre une patiente tachypn~ique d 28/min, pdle, moite, avec une cyanose centrale, une pression art~rielle d 70/50 m m H g et un pouls filant d 112/min. L'auscultation cardiaque r~v$le un deuxi$me bruit augment~ au foyer pulmonaire, ainsi qu'un souffle holosystolique (3/6) maximal au foyer mitral. Le membre infdrieur gauche prdsente des signes de thrombose veineuse profonde proximale. H 6 m o g r s m m e et b i l a n h 6 m o s t a t i q u e : normaux. Biologie s a n g u i n e : glyc~mie 16,9 mmol/l (N 4-6), trou anionique 20 mmol/l (N 1014). Cr~atinine 121 pmol/l (N 110), A S A T et A L A T 444 U/L et 432 U/l (N 11-32 et 9-36), L D H 1996 U/l (N 200-412). Gazom~trie a r t h r i e l l e (air a m b i a n t ) : p H 7,39, PaC02 3,2 kPa, Pa02 7,7 kPa, Bicarbonates 14,9 mmol/l, Sa02 89 %. Gradient alvdolo-art~riel de l'oxyg~ne 6.9 kPa (N < 2,7 kPa). Electrocardiogramme : tachycardie sinusale d 120/min, avec passages en fibrillation auriculaire, bloc de branche droit incomplet, sous-decalages S T en ant4ro-latdral. Radiog r a p h i e du t h o r a x : cardiom~galie moderde, pas d'anomalie parenchymateuse.



Observation

Une patiente de 79 ans est hospitalis~e pour un malaise dvoquant une hypotension orthostatique, associe (1) Clinique m~dicale, (2) Soins intensifs de medecine, (3) Division de pneumologie, (4) Clinique de chirurgie cardiovasculaire, (5) Centre de cardiologie, h6pital cantonal universitaire, Geneve, Suisse. Correspondance : Dr P. Jollier, Soins intensifs de medecine,

H6pital Cantonal Universitaire, 24, rue Micheli-du-CresL 1211 Gen~ve 4. Re(;u en mars 1991. Accept6 en septembre 1991.

La patiente est transfdr~e en soins intensifs avec une forte suspicion d'embolie pulmonaire massive avec dtat de choc. Une s c i n t i g r a p h i e p u l m o n a i r e (ventilation au krypton-81/perfusion au technetium-99) est r~alis~e au lit de la patiente, grace d u n e gamma-camdra mobile : elle montre plusieurs d~fauts de perfusion segmentaires bilatdraux, avec une ventilation normale.

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Oxyg~noth~rapie, h~parine, remplissage vol~mique, dopamine et dobutamine sont instaur~s. Apr~s stabilisation initiale, l~tat h~modynamique s'aggrave, ru~cessitant l'adjonction de noradr~naline. L'indication une thrombolyse est alors posse. L'examen 6cho/Doppler cardiaque (Hewlett Packard Sonos 1000) montre une dilatation des cavit~s droites, une insuffisance tricuspidienne avec une vitesse de r~gurgitation de 3 m / s sugg~rant une ~l~vation de la pression art~rielle pulmonaire systolique estim~e d 50 mmHg. On observe des <+masses ~ polylob~es dans les deux oreillettes, rattach~es au septum interauriculaire dans la r~gion du foramen ovale, ~voquant en premier lieu un thrombus log~ dans un FOP (Fig. 1). Le diagnostic d'un myxome biaurieulaire semble moins probable dans le contexte. L'indication ~ u n e embolectomie chirurgieale est alors posse, devant le risque postul~ d'embolie paradoxale dans la circulation syst~mique, sur fragmentation (spontan~e ou li~e d la thrombolyse m~dieamenteuse) du caillot. L'intervention est pratiqu~e en circulation extracorporelle totale (CEC) : canulation art~rielle de l'aorte ascendante au pied du tronc brachio-c~phalique ; canulation veineuse p a r la veine cave sup~ricure et le fond de l'oreillette droite en regard de la veine cave inf~rieure. L'anesth~sie est r~alis~e, apr~s induction au midazolam et intubation sous bromure de pancuronium, grdce d u n e perfusion continue de midazolam (0,1 m g / k g / h , diminu~e ~ 0,05 m g / k g / h durant la CEC) et des injections de fentanyl (dose totale 30-50 pg/kg). La patiente est ventil~e avec un m~lange air/oxyg~ne. Le monitorage perop~ratoire consiste en une mesure de la pression art~rielle p a r vole radiale et de la pression veineuse centrale. Une auriculotomie droite vertieale expose le thrombus et son prolongement clans le FOP. Une incision de ce dernier permet l'ablation du caillot auriculaire gauche (Fig. 2A). Une artdriotomie longitudinale sur le tronc de l'art~re pulmonaire (AP) met en ~vidence un thrombus obstruant l'AP gauche, retir~ en totalit~ (Fig. 2B). L'AP droite est libre. L ~volution est depourvue de complications.



V

OD\

Fig. 1. - - Image echocardiographique en vue sous-xypho'(dienne : on observe dans les deux oreil/ettes des masses polyIob6es (f/aches), rattach~es au septum interauriculaire au niveau du foramen ovale. VD : ventricule droit. VG : ventricule gauche. OD : oreillette droite. OG : oreillette gauche.

Discussion

Cette patiente posait u n probl~me d6licat d'attitude t h ~ r a p e u t i q u e : en effet, en pr6sence d'une EP avec 6tat de choc persistant malgr~ un soutien h6modynamique, une thrombolyse m~dicamenteuse s'imposait. E n cas d'~chec, une embolectomie chirurgicale devait ~tre effectu~e [4]. Toutefois, la pr6sence d'un volumineux caillot biauriculaire log6 dans le F O P m e t t a i t en question l'option ~ thrombolyse ~>, par crainte de voir le caillot se fragmenter et emboliser dans la circulation syst~matique. La litt~rature m6dicale contient peu de donn~es sur ce point : Kremer et coll. [5] rapportent une s6rie de 16 patients pr6s e n t a n t un thrombus parietal du ventricule gauche apr~s u n i n f a r c t u s : l'administration d'urokinase a permis une lyse totale du caillot chez dix patients, partielle chez quatre autres, R6an. Urg., 1992, 1 (4), 613-615

B

A

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Fig. 2. --Pieces operatoires : A) le caillot, long de 6 cm, bilob~,

dont les 2 lobes se trouvaient chacun dans une oreillette. Ces lobes sont r~unis par un isthme ~troit (fl~che), qui chevauchait le foramen ovale. B) le caillot de 5 cm extrait de I'artere pu/monaire gauche.

Embolie pulmonaire

sans episode embolique associ& Toutefois, il s'agissait l& de thrombi m u r a u x partiellement organises, dont le risque de fragmentation en emboles multiples n'est probablement pas le meme que celui d'un caillot frais. Blazer et coll. [6] decrivent un patient porteur d'un thrombus auriculaire gauche a y a n t embolise dans u n membre inferieur apres u n t r a i t e m e n t par streptokinase. Bien qu'ils n'aient pas permis de conclure de maniere formelle, ces elements nous semblaient contre-indiquer une thrombolyse. D'autre part, la presence d'un thrombus biauriculaire & travers u n FOP semblait comporter u n risque m a j e u r d'embolisation paradoxale syst~mique qui pouvait entrafner une ischemie aigue d'un membre ou d'un territoire cerebral [1, 2]. La prevalence du F O P est de 10-18 % dans la population generale [7]. L'association entre E P et EPA est frequente en presence d'un F O P : Deliere et coll. [2] decrivent quatre patients avec une E P massive, u n FOP et des EPA. Une revue de la litterature permet & ces auteurs de recenser 146 cas d'EPA; 83 % d'entre eux etaient associes & une EP et 92 % de ces patients presentaient u n FOP. Sur les 30 cas d'EPA etudies par Loscalzo [3], 2/3 des malades presentaient egalement une EP. Ainsi, devant le risque majeur d'embolisation systemique spontanee ou apr~s une thrombolyse, la chirurgie nous est apparue comme la seule option envisageable : elle a permis en effet de retirer le thrombus et de fermer le FOP, evit a n t ainsi le risque ulterieur d'EPA. En conclusion, l'histoire de cette malade souligne : 1) l'int~ret de l'ultrason cardiaque en salle d'urgence dans l'approche diagnostique de l'etat de choc [4, 8] : en presence d'une E P avec hypertension arterielle pulmonaire, l'examen montre une dilatation du ventricule droit avec aplatissement du septum interventriculaire [9]. La presence frequente d'une insuffisance tricuspidienne permet d'estimer, & partir de la vitesse du flux de regurgitation, la pression systolique ventriculaire droite [10]. Dans de rares cas, on peut visualiser un thrombus auriculaire droit [11], ou, comme chez notre patiente, loge dans un F O P [12]. Relevons encore la valeur de l'echographie par voie transcesophagienne dans

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ce type de situation [12] ; 2) qu'une attitude chirurgicale agressive est justifi6e chez u n patient octog6naire, en presence d'une compromission vitale due & une cause traitable. D'une maniere plus g6n6rale, ceci rejoint les resultats de differents travaux d e m o n t r a n t que la chirurgie cardiaque, urgente ou non, est realiste et envisageable chez les patients de 80 ans et plus [13].

References

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R~an. Urg., 1992, 1 (4), 613-615