Gyne´cologie Obste´trique & Fertilite´ 42 (2014) 375–377
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E´ditorial
Engagement de la teˆte fœtale : ce que l’e´chographie nous a appris Engagement of fetal head: What have we learnt from ultrasound? I N F O A R T I C L E
Mots cle´s : Engagement E´chographie au cours du travail Angle de progression Distance teˆte–pe´rine´e Translabial Transpe´rine´al Keywords: Engagement Intrapartum ultrasound Angle of progression Head–perineum distance Translabial Transperineal
Dans ce nume´ro de la revue, nous proposons un article fort inte´ressant intitule´ « Diagnostic de l’engagement fœtal par l’e´chographie transpe´rine´ale : e´tude pre´liminaire tunisienne » par Dimassi K et al. [1]. Cette e´tude porte sur l’e´valuation e´chographique de la descente de la teˆte fœtale au cours du travail. La me´thode e´chographique e´tudie´e par les auteurs s’inscrit dans un domaine beaucoup plus vaste qui est celui de l’e´chographie en salle de naissance. Au cours du travail, l’examen clinique permet de de´terminer la position du fœtus et la descente de la pre´sentation. Au premier abord, il peut sembler e´trange de vouloir de´terminer la progression de la teˆte fœtale au moyen de l’e´chographie, puisqu’il suffit de faire un toucher vaginal pour obtenir cette information. Pour la varie´te´ de la pre´sentation, l’inte´reˆt de l’e´chographie est e´vident : celle-ci vient lever le doute que nous pouvons avoir lorsqu’il existe une bosse se´ro-sanguine. Un grand nombre de praticiens a de´ja` adopte´ cet outil en pratique quotidienne [2]. Mais qu’en est-il de la descente de la teˆte ? Sommes-nous vraiment capables d’affirmer que la pre´sentation est engage´e sur des donne´es e´chographiques ? Par ailleurs, est-ce que cela pre´sente vraiment un inte´reˆt ? Depuis 2005, de nombreux auteurs ont propose´ des me´thodes ultrasonores pour e´valuer la descente ce´phalique. Initialement il e´tait question d’une ou deux me´thodes (l’angle de progression par e´chographie translabiale et la distance teˆte–pe´rine´e par e´chographie transpe´rine´ale), mais ces cinq dernie`res anne´es les chercheurs ont fait preuve de cre´ativite´ en
http://dx.doi.org/10.1016/j.gyobfe.2014.04.010 1297-9589/ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.
proposant une multitude de nouvelles me´thodes. Actuellement on en compte au moins dix, si bien qu’il devient difficile d’avoir une vision claire et synthe´tique de ce sujet. De´sormais, la simple e´nume´ration des me´thodes e´chographiques devient fastidieuse (et ce d’autant plus qu’elles ont presque toutes e´te´ de´crites en 2D puis en 3D/4D) : distance de progression [3], distance teˆte-pe´rine´e [4], distance teˆte-symphyse [5], station e´chographique [6], angle de progression sagittal [7] ou parasagittal [8], angle de rotation [9], angle de direction [10] et meˆme angle de l’arche pubienne [11]. Pour un obste´tricien expe´rimente´ qui est habitue´ depuis toujours a` de´terminer l’engagement au moyen du signe de Farabeuf, cette longue liste de me´thodes e´chographiques peut sembler suspecte voire effrayante. E´videmment, il n’est pas question de retracer ici l’argumentaire de chacune de ces me´thodes. Le sujet est trop vaste et a de´ja` e´te´ aborde´ ailleurs [12,13]. Prenons un peu de recul et interrogeons-nous sur le bien-fonde´ de cette recherche e´chographique. Nous soulignons d’emble´e que ces techniques ne concernent que les pre´sentations ce´phaliques. Pour la plupart des me´thodes en question, les e´tudes publie´es e´taient encore plus restrictives car elles concernaient pour l’essentiel des varie´te´s ante´rieures (a` l’exception notable de la distance teˆte-pe´rine´e). Pourtant, les varie´te´s poste´rieures sont plus fre´quemment dystociques et constituent a` ce titre un enjeu non ne´gligeable. De plus, les travaux publie´s jusqu’a` pre´sent concernent surtout la reproductibilite´ de ces me´thodes, ou la pre´diction de la voie d’accouchement, mais jamais la comparaison des issues cliniques dans des groupes avec et sans e´chographie. Dans un bel e´ditorial, Torbjørn Moe Eggebø annonce que l’e´chographie est l’outil diagnostique du futur pour la deuxie`me partie du travail [14]. Nous souscrivons totalement aux opinions de´fendues par l’auteur. L’enjeu n’est e´videmment pas de re´duire le taux de ce´sariennes ou la fre´quence des extractions instrumentales mais de proposer la bonne intervention au bon moment. Pour cela, une meilleure pre´cision de nos diagnostics est ne´cessaire, et sur ce point les performances du toucher vaginal sont loin d’eˆtre parfaites [15]. Que penserionsnous d’un chirurgien qui parlerait d’une masse annexielle de « quatre travers de doigts » au lieu d’en donner la mesure e´chographique pre´cise ? A` ce titre, le be´ne´fice de l’e´chographie rele`ve de l’e´vidence et ne me´rite pas ne´cessairement une de´monstration. Toutefois, les techniques e´chographiques sont nombreuses et rien ne permet aujourd’hui d’en se´lectionner une
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plutoˆt qu’une autre (ou meˆme une combinaison de techniques plutoˆt qu’une technique unique). A` ce stade de l’e´valuation, la question n’est plus de savoir si ces me´thodes sont plus pre´cises que le toucher vaginal, mais de savoir si l’usage de l’e´chographie apporte un be´ne´fice re´el a` la patiente. Pour l’instant cette question n’est pas re´solue, et il est probable qu’elle ne le sera pas avant longtemps. Il est en effet difficile de planifier un essai randomise´ multicentrique sur ce sujet. Outre les obstacles re´glementaires et me´thodologiques lie´s aux situations d’urgence (randomisation en salle de naissance), il faudrait un effectif de patientes tre`s important pour avoir une puissance acceptable. Par exemple, si on souhaite de´montrer que l’usage de l’e´chographie re´duit le taux de complications de 15 a` 10 % (avec un crite`re de jugement composite materno-fœtal), il faudrait alors au moins 1400 patientes. Posons-nous maintenant la question des relations entre l’image et la palpation clinique. Que voit l’e´chographie ? Si les me´thodes sont nombreuses, la plupart d’entre elles ne conside`rent que deux repe`res : la table osseuse du craˆne et la symphyse (ajoutons la ligne me´diane du cerveau). Plutoˆt que de questionner les performances de l’e´chographie en partant de l’examen clinique pour remonter aux ultrasons (ce que nous sentons au toucher vaginal est-il visible en e´chographie ?), nous proposons de parcourir le chemin inverse qui va des ultrasons a` l’examen clinique (ce que nous voyons est-il perceptible par le toucher vaginal ?). Cette fac¸on de raisonner a le me´rite de questionner notre examen clinique, ce qui est loin d’eˆtre inutile. En re´fle´chissant aux images fournies par les diffe´rents auteurs, nous pensons que notre toucher vaginal devrait nous fournir trois renseignements. En premier lieu, il faudrait eˆtre capable d’e´valuer cliniquement l’avancement de la teˆte fœtale par rapport au bord infe´rieur de la symphyse pubienne. C’est ce parame`tre qui est e´value´ par le signe classique de Demelin. Le « Demelin e´chographique » serait alors la distance de progression de la teˆte propose´e par Dietz et Lanzarone [3] (mais ici, l’unite´ de mesure est le millime`tre plutoˆt que le doigt). A` certains e´gards, la me´thode bien complexe de´crite par Tutschek [6] (la « station » e´chographique, en re´fe´rence a` la « station ACOG ») revient e´galement a` analyser l’avance´e de la teˆte au-dela` du pubis, mais selon une me´thode diffe´rente (les auteurs imaginent sur l’image la projection du plan des e´pines sciatiques qui est suppose´e eˆtre sous la symphyse). Ici, l’examen clinique n’est pas vraiment mis en de´faut. Le deuxie`me point que le toucher vaginal devrait e´valuer est la varie´te´ de la pre´sentation, en conside´rant l’angle que forme la suture sagittale du craˆne fœtal avec la verticale. L’ide´e est simple : plus la teˆte s’oriente dans un axe ante´ro-poste´rieur, plus elle est descendue (cette re`gle souffre bien entendu de nombreuses exceptions surtout si le bassin maternel n’est pas habituel). Ici l’e´chographie donne un angle en degre´s [9], ce qui est plus difficile a` de´terminer avec le toucher vaginal, surtout en fin de travail avec une bosse se´ro-sanguine. Souvent les cliniciens indiquent « OIGA » sur le partogramme, sans indiquer le degre´ exact d’OIGA. Le troisie`me et dernier parame`tre qui devrait eˆtre e´value´ au toucher vaginal est la direction de la teˆte. L’angle de direction propose´ pour la premie`re fois par Henrich en 2006 [10] permet de distinguer les cas ou` la teˆte est oriente´e vers le bas, vers l’horizontale ou vers le haut. En effet la trajectoire ce´phalique dans le petit bassin est curviligne, par une bascule autour du pubis, si bien qu’une approche angulaire est particulie`rement approprie´e. L’e´valuation de la direction de la teˆte avec les doigts de l’ope´rateur semble tre`s subjective, surtout s’il existe une bosse se´ro-sanguine. Ne´anmoins, la solution e´chographique n’est pas simple non plus. Dans notre expe´rience, cet angle de direction e´chographique est bien plus difficile a` mesurer que le classique angle de progression e´chographique (son calcul peut ne´anmoins eˆtre facilite´ par certains
logiciels e´chographiques tels que le SonoVCADTM labor). Plus simple, la distance teˆte–symphyse propose´e par Youssef en 2013 [5], donne un renseignement indirect sur la direction de la teˆte. Comme son nom l’indique, il s’agit de l’espace entre le pubis et le bord ce´phalique situe´ a` l’aplomb de la symphyse. Cette distance est d’autant plus petite que l’angle de direction est grand (c’est-a`-dire que la teˆte est horizontale ou dirige´e vers le haut). Notons que ce parame`tre est facilement accessible au toucher vaginal, meˆme s’il est alors moins pre´cis. Ainsi l’examen clinique, revisite´ apre`s les enseignements de la recherche e´chographique, devrait selon nous permettre de re´pondre a` trois questions : quel est l’avancement de la teˆte par rapport a` la symphyse ? quelle est la rotation exacte de la teˆte ? quelle est la direction exacte de la teˆte ? Nous devrions re´pondre a` ces trois questions avant les extractions instrumentales, ou les ce´sariennes a` dilatation comple`te. Ces trois questions correspondent aux trois mouvements e´le´mentaires de la teˆte au cours de sa trajectoire intrapelvienne (trajectoire souvent assimile´e a` un segment de tore). Notons que l’e´chographie renseigne mal sur les rapports entre la teˆte fœtale et les e´pines sciatiques, meˆme si Tutschek a tente´ d’apporter une solution (tre`s imparfaite) a` ce proble`me [6]. Ce dernier trace une droite verticale 3 cm sous la symphyse, en conside´rant que le bord infe´rieur de la symphyse et le plan des e´pines sciatiques sont distants de 3 cm (cette distance de 3 cm n’a pourtant e´te´ mesure´e que sur 20 pelviscanners) [10]. Les rapports anatomiques entre la symphyse pubienne et les e´pines sciatiques constitueront probablement un enjeu en imagerie dans les anne´es a` venir. En attendant, nous soulignons que la palpation des e´pines sciatiques au toucher vaginal ne re´sout pas tous les proble`mes. En effet le « plan des e´pines sciatiques » n’a jamais e´te´ vraiment de´fini, si bien que la station ACOG de nos colle`gues ame´ricains n’a rien de miraculeuse [16]. Par ailleurs, aucune des techniques e´chographiques de´crites jusqu’a` pre´sent ne mesure l’espace entre le sacrum et la teˆte comme le fait le signe de Farabeuf. Pour autant, le fait de re´duire la descente ce´phalique au nombre de doigts que l’on peut placer dans le plan sacro-coccygien constitue une approche probablement simplificatrice. Dans les anne´es qui viennent, nous devrons prendre garde a` ce que l’usage de l’e´chographie ne devienne pas un sujet passionnel, qui opposerait inutilement ses de´fenseurs et ses de´tracteurs. En effet, il n’y a aucun antagonisme entre les donne´es de l’examen clinique et celles de l’e´chographie. Bien au contraire, l’e´chographie constitue un merveilleux outil d’auto-formation pour les plus jeunes, en permettant la corre´lation directe des donne´es de la palpation et des donne´es de l’image. Ajoutons qu’il faudra inte´grer les sages-femmes dans ces e´volutions si nous voulons travailler de fac¸on harmonieuse en salle de naissance. Pour conclure, nous adressons une question aux plus sceptiques d’entre nous. Sur quelles preuves scientifiques sont fonde´s les signes cliniques auxquels nous sommes tellement attache´s ? Nous laissons le soin a` chacun de re´pondre a` cette question. Il faut bien le reconnaıˆtre, le toucher vaginal n’est pas un gold standard comme les autres (c’est d’ailleurs la principale limite de l’e´tude de Dimassi et al. [1]), et sans eˆtre des de´fenseurs inconditionnels de l’approche e´chographique, reconnaissons que ce domaine de la recherche est particulie`rement prometteur, ou qu’au moins il est le´gitime. ˆ ts De´claration d’inte´re Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article.
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E.-G. Simona,b,*, C.-J. Arthuisa,b, F. Perrotina,b Service de gyne´cologie obste´trique et me´decine fœtale, centre hospitalier universitaire de Tours, 2, boulevard Tonnelle´, 37044 Tours cedex 9, France b UMR Inserm U930, universite´ Franc¸ois-Rabelais, 2, boulevard Tonnelle´, 37044 Tours cedex 9, France a
*Auteur correspondant Adresse e-mail :
[email protected] (E.-G. Simon) Rec¸u le 11 avril 2014 Disponible sur Internet le 24 mai 2014