Entretien avec Liliane Asseraf-Pasin

Entretien avec Liliane Asseraf-Pasin

Kinesither Rev 2016;16(175):43–45 Actualités / Entretien Entretien avec Liliane Asseraf-Pasin Interview with Liliane Asseraf-Pasin Adrien Pallot Ser...

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Entretien avec Liliane Asseraf-Pasin Interview with Liliane Asseraf-Pasin Adrien Pallot Service MPR, hôpital Simone-Veil, 95602 Eaubonne, France Liliane Asseraf-Pasin, physiothérapeute, docteur en éducation, est directrice associée à l'université McGill, école de physiothérapie et d'ergothérapie, à Montréal, Canada (Fig. 1).

Figure 1. Liliane Asseraf-Pasin.

Elle dirige le comité d'admission et le comité pédagogique du programme de physiothérapie, ainsi que le comité aviseur pour les candidats formés à l'étranger, à l'université McGill. Elle enseigne la recherche qualitative et les stratégies avancées en pédagogie et en gestion. Elle est aussi responsable du programme d'appoint pour les candidats étrangers qui complètent leur équivalence à l'école de physiothérapie. Dr Asseraf-Pasin est très impliquée dans le processus d'admission universitaire en physiothérapie, tant au niveau provincial que national ; elle est membre du comité d'admission de l'Ordre Professionnel de la Physiothérapie du Québec (OPPQ) et du comité d'évaluation de l'Alliance. Depuis 2005, ses intérêts en recherche se situent au niveau de l'éducation et la pratique interprofessionnelle et du développement de la compétence culturelle. Adrien Pallot, masseur-kinésithérapeute français, l'a rencontrée au dernier Congrès de la WCPT et l'a interrogée sur les modalités de formation en physiothérapie au Québec.

Adresse e-mail : [email protected]

Quelles sont les conditions d'admission pour le programme de physiothérapie au Québec ? Au Québec, il y a 5 programmes/écoles qui forment et délivrent le diplôme de physiothérapie. Selon leur situation, les étudiants ont deux possibilités pour entrer dans l'un de ces programmes :  étudiant en formation initiale sans études universitaires antérieures : programme de 4 ans ½ (3 ans de « baccalauréat », l'équivalent de la licence française, et 1 an ½ de maîtrise). À McGill University, il y a 45 places pour cette admission ; l'ensemble des cours se fait en anglais. L'accès est direct après le diplôme d'études collégiales (DEC), option science, d'un Collège d'enseignement général et professionnel (CEGEP) (le DEC est l'équivalent du baccalauréat français ; il est obtenu après 13 ans d'études [primaire + secondaire + 2 ans dans un CEGEP]). L'admission dans le programme de McGill se décide à partir des relevés de notes des deux années de CEGEP, avec une côte minimale de 32/40, ce qui signifie que l'étudiant se situe nettement audessus de la moyenne de son groupe. Après le « baccalauréat », l'étudiant est automatiquement accepté en maîtrise si sa moyenne est maintenue à 3 points sur 4 (A = 4,0 ; B+ = 3,7, etc.). Ceci est multiplié par le nombre de crédits pour arriver à un score sur 4,0 que l'on nomme le grade point average (ou le GPA) ;  étudiants ayant déjà un « baccalauréat » dans un autre domaine connexe : ils intègrent le programme à la troisième année du « baccalauréat en sciences de réadaptation » (il leur reste donc la dernière année de baccalauréat et l'année et demie de maîtrise). Cet accès se fait en 2 temps : une première sélection de 200 candidats (choisis parmi 400– 450 candidats) se fait à partir des

relevés de notes. Puis, une seconde sélection s'effectue en considérant trois aspects :  une cotation pondérée sur 35 points pour les cours prérequis (anatomie et physiologie humaine),  35 points pour le CV,  et 35 points pour la lettre d'intention de l'étudiant, pour un total de 105 points. Suite à cette étape, les 80 candidats ayant reçu la plus haute note sur 105 sont invités à participer aux mini-entrevues multiples. Trente-cinq candidats ayant réussi les 10 entrevues multiples sont ensuite sélectionnés strictement sur leur performance. Les « baccalauréats » acceptés pour postuler via cet accès sont ceux de physiologie, de thérapie athlétique, de kinésiologie, d'éducation physique, d'anatomie, de biologie. Parfois, certains étudiants ont deux baccalauréats, un niveau de maîtrise, voire un doctorat, diplômes qui sont pris en compte pour la candidature. Pour accéder au programme de « Baccalauréat en sciences de réadaptation, option Physiothérapie », les étudiants doivent avoir complété avec succès tous les éléments suivants au niveau collégial (équivalent du lycée français) ou universitaire :  en biologie/ou sciences biologiques, un minimum de 6 crédits de cours introductifs, avec les laboratoires (les « laboratoires » correspondent aux « travaux pratiques » français) ;  en chimie, un minimum de 6 crédits de chimie générale (ou physique), avec laboratoires ; et un minimum de 3 crédits en chimie organique, avec laboratoires ;  en physique, un minimum de 6 crédits de cours introductifs, avec laboratoires (un minimum de crédits n'est pas obligatoire en laboratoire ou travaux pratiques).

http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2016.05.005 43

A. Pallot

Actualités / Entretien Les notes de type « Réussite/échec » (satisfaisant/non satisfaisant) ou de schéma similaire ne sont pas acceptées pour ces cours, seule une note numérique ou en lettre (A, AS, B+, et F) sont acceptées. La performance académique au sein de ces cours est prise en considération, par contre les cours complétés plus de cinq ans avant la date limite d'admission ne le sont plus. Les cours à distance (ou par correspondance) ne sont acceptés qu'avec une autorisation spéciale et restent à la discrétion du Bureau des Admissions. Pour accéder au programme de maîtrise en physiothérapie, seuls les candidats ayant un « baccalauréat » antérieur (trois années universitaires) peuvent postuler. Jusqu'en septembre 2015, il n'y avait pas de cours prérequis, mais seulement des cours fortement recommandés tels que l'anatomie humaine (3 crédits = 2 heures de théorie et 3 heures de laboratoire par semaine pendant 13 semaines) et la physiologie humaine (3 crédits = 2 heures de théorie et 3 heures de laboratoire par semaine pendant 13 semaines). Mais à partir de septembre 2016, ces deux cours deviennent obligatoires, avant l'entrée au programme. Une moyenne de 65 % est nécessaire pour réussir chaque cours, et la moyenne générale doit aussi être maintenue tout le temps (3,0 sur 4,0). Le programme aboutissant à la licence de pratique en physiothérapie est donc de 4 ans ½. Pour le Canada, hors Québec, il y a un examen national qui doit être obtenu afin d'avoir sa licence d'exercice dans la province dudit examen. Il n'y en a pas pour le Québec, car il existe une inspection professionnelle qui contrôle les physiothérapeutes. Par contre, la langue française est une condition sine qua non à l'obtention de la licence au Québec (examen de français à passer si nécessaire). Existe-il des passerelles (dans un sens, comme dans l'autre) avec d'autres cursus (ergothérapie, enseignant en activités physiques adaptées, sciences humaines, médecines, biologie, ingénierie biomédicale. . . ) ? Comme dit précédemment, il y a deux points d'entrée à la formation de physiothérapie qui existent : via le baccalauréat et via la maîtrise. Il n'y a pas vraiment de passerelles pour les étudiants Canadiens, seuls les cours prérequis sont considérés pour l'admission

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en physiothérapie. Par contre les candidats ayant étudié à l'étranger peuvent suivre une formation d'appoint par équivalence de diplôme (voir la description du programme d'équivalence sur le site web https://www.mcgill.ca/spot/ programs/pt/pt-equivalency et les témoignages sur la vidéo : https://www. youtube.com/watch?v=unf71bP49RI. Notre école est conjointe en ergothérapie et physiothérapie. Un étudiant inscrit à l'un des deux programmes peut changer de programme seulement après avoir complété entièrement le baccalauréat dans l'un ou l'autre des programmes. Il doit s'inscrire à l'année de qualification et refaire la troisième année du baccalauréat du nouveau programme avant d'accéder à la maîtrise. Comment sont organisées les études ? Volume et contenu Les étudiants doivent suivre entre 15 et 18 crédits par session (l'équivalent d'un semestre en France). Chaque crédit correspond à 13 heures de cours théorique. En général, les cours font 3 crédits (une heure théorique équivaut à une heure de raisonnement clinique en atelier, ou à 3 heures de laboratoire). Le programme de quatre ans et demi est divisé en deux parties (voir le contenu des cours via le lien suivant : https:// www.mcgill.ca/spot/fr) :  le « baccalauréat » qui est constitué de 6 sessions universitaires de septembre à décembre et de janvier à mai. Chaque session comprend 15 semaines (13 semaines de cours et deux semaines d'examens). Les cours, en général, comprennent des cours théoriques, des sessions de laboratoire, des sessions de formation au centre de simulation, et des sessions de raisonnement clinique avec discussion de cas pratique. Les cas sont présentés soit par problèmes, soit par compétences ;  la maîtrise qui comprend 5 sessions universitaires débutant l'été, juste à la fin de la 6e session du baccalauréat. Elle commence donc l'été par deux stages de 7 semaines en temps plein avec des tuteurs cliniques (soit 1 pour 1, soit 2 étudiants pour un tuteur). Généralement, les stages se déroulent soit en hôpital, en centre de réadaptation, en centre communautaire et soins de longue durée, soit en cabinet libéral. Des stages internationaux sont acceptés pour les deux derniers stages. La maîtrise se prolonge par sa

deuxième session, puis sa troisième qui intègre au départ 8 semaines de stage. Lors de la quatrième session, les étudiants font leur projet de recherche (de l'idée déjà abordée en début de maîtrise, en passant par le recueil des résultats, jusqu'à la présentation à l'école). Ils reviennent ensuite en septembre pour 8 semaines de stage. Les stages doivent avoir couvert tous les domaines et façons d'exercer. Les étudiants sont en cours environ 25 à 28 heures par semaine et ont ensuite des travaux de groupe et des « laboratoires » optionnels « Open Lab ». Ils ont aussi en moyenne 100 diapos par cours à revoir, et 150 pages (articles pour la plupart, ou chapitres de livres) à lire par semaine (pour travailler, entre autres, l'Evidence-Based Practice [EBP]). Le modèle pédagogique Avant 2012, le programme se faisait par objectifs, définis pour chaque cours. Maintenant, le programme est rédigé par compétences. Celles-ci sont regroupées dans les 7 rôles retenus pour les physiothérapeutes (http://www. physiotherapyeducation.ca/Resources/ Essential%20Comp%20PT%20Profile %202009.pdf) : expert, communicateur, collaborateur, manager, promoteur, praticien éclairé et professionnel. Les cours sont globaux, par thèmes, et non pas par catégorie d'âge et/ou partie anatomique. Ils doivent être fondés sur les principes de l'Evidence-Based Practice (EBP), les cours doivent faire la démonstration qu'il existe une preuve de ce qui est énoncé et préciser les références bibliographiques. Les travaux des étudiants sont aussi EBP : il faut qu'ils prouvent ce qu'ils avancent, ils sont initiés à ne présenter rien d'autres que des projets EBP. C'est un concept ancré et un des thèmes de notre programme, un genre de fil conducteur obligatoire, c'est aussi la culture professorale. . . Ils ont bien sûr des cours sur les notions nécessaires pour faire de la lecture critique (biostatistiques, épidémiologie, clinimétrie. . . ) dès la deuxième année. Les projets de recherche de maîtrise sont commencés en quatrième année. Une liste de question élaborée par des membres de la faculté et des cliniciens leur est proposée dans laquelle ils doivent choisir. Il existe des cours appliqués composés de 3 heures de théorie et de 3 heures de laboratoire (faire de la manipulation périphérique, des mobilisations. . . ) et parfois 3 à 4 heures d'atelier de raisonnement clinique à partir de cas donnés

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à l'avance. À partir de cas complexes, les étudiants préparent les questions en groupe en amont puis les résolvent. Il y a ensuite démonstration et discussion lors d'ateliers entre différents groupes ayant des cas distincts. Les programmes sont centrés essentiellement sur l'évaluation clinique, le diagnostic différentiel, et la base de certains traitements est montrée et pratiquée (comme l'uro-gynécologie par exemple) mais ensuite, pour leurs travaux, les étudiants doivent aller chercher les informations dans les articles. Les techniques principales sont apportées et les enseignants leur montrent comment aller chercher le reste des informations. Concernant les examens, nous utilisons différentes modalités : examens pratiques avec patient simulé (ECOS ou OSCE) qui correspondent à 40 ou 50 % de la note finale des cours appliqués, examens écrits avec questions ouvertes (essai) ou questions à réponses courtes, questionnaire à choix multiples (peu utilisé), présentation orale individuelle, présentation de groupe, projet de recherche final, présentation de poster, peer-teaching (= les étudiants enseignent une partie de la matière en classe à leurs pairs), etc. Les physiothérapeutes ont-ils l'accès direct au Québec ? Oui ! L'accès direct à la physiothérapie est disponible au Québec depuis 1990, ce qui signifie que le diagnostic médical n'est pas nécessaire pour débuter un traitement de physiothérapie. Toutefois, en libéral, le physiothérapeute peut suggérer que vous consultiez un médecin pour avis ou pour passer des examens complémentaires par exemple, car le physiothérapeute ne peut pas prescrire ceux-ci. Dans certains cabinets, il y a présence de médecin également, facilitant les échanges. Par contre, certaines compagnies d'assurance demandent à ce qu'il y ait une référence médicale avant d'aller chez le physiothérapeute pour être remboursé. C'est de la responsabilité du patient de vérifier les modalités de la couverture d'assurance. Dans un hôpital, comme le patient est vu par le médecin, ce dernier émet une prescription pour les métiers de la rééducation (si nécessaire) et donc le physiothérapeute n'est pas directement en accès direct. Néanmoins, il existe aussi des

prescriptions automatiques (exemple : pour les patients en post-chirurgie d'une fracture de hanche qui commence automatiquement avec un physiothérapeute). Il y a donc des ententes au sein même d'un hôpital qui fait qu'il y a un certain accès direct pour une patientèle spécifique. Historique de l'obtention de l'accès direct Au Québec, il y a les physiatres (médecins spécialistes en réadaptation) qui ouvraient auparavant des cliniques de physiothérapie dans lesquelles ils recrutaient des techniciens en réadaptation (plutôt que des physiothérapeutes dont le salaire était plus élevé). Ces derniers ont boycotté les prescriptions médicales spécifiques détaillées (voire même avec la posologie des moyens demandés), ils voulaient plus de liberté dans leurs choix thérapeutiques à partir de leurs évaluations. Le moyen de pression a été de demander au médecin, pour chaque prescription reçue, les détails qui manquaient (par exemple : combien de minutes pour les ultrasons, nombre d'exercices qu'on doit faire). Les médecins ont laissé plus de liberté car cela devenait extrêmement chronophage, les prescriptions sont devenues moins spécifiques. D'un autre côté, l'équivalent de l'Ordre faisait du lobbying auprès du monde médical pour démontrer que le physiothérapeute avait les capacités académiques pour évaluer le patient et établir un diagnostic, ainsi que des diagnostics différentiels. En 1990, il y a eu l'obtention de cette première intention alors que le niveau de sortie était le « baccalauréat » et qu'il n'y avait pas encore vraiment de cours répondant à certaines exigences de l'accès direct. Ensuite, il y a eu l'obtention de la sortie en maîtrise (ce qui a été difficile car cela implique une revalorisation des salaires). Grâce à quelles compétences/ matières/modules ont-ils cet accès direct ? C'est surtout les cours sur le diagnostic différentiel et l'évaluation complète du patient (ainsi que les outils de mesure en réadaptation) qui apportent les compétences permettant l'accès direct. En effet, celui-ci nécessite plus de compétences dans le diagnostic et diagnostic différentiel. Il faut pouvoir décider soi-même du plan de traitement, du

diagnostic différentiel, avoir une impression clinique sans avoir l'avis du médecin. Quel type de test dois-je utiliser pour identifier le problème réel du patient ? Quel outil utiliser et quand l'utiliser ? Il faut savoir rejeter certains tests. La clinimétrie (métrologie des tests diagnostiques cliniques) a une place importante dans les évaluations (les tests sont présentés aux étudiants avec ces données). Quelle est la nature des cours/ modules qu'un kinésithérapeute français devrait suivre s'il voulait obtenir l'équivalence du diplôme ? Il doit passer par l'Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec et déposer son dossier qui comprend toutes les descriptions de cours qu'il a eu, un questionnaire d'autoévaluation des compétences et plusieurs documents à l'appui (attestation de diplôme, cours de formation continue. . . ). Pour l'autoévaluation pratique, la personne décrit son expérience pratique (équipe pluridisciplinaire, accès direct, domaines. . . ). La remise à niveau se fait soit par une formation d'appoint (16 mois avec cours et stages), soit à la carte (quelques cours), soit par un examen pratique (cas donné puis entrevue pour les décisions de bilan, traitement. . . puis démonstration pratique des choix cliniques). En général, quelqu'un venant de France passe par la formation d'appoint. Vers quelle modalité d'exercice professionnel s'orientent les diplômés (libéral, salariat, recherche, clinique, mixte. . . ) ? Au total, 50 % exercent dans le privé/ libéral et 50 % sont salariés dans le système public. Environ 10 % travaillent dans les deux. Il y a 75 % de femmes et 25 % d'hommes. En salariat, la plupart des physiothérapeutes sont syndiqués (même salaire pour tout le monde au départ, avec système d'échelon ensuite), tout le monde est sur le même rang. En salariat, 18 % de bénéfices (retraite, congé de maladie, etc.) sont ajoutés au salaire. Les cliniques privées suivent la même échelle salariale qu'en public, mais ajoutent des primes à ce système ($ 1000,00 à $ 2000,00 de formation payée par année, cotisation à l'Ordre. . . ). L'exercice dans les deux systèmes permet aussi de participer à de nombreux projets, comme ceux liés à la recherche.

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