© Masson, Paris, 2006.
Rev Epidemiol Sante Publique, 2006, 54 : 213-221
Épidémie de leishmaniose cutanée chez des militaires de retour de mission en Guyane Outbreak of cutaneous leishmaniasis in military population coming back from French Guiana F. BERGER(1), P. ROMARY(2), D. BRACHET(2), C. RAPP(3), P. IMBERT(3), E. GARRABÉ(4), T. DEBORD(3), A. SPIEGEL(1) (1) Département d’Épidémiologie et de Santé publique, École du Val-de-Grâce — Îlot Bégin, 69, avenue de Paris, 94163 SaintMandé Cedex. Email :
[email protected] ( Tirés à part : F. Berger) (2) Cabinet médical d’Unité. (3) Service de Maladies Infectieuses et Tropicales, HIA Bégin, Saint-Mandé. (4) Service de Biologie Médicale, HIA Bégin, Saint-Mandé.
Background: An outbreak of cutaneous leishmaniasis occurred among 71 soldiers who had participated in various missions during a 4-month’s period in French Guiana. The aims of this study were (i) to describe outbreak and (ii) to determine risk factors of cutaneous leishmaniasis. Methods: All patients were hospitalised. Cutaneous lesions were biopsied and cultured for species identification. Individual information was collected by a physician or a nurse, using on a standardised, anonymous chart. Data were processed with EpiInfo 6.04 and SASTM. Results: Mean age of the 71 soldiers was about 25.9 years (19-37 years). Twelve soldiers presented 56 lesions due to Leishmania (Viannia) guyanensis (attack rate=16.9 for 100). Among 56 lesions, 13 lesions were localized on the trunk, usually an unexposed body area. Logistic regression highlighted military exercises in the forest during a high risk period of leishmaniasis transmission (OR=11.2; p<0.01), and the young age (OR=1.33; p=0.04). Vector control measures were not statistically significant. Conclusion: Military authorities should restrict deep forest activities during periods of high risk transmission. Vector control measures are essential. Officers should motivate their soldiers and supervise vector control measures. As ecotourism is developing, tourists as well as workers staying in deep forest must be informed of the risk and about vector control measures. Cutaneous leishmaniasis. French Guiana. Outbreak. Vector control measures.
Position du problème : Une épidémie de leishmaniose cutanée est survenue chez des militaires, au décours d’un séjour de quatre mois en Guyane, durant lequel différentes missions ont été effectuées. L’enquête épidémiologique avait pour objectifs de a) décrire l’épidémie et b) déterminer les facteurs de risque de leishmaniose cutanée. Méthodes : Tous les sujets atteints ont bénéficié d’une prise en charge hospitalière. Les lésions ont été biopsiées, puis mises en culture pour identification de l’espèce. Un questionnaire standardisé a été administré individuellement à la personne interrogée par un médecin ou un infirmier. Les données recueillies ont été saisies et analysées avec les logiciels EpiInfo 6.04d et SASTM. Résultats : L’âge moyen des 71 militaires de l’unité était de 25,9 ans (19-37 ans), douze d’entre eux ont présenté des lésions (taux d’attaque : 16,9 pour 100). Le nombre total de lésions était de 56, dont Texte reçu le 5 septembre 2005. Acceptation définitive le 19 janvier 2006.
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F. BERGER ET COLLABORATEURS
13 ont été observées sur le tronc, une zone corporelle normalement protégée par les vêtements. L’espèce en cause était Leishmania (Viannia) guyanensis. L’analyse multivariée (régression logistique) a mis en évidence deux facteurs de risque : un stage en forêt profonde effectué durant une période à haut risque de transmission (OR = 11,2 ; p < 0,01), et le jeune âge (OR = 1,33 ; p = 0,04). L’analyse n’a pas mis en évidence de différence significative dans l’application des mesures de lutte antivectorielle. Conclusion : Le commandement devrait limiter les séjours en forêt profonde pendant la période à haut risque de transmission. L’application des mesures de lutte antivectorielle individuelles (vêtements longs, répulsifs…) est indispensable. Les cadres de contact doivent motiver les soldats, notamment les plus jeunes, à utiliser les moyens de protection et doivent superviser les mesures de lutte antivectorielle. L’écotourisme étant une activité qui se développe, les touristes séjournant en forêt, ainsi que les travailleurs, doivent être informés et éduqués sur la façon de se protéger. Leishmaniose cutanée. Guyane française. Épidémie. Lutte antivectorielle.
INTRODUCTION
Les leishmanioses tégumentaires sont des anthropozoonoses parasitaires dues à des protozoaires flagellés appartenant au genre Leishmania. Elles sont largement répandues puisque leur répartition couvre la zone intertropicale et déborde dans les zones tempérées d’Afrique du Nord, d’Europe et d’Asie [1]. L’homme est contaminé par la piqûre infectante de la femelle d’un moucheron, le phlébotome, dont l’activité est vespéronocturne. Dans les armées françaises, l’incidence des leishmanioses cutanées varie entre 20 et 200 cas par an. La traduction clinique des leishmanioses dépend de l’espèce incriminée. La forme cutanée localisée est la forme exclusivement rencontrée chez les militaires français qui se contaminent presque toujours à l’occasion d’un séjour en Guyane. La Guyane a une superficie de 90 000 km2, elle est située au Nord-Est du continent sudaméricain. On y distingue deux saisons, une saison pluvieuse de décembre à juillet et une saison sèche d’août à novembre [2]. Leishmania (Viannia) guyanensis est l’espèce la plus fréquemment rencontrée, mais L.(L.) amazonensis et L.(V.) brasiliensis sont également présentes. La lésion réalise le « Pian bois » : il s’agit d’une lésion cutanée indolore, non prurigineuse, qui apparaît après une durée d’incubation de un à quatre mois en moyenne. Dans les armées françaises, les mesures de prévention sont collectives (pulvérisation d’insecticides dans et autour des habitations, adaptation des horaires des activités) et individuelles (port de vêtements longs, application de répulsifs cutanés et utilisation de
tenues de combat et de moustiquaires imprégnées de perméthrine). Début janvier 2003, des cas de leishmanioses cutanées confirmés biologiquement ont été déclarés par un médecin d’un régiment stationné dans le nord de la France, au département d’épidémiologie et de santé publique, structure responsable de la surveillance épidémiologique militaire de cette région. Tous les cas appartenaient à une même compagnie qui venait d’effectuer une mission de quatre mois en Guyane. Il s’agissait d’une compagnie de 71 militaires, stationnés à Kourou en Guyane, d’août 2002 à janvier 2003. Durant leur séjour, les militaires ont effectué des « exercices compagnie » (points kilométriques (PK), camp Fabert), des sorties sur le terrain (fleuve Saint-Laurent, îles du Salut) ainsi que des missions de surveillance de sites protégés (Kourou, dépôts de munition…). La majorité d’entre eux a participé à un stage d’aguerrissement en forêt profonde qui se déroulait aux environs de Regina (fig. 1). Un premier groupe (groupe 1) a effectué le stage début novembre, et un deuxième groupe (groupe 2), à la fin du même mois. Devant cette épidémie, une enquête épidémiologique a été effectuée. Les objectifs étaient de décrire l’épidémie et de déterminer les facteurs de risque de leishmaniose cutanée afin d’adapter le cas échéant les mesures de prévention. POPULATION ET MÉTHODES L’enquête épidémiologique était une enquête de cohorte rétrospective réalisée sur l’ensemble des militaires de la compagnie qui a séjourné en Guyane d’août 2002 à janvier 2003.
ÉPIDÉMIE DE LEISHMANIOSE CUTANÉE AU RETOUR DE GUYANE
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FIG. 1. — Situation des différents lieux fréquentés par les militaires lors de leur séjour en Guyane.. Tous les sujets présentant des lésions cutanées suspectes ont été adressés en consultation spécialisée à l’Hôpital d’Instruction des Armées (HIA) Bégin, à Saint-Mandé (près de Paris) pour confirmation diagnostique, puis hospitalisés pour la mise en route du traitement. Le diagnostic a été porté après isolement de leishmanies (forme amastigote) à l’examen direct de biopsies cutanées après coloration par le MayGrünwald Giemsa et par culture sur milieu RPMI enrichi en sérum de veau fœtal (forme promastigote). En cas de culture positive, la souche isolée était adressée au Centre National de Référence (CNR) des Leishmania, basé à Montpellier, pour identification de l’espèce par caractérisations biochimiques et biologie moléculaire. Un cas a été défini comme tout militaire de la compagnie présentant au moins une lésion cutanée avec isolement à la culture de Leishmania spp, apparue pendant le séjour ou jusqu’à un mois après le retour en métropole. Les malades ont été interrogés lors de leur hospitalisation, par un médecin épidémiologiste. Les non malades ont été interrogés au régiment, par un médecin épidémiologiste, un des médecins ou un des infirmiers du régiment. Le recueil des données a été réalisé lors d’un entretien individuel à l’aide d’un questionnaire standardisé anonymisé. L’interrogatoire des premiers malades hospitalisés a permis de tester les questionnaires et de suspecter les stages et les missions à risque. Les données collectées portaient sur les caractéristiques socio-démographiques (date de naissance, sexe, grade…). Le
statut marital a également été étudié car des enquêtes d’observance de la chimioprophylaxie antipaludique avaient montré que les militaires mariés avaient une meilleurs observance que les militaires célibataires. Des données sur les antécédents de séjour en Guyane, la participation à des séances d’éducation sanitaire, sur l’importance de l’atteinte clinique (nombre de lésions cutanées, localisation…) et sur les mesures de lutte antivectorielle mises en œuvre ont été recueillies. Ces dernières ont été étudiées sur le lieu d’implantation principal de la compagnie (utilisation d’une moustiquaire, de répulsifs cutanés, d’insecticides…) et lors du stage en forêt profonde (utilisation de hamac moustiquaire, de répulsifs cutanés…). La détention dans des locaux disciplinaires (mise aux arrêts) ainsi que les mesures de lutte antivectorielle suivies dans ces locaux ont été relevées. L’observance des mesures de lutte antivectorielle individuelles (port de vêtements longs, utilisation de répulsifs) a été évaluée selon deux modalités : mesures de protection appliquées (application des mesures souvent ou toujours), ou mesures non appliquées (application rare ou jamais). Pour le stage d’aguerrissement en forêt profonde et pour les autres missions, des conduites à risque ont été recherchées. Lors du stage en forêt profonde, les stagiaires faisaient leur toilette dans l’eau du fleuve, lors du bivouac, peu avant la tombée du jour. Certains sujets en profitaient pour se baigner. Deux groupes ont été distingués selon la fréquence des baignades : baignades fréquentes (tous les soirs ou plus d’un soir sur deux) et baignades peu fréquentes (jamais ou moins d’un soir sur deux). L’interrogatoire a recherché l’utilisation
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F. BERGER ET COLLABORATEURS
d’une lampe frontale et l’abattage d’arbres, considérés comme des facteurs de risque de piqûres de phlébotome (la lumière attirant les phlébotomes et les arbres entraînant dans leur chute les phlébotomes situés dans la canopée). Les données ont été saisies et analysées à l’aide des logiciels EpiInfo 6.04d, et SAS™. Le test du χ2, le test de Fisher, le test t de Student et le test non paramétrique de Mann et Whitney ont été utilisés. L’analyse par régression logistique a été réalisée pour déterminer le rôle de chaque facteur en tenant compte des autres. Un seuil conservateur de 0,20 en analyse univariée a été utilisé pour sélectionner les variables à inclure dans le modèle de régression logistique initial.
RÉSULTATS
POPULATION ÉTUDIÉE La compagnie était composée de 71 militaires qui ont tous été interrogés. Douze d’entre eux présentaient au moins une lésion cutanée de leishmaniose (taux d’attaque : 16,9 pour 100). Soixantedix étaient de sexe masculin ; l’âge moyen était de 25,9 ans (médiane : 24,9 ans, extrêmes : 19,337,1). Quarante-neuf (69,0 %) étaient célibataires, 22 (31,0 %) vivaient en couple (mariés ou en concubinage). Douze militaires (17,1 %) avaient déjà participé à une ou plusieurs missions en Guyane. DESCRIPTION DES MALADES Douze militaires ont présenté des lésions cutanées en fin de séjour en Guyane ou après le retour en France métropolitaine. L’âge moyen des douze patients était de 23,2 ans (extrêmes : 20,626,6 ans) ; 11 d’entre eux étaient de sexe masculin, 10 étaient célibataires (83,5 %), 11 étaient militaires du rang (91,7 %). Leishmania spp a été isolée dans les biopsies réalisées chez chacun des 12 patients. L’espèce était identifiée chez 5 d’entre eux : il s’agissait de Leishmania (V.) guyanensis (Locus RNA Pol.II, RP 3239 — 3470 homologie 100 % LEM 85). Les 12 patients ont présenté 56 lésions cutanées avec une moyenne de 4,7 lésions par patient (médiane : 4 lésions) et des extrêmes compris entre 1 et 11 lésions. Trente-quatre des 56 lésions (61 %) étaient localisées sur des régions du corps normalement recouvertes par les effets militaires (tronc, membres sauf poignets et mains) et concernaient 9 sujets, soit 75 % des patients.
Les premières lésions cutanées sont apparues entre le 1er décembre 2002 et le 7 janvier 2003. La courbe épidémique et la chronologie des missions effectuées pendant le séjour sont reportées à la figure 2. RECHERCHE DES FACTEURS DE RISQUE DE LEISHMANIOSE CUTANÉE
Le taux d’attaque chez les sujets âgés au plus de 25 ans était quatre fois plus élevé que celui des sujets de plus de 25 ans : 26,3 % (10/38) versus 6,1 % (2/33), RR = 4,3 ; IC 95 % = 1,0-18,4, p = 0,03. Les différents facteurs étudiés sont représentés dans le tableau I. Ni le grade (RR = 4,6 ; p = 0,1), ni la mise aux arrêts (RR = 2,7 ; p = 0,09) n’étaient significativement associés à la survenue de la maladie. La comparaison des taux d’attaque entre les stagiaires des deux groupes et ceux n’ayant participé à aucun des deux stages en forêt profonde était, du fait d’effectifs trop faibles, impossible. Pour cette raison, les militaires du groupe 1 et ceux n’ayant participé à aucun des deux stages ont été regroupés. Le taux d’attaque de leishmaniose cutanée chez les militaires du groupe 2 était significativement plus élevé que celui observé chez les autres (35,7 vs 4,7 pour 100 ; RR = 7,7 ; IC 95 % = 1,8-32,5 ; p < 0,01) (tableau I). Le taux d’attaque chez les militaires ayant effectué la mission le long du fleuve Saint-Laurent était significativement inférieur à celui observé chez ceux n’ayant pas participé à cette mission (0 pour 100 vs 30 pour 100 ; p < 0,01). Pour les autres missions, les taux d’attaque n’étaient pas significativement différents entre les participants et les autres (tableau I). L’analyse multivariée par régression logistique a mis en évidence deux facteurs de risque : le stage en forêt profonde du 18 au 23 novembre 2002 (groupe 2, OR = 11,2 ; IC 95 % = 2,1-60,4 ; p < 0,01), et le jeune âge (OR = 1,33 ; IC 95 % = 1,01-1,67 ; p = 0,04). Afin de connaître les raisons du risque lié au stage du groupe 2, les deux facteurs d’exposition (mauvaise observance des mesures de lutte antivectorielle et participation à des activités à risque) ont été comparés entre les stagiaires des deux groupes lors du second stage.
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ÉPIDÉMIE DE LEISHMANIOSE CUTANÉE AU RETOUR DE GUYANE
Activités 1. Stage préparatoire 2. 3. Missions de surveillance
4.
}
1
2
5. Stage d’aguerrissement du 28/10 au 08/11 (groupe 1) 6. Stage d’aguerrissement du 18/11 au 23/11 (groupe 2) 7. Iles du Salut
3
5
6
4
4
7 Départ de Guyane
Arrivée en Guyane Nombre
3 2 1 0 19/08 02/09 16/09 30/09 14/10 28/10 11/11 25/11 09/12 23/12 06/01 Semaines cas du groupe 1 (stage du 28/10 au 08/11)
cas du groupe 2 (stage du 18/11 au 23/11)
FIG. 2. — Distribution des cas de leishmaniose cutanée en fonction de la date d’apparition des premières lésions cutanées, planning des activités pendant le séjour..
COMPARAISON DES DEUX GROUPES LORS DU STAGE D’AGUERRISSEMENT
GROUPE 2 : FACTEURS D’EXPOSITION LORS DU STAGE D’AGUERRISSEMENT
L’application des mesures de lutte antivectorielle ne différait pas significativement entre les stagiaires du groupe 2 et ceux du groupe 1 : utilisation de hamac moustiquaire (100,0 % vs 96,3 % ; p = 1,0), port de vêtements longs (96,4 % vs 92,6 % ; p = 0,6) et utilisation de répulsifs (64,3 % vs 59,3 % ; p = 0,7).
Lors de ce stage, 96,4 % (27/28) des stagiaires portaient souvent des vêtements longs, 35,7 % des stagiaires utilisaient des répulsifs cutanés « parfois ou jamais » ; le taux d’attaque de leishmaniose cutanée chez ces derniers ne différait pas significativement par rapport aux stagiaires ayant « souvent » utilisé des répulsifs cutanés (RR = 1,8 ; IC 95 % = 0,7-4,7 ; p = 0,4) (tableau II). Le taux d’attaque de leishmaniose cutanée ne différait pas significativement pour les autres facteurs d’exposition (tableau II). Aucun facteur d’exposition n’a été mis en évidence lors de ce stage.
La fréquence de participation des stagiaires du groupe 2 à des activités à risque (baignades, port d’une lampe frontale ou abattage d’arbres) n’était pas significativement différente par rapport à celle des stagiaires du groupe 1. À la suite de ce constat, les facteurs d’exposition ont été étudiés chez les stagiaires du groupe 2 en comparant les facteurs chez les malades et chez les non malades.
DISCUSSION
Une épidémie de leishmaniose cutanée (12 cas) est survenue parmi 71 militaires d’une compagnie
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TABLEAU I. — Recherche des facteurs de risque de leishmanioses cutanées chez des militaires en mission en Guyane. N
Nbre de cas
Taux d’attaque pour 100
49 22
10 2
50 21
RR
IC 95 %
p
20,4 9,1
2,2
0,5-9,4
0,32
11 1
22,0 4,8
4,6
0,6-33,6
0,10
12 59
0 12
0,0 20,3
61 10
10 2
16,4 20,0
0,8
0,2-3,2
0,67
11 60
4 8
36,4 13,3
2,7
1,0-7,5
0,09
16 27 28
0 2 10
0,0 7,4 35,7
30 41
6 6
29 42
Célibataire oui non Militaire du rang oui non Antécédents de séjour Guyane oui non
0,20
Séance d’éducation sanitaire oui non Locaux disciplinaires oui non MISSIONS Stage d’aguerrissement pas de stage stage du 28/10 au 8/11 stage du 18/11 au 23/11
}
Référence 7,7
1,8-32,5
< 0,01
20,0 14,6
1,4
0,5-3,8
0,55
6 6
20,7 14,3
1,5
0,5-4,1
0,70
31 40
0 12
0,0 30,0
32 39
6 6
18,8 15,4
1,2
0,4-3,4
0,71
23 48
4 8
17,4 16,7
1,0
0,4-3,1
0,79
31 40
6 6
19,4 15,0
1,3
0,5-3,6
0,63
31 40
5 7
16,1 17,5
0,9
0,3-2,6
0,88
17 54
2 10
11,8 18,5
0,6
0,2-2,6
0,72
Point kilométrique 16 (01/10 au 03/10) oui non Camp Fabert oui non Saint-Laurent oui non
< 0,01
Point kilométrique 16 bis (14/10 au 16/10) oui non Point kilométrique 16 (17/10 au 18/10) oui non Point kilométrique 17 oui non Îles du salut du 27/12 au 28/12 oui non Îles du salut du 29/12 au 31/12 oui non
RR : risque relatif ; IC 95 % : intervalle de confiance à 95 %.
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ÉPIDÉMIE DE LEISHMANIOSE CUTANÉE AU RETOUR DE GUYANE
TABLEAU II. — Groupe 2 : Mesures de lutte antivectorielle (LAV) et activités à risque lors du stage d’aguerrissement. Mesures de LAV et activités à risque
N
Malades
Non malades
RR
IC 95 %
p
50,0 72,2
1,8
0,7-4,7
0,4
13 5
65,0 71,4
1,2
0,3-4,6
1,0
50,0 33,3
2 16
50,0 66,6
1,5
0,5-4,7
0,6
0,0 37,0
1 17
100,0 63,0
–
–
1,0
n
%
n
%
10 18
5 5
50,0 27,8
5 13
20 7
7 2
35,0 28,6
4 24
2 8
1 27
0 10
Répulsifs parfois souvent Baignades souvent parfois Lampe frontale oui non Abattage arbres oui non
RR : risque relatif ; IC 95 % : intervalle de confiance à 95 %.
tournante ayant séjourné quatre mois en Guyane (taux d’attaque = 16,9 pour 100). Le risque de développer la maladie était plus élevé chez les plus jeunes. Cependant, l’étendue de l’âge de la population d’étude étant comprise entre 19 et 37 ans, le risque associé ne peut pas être extrapolé à la population générale. Les militaires les plus jeunes sont plus à risque car ils ont moins d’expérience tropicale et ils participent plus souvent aux activités les exposant à la leishmaniose. Les missions effectuées durant ces quatre mois ont été nombreuses. L’interrogatoire des sujets a été réalisé selon un délai variant entre 3 et 6 semaines après le retour en métropole. Dans ces conditions, la fiabilité du recueil des expositions peut être discutée du fait des erreurs possibles liées à la mémorisation. De plus, un biais de déclaration peut exister. En effet, chez les sujets atteints de leishmaniose cutanée qui avaient mal appliqué les mesures de lutte antivectorielle, la mauvaise observance des mesures de prévention a pu ne pas être déclarée, entraînant ainsi un biais de classification différentiel responsable d’une sous-estimation du risque. Une étude écologique argentine [3] avait montré un lien, en zone forestière, entre la pullulation vectorielle (Lutzomyia intermedia s.l.) et l’existence de fortes précipitations durant les semaines précédentes. Une étude faite au Guyana [4], pays
proche de la Guyane, portait sur 185 cas de leishmaniose cutanée, diagnostiqués entre 1993 et 1998. Les résultats de cette étude montraient que les mois les plus « à risque » étaient, par ordre décroissant, décembre, mars, avril et novembre. Au Guyana, les sujets atteints étaient en majorité des mineurs et des bûcherons. D’après les auteurs, les militaires ne représentaient plus la principale population à risque de leishmaniose cutanée et un nombre croissant de travailleurs saisonniers ou non et de touristes (écotouristes, chasseurs…) étaient exposés lors de leurs activités en forêt. Une étude écologique réalisée en 1977 en Guyane avait montré qu’au niveau du sol, la période à haut risque d’infection par Lu. umbratilis, vecteur de Leishmania (V.) guyanensis, était la seconde quinzaine de novembre [5]. Les investigations des épidémies survenues en Guyane [6] avaient confirmé la nécessité, pendant la période à haut risque de transmission (novembre à mai), d’appliquer strictement les mesures de prévention (limiter l’abattage des arbres, porter des vêtements longs, stopper toute progression dès 16 h 00…). Elles avaient également souligné la persistance du risque « en bordure de période ». L’existence d’une période à risque serait le résultat d’un lien entre l’humidité induite par les pluies dans les terriers des petits mammifères et le cycle larvaire
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F. BERGER ET COLLABORATEURS
des phlébotomes, les larves étant terricoles et coprophages. Le stage d’aguerrissement est apparu comme facteur de risque de leishmaniose cutanée uniquement pour les stagiaires du groupe 2, alors que ce stage a duré plus longtemps pour le groupe 1 (11 jours vs 6 jours). Le stage du groupe 2 s’est déroulé du 18 au 23 novembre, durant la période à haut risque de transmission leishmanienne qui débute en novembre et s’achève entre mai et juillet [2, 6], alors que pour le groupe 1 le stage avait débuté trois semaines plus tôt, soit juste au début de la période à risque. Le risque de développer une leishmaniose cutanée a été multiplié par 11 chez les stagiaires du groupe 2. La proportion de stagiaires ayant peu appliqué les mesures de lutte antivectorielle n’était pas significativement différente entre les deux groupes. Certaines mesures ont été moins bien appliquées que d’autres : c’est le cas de l’utilisation de répulsif ; parmi les 55 militaires ayant participé au deuxième stage d’aguerrissement (groupes 1 et 2), 21 (38,2 %) ont déclaré avoir peu utilisé les répulsifs. En revanche, seuls 5,5 % des sujets (3/55) ont déclaré ne pas avoir toujours respecté les mesures vestimentaires : or, 9 sujets sur les 12 atteints ont présenté des lésions sur des zones corporelles normalement recouvertes par les effets militaires. Les sujets atteints ont pu être infectés le matin ou/ et le soir, lors du changement de tenue ; ces périodes n’ont pas pu être étudiées en détail et il aurait été intéressant de connaître les lieux de changement de tenue (sous ou en dehors du hamac moustiquaire). Chez les stagiaires du groupe 2, les facteurs de risque « classiques » n’ont pas été statistiquement mis en évidence ; le manque de puissance de l’enquête est probablement responsable de ce résultat. L’analyse des données de cette enquête a confirmé la nécessité de limiter les activités en forêt profonde dès le mois de novembre, qui correspond au début de la période à haut risque de leishmaniose cutanée. Les moyens de lutte doivent être appliqués scrupuleusement. Les mailles de la moustiquaire doivent être suffisamment petites pour empêcher le phlébotome de traverser (au moins 18 trous au pouce linéaire), et elle doit être imprégnée de perméthrine qui sert également à imprégner les vêtements. Ces derniers doivent être portés longs. Les répulsifs (diéthylméthylto-
luamide) doivent être appliqués toutes les 4 à 6 heures sur les zones découvertes, en évitant tout contact avec les yeux et la bouche. L’utilisation de lampes frontales, le soir, est à proscrire. Il faut informer et motiver les stagiaires afin qu’ils soient plus nombreux à appliquer les mesures de lutte antivectorielle ; la répétition des séances d’éducation sanitaire est nécessaire pour assimiler les messages de prévention. Le personnel d’encadrement doit être sensibilisé à la supervision de ces mesures (port de vêtements longs, utilisation de répulsifs…). En France, la déclaration des leishmanioses n’est pas obligatoire. Leur recensement sur le territoire national est réalisé par le CNR des Leishmania créé en 1998 à Montpellier [7]. En 1999, un premier bilan a été dressé et montrait que 61 des 63 cas (96,8 %) s’étant contaminés en Guyane étaient des militaires. Il ne s’agissait que des cas diagnostiqués en métropole. La même année, 131 cas ont été diagnostiqués sur le territoire guyanais, portant à 194 le nombre total de cas diagnostiqués en 1999 [7]. L’utilisation de vêtements et de moustiquaires imprégnés d’insecticides, l’application de répulsifs restent les moyens de lutte antivectorielle les plus efficaces. Leishmania (V.) guyanensis a été mis en évidence chez cinq sujets. Au Brésil, pays frontalier de la Guyane, d’autres espèces circulent comme L.(V.) naiffi ou L.(V.) lindenbergi n.sp., découvertes respectivement en 1989 [8] et 1996 [9], et pourraient un jour être isolées en Guyane. La pulvérisation d’insecticides sur la végétation et les troncs d’arbres (gîtes de repos des insectes adultes) est également un moyen de lutte efficace [10] ; cependant, la zone protégée est limitée dans l’espace et dans le temps. L’application de lait de chaux sur la partie basse des troncs d’arbres empêcherait les moucherons de s’y loger ; en l’appliquant sur les arbres autour des lieux d’habitation, les phlébotomes seraient éloignés des habitants [10]. D’autres moyens de lutte antivectorielle sont en cours d’évaluation, comme l’utilisation de bactéries larvicides qui peuvent être incorporées à des appâts sucrés, puis pulvérisées. Il existe également des plantes toxiques pour les phlébotomes : l’utilisation d’extrait de ces plantes représenterait un insecticide « naturel » non polluant [10].
ÉPIDÉMIE DE LEISHMANIOSE CUTANÉE AU RETOUR DE GUYANE
Aucun vaccin n’est actuellement disponible pour la prévention de la leishmaniose cutanée. Cependant, l’immunothérapie pour traiter des formes cutanées de leishmaniose a été utilisée avec succès au Venezuela, en associant des formes promastigotes de leishmanies inactivées au bacille de Calmette et Guérin [11]. De plus, l’utilisation de salive de phlébotome dans la composition d’un vaccin a donné des résultats encourageants chez la souris [12]. L’écotourisme, ou tourisme vert, a débuté il y a une trentaine d’années et connaît actuellement un essor considérable. À tel point que l’Assemblée générale des Nations Unies a déclaré 2002 « Année internationale de l’écotourisme ». D’après la Banque interaméricaine de développement, cette filière devrait connaître une expansion variant entre 10 et 30 % par an. L’écotourisme montre sa puissance économique dans bon nombre de pays d’Amérique latine, comme le Costa Rica ou le Brésil. La Guyane française a accueilli 80 000 visiteurs en 2002, essentiellement des Français ayant de la famille sur place. Actuellement, la majorité des cas rencontrés en France se contamine en Guyane. En 2003, sur les 319 cas de leishmaniose cutanée recueillis par le CNR, 269 soit 84,3 % s’étaient contaminés en Guyane. Le nombre important de visiteurs et le développement du tourisme vert font qu’il est plus que jamais nécessaire d’informer les sujets séjournant en Guyane, touristes et travailleurs, sur le risque de leishmaniose cutanée et de les éduquer sur la façon de se protéger (répulsifs, moustiquaire imprégnée…). RÉFÉRENCES 1. Dedet JP. Leishmanioses dans le monde. Médecine et armées 1994 ; 22 : 7-10. 2. Dedet JP. Cutaneous leishmaniasis in French Guiana: a review. Am J Trop Med Hyg 1990; 43: 25-8. 3. Salomon OD, Rossi GC, Spinelli GR. Ecological aspects of phebotomine (Diptera, Psychodidae) in an
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