Étude américaine bévacizumab versus ranibizumab : match nul ?

Étude américaine bévacizumab versus ranibizumab : match nul ?

Journal français d’ophtalmologie (2012) 35, 79—81 ÉDITORIAL Étude américaine bévacizumab versus ranibizumab : match nul ? Bevacizumab versus ranibiz...

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Journal français d’ophtalmologie (2012) 35, 79—81

ÉDITORIAL

Étude américaine bévacizumab versus ranibizumab : match nul ? Bevacizumab versus ranibizumab: A draw?

Bévacizumab et ranibizumab : différences et similitudes Le vascular endothelial growth factor (VEGF) est une cytokine impliquée dans la croissance et la perméabilité des néovaisseaux choroïdiens et leur croissance. Les anti-VEGF sont des molécules qui, injectées de fac ¸on répétée dans l’œil, inhibent le VEGF et ses effets pathogènes. Le ranibizumab (Lucentis) est un fragment d’anticorps monoclonal recombinant, développé par la Société Genentech. Les études cliniques prospectives Marina et Anchor ont démontré l’efficacité du traitement par injections intravitéennes mensuelles de ranibizumab, traitement qui a été approuvé par la FDA puis a obtenu l’AMM en Europe au début 2007 [1,2]. Le bévacizumab (Avastin) est l’anticorps monoclonal anti-VEGF entier, également développé par Genentech. Il a été commercialisé pour injection intraveineuse dans le cadre de certains cancers. Son utilisation par voie intravitréenne dans la DMLA est toutefois largement répandue dans plusieurs pays, hors indication initiale, pour des raisons économiques (utilisation off-label, hors AMM,. . .). Le reconditionnement d’un flacon de bévacizumab permettant le remplissage de nombreuses seringues de 0,05 mL, le ratio de différence de prix entre les deux molécules varie de 1/5 à 1/40. Leur utilisation par voie intravitréenne semblait donner jusqu’à présent une efficacité similaire dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) exsudative. Quelques analyses rétrospectives n’ont pas permis de mettre en évidence de différence d’action entre le ranibizumab et le bévacizumab.

Les études comparatives De nombreux pays ont entrepris de comparer de fac ¸on indépendante (vis-à-vis des laboratoires) et prospective l’efficacité et la tolérance du bévacizumab au ranibizumab : l’étude CATT (États-Unis), l’étude GEFAL (France), l’étude IVAN (Royaume-Uni), l’étude VIBER (Allemagne), l’étude MANTA (Autriche) et l’étude LUCAS (Norvège).

0181-5512/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.jfo.2011.06.003

80 L’étude Comparison of AMD Treatment Trials (CATT) est la première à publier ses premiers résultats à un an [3]. Il s’agissait d’une étude prospective, randomisée, en simple insu, ayant inclus dans 44 sites cliniques une totalité de 1208 patients atteints de DMLA exsudative, répartis en quatre bras : ranibizumab en injection mensuelle (n = 301), ranibizumab en injection « au besoin » dite PRN (pro re nata) sur la base d’un suivi strict mensuel (n = 286), bévacizumab en injection mensuelle (n = 298) et bévacizumab en injection « au besoin », également sur la base d’un suivi strict mensuel (n = 300). Ainsi, l’étude a effectué une comparaison des deux molécules et de deux modes d’administration, mensuelle stricte ou au besoin, avec un protocole identique.

Les résultats de l’étude Comparison of AMD Treatment Trials (CATT) : efficacité comparée des molécules La comparaison ranibizumab versus bévacizumab en utilisation mensuelle a confirmé, de fac ¸on prospective, une efficacité comparable entre les deux molécules sur l’acuité visuelle à un an (+ 8,5 versus + 8,0 lettres). La comparaison ranibizumab versus bévacizumab, en utilisation au besoin n’a pas non plus permis de mettre en évidence de différence significative entre les deux molécules sur l’acuité visuelle à un an (+ 6,8 versus + 5,9 lettres). La diminution de l’épaisseur rétinienne centrale, mesurée à la tomographie en cohérence optique (OCT), a été la plus importante dans le groupe ranibizumab mensuel (—196 microns) et la plus faible dans le groupe bévacizumab au besoin (—152 microns ; p = 0,03). Après la première injection, le ranibizumab est apparu plus efficace que le bévacizumab pour faire régresser le liquide sous-rétinien (absence de fluide à la quatrième semaine : 27,5 % versus 17,3 % ; p < 0,001). À 12 mois, la disparition du liquide sousrétinien était plus constante dans le groupe ranibizumab mensuel que dans le groupe bévacizumab mensuel (43,7 % versus 26 % ; p < 0,001). Concernant l’évolution de taille de la lésion néovasculaire en angiographie, une relative stabilisation a été observée dans les groupes ranibizumab versus une augmentation de la taille des lésions dans les groupes bévacizumab (p = 0,047). Concernant le nombre d’injections dans les deux groupes ayant rec ¸u des injections au besoin, le nombre d’injections nécessaires a été inférieur pour le ranibizumab que pour le bévacizumab (6,9 versus 7,7, p = 0,003). Dans cette étude, les critères de retraitement étaient très stricts (toute présence de fluide devait pousser à réinjecter), plus que ceux utilisés en clinique quotidienne.

Les résultats de l’étude Comparison of AMD Treatment Trials (CATT) : efficacité comparée des protocoles La comparaison traitement mensuel versus traitement au besoin confirme l’efficacité d’un régime PRN pour le ranibizumab, à la condition d’une surveillance mensuelle stricte (+ 8,5 lettres versus + 6,8 lettres, différence non significative). La nécessité de contrôles mensuels stricts avait été fortement suggérée par la comparaison des résultats

Éditorial d’études rétrospectives, montrant des résultats visuels comparables à ceux des études Marina et Anchor en cas de contrôles mensuels stricts et des résultats plus décevants en cas de contrôles avec une périodicité moins stricte [4—6]. Cette information est utile pour ceux qui croyaient encore à la nécessité des injections mensuelles pour avoir les résultats des études princeps Marina et Anchor. Les résultats de l’étude CATT sont d’autant plus parlants que le protocole d’injections au besoin était réalisé dès la première injection, sans la classique phase d’induction. L’étude franc ¸aise GEFAL nous apportera des informations sur les résultats d’un traitement au besoin, réalisé après les trois premières injections systématiques. La comparaison traitement mensuel versus traitement au besoin pour le bévacizumab ne permet pas de conclure, avec une différence à la limite de la significativité (+ 8,0 lettres versus 5,9 lettres). L’analyse des critères de retraitement des patients dans les deux groupes avec injection au besoin est intéressante. Ces critères de retraitement se sont basés sur l’acuité visuelle, l’examen en OCT et l’angiographie « à la discrétion de l’ophtalmologiste ». Il n’y avait que 71,5 % de concordance entre l’ophtalmologiste et le centre de lecture. Cela soulève plusieurs questions : la validité de l’OCT time-domain (l’OCT spectral domain sera utilisé pour la deuxième année) ; la validité de l’OCT en tant que seul examen anatomique pour la décision de retraitement ; la place de l’angiographie dans les décisions de retraitement.

Les résultats de l’étude Comparison of AMD Treatment Trials (CATT) : tolérance comparée Les effets secondaires sont apparus rares dans tous les groupes. Le protocole d’injections mensuelles a fait toutefois encourir un risque plus grand d’infection oculaire (endophtalmies), quelle que soit la molécule (p < 0,03). La comparaison brute des effets secondaires est en défaveur du bévacizumab, dans cette étude prospective et randomisée (p = 0,04). Cependant, la nature des évènements indésirables observés n’est pas celle attendue. En effet, ces effets secondaires ne sont pas ceux rencontrés chez les patients traités par voie intraveineuse par de fortes doses de bévacizumab. De plus, les effets secondaires étaient plus souvent rencontrés chez les patients traités au besoin par bévacizumab, ayant donc rec ¸u moins d’injections que dans le groupe injecté de fac ¸on mensuelle. Au total, la tolérance des deux molécules est jugée satisfaisante par les auteurs, mais il est possible que l’effectif analysé ne permette pas de faire ressortir une différence entre les deux molécules. En effet, la taille de l’échantillon nécessaire a été calculée pour étudier la non-infériorité des deux molécules en termes d’efficacité et de non-tolérance. Ce point est important car, récemment, des études rétrospectives non indépendantes portant sur des cohortes importantes ont focalisé l’attention sur d’éventuels risques d’accidents vasculaires chez les patients traités régulièrement par bévacizumab. Curtis et al. ont mené une étude de cohorte nord-américaine sur 146 942 patients bénéficiant de l’assurance maladie (Medicare) traités pour une DMLA et ont analysé de fac ¸on rétrospective les effets

Étude américaine Bevacizumab versus Ranibizumab : match nul ? secondaires liés à l’utilisation du bévacizumab ou du ranibizumab [7]. Le risque de mortalité était significativement inférieur après traitement par ranibizumab par comparaison au bévacizumab (HR : 0,86 ; IC : 0,75—0,98). De même, le risque d’accident vasculaire cérébral était également significativement inférieur avec ranibizumab par comparaison au bévacizumab (HR :0,78 ; IC : 0,64—0,96). Toujours dans le même sens, lors du dernier congrès ARVO en mai 2011, Gower et al. ont présenté leurs résultats d’une analyse rétrospective sur les effets secondaires associés au bévacizumab versus ranibizumab, sur une cohorte de 74 267 individus, et ont montré une augmentation du risque d’AVC hémorragique et d’inflammation intraoculaire [8]. Ces études rétrospectives, même si elles ne prouvent encore rien de définitif, nous montrent que nous devons rester vigilants vis-à-vis de l’utilisation du bévacizumab et déclarer en pharmacovigilance tout effet indésirable pouvant être reliée à l’utilisation du ranibizumab ou du bévacizumab. L’intérêt de réaliser une étude prospective institutionnelle (GEFAL) s’en trouve renforcé et cet élan médiatique devrait aider à accélérer les dernières inclusions afin que GEFAL nous livre ses conclusions le plus vite possible.

Conclusion Les résultats de l’étude CATT doivent être analysés à froid, loin de toute pression médiatique, et l’analyse ne doit pas se focaliser sur la seule différence de coût entre les molécules. Dans chaque pays, il appartient aux autorités d’évaluer le rapport risque/bénéfice et aussi de se préoccuper du coût des molécules ayant l’AMM, en négociant ce prix avec les industriels. Dans le cas précis du bévacizumab, si le médicament est mis à la disponibilité des ophtalmologistes franc ¸ais, il devra l’être sous une forme permettant une injection intravitréenne sans manipulation du produit ni reconditionnement. Les autorités franc ¸aises ont accepté la réalisation d’une étude prospective randomisée en double insu (GEFAL) à laquelle de nombreux centres publics et privés participent, sous la forme d’un PHRC national. Nous en attendons les résultats, de même que les résultats de CATT à deux ans [9].

Déclaration d’intérêts Eric Souied : Allergan, Bausch et Lomb, Molecular Partner, Novartis, Théa. Salomon Yves Cohen : Allergan, Bausch et Lomb, Novartis, Théa.

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Laurent Kodjikian : Allergan, Bayer, Bausch et Lomb, Novartis, Théa.

Références [1] Rosenfeld PJ, Brown DM, Heier JS, Boyer DS, Kaiser PK, Chung CY, et al. Ranibizumab for neovascular age-related macular degeneration. N Engl J Med 2006;355:1419—31. [2] Brown DM, Kaiser PK, Michels M, Soubrane G, Heier JS, Kim RY, et al. Ranibizumab versus verteporfin for neovascular agerelated macular degeneration. N Engl J Med 2006;355:1432—44. [3] CATT Research Group, Martin DF, Maguire MG, Ying GS, Grunwald JE, Fine SL, et al. Ranibizumab and bevacizumab for neovascular age-related macular degeneration. N Engl J Med 2011;364:1897—908. [4] Cohen SY, Dubois L, Tadayoni R, Fajnkuchen F, Nghiem-Buffet S, Delahaye-Mazza C, et al. Results of one-year’s treatment with ranibizumab for exudative age-related macular degeneration in a clinical setting. Am J Ophthalmol 2009;148:409—13. [5] Querques G, Azrya S, Martinelli D, Berboucha E, Feldman A, Pece A, et al. Ranibizumab for exudative age-related macular degeneration: 24-month outcomes from a single-centre institutional setting. Br J Ophthalmol 2010;94:292—6. [6] Lalwani GA, Rosenfeld PJ, Fung AE, Dubovy SR, Michels S, Feuer W, et al. A variable-dosing regimen with intravitreal ranibizumab for neovascular age-related macular degeneration: year 2 of the PrONTO Study. Am J Ophthalmol 2009;148:43—58. [7] Curtis LH, Hammill BG, Schulman KA, Cousins SW. Risks of mortality, myocardial infarction, bleeding, and stroke associated with therapies for age-related macular degeneration. Arch Ophthalmol 2010;128:1273—9. [8] Gower EW, Cassard S, Chu L, Varma R, Klein R. Adverse event rates following intravitreal injection of avastin or lucentis for treating age-related macular degeneration. ARVO annual meeting 2011; program number 6644. [9] Rosenfeld PJ. Bevacizumab versus ranibizumab - The verdict. N Engl J Med 2011;364:1966—7.

E.H. Souied ∗ Service d’ophtalmologie, hôpital intercommunal de Créteil, université Paris-Est Créteil, 40, avenue de Verdun, 94000 Créteil, France

S.Y. Cohen Centre ophtalmologique d’imagerie et de laser, 11, rue Antoine-Bourdelle, 75015 Paris, France

L. Kodjikian Service d’ophtalmologie, hospices civils de Lyon, hôpital de la Croix-Rousse, groupement hospitalier Nord, 103, grande rue de La-Croix-Rousse, 69317 Lyon cedex 04, France ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (E.H. Souied) Disponible sur Internet le 26 octobre 2011