Étude exploratoire du vécu de la prise en charge des parents et de la fratrie de jeunes filles anorexiques

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ScienceDirect www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence xxx (2014) xxx–xxx

Article original

Étude exploratoire du vécu de la prise en charge des parents et de la fratrie de jeunes filles anorexiques Exploratory study of the support experienced by the parents and siblings of anorexic girls B. Delage a , T. Melioli a,∗ , M. Valls a,b , R.F. Rodgers c,d , H. Chabrol a a

Octogone – Centre d’étude et de recherche en psychopathologie (CERPP), université Toulouse II – Le Mirail, 5, allée Antonio-Machado, 31058 Toulouse cedex 9, France b UER Développement de l’enfant à l’adulte, HEP de Lausanne, Lausanne, Suisse c Department of Counseling and Applied Educational Psychology, Northeastern University, MA 02115, Boston, États-Unis d Laboratoire du stress traumatique, université Toulouse III – Paul-Sabatier, 39, allée Jules-Guesde, 31400 Toulouse, France

Résumé But de l’étude. – L’anorexie altère la qualité de vie familiale et amplifie les dysfonctionnements familiaux. Il apparaît primordial de prendre en charge la famille des anorexiques pour limiter l’impact de l’anorexie sur la famille. Cette étude exploratoire s’intéresse au vécu de la prise en charge de l’anorexie des parents et de la fratrie de jeunes filles anorexiques en France. L’objectif est d’explorer le vécu des traitements afin d’acquérir une meilleure connaissance de l’impact de cette maladie sur les parents et sur la fratrie. L’objectif second est de proposer différentes pistes de réflexion pour améliorer le processus de soin du patient et de sa famille. Participants et méthode. – Douze proches (6 mères, 3 pères et 3 fratries) de jeunes filles anorexiques ont participé à des entretiens semi-directifs. Résultats. – Une analyse thématique a permis d’extraire des unités signifiantes sous le thème du vécu de la prise en charge, eux-mêmes regroupés dans 5 catégories : longueur et inefficacité des traitements, prise en charge de la famille, implication de la fratrie, besoin de guidance et bénéfices des groupes de paroles. Conclusion. – L’analyse du vécu de la maladie par les proches offre de nouvelles perspectives concernant les besoins des familles pour améliorer la prise en charge. © 2014 Publi´e par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Anorexie ; Fratrie ; Parents ; Prise en charge ; Vécu

Abstract Background. – Anorexia nervosa (AN) is a serious psychiatric disorder, which affects 0.3% of young people, with a high mortality rate. The impacts of AN on both the patient and their family are severe, as AN decreases the quality of life of the whole family, and increases dysfunctional family interactions. Providing families affected by AN with support to limit the impact of the disorder on the family is therefore critical. Importantly, the lack of consensus regarding treatments for AN is particularly painful for the patients and their relatives. This exploratory study focuses on the impact of treatments for AN on families in France. The main aim is to explore the experience of parents and siblings of individuals suffering from AN to gain a better understanding of the impact of the disorder and its treatment on the whole family. The second purpose is to identify directions for improving the support provided to patient and their relatives. Method. – Twelve relatives of girls suffering from anorexia (6 mothers, 3 fathers and 3 siblings) were recruited within an association dedicated to the support of parents of individuals suffering from AN. Semi-structured interviews were conducted and thematic analysis was used to extract the meaningful themes. Results. – The results highlight five distinct categories: long and ineffective treatments, family support (of lack thereof), involvement of the siblings, the need of guidance and the benefits of support groups. Treatments are stressful for family members who are negatively impacted by both the length of treatment and the slow rates of improvement. Relatives of individuals suffering from AN, particularly siblings, require greater support as they are generally excluded from the treatment process. Parents clearly express a need of guidance concerning the appropriate behavior to adopt with their daughters. Plus they highlight the benefits of talking with other parents. ∗

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (T. Melioli).

0222-9617/$ – see front matter © 2014 Publi´e par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.12.005

Pour citer cet article : Delage B, et al. Étude exploratoire du vécu de la prise en charge des parents et de la fratrie de jeunes filles anorexiques. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.12.005

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Conclusion. – Our exploration of the experience of the families of individuals suffering from AN provides targets for the improvement of the support provided to families. Findings highlight the need for information, guidance and sharing with other families. Relatives need to be provided with more information throughout the treatment process, from diagnosis to recovery. In addition, families were particularly interested in obtaining practical advice on the appropriate behaviors to adopt with their anorexic daughter or/and sister. Finally, our results stress the helpfulness of sharing the experience of caring for someone with AN with other families facing eating disorders, in order to decrease isolation and social stigma. This study contributes to the evidence of how AN deeply affects the entire family, with major consequences for parents and siblings. This study emphasizes the need to improve the support for relatives and their involvement in the care process, in order to limit the impact of AN on other family members and to promote recovery. © 2014 Published by Elsevier Masson SAS. Keywords: Anorexia; Siblings; Parents; Care; Experienced support

1. Introduction L’anorexie mentale est un trouble psychiatrique grave. Si la prévalence parmi les jeunes femmes n’est que de 0,3 %, le taux de mortalité associé est l’un des plus élevé parmi les maladies mentales [1,2]. Outre le danger vital pour la patiente, le retentissement sur l’entourage familial est important [3,4]. Si certains traitements récents ont obtenu des résultats encourageant chez les adolescentes, les prises en charge sont peu efficaces et ne font pas l’objet d’un consensus médical [5]. D’une part, certains auteurs préconisent de suivre indépendamment les proches et la personne anorexique [6]. D’autre part, certains auteurs recommandent d’utiliser la thérapie familiale [7,8]. Les thérapies familiales réunissent la patiente et sa famille lors d’entretiens thérapeutiques, et s’appuient sur les ressources familiales pour établir une alliance thérapeutique forte et aider les membres à retrouver leur place dans la famille malgré la pathologie [9]. Ces thérapies s’avèrent bénéfiques puisque l’anorexie mentale s’associe à des répercussions importantes dans le cadre familial [10]. Ainsi, l’absence d’entente sur les prises en charge et leur faible efficacité sont souvent vécues de manière particulièrement difficile par les familles en quête de soutien et de réassurance. En France, malgré quelques études sur les bénéfices de l’inclusion des proches dans le processus de soin et sur la thérapie familiale [9,11,12], cette méthode paraît rester moins développée qu’en Europe et Amérique du Nord où elle est reconnue comme un des principaux traitements de l’anorexie à l’adolescence et où de nombreux programmes d’implication familiale dans les traitements [13–17] font avancer la recherche sur les troubles du comportement alimentaire et permettent d’améliorer les processus de soin. Au cours des dernières années, la littérature anglo-saxonne s’est intéressée au vécu des familles [18,19]. Les auteurs ont relevé des retentissements personnels, familiaux et sociaux de l’anorexie dans leur quotidien. D’un point de vue personnel, les parents de patientes anorexiques présentent des niveaux de détresse élevés ainsi que de nombreux affects négatifs tels que culpabilité, sentiment d’impuissance et fatigue [20]. Concernant la fratrie, elle semble souffrir d’une perte d’identité au sein de la famille [21]. D’un point de vue familial, l’anorexie engendre des difficultés de communication, une détérioration des relations [22] et les moments de repas deviennent sources de

conflits [13–23]. D’un point de vue social, les familles souffrent de la stigmatisation de la part de la société qui les associe à l’émergence et au maintien de la pathologie [13]. La littérature présente également des demandes spécifiques émanant des proches ; trois catégories de besoins sont recensées [24]. Premièrement, les familles présentent des besoins d’informations sur la pathologie pour mieux connaître la maladie et comprendre les comportements de leur proche. Deuxièmement, des besoins de guidance qui correspondent à la recherche de conseils pratiques pour apprendre quels sont les comportements à adopter. Enfin des besoins d’interactions avec des familles dans une situation similaire pour pallier à l’isolement social et d’échanger sans craindre la stigmatisation. L’identification de ces trois types de besoins a mené au développement d’ateliers pour l’entourage familial dans le but de leur fournir les outils nécessaires pour préserver leur propre santé mentale, en prodiguant le soutien nécessaire à la patiente, ainsi qu’en prévenant le maintien de la symptomatologie anorexique par les réactions de l’environnement familial [14,15]. Ainsi, le vécu de l’anorexie par les proches a fait l’objet d’études à l’étranger [20,23,24]. Néanmoins, en France, où la dissémination des traitements empiriquement validés est moins avancée et où les familles disposent encore de peu de dispositifs de soutien, les recherches empiriques explorant l’impact de l’anorexie sur l’entourage familial manquent. De plus, les études réalisées sont peu récentes, et par conséquent, une étude contemporaine semble pertinente afin d’observer le vécu actuel des familles. Enfin, à notre connaissance, aucune étude ne s’est encore focalisée sur le vécu des familles par rapport au traitement de l’anorexie. L’objectif principal de cette étude est donc d’explorer le vécu de la prise en charge de l’anorexie par les parents et la fratrie, afin d’acquérir une meilleure connaissance de l’impact de cette maladie et des traitements sur la famille. Des pistes de réflexion seront ensuite proposées afin d’améliorer la prise en charge actuelle du patient et de sa famille. 2. Méthode 2.1. Participants Les participants ont été recrutés par l’intermédiaire d’une association toulousaine de soutien aux familles d’anorexiques. Toute personne étant de la famille proche d’une jeune fille

Pour citer cet article : Delage B, et al. Étude exploratoire du vécu de la prise en charge des parents et de la fratrie de jeunes filles anorexiques. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.12.005

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Tableau 1 Caractéristiques descriptives de la population. Sujets

Âge

Âge de l’anorexique au début de la maladie

Âge actuel de l’anorexique

Durée de l’anorexiea

Composition de la famille

Mère 1 Mère 2 Mère 3 Mère 4 Mère 5 Mère 6 Père 1 Père 2 Père 3 Frère 1 Frère 2 Sœur 1

46 ans 46 ans 48 ans 55 ans 60 ans 54 ans 49 ans 55 ans 44 ans 21 ans 14 ans 20 ans

13 ans 15 ans 14 ans 17 ans 29 ans 13 ans 12 ans 16 ans 16 ans 16 ans 13 ans 16 ans

16 ans 17 ans 21 ans 27 ans 30 ans 19 ans 16 ans 22 ans 18 ans 19 ans 19 ans 18 ans

3 ans – terminé 2 ans – en cours 6 ans – terminé 7 ans – terminé 1 an – en cours 6 ans – en cours 3 ans – terminé 6 ans – en cours 2 ans – en cours 3 ans – en cours 6 ans – en cours 2 ans – en cours

4 personnes Divorcée, 3 enfants Remariée, 2 enfants 4 personnes Remariée, 3 enfants 4 personnes 4 personnes 4 personnes Divorcé, 1 fille 4 personnes 4 personnes 5 personnes

a

La durée de l’anorexie est issue du discours des membres de la famille.

anorexique et volontaire pour participer à l’étude était éligible. Au total, 12 personnes (3 pères, 6 mères, 2 frères, 1 sœur) ont participé à l’étude. Les caractéristiques des participants sont présentées dans le Tableau 1.

2.2. Outils Les participants ont été conviés à participer à un entretien semi-directif. La grille d’entretien semi-directif a été structurée autour du vécu de la prise en charge, qui s’articule autour de cinq questions : « Votre enfant/sœur a-t-il déjà été pris en charge pour son anorexie ? Comment avez-vous vécu ces moments-là ? Quels ont été les moments difficiles ? » ; « Vous-même, avez-vous été suivi par un médecin, un psychiatre, un psychologue ? » ; « Que pensez-vous de la médecine actuelle, de ses performances techniques, de la formation des médecins, du personnel soignant ? » ; « Pensez-vous être assez impliqué dans le projet de soin ? » ; « Y a-t-il quelque chose en particulier dont vous auriez besoin ? » « Comment pensez-vous que l’on puisse améliorer la prise en charge de l’anorexie ? ».

2.3. Procédure Le thème de recherche et les objectifs de l’étude ont été présentés aux participants lors d’une conférence organisée par l’association. Les personnes intéressées pour participer à l’étude étaient invitées à prendre contact avec l’investigateur principal afin de s’accorder sur les modalités à suivre pour le déroulement des entretiens. Les règles déontologiques du respect de l’anonymat, de la confidentialité de la recherche et du droit de retrait étaient mentionnées dans la fiche de consentement à remplir préalablement à la participation. Les volontaires ont ensuite participé à un entretien pour investiguer leur vécu de l’anorexie. Ces entretiens, d’une durée moyenne de 47 minutes, ont eu lieu en face-à-face (n = 9), par téléphone (n = 1) ou par mail (n = 2), en fonction de la disponibilité des sujets. La réalisation de cette étude est conforme aux recommandations éthiques de la déclaration d’Helsinki.

2.4. Étapes d’analyses des entretiens Une analyse thématique qualitative a été réalisée pour analyser les entretiens [25]. Les entretiens ont été intégralement retranscrits. Dans un premier temps, deux chercheurs en psychologie ont extrait des unités signifiantes. Il s’agissait d’identifier tous les passages du discours afin d’extraire ces unités significatives et pertinentes par rapport à l’objectif d’exploration du vécu de l’anorexie. Cette tâche a été réalisée individuellement et indépendamment par les deux intervenants. L’un avait fait passer les entretiens, l’autre était naïf quant au déroulement de ces séances. Cette méthode permet de restreindre la subjectivité ainsi que d’améliorer la contextualisation des données. Les analyses ont été mises en commun pour s’assurer de l’accord inter-juge entre les unités signifiantes. Ces unités signifiantes ont ensuite été organisées en fonction de leur signification par une démarche déductive. Une fois les ensembles pertinents limités, un intitulé a été donné à chacun afin d’extraire des thématiques et des catégories. Ces diverses étapes ont permis d’identifier 5 thématiques différentes pour le « vécu de la prise en charge » : longueur et inefficacité des traitements, prise en charge de la famille, implication de la fratrie, besoin de guidance et bénéfices des groupes de paroles. 3. Résultats 3.1. Longueur et inefficacité des traitements Les familles rapportent la longueur et l’inefficacité des traitements : « 7 ans après, elle n’est toujours pas guérie, c’est qu’il y a quelque chose qui va pas dans le traitement ». Elles font état du manque de formation des professionnels, en particulier les médecins généralistes : « Notre médecin généraliste n’a rien vu du tout. Il a juste dit qu’elle était un peu maigre pour son âge, et qu’elle devait manger plus équilibré. . . » ; « Il faut que les généralistes soient mieux informés et donnent d’autres conseils que “mangez plus, plus équilibré, sinon vous ne tiendrez pas. . .” » ; « Le médecin lui a conseillé de manger plus, lui a prescrit des compléments alimentaires et c’est tout. . . ». Les familles souhaiteraient que les spécialistes soient plus compétents et que leur

Pour citer cet article : Delage B, et al. Étude exploratoire du vécu de la prise en charge des parents et de la fratrie de jeunes filles anorexiques. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.12.005

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fille ait accès à un diagnostic plus rapide pour éviter les pertes de poids : « Il faut trouver les thérapeutes compétents dans ce domaine, nous avons perdu plus d’un an » ; « C¸a a été bien trop long pour N., on a perdu du temps et des kilos. . . » ; « On n’a pas le temps d’attendre autant entre des consultations quand la vie d’enfants est en jeu ! ». Elles espèrent aussi le développement d’institutions, car les structures actuelles sont débordées : « On tâtonne pour trouver une structure de soin. Les psychiatres sont débordés, c’est pas très simple pour accéder aux structures ». 3.2. Prise en charge de la famille Le récit du vécu éprouvant des hospitalisations suggère la nécessité d’être plus attentif à l’entourage : « L’anorexique n’est pas la seule à souffrir » ; « Qu’on fasse aussi plus attention aux parents également » ; « Je pense qu’il faut organiser plus de systèmes de thérapies familiales » ; « Un rôle accru des parents, qui devrait être mieux entourés ». Pères, mères et fratries souhaitent que la famille soit plus impliquée dans les traitements : « Je pense aussi qu’il faut faire attention à l’entourage, plus les impliquer dans le soin » ; « Je pense que c’est nécessaire d’impliquer toute la famille pour lutter contre la maladie et éviter un déséquilibre familial qui renforce la maladie ». 3.3. Implication de la fratrie Aucun membre des fratries n’est impliqué dans la prise en charge. Ils expriment leur besoin d’être plus impliqués dans les traitements : « Savoir ce qui se passe, être un peu plus actif, c¸a m’aurait permis de moins me sentir à l’écart du trio Maman–Papa–G.–Anorexie » ; « Mes parents ont vu à plusieurs reprises les psy de N., mais moi je suis transparent, pas intéressant il semblerait ». Les parents appuient cette demande : « On ne s’intéresse pas assez aux sœurs, pourtant ce sont les dommages collatéraux les plus importants qui soient. . . » ; « Ma femme et moi, ainsi que notre aînée, nous étions dans un grand flou ». 3.4. Besoin de guidance Les parents expriment un besoin de guidance sur la conduite et les comportements à adopter avec leur fille : « Si les familles étaient, dès le début, mieux guidées quant à la ligne de conduite à adopter avec un sujet souffrant de TCA, la maladie ferait moins de dégâts » ; « Je savais juste qu’elle était malade et que c¸a n’était pas sa faute, mais je n’ai pas eu de soutien, de conseils sur comment me comporter avec elle, comment l’annoncer à ses frères, à son père » ; « Peut-être donner un feuillet explicatif. . . Qu’on puisse le relire après, et le faire lire aux autres » ; « J’ai lu beaucoup de livres » ; « Me dire comment me comporter avec ma fille » ; « Dur, ne pas savoir comment se comporter ». 3.5. Bénéfices des groupes de paroles Les parents ayant participé à des groupes de paroles relatent les bénéfices de l’échange avec d’autres parents : « C’est important pour comprendre ce qui se passe, échanger autour de c¸a,

se sentir moins seul. . . » ; « Ils viennent de mettre en place un groupe de parole pour les parents. J’ai trouvé c¸a très bien » ; « Et surtout, c¸a nous a beaucoup aidé, qu’on le dise l’importance des groupes de support, d’entraide ». Ces échanges répondent à leurs besoins d’informations, de guidance et de soutien social. « On parlait de l’impact sur la famille et tout. . . C’était bien de pouvoir y participer, on a appris beaucoup de chose sur la maladie. . . » ; « C¸a m’a permis de rencontrer d’autres parents, d’approfondir mes connaissances, d’avoir des conseils concrets sur comment me comporter avec ma fille. . . » ; « Le partage avec d’autres me paraît primordial pour les parents ». En revanche, aucune fratrie n’a pris part à ces groupes de paroles.

4. Discussion L’objectif principal de cette recherche était d’explorer le vécu des traitements et des prises en charge de l’anorexie par la famille. Il s’agissait également de proposer des pistes de réflexion pour améliorer le processus de soin. L’intérêt de la méthode qualitative a permis de se centrer sur les significations propres aux sujets, en faisant abstraction des connaissances existantes sur l’anorexie. L’analyse des entretiens souligne principalement que les familles souffrent des résultats des prises en charge qu’ils jugent trop faible, ainsi que de leur mise à l’écart par les équipes soignantes ; ils sont en grande demande d’implication dans le processus de soin et de guidance. Concernant l’annonce diagnostique, les proches évoquent chez certains professionnels de santé un manque de connaissance des signes et symptômes de l’anorexie. Ils souhaitent une meilleure formation des médecins qui selon eux ne sont pas assez vigilants lors des premiers signes de la maladie. Concernant les traitements, les proches mentionnent la nécessité d’accéder à une prise en charge plus rapide pour éviter les pertes de poids et évoquent leur longueur et leur inefficacité. Concernant leur implication lors de la prise en charge, les proches rapportent un vécu difficile associé à un sentiment d’exclusion, en particulier lors des hospitalisations. Ils souhaiteraient participer plus activement au processus de soin ainsi qu’une plus grande implication des frères et sœurs. Ainsi, la fratrie relate un sentiment de mise à l’écart associé à un sentiment d’impuissance. Les proches semblent exclus, en dépit des recommandations internationales, reprises par la Haute Autorité de santé (HAS) (2010), qui préconisent de les intégrer au dispositif de soin [26]. Dans les rares cas où l’exclusion est nécessaire, il faut néanmoins maintenir la discussion entre le personnel soignant et les proches, pour ne pas les écarter totalement du processus de soin. Au-delà du besoin exprimé par les proches, cette implication semble primordiale notamment en raison du rôle important joué par les membres de la famille tant dans l’apparition de la maladie que dans le processus de guérison [8,27]. Concernant l’amélioration de la prise en charge, les participants ont réalisé des propositions pour améliorer la prise en charge. L’analyse de ces propositions correspond aux trois types de besoins retrouvés systématiquement dans les études qualitatives centrées sur les besoins [22,24,28], à savoir le besoin

Pour citer cet article : Delage B, et al. Étude exploratoire du vécu de la prise en charge des parents et de la fratrie de jeunes filles anorexiques. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.12.005

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d’information, le besoin de guidance et le besoin d’échange avec d’autres familles. Tout d’abord, les parents relatent un besoin d’information sur la pathologie dès le début de l’anorexie. Ils déclarent ne jamais recevoir assez d’informations par les professionnels de santé qui établissent le diagnostic, généralement le médecin généraliste. Cela entraîne des conduites de recherches d’informations sur l’anorexie. Le besoin d’information est donc prégnant dès l’annonce diagnostique et est nécessaire tout au long du processus de soin. Dans l’optique de répondre aux besoins d’informations des proches, des chercheurs se sont intéressés aux méthodes efficaces de psycho-éducation et ont notamment montré l’efficacité des formations délivrées par l’intermédiaire des DVD [14]. L’outil Internet semble aussi être bénéfique et satisfaisant en termes de recherche d’informations [29]. Cependant, en lien avec la pluralité des informations disponibles sur Internet, il semble nécessaire d’informer les familles sur les sites pertinents à consulter1 . Ensuite, les participants sollicitent également un besoin de guidance. Ils rapportent leur volonté d’accéder à des conseils pratiques pour éviter les erreurs, apprendre à mieux gérer la maladie au quotidien et adopter des conduites appropriées avec la jeune fille anorexique. Enfin, les proches évoquent leurs besoins de soutien social. Ce besoin de se rapprocher d’autres familles souffrant d’un trouble du comportement alimentaire est à mettre en lien avec leur isolement et la stigmatisation sociale. Ils peuvent se confier et être compris par les familles qui rencontrent des troubles similaires, sans craindre un jugement critique. Les participants relatent en particulier les bénéfices des groupes de parole. Cette étude présente plusieurs limites. Une des limites de cette étude réside dans le faible nombre participants. Cela s’explique par la difficulté de recruter des proches d’anorexiques volontaires pour contribuer à une recherche psychologique, traduisant peut-être leur détresse et leurs difficultés avec la maladie. Il n’y a donc aucune garantie de la représentativité de notre échantillon. De même, les modalités de prise en charge des patientes n’étaient pas spécifiquement demandées lors des entretiens et auraient pu apporter des éléments de comparaison pertinents sur le vécu en fonction des prises en charge. Aussi, si l’étude souhaitait s’intéresser au ressenti des fratries, nous nous sommes confrontés à des difficultés de recrutement de frères et de sœurs (n = 3) ayant conduit à une analyse globale du vécu familial et non une analyse du vécu des parents, d’une part, et du vécu de la fratrie, d’autre part. Ceux-ci, exclus des processus de soin, sont ainsi difficiles à contacter et à recruter. Les entretiens se sont déroulés en face-à-face mais également par téléphone et par mail, selon la disponibilité des sujets. Ces derniers formats pourraient présenter un biais dans l’interaction chercheur–sujet, avec des entretiens moins riches que ceux réalisés en face-à-face. Enfin, les participants déclarent que les groupes de paroles sont bénéfiques pour eux. Cependant, ce résultat pourrait être biaisé par le mode recrutement étant donné que les participants ont été approchés dans une association de

1 Tel que par exemple le site de la HAS, de l’AFDAS-TCA, de l’Inserm, du ministère de la Santé, etc.

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proches organisant des groupes de paroles de manière hebdomadaire. Cette étude montre que l’anorexie bouleverse le cercle familial, avec des conséquences multiples sur les parents et les fratries. Le vécu des prises en charge est particulièrement difficile, car les familles sont mises à l’écart des traitements, ne sachant pas comment agir ni comment se comporter pour aider leur fille et/ou sœur. Pourtant, la littérature suggère une prise en charge de toute la famille [15–30]. Sur la base des résultats obtenus dans cette étude et conjointement aux études antérieures, il serait peut-être intéressant d’anticiper ces besoins familiaux lors des premiers entretiens en proposant systématiquement des solutions aux parents dès le début de la prise en charge. Ainsi, proposer des sites Internet d’informations fiables pourrait aider à répondre au besoin d’information. Aussi, l’orientation systématique vers un groupe de parole permettrait de répondre au besoin de soutien social (échange avec d’autres parents) et de guidance (possibilité durant ces séances d’interroger les parents et le psychologue animant le groupe). Il semblerait également intéressant de proposer aux parents ayant bénéficié de l’association dans le passé de rester impliqués dans l’association afin de conseiller les nouveaux parents membres. Enfin, concernant les thérapies familiales, des travaux récents ont fait émerger l’importance de l’étude des émotions exprimées notamment au regard des critiques à l’égard des comportements de l’adolescente qui sont en réalité des symptômes de sa maladie [27]. Il serait par ailleurs intéressant de poursuivre les recherches sur le vécu du processus de soin en réalisant une analyse conjointe du vécu de l’anorexique et de ses proches. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Hoek HW. Incidence, prevalence and mortality of anorexia nervosa and other eating disorders. Curr Opin Psychiatry 2006;19:389–94. [2] Signorini A, De Filippo E, Panico S, et al. Long-term mortality in anorexia nervosa: a report after an 8-year follow-up and a review of the most recent literature. Eur J Clin Nutr 2006;61:119–22. [3] Podlipski MA, Benard M, Brechon G, et al. La fratrie de l’adolescente anorexique : apports pratiques d’une étude clinique. Neuropsychiatr Enfance Adolesc 2009;57:523–8. [4] Zabala MJ, Macdonald P, Treasure J. Appraisal of caregiving burden, expressed emotion and psychological distress in families of people with eating disorders: a systematic review. Eur Eat Disord Rev 2009;17:338–49. [5] Fairburn CG. Evidence-based treatment of anorexia nervosa. Int J Eat Disord 2005;37:S26–30. [6] Poinso F, Lalande M, Battista M, et al. Un groupe de parents d’adolescentes anorexiques : du soutien des familles d’adolescentes anorexiques à la psychothérapie de groupe. Psychiatr Enfant 1998;41:511–44. [7] Dare C, Eisler L. A multi-family group day treatment programme for adolescent eating disorder. Eur Eat Disord Rev 2000;8:4–18. [8] Lock J, Le Grange D, Agras WS, et al. Randomized clinical trial comparing family-based treatment with adolescent-focused individual therapy for adolescents with AN. Arch Gen Psychiatry 2010;67:1025. [9] Cook-Darzens S. Thérapie familiale de l’adolescent anorexique. Paris: Dunod; 2002.

Pour citer cet article : Delage B, et al. Étude exploratoire du vécu de la prise en charge des parents et de la fratrie de jeunes filles anorexiques. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.12.005

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Pour citer cet article : Delage B, et al. Étude exploratoire du vécu de la prise en charge des parents et de la fratrie de jeunes filles anorexiques. Neuropsychiatr Enfance Adolesc (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.12.005