Évaluation de la pratique sportive comme outil de valorisation d’élèves présentant des troubles du comportement

Évaluation de la pratique sportive comme outil de valorisation d’élèves présentant des troubles du comportement

Annales Médico Psychologiques 162 (2004) 110–115 Mémoire original Évaluation de la pratique sportive comme outil de valorisation d’élèves présentant...

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Annales Médico Psychologiques 162 (2004) 110–115

Mémoire original

Évaluation de la pratique sportive comme outil de valorisation d’élèves présentant des troubles du comportement Assessment of sport practice as a method of improvement for studento with conduct disorders C. Maïano *, G. Ninot, J. Bilard Laboratoire Upres EA 2991 sport, performance, santé – université de Montpellier-1 – faculté des sciences du sport et de l’éducation physique – 700, avenue du Pic-St-Loup, 34090 Montpellier, France. Reçu le 17 janvier 2003 ; accepté le 31 mai 2003

Résumé L’objectif de cette étude est d’analyser l’effet de modalités de pratiques en basket-ball sur l’estime de soi dans le domaine corporel d’adolescents présentant des troubles du comportement placés en institut de rééducation français (N = 24). L’Inventaire du Soi Physique a été administré à 11 reprises en 11 mois. Les résultats montrent une stabilité des scores d’estime globale de soi, de valeur physique perçue, de condition physique et de compétences sportives pour les groupes qui ont participé à des rencontres inter-établissements spécialisés et intégrées en basket-ball et le groupe d’éducation physique. En conclusion, cette étude montre que la pratique sportive ne constitue pas en tant que tel un support probant de valorisation pour des élèves présentant des troubles du comportement scolarisés dans un institut de rééducation. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract The objective of this study is to analyze the effect of sports programs in basketball on physical self-esteem of adolescents with conduct disorders placed in a French rehabilitation institute (N = 24). The Physical Self Inventory has been administrated 11 time over a period of 11 months. Results show a stability of scores in global self-esteem, physical self-worth, physical condition and sport competence for the groups who had participated in basketball interspecialized establishment and integrated meets and the physical education group. In conclusion, this study shows that sport practice is not a means of enhancement for students with conduct disorders behavioral disturbances schooled in an rehabilitation institute. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Adolescence ; Estime de soi ; Sport Keywords: Adolescence; Self-Esteem; Sport

1. Introduction Les chercheurs en psychologie sociale ont longtemps considéré la pratique sportive comme un moyen d’augmenter l’estime de soi des enfants et des adolescents [11]. Cette estime de soi devait augmenter d’autant plus que son niveau de départ est faible [11]. Il semblait légitime de penser que la * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Maïano). © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.amp.2003.05.001

pratique sportive constituerait un support de valorisation des élèves présentant des troubles du comportement (TC) scolarisés en institut de rééducation (IR) qui témoignent d’une faible estime de soi [5] notamment dans le domaine corporel [20]. À l’heure actuelle et à notre connaissance, aucune étude ne s’est intéressée à ce thème. L’objectif de cette étude est donc d’évaluer, de manière longitudinale et contrôlée, l’effet de différentes modalités de pratiques sportives sur l’estime

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de soi dans le domaine corporel d’adolescents TC placés en IR. 1.1. Les élèves présentant des troubles du comportement Dans le système scolaire ordinaire français, près de 7,3 % des élèves sont en échec scolaire, soit un retard scolaire de plus de trois ans par rapport à l’âge chronologique [23]. Une des catégories la plus touchée est celle des élèves TC [23]. En France, cette catégorie représente près de 6,5 % des effectifs de l’Éducation Nationale et le sex-ratio est d’environ trois garçons pour une fille [10]. Nous définirons les troubles du comportement comme un ensemble de conduites répétitives et persistantes, dans lequel sont bafoués les droits fondamentaux d’autrui ou les normes et règles sociales correspondant à l’âge du sujet. Ces conduites peuvent être classées en quatre catégories principales : • les conduites agressives où des personnes ou des animaux sont blessés ou menacés dans leur intégrité physique ; • les conduites où des biens matériels sont endommagés ou détruits, sans agression physique ; • fraudes ou vols ; • violations graves de règles établies [2]. Sur le plan clinique, ces élèves sont impulsifs et agressifs si bien que l’on a tendance à les associer à leurs passages à l’acte [28]. Cette impulsivité se manifeste par des conduites agressives à caractère antisocial et/ou délinquant telles que des cris, des injures, des jets et des bris d’objets, des bagarres, des détériorations de matériel, des vols et délits divers [4]. D’après Berger [5], ces passages à l’acte surviennent lorsqu’il s’est produit un événement ressenti comme une attaque au niveau des organes des sens (sons trop forts, contacts corporels...) ou lorsqu’il s’est déroulé un événement ressenti comme injuste. Ces adolescents font également preuve d’une grande instabilité qui se manifeste dans divers secteurs (comportemental, affectif, scolaire et professionnel). Les relations qu’ils entretiennent avec leurs pairs sont le plus souvent instables et conflictuelles [4, 22]. De plus, ils se caractérisent par un manque d’intérêt général pour les activités sociales. Leurs centres d’intérêts sont plutôt limités. Ainsi, l’investissement dans une activité, même de loisirs, reste superficiel, temporaire, et doit toujours être source de satisfaction ou de bénéfice immédiat [22]. L’évaluation des capacités intellectuelles de ces adolescents met en évidence un niveau normal (QI moyen > 85), voire même supérieur [19,30]. Toutefois, ces adolescents présentent des déficits au niveau des fonctions cognitives et exécutives [30]. Ces déficits concernent le raisonnement abstrait, la compréhension du langage, la formation de concepts, la formulation de buts, l’anticipation et la planification, le contrôle de soi, le système sensori-moteur et le système oculomoteur [24]. Enfin, de nombreux auteurs soulignent que ces élèves présentent une faible estime de soi [27]. Sur le plan étiologique, des causes multiples et évolutives sont avancées. Au niveau exogène, la littérature évoque des

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carences affectives et une multiplicité de ruptures dans la petite enfance [8], des carences familiales et socioéconomiques [16]. D’autres auteurs [3] évoquent un traumatisme cérébral périnatal, des maladies infectieuses (i.e. encéphalite) et une exposition à des substances toxiques in utero (i.e. cigarette, alcool, drogues, médicaments...). Au niveau endogène, la littérature évoque des désordres neurophysiologiques (anomalies du rythme cardiaque et de la conductance cutanée) [16] et biochimiques (faible taux plasmatique d’acide g-amino-butyrique plasmatique, de dopamine b-hydroxylase et de sérotonine centrale) [16] voire génétiques [16]. 1.2. Le système de prise en charge des élèves présentant des troubles du comportement Deux voies distinctes de scolarité leur sont proposées. Ils peuvent être orientés dans une classe spécialisée intégrée dans un collège ordinaire (Section d’Étude Générale et Professionnelle Adaptée, SEGPA). Dans ces classes de faible effectif (12 à 16) les élèves TC ne représentent que 16,8 % des effectifs [10]. La grande majorité des élèves TC se retrouvent en établissements spécialisés, les IR. Ils bénéficient dans ce type de structure d’une prise en charge éducative et médico-sociale individualisée et adaptée à leurs capacités. 1.3. Estime de soi, troubles du comportement et placement en institut de rééducation Lorsque les adolescents français TC placés en IR depuis plus d’une année sont comparés à des élèves TC scolarisés en SEGPA et des élèves de classe ordinaire (collège), ils témoignent d’une faible estime de soi [20]. Ce faible niveau peut alors affecter d’autres dimensions auto-évaluatives [18]. Selon le principe des vases communicants, cette dévalorisation, plutôt que de rester limitée à une dimension donnée, se diffuse sur des échelles qui ne lui sont pas directement liées telles la valeur physique perçue, la condition physique et les compétences sportives chez les élèves placés en IR [20]. Ce mécanisme nommé surgénéralisation [17] oblige ces élèves à penser qu’ils sont mauvais plutôt qu’ils ont échoué à une tâche donnée [13]. Ils se retrouvent alors surdéterminés par la représentation défavorable qu’ils se font de leur capacité, autrement dit, par la certitude de leur incompétence générale et corporelle [13]. Cette dévalorisation serait liée à l’image sociale véhiculée par la micro-société dans laquelle ces élèves évoluent [20]. Le placement en IR est souvent vécu comme une sanction et la preuve d’un manque de capacités. Cette réorientation semble être lourde de signification pour ces adolescents [7]. Les élèves opèrent une transformation de leur référent identificatoire. En IR, ils se positionnent sur une échelle de pairs handicapés [29]. En revanche, la scolarisation en classe de SEGPA et le contexte social ordinaire semblent agir de manière plus positive sur la dimension corporelle rattachée à l’estime de soi puisqu’elle n’est pas affectée [20].

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L’un des problèmes porte sur la chronicité de la dévalorisation de soi des élèves TC placés en IR [7, 15]. Si cette dévalorisation de soi persiste, elle va amplifier les troubles primaires (retard scolaire, impulsivité, agressivité et instabilité) et secondaires (anxiété, dépression...). Quelle solution proposer pour limiter ce risque de sur-handicap provoqué par la dévalorisation de soi ? 1.4. Pratique sportive et institut de rééducation 1.4.1. Estime de soi et pratique sportive Si l’intégration des élèves TC dans un environnement scolaire ordinaire agit positivement sur leur niveau d’estime de soi dans le domaine corporel [20], alors nous pouvons penser que toute initiative visant à rassembler périodiquement les élèves TC placés en IR avec les élèves du milieu ordinaire dans une activité sportive commune serait bénéfique. Cette situation d’intégration peut être utile au processus de réhabilitation dans la mesure où elle aide ces élèves à se percevoir différemment et ainsi à modifier la perception globale qu’ils ont d’eux-mêmes [26]. Sachant que la pratique sportive est un moyen susceptible de faire évoluer positivement les compétences physiques perçues et l’estime globale de soi notamment chez les adolescents à faible niveau [11], et que la dimension corporelle est plus concrète et aisément comparable que la compétence scolaire par exemple [14], nous pouvons supposer que des rencontres sportives intégrées augmenteraient l’estime de soi dans le domaine corporel de ces adolescents. 1.4.2. Différentes modalités de pratiques sportives proposées aux adolescents TC L’association sportive d’un IR français propose deux types de rencontres sportives aux adolescents TC [21]. Certaines, nommées inter-établissements spécialisés, leur sont réservées. Selon cette modalité, les élèves TC pratiquent contre des élèves scolarisés dans d’autres IR. Les règles de jeu sont adaptées. D’autres, appelées intégrées, ont pour objectif d’opposer les adolescents TC à des élèves sans TC scolarisés en milieu ordinaire (via l’Union Sportive de l’Enseignement du Premier degré – USEP, l’Union Nationale du Sport Scolaire – UNSS ou les clubs sportifs ordinaires). Dans ce cas, aucune règle n’est adaptée. 1.4.3. Rencontres sportives et estime de soi dans le domaine corporel Bien que les rencontres se développent depuis ces dix dernières années, aucune étude n’a été menée sur les effets de la pratique sportive sur l’estime de soi dans le domaine corporel des adolescents TC placés en IR (données PsycINFO, Medline, Embase, Current Contents). Face à la diversité des rencontres sportives proposées aujourd’hui, l’enseignant d’éducation physique (EP) en IR ne dispose d’aucune étude pour choisir la meilleure modalité de rencontre. Quelle peut être la meilleure modalité de rencontre que peut proposer un enseignant d’EP en IR à ses

élèves TC confrontés à cette faible estime de soi dans le domaine corporel ? Doit-il refuser la compétition au profit d’une éducation physique centrée sur la maîtrise et l’expression corporelle ? Doit-il privilégier exclusivement les compétitions inter-établissements spécialisés ou intégrées ? Doit-il au contraire favoriser l’alternance entre confrontations inter-établissements spécialisés et intégrées ? Ce manque de références suscite donc quelques interrogations. Compte tenu de l’absence de littérature sur l’effet des rencontres sportives sur les différentes variables dépendantes, nous sommes obligés de faire des simulations sur la base de la littérature sur l’effet du type de placement scolaire [31]. Nous pouvons penser que pour des adolescents TC scolarisés en IR depuis plus d’un an, les compétitions intégrées permettraient d’améliorer le niveau d’estime de soi dans le domaine corporel, contrairement aux compétitions inter-établissements spécialisés qui auraient tendance à les stabiliser. Nous tenterons donc d’apporter des réponses à ce questionnement à partir d’une expérimentation longitudinale de onze mois comparant des groupes d’adolescents TC participant à des rencontres compétitives inter-établissements spécialisés ou intégrées en basket-ball, ou pratiquant l’éducation physique en IR. Si le type d’environnement sportif a bien une influence sur les perceptions de soi des adolescents TC, on peut s’attendre à ce que, à un niveau de pratique équivalent, l’évolution de l’estime de soi dans le domaine corporel diffère selon les modalités compétitives proposées. La problématique de cette étude repose sur l’idée que les rencontres sportives dans un environnement social intégré sont une aire intermédiaire d’expérience [6] susceptible d’augmenter l’estime de soi dans le domaine corporel. Ainsi, notre première hypothèse avance que les rencontres de basket-ball inter-établissements spécialisés vont entraîner une stagnation de l’estime de soi dans le domaine corporel au cours d’une année. La seconde envisage à l’inverse que les rencontres intégrées en basket-ball augmenteront l’estime de soi dans le domaine corporel sur la même période.

2. Méthode 2.1. Sujets Trois groupes de huit adolescents TC âgés de 11 à 13 ans ont participé à cette étude (Tableau 1). Deux groupes pratiTableau 1 Caractéristiques des groupes au début de l’expérimentation

Age DP* QIG CA CD

BBUNSS m r 11.88 0.83 33.00 13.98 100.25 5.50 84.25 3.24 80.25 6.58

BBIES m r 12.38 0.74 37.50 16.27 98.63 4.81 83.13 4.70 82.13 8.25

EP m 12.13 36.00 99.50 82.00 81.25

r 0.64 14.34 7.43 4.24 6.07

Notes. * en mois ; DP : durée de placement ; QIG : quotient intellectuel global ; CD : comportements délinquants ; CA : comportements agressifs.

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quant le basket-ball (BBIES et BBUNSS) ont réalisé neuf rencontres sur une durée de 11 mois selon une modalité intégrée (UNSS) ou inter-établissements spécialisés (IES). Un autre groupe servant de contrôle est composé de sujets suivant un programme classique d’éducation physique (EP) en IR. Pour chaque sujet, nous avons défini six conditions standardisées de participation (consentement, liberté d’abandonner l’expérimentation, deux heures minimum d’entraînement par semaine, pédagogie différenciée et adaptée, même enseignant d’EP sur la période compétitive, entraînement fixant des objectifs et un calendrier précis pour les groupes de compétition). Nous avons réalisé un appariement qualitatif puis quantitatif des trois groupes. Sur le plan qualitatif, les groupes ont été homogénéisés par recoupement au cas par cas en fonction de huit critères d’inclusions (sexe masculin, âge compris entre 11 et 13 ans, troubles du comportement, placement dans un IR, durée du placement en établissement supérieure à un an, quotient intellectuel global compris entre 90 et 120 à l’échelle d’intelligence pour enfant de Weschler – forme révisée, faible expérience dans l’activité sportive choisie et aucune pratique antérieure de la compétition sportive). Les 24 adolescents TC répartis dans les trois groupes présentaient des symptômes de troubles du comportement selon les échelles de comportements délinquants et agressifs de l’Inventaire des Comportements du Jeune (ICJ), une traduction du Child Behavior Checklist (CBCL) d’Achenbach [1]. Les 24 participants ont obtenu un score – T à chacune des échelles de l’ICJ égal ou supérieur à 70. Sur le plan quantitatif, une ANOVA à une voie n’a pas révélé de différences significatives au temps T0 entre les trois groupes au niveau de l’âge (F[2,21] = 0.90, p = .42), de la durée de placement (F[2,21] = 0.19, p = .83), du quotient intellectuel global (F[2,21] = 0.15, p = .86), de l’échelle des comportements délinquants (F[2,21] = 0.14, p = .87) et de l’échelle des comportements agressifs (F[2,21] = 0.60, p = .56). Nous avons donc considéré les trois groupes homogènes au départ de l’expérimentation. 2.2. Mesures 2.2.1. L’Inventaire des Comportements du Jeune (ICJ) La validation en langue française du CBCL a été réalisée par Vermeersch et Fombonne [31]. Cet outil évalue huit problèmes sociaux et émotionnels d’enfants et d’adolescents âgés de 4 à 18 ans. Ces problèmes (ou syndromes) sont le retrait, la somatisation, l’anxiété/dépression, les problèmes sociaux, les troubles psychologiques, les troubles de l’attention, les comportements délinquants et les comportements agressifs. Seules les échelles de comportements délinquants et agressifs ont été utilisées dans cette étude. Les items sont présentés sur une échelle de type Likert en trois points (0 : ne s’applique pas à cet élève ; 1 : assez ou quelquefois vrai pour cet élève ; 2 : toujours ou souvent vrai pour cet élève). Les items ont été additionnés pour obtenir un score de comportements délinquants et de comportements agressifs. Le score - T est calculé selon les normes de Achenbach [1].

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2.2.2. Le Quotient Intellectuel (QI) Il a été évalué à partir de la traduction française de l’échelle révisée d’intelligence pour enfant de Weschler [32]. 2.2.3. L’Inventaire du Soi Physique (ISP) Afin d’évaluer l’estime de soi dans le domaine corporel, nous avons utilisé l’Inventaire du Soi Physique (ISP) [25]. Ce test est la validation et l’adaptation française du Physical Self-Perception Profile de Fox et Corbin [12]. Il est composé de six échelles. La première est l’estime globale de soi. Les cinq autres échelles sont la valeur physique perçue, et quatre sous-domaines : condition physique, compétence sportive, apparence physique et force. Les questions sont présentées sous forme d’une échelle de Likert à six degrés croissants (cela me ressemble : 1 : pas du tout, 2 : très peu, 3 : un peu, 4 : assez, 5 : beaucoup, 6 : tout à fait). Nous avons mesuré toutes les échelles à l’exception de celle de force et d’apparence physique. L’analyse de variance (ANOVA) à une voie n’a révélé aucune différence au début de l’expérimentation sur chacune des échelles de l’ISP entre les trois groupes étudiés (estime globale de soi, F[2,21] = 0.96, p = .40 ; valeur physique perçue, F[2,21] = 0.91, p = .42 ; condition physique, F[2,21] = 0.06, p = .95 ; compétences sportives, F[2,21] = 1.70, p = .21). 2.3. Procédure L’ISP a été administré de façon individuelle par le même chercheur avant la première rencontre sportive (temps 0, T0), puis systématiquement après chaque rencontre (T1, T2... T9), puis un mois après la dernière rencontre (T10) sur une durée de 11 mois. 2.4. Traitement statistique des données Après une vérification de la normalité des distributions, les résultats ont été analysés en utilisant une ANOVA 3 (groupes) x 11 (mois) à deux voies pour mesures répétées. En cas de différence significative (effet groupe, temps ou interaction), nous avons utilisé le test en comparaison multiple de Student-Newman-Keuls pour déterminer les différences significatives (p < .05).

3. Résultats Sachant que les résultats compétitifs ont été équivalents entre les deux équipes, nous n’avons pas considéré cette variable comme déterminante dans l’évolution de l’estime de soi dans le domaine corporel. 3.1. Estime globale de soi Nous n’avons constaté aucun effet groupe (F[2,210] = 0.12, p = .89), temps (F[10,210] = 1.14, p = .33) ou d’interaction (F[20,210] = 1.41, p = .12) sur cette échelle (Figure 1).

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3.3. Sous-domaines de compétence

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Les résultats obtenus au niveau du sous-domaine condition physique ne présentent pas d’effets groupe (F[2,210] = 2.41, p = .11), temps (F[10,210] = 0.80, p = .63) ou d’interaction (F[20,210] = 0.80, p = .71). Nous n’avons constaté aucun effet groupe (F[2,210] = 0.88, p = .43), temps (F[10,210] = 1.40, p = .18) ou d’interaction (F[20,210] = 1.55, p = .07) au niveau du sous-domaine de compétences sportives (Figure 3).

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EP BBUNSS BBIES

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Fig. 1. Résultats longitudinaux obtenus par les trois groupes à l’échelle d’estime globale de soi. Notes. BBIES = basket-ball en inter-établissement spécialisé ; BBUNSS = baskett-ball en union nationale du sport scolaire ; E = éducation physique. T0 = avant compétition ; T1 = à 1 mois ; T2 = à 2 mois ; T3 = à 3 mois ; T5 = à 4 mois... T10 = à 11 mois, après compétition. Pour chaque groupe, n = 8. Étalement théorique des notes : 1-6. 6 5 4

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Fig. 2. Résultats longitudinaux obtenus par les trois groupes à l’échelle de valeur physique perçue.

3.2. Valeur physique perçue Pour ce domaine de compétence (Figure 2), nous n’avons pas constaté d’effet groupe (F[2,210] = 0.73, p = .49), temps (F[10,210] = 1.44, p = .16) ou d’interaction (F[20,210] = 0.85, p = .65).

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Fig. 3. Résultats longitudinaux obtenus par les trois groupes à l’échelle de compétences sportives.

4. Discussion Les résultats montrent que les groupes BBIES, BBUNSS et EP présentent une stabilité des scores d’estime globale de soi, de valeur physique perçue, de condition physique et de compétences sportives sur une durée de 11 mois. Ce résultat confirme la première hypothèse pour le groupe ayant réalisé des rencontres de basket-ball inter-établissements spécialisés. La confrontation compétitive des adolescents TC à des élèves d’autres établissements spécialisés dans le cadre de rencontres sportives n’a pas modifié leur faible niveau d’estime de soi dans le domaine corporel. Ce type de compétition les a maintenus dans un environnement social identique à celui qu’ils fréquentent habituellement en IR. Le positionnement sur une échelle de pairs handicapés les maintient dans leurs habitudes et les conforte dans une vision particulièrement faible d’eux-mêmes et de leurs compétences physiques. Ces rencontres inter-établissements spécialisés les maintiennent dans un statut d’élève en échec scolaire (ou handicapé) faisant du sport, et ne les différencient pas du groupe ayant uniquement réalisé de l’éducation physique dans l’établissement. Concernant les rencontres intégrées, la stabilité des scores de l’ensemble des échelles d’estime de soi dans le domaine corporel infirme notre seconde hypothèse. Ces rencontres de basket-ball avec des élèves sans TC n’ont pas modifié leur faible niveau d’estime de soi dans le domaine corporel. Même si la dimension corporelle incarne pour ces adolescents un domaine où ils sont théoriquement peu en échec et où ils peuvent prendre le risque de se comparer aux autres, nous n’avons constaté aucun changement significatif. Ces résultats amènent à penser que les adolescents placés en IR ont été indifférents sur le plan identificatoire aux élèves de classes ordinaires. Il semblerait qu’il n’y ait pas eu de reconnaissance de l’autre non-handicapé. En terme de comparaison sociale, les adolescents étudiés ont préservé leurs repères et leurs références identificatoires qu’ils ont constitués dans leur établissement spécialisé, ce qui les maintient dans une vision extrêmement faible de leurs compétences physiques et de leur estime globale de soi. Les résultats amènent à penser que la stabilité généralisée de l’estime de soi dans le domaine corporel peut aussi être expliquée par le type d’activité sportive choisi. Le basket-ball est un sport de coopération (jouer avec ses pairs) et d’oppo-

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sition (jouer contre des non-pairs) qui exige une bonne maîtrise technique (tir, passe, dribble) et un respect de nombreuses règles. De plus, cette activité génère de fréquents contacts corporels. Or, les élèves TC (a) sont très sensibles aux contacts corporels qu’ils interprètent souvent comme une agression [5], (b) sont fréquemment en conflit avec leurs pairs [4, 22], (c) vivent dans l’instant présent [16], (d) se laissent aisément commander par les événements [5], (e) ont besoin que l’investissement dans une activité soit source de bénéfice immédiat [22]. Cette activité sportive de par ses caractéristiques d’opposition physique et de respects de règles collectives a pu susciter de nombreuses tensions relationnelles. Ainsi, leurs perceptions de soi ont été conditionnées par l’ensemble des événements qui ont pu avoir lieu (agressions, conflits avec des partenaires, adversaires...) lors de chacune des rencontres et non par leur propre prestation. Ils ont finalement accordé peu d’importance à ces rencontres. Nous sommes amenés à penser que des activités sportives individuelles à dominante énergétique connue pour augmenter l’estime de soi [9] permettraient à ces élèves de contrôler leur propre prestation et d’obtenir en retour une perception d’eux-mêmes plus favorable.

Remerciements Nous tenons à remercier les établissements médicosociaux du pôle Alpes-Maritimes de l’Union pour la Gestion des Établissements des Caisses d’Assurance Maladie des Régions Provence Alpes Côte d’Azur et Corse (UGECAMPACA et Corse) et le Collectif Local d’Action–Recherche sur la Réadaptation et l’Intégration par le Sport (CLARRIS), pour leur soutien.

Références [1]

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[4] [5] [6] [7] [8]

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