L’activité physique et sportive comme outil médicopsychologique ? Étude de l’offre de pratiques en direction des personnes infectées par le VIH

L’activité physique et sportive comme outil médicopsychologique ? Étude de l’offre de pratiques en direction des personnes infectées par le VIH

Annales Me´dico-Psychologiques 166 (2008) 847–849 Communication L’activite´ physique et sportive comme outil me´dicopsychologique ? E´tude de l’offr...

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Annales Me´dico-Psychologiques 166 (2008) 847–849

Communication

L’activite´ physique et sportive comme outil me´dicopsychologique ? E´tude de l’offre de pratiques en direction des personnes infecte´es par le VIH Sports and physical activity as a medicopsychological tool? A study of the practice offer for people infected by HIV S. Ferez a,*, J.-P. Luaute´ b a

SANTESIH (JE 2516), universite´ Montpellier-I, 700, avenue du Pic-Saint-Loup, 34090 Montpellier, France b 25, rue de la Re´publique, 26100 Romans, France

Re´sume´ Ce travail sur l’histoire des discours sur « sport et VIH » et sur les cre´neaux d’activite´s cre´e´s pour les personnes se´ropositives au VIH re´ve`le la mobilisation de deux types d’acteurs : les associations de prise en charge de personnes malades et les clubs sportifs gays et lesbiens. Dans tous les cas, l’e´mergence de cette offre spe´cifique est marque´e par une vision a priori positive de l’exercice et de ses effets. Cette perception est le´gitimite´e par une litte´rature biome´dicale qui, tout en faisant du sport un outil d’inge´nierie me´dicosociale allant de soi, contribue a` occulter les difficulte´s des personnes touche´es. L’ide´e que l’acce`s a` l’activite´ physique et sportive puisse eˆtre un motif de souffrance e´chappe au champ du pensable. Pire, cet impense´ cre´e une surdite´ a` la demande des patients. # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. Abstract The study of the history of discourses on « Sports and HIV » and of the activity slots created for HIV-seropositive persons shows that two sorts of actors are involved: the organisations taking care of sick people and gay and lesbian sports clubs. In both cases, the emergence of this specific offer is marked by an a priori positive vision of exercising and of its effects. This perception is legitimated by a biomedical literature which transforms sports into medicosocial engineering tool taken for granted and at the same time contributes to overshadow the difficulties encountered by the people concerned. The idea that the access to physical exercising and sports activities may be a motive of suffering is here completely unthinkable. Worse, this impossibility implies deafness to the demand of the patients. # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. Mots cle´s : Activite´ physique et sportive ; Inge´nierie me´dicosociale ; Sante´ ; VIH Keywords: Health; HIV; Medicosocial engineering; Sports and physical activity

1. Introduction L’acce`s de l’activite´ physique et sportive au rang d’outil d’« inge´nierie me´dicosociale » n’a cesse´ de se

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Ferez).

renforcer dans les deux dernie`res de´cennies. La re´cente fusion des pre´rogatives lie´es a` la « jeunesse et aux sports » et a` la « sante´ » au sein d’un meˆme ministe`re confirme cette tendance. On attend du sport des effets sanitaires, prophylactiques sinon quasi the´rapeutiques. Cette e´volution pe`se clairement sur l’e´mergence d’une offre de pratiques spe´cifiquement adresse´es aux personnes se´ropositives au VIH. Elle apparaıˆt cependant en de´calage avec la nature de

0003-4487/$ – see front matter # 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. doi:10.1016/j.amp.2008.10.011

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la demande des personnes touche´es, qui ont du mal a` se de´faire du statut de patient et a` acce´der a` une simple activite´ de loisir. Il s’agit donc ici de proposer une lecture critique de l’application au sport de la perspective d’« inge´nierie sociale » de´veloppe´e par certains courants ame´ricains de sociologie du travail [8], en s’appuyant notamment sur une approche de sociologie clinique [5]. 2. Entre peur de la contamination et effets be´ne´fiques de l’exercice Depuis le de´but des anne´es 1990, la litte´rature scientifique internationale sur le VIH et l’activite´ physique est domine´e par les approches biome´dicales. Il n’existe quasiment pas de travail en sciences humaines et sociales sur le sujet, hormis quelques e´tudes sur l’appel a` des sportifs de haut niveau comme vecteurs d’e´ducation et de pre´vention [2,4]. En fait, seules des revues biome´dicales ont publie´ des travaux s’inte´ressant a` la fois a` la peur de l’infection au cours de la pratique et a` l’effet de l’exercice chez les personnes se´ropositives. 2.1. La peur de l’infection dans la pratique sportive Les premiers travaux s’inte´ressent essentiellement aux risques de transmission du virus au cours de la pratique sportive [1,9,14,18,22,30]. Les questions qu’ils soule`vent continuent a` se poser dans les anne´es 2000 : quel est le risque re´el qu’un sportif transmette la maladie a` un autre pratiquant dans un sport de contact ? Ce risque estil suffisant pour justifier une notification officielle pour les autres joueurs et/ou une exclusion [6,15,21,29] ? La re´flexion semble ainsi perme´able aux pre´occupations sociales puisque, en de´pit d’apports scientifiques clairs sur la probabilite´ quasi nulle de contamination dans le sport, la peur domine les de´bats et les meˆmes questionnements re´apparaissent. 2.2. L’effet de l’exercice chez les personnes se´ropositives Puis, peu a` peu, s’impose la question des effets physiologiques de l’exercice sur les personnes se´ropositives. Les e´tudes s’inte´ressent d’abord aux effets de l’exercice sur le ´ partir de 1997, elles se syste`me immunitaire [7,16,26–28]. A mettent a` appre´hender l’exercice comme moyen de lutte contre les effets secondaires des nouveaux traitements antire´troviraux [3,10–12,23,24,32,33]. De`s lors, les progre`s the´rapeutiques conduisent a` conside´rer l’activite´ sportive comme une manie`re d’atte´nuer ou de contrer les effets secondaires des traitements, y compris au plan psychologique. La natation et le jogging sont le plus souvent conseille´s pour leurs effets physiologiques ; le yoga, le taı¨ chi et autres gymnastiques douces, pour le bien-eˆtre psychologique qu’ils apportent.

3. Me´thode : pour une anthropo-sociologie du corps malade Aucune e´tude ne s’est pour l’heure inte´resse´e a` l’offre concre`te de pratique sportive pour les personnes se´ropositives, ni a` la question de l’acce`s social des personnes se´ropositives aux pratiques sportives. Appre´hende´e dans les contextes familial, me´dical et professionnel, la question de la gestion sociale du VIH et de la stigmatisation des personnes se´ropositives n’a pas e´te´ e´tudie´e dans le domaine des loisirs, a fortiori sportifs [19,31]. La pratique sportive, en introduisant de facto la dimension corporelle, offre pourtant une spe´cificite´ inte´ressante. Car outre la peur du corps de l’autre se´ropositif (en raison du risque de contagion), les travaux d’anthropologie de la maladie attestent de la persistance d’une forte de´gradation de l’image de soi, et plus particulie`rement de l’image du corps des sujets se´roposotifs [13,17,20,25]. Comment ce corps infecte´, qui est ve´cu comme souille´ a` la fois par les autres et par soimeˆme, peut-il s’investir dans la pratique physique et s’inte´grer a` un environnement sportif ? L’e´tude porte sur l’histoire des discours sur « sport et VIH » et sur les cre´neaux d’activite´s cre´e´s pour les personnes se´ropositives. Il apparaıˆt tout d’abord qu’a` la prolife´ration des premiers correspond la rarete´ des seconds. Seuls deux types d’acteurs proposent des cre´neaux de pratique sportive explicitement ouverts aux personnes se´ropositives : les associations de prise en charge de personnes malades et les clubs sportifs gay et lesbien. 4. Re´sultats : le sport, un loisir ou une ne´cessite´ ? La dualite´ de l’offre correspond a` une dualite´ du sens des pratiques propose´es : alors que l’offre du milieu gay et lesbien s’oriente avant tout vers le loisir et la sociabilite´, celle des associations de prise en charge des personnes malades s’inscrit dans le prolongement de l’assignation biome´dicale a` l’observance the´rapeutique et a` une certaine « hygie`ne de vie ». Dans ce cadre, « l’exercice re´gulier et mode´re´ » se donne comme une ne´cessite´ sanitaire renvoye´e a` la responsabilite´ des « patients ». Cette logique est bien illustre´e par le dessin ciapre`s, tire´ d’un des premiers articles sur le sport du magazine Remaides de l’association Aides. L’esprit est le meˆme a` Act Up, qui intitule sa 64e Re´union publique d’Information, le 16 mai 2006, « clope, canape´, malbouffe », avec un tabacologue, un die´te´ticien et un spe´cialiste du sport. Du coˆte´ du sport gay et lesbien, l’ouverture de principe aux personnes se´ropositives, bien figure´e par la charte « VIH et Sport » de la Fe´de´ration sportive gay et lesbienne de 2001, ´ la n’empeˆche pas l’invisibilite´ des gens concerne´s. A communication institutionnelle s’oppose un e´vitement du sujet et des me´canismes d’(auto-)exclusion. Un seul club propose, en natation, un cre´neau « d’inte´gration des personnes se´ropositives ». Sa cre´ation, de´but 2000, n’a pas fait l’unanimite´ et il fonctionne difficilement avec quelques participants.

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5. De la difficulte´ sociale d’eˆtre a` la fois « malade » et « sportif ». . . La perception a priori positive du sport comme outil, scientifiquement teste´, au service de l’inge´nierie me´dicosociale, contribue a` occulter les difficulte´s des personnes touche´es. L’ide´e que l’acce`s a` l’activite´ physique et sportive puisse eˆtre un motif de souffrance e´chappe au champ du pensable. Pire, cet impense´ cre´e une surdite´ a` la demande des personnes. Ainsi, les forts encouragements des acteurs me´dicaux et associatifs a` la pratique sportive se heurtent a` des re´sistances des inte´resse´s et/ou a` des difficulte´s d’acce`s. Ces derniers semblent en fait confronte´s a` une dualite´ dans leur engagement physique : soit eˆtre de « bons » patients (se pliant aux exigences d’une prise en charge sanitaire rationnelle dans le prolongement de l’intervention biome´dicale classique), soit eˆtre des sportifs « normaux » (devant cacher leur se´ropositivite´). Conflits d’inte´reˆts Il n’existe aucun conflit d’inte´reˆt entre les auteurs et les organisations et individus concerne´s par l’e´tude propose´e. Re´fe´rences [1] Bitting LA, Trowbridge CA, Costello LE. A Model for a policy on HIV/ AIDS and athletics. J Athletic Training 1996;31:356–7. [2] Brown BR, Baranowski MD, Kulig JW, et al. Searching for the Magic Johnson effect: AIDS, adolescents, and celebrity disclosure. Adolescence 1996;31:253–64. [3] Ciccolo JT, Jowers EM, Bartholomew JB. The benefits of exercise training for quality of life in HIV/AIDS in the post-HAART era. Sports Med 2004;34:487–99. [4] Clark TS, Friedrich GK, Ndlovu M, et al. An adolescent-targeted HIV prevention project using African professional soccer players as role models and educators in Bulawayo, Zimbabwe. AIDS Behav 2006;10:77–83. [5] De Gaulejac V, Bonetti M, Fraisse J. L’inge´nierie sociale. Paris: Syros; 1995. [6] Dorman JM. Contagious diseases in competitive sport: What are the risks? J Am Coll Health 2000;49:105–9.

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